Le premier texte a été publié dans le numéro d'avril 2004 de l'édition française de "Christianisme aujourd'hui", le second texte dans le numéro de mai de ce périodique.
Une foule de fidèles, une croix et, au premier plan Georges Bush. L’image est déjà forte, mais le titre touche à l’outrance, voire l’outrage: "Les Évangéliques, la secte qui veut conquérir le monde".
Deux journalistes, Sophie des Deserts et Slimane Zeghidour, analysent les évangéliques américains, surtout ceux qui soutiennent le Président des USA, signalent l’essor invraisemblable du mouvement évangélique dans le monde, et bouclent le tout en parlant de l’esprit messianique que veulent imposer au monde les Américains.
Comme souvent dans ce genre d’articles fleuves, les inexactitudes sont légion, surtout de la part de journalistes qui méconnaissent le fait religieux, l’histoire de l’église et la mouvance évangélique. Certes, le sujet est complexe, mais le journaliste n’est-il pas le pédagogue des temps médiatiques? Manifestement, non!
Dès que l’hebdomadaire est sorti dans les kiosques, une réaction virulente de la classe évangélique française s’est manifestée et s’est répandue, notamment par Internet et des milliers d’émails.
Levée de boucliers
Des centaines de courriers ont afflué à la rédaction du Nouvel Obs. La première réaction officielle a été celle de l’Alliance Évangélique de France (AEF) et de son secrétaire général, Stéphane Lauzet. Une réaction en 5 points. Naturellement, l’emploi du terme "secte" est contesté "Vous n’êtes pas sans savoir que le mot secte a une connotation péjorative et je m’interroge sur son utilisation dans une assimilation sans nuance qui est en plein décalage avec la réalité."
Le Président de la Fédération protestante de France, Jean-Arnold de Clermont, après avoir rappelé que plus de la moitié des Églises protestantes avaient le terme "évangélique" dans leur intitulé, s’insurge "les voilà assimilé à une secte! L’amalgame est honteux!"
Le Président de la FPF ajoute: "Ces Églises, nos Églises, acceptent la critique. Elles refusent l’amalgame et la mauvaise foi, les raccourcis trompeurs et la chasse aux sorcières. Elles demandent d’être respectées pour ce qu’elles sont, et de n’être pas de celle dont on peut dire n’importe quoi impunément, au nom de la liberté d’expression à laquelle elles sont si fortement attachées."
Alain Stamp, au nom de la Fédération Évangélique de France (FEF) signale aux journaliste et à leur rédaction "Le titre et le ton provocateur employés par les auteurs ont blessé les évangéliques français dans leur grande majorité." Puis il s’interroge: "Les évangéliques sont en forte progression. En quoi leur vitalité fait-elle automatiquement d’eux une secte? Si l’immense majorité des croyants témoigne de sa foi personnelle, elle le fait dans le respect de la liberté de conscience de chacun. Comme d’autres partagent leurs convictions politiques ou syndicales."
De son côté, le Président de l’Union Nationale des Assemblées de Dieu, Alain Denizou renonce à relever toutes les erreurs et les contre-vérités du dossier publiés, tant elles sont nombreuses. Il pointe particulièrement un des deux journalistes, Slimane Zeghidour en s’interrogeant : "Est-ce un manque de professionnalisme, de sérieux? Pourquoi autant de malhonnêteté intellectuelle? Dans quel but et pour servir quels intérêts? Tout du moins, vos origines, vos écrits dans la presse ou publications sur l’Islam dont vous êtes un spécialiste et votre anti-américanisme primaire semble-t-il peuvent en partie répondre à nos questions. Cela ne vous autorisait pas pour autant de faire de la désinformation et encore moins de jeter l’opprobre et le discrédit sur l’ensemble du mouvement évangélique..."
Même des catholiques!
Le Père David Roure, catholique engagé dans le travail œcuménique, s’est également élevé contre le Nouvel Observateur, dont il est pourtant un fidèle abonné, pour défendre les évangéliques. "L’enquête montre une grande méconnaissance de la diversités des évangéliques dans le monde, et surtout de leur réalité en France où ils doivent représenter actuellement entre le tiers et la moitié des protestants français et où ils sont si différents des évangéliques américains, en particulier dans leur rapport au politique."
Toutes les réactions veulent démontrer que les évangéliques français ne sont pas des inconditionnels de Georges Bush ni de sa politique. Elles rappellent aussi que même aux États Unis, tous les évangéliques ne soutiennent pas les positions du Président américains.
Est également réfutée l’accusation à peine voilée que les journalistes du Nouvel Obs lancent contre les évangéliques et leurs croisades agressives, notamment pour la conversion des musulmans, laquelle serait soutenue par la politique des USA afin de contrer l’intégrisme musulman.
Sur fond d’intégrisme
Sur ce point, c’est le Président de l’Union Nationale des Églises Réformées Évangéliques Indépendantes (EREI), le pasteur Antoine Schluchter qui interpelle le plus précisément la rédaction du Nouvel Observateur: "Les dangers et les inquiétudes que vous signalez sont bien réels, tout autant que la menace islamiste intégriste. Mais voilà, on ne réduit pas impunément l’islam à l’intégrisme (la dérive messianique politique du Président Bush le démontre) et il paraît risqué et injuste de faire passer "les évangéliquesdu monde entier" à pareille moulinette... Le danger, pour un lecteur ne disposant pas d’informations sur la question, est celui de l’assimilation des Évangéliques de France à cette tendance bien particulière dont vous faites état. Et si menace d’invasion il y a en Europe, le meilleur rempart à pareil fondamentalisme reste assurément le camp des évangéliques déjà implantés dans l’Hexagone..."
Élisabeth Loussaut-Gallais, membre d’un groupe de chercheurs dans le domaine évangélique (socio-anthropologique) à la Faculté de Paris X, trouve que mélanger Dieu et Bush est ridicule. "On pourrait faire de même avec chaque homme politique et sa religion! Voyez ce que cela donnerait! Et comment des jo
urnalistes d’un hebdomadaire de gauche a-t-il pu oublier que les protestants de France (et souvent les évangéliques) sont généralement à gauche. On est loin de la politique de Bush" Et, revenant sur le terme secte, elle conclut trouve intéressantes les réactions des responsables religieux. Selon elle, les Églises évangéliques doivent refuser d’être assimilé aux sectes, mais elles précise: "Les évangéliques de France ne sortiront pas indemnes d’une aussi grave accusation. Il faut des années pour s’en défaire. Je parle ici de l’individu associé à une secte!".
Propos recueillis par Eric Denimal
Le Nouvel Observateur saisit la leçon mais ne s’excuse pas!
"Nous sommes désolés" n’ont cessé de répéter Serge Lafaurie? directeur de la rédaction du Nouvel Observateur et Michel Labro, directeur adjoint, aux responsables protestants avec lesquels ils déjeunaient.
C’est la Fédération protestante qui avait lancé l’invitation à la rédaction du Nouvel Observateur à la suite du dossier que cet hebdo avait publié:"Les évangéliques, la secte qui veut conquérir le monde".
Autour de la table, une dizaine de représentants d’Églises et d’institutions protestantes dont l’Alliance Evangélique et, pour la première fois, la Fédération évangélique. À noter l’absence des Assemblées de Dieu qui, elles aussi, avaient vigoureusement riposté suite à l’article incriminé.
Serge Lafaurie qui s’est présenté comme agnostique (et arrière petit-fils de Ami Bost, père du pasteur John Bost, initiateur de la Fondation du même nom) a avoué n’avoir pas mesuré les conséquences de la Une avec la photo de Bush sur fond de croix. "J’ai été surpris de découvrir que l’ensemble des protestants français avait été blessé par ce dossier." Pour lui,"les articles s’en prenaient aux Etats-Unis et au Brésil, qu’à nos yeux c’était un sujet politique international et non pas religion."
Les responsables protestants n’ont pas caché leurs critiques et leur indignation, recommandant même à ce grand hebdomadaire de se payer les services d’un journaliste spécialiste du religieux, puisque le journal n’en possède pas!
De plus, Stéphane Lauzet n’a pas hésité à reprocher le traitement, la semaine suivante, du courrier des lecteurs dans les colonnes du Nouvel Observateur. En effet, "la sélection des courriers publiés n’était pas représentative."
Contacté par notre rédaction, Serge Lafaurie redit "ne pas avoir visé les évangéliques français dans les articles incriminés et (je) regrette l'amalgame avec les évangéliques des États Unis et d'Amérique latine." Malgré les critiques reçues, il a trouvé les responsables protestants et évangéliques "authentiques et chaleureux" et espère avoir créé des contacts nouveaux qui permettront, le cas échéant, une meilleure information. À la question: après les excuses en privé, les trouvera-t-on dans une prochaine édition, la réponse est formelle: le déjeuner d'explication ne devait pas aboutir à des excuses dans les colonnes du journal!
Éric Denimal
© 2004 Eric Denimal – Christianisme Aujourd’hui. Document publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.