Afin d'en savoir plus s'est tenu à Genève le 18 octobre 2003 un colloque intitulé "Islamophobie en Suisse? Eclairages européens". Cette réunion représentait la première manifestation publique du Groupe de recherche sur l'islam en Suisse (GRIS), récemment lancé par plusieurs jeunes chercheurs. Ses responsables avaient invité plusieurs experts suisses et étrangers ainsi que des représentants de médias suisses.
Le colloque a été introduit par le chercheur français François Burgat, qui a rappelé la diversité des situations européennes quant aux héritages et à la gestion du religieux: l'intervenant a donc choisi de se concentrer sur la situation française.
Selon Burgat, dans les réactions face à l'islam, nous pouvons distinguer à la fois des peurs héritées, issues de notre culture, qui appartiennent au passé, et des peurs cultivées, liées à l'actualité.
Bien entendu, tout homme a besoin de l'autre pour définir son identité: nous conférons à l'autre l'attribut de l'altérité pour savoir qui nous sommes. L'autre par excellence se trouve être, pour un Français, le musulman - culturellement ou religieusement. D'autant plus que cet autre est en même temps le voisin.
A l'époque coloniale, souligne Burgat, les catégories de la culture musulmane se trouvaient folklorisées, et privées ainsi de leur accès à l'universel: l'Occident avait en effet la prétention au monopole des valeurs universelles. Le problème est aujourd'hui de réussir à accepter la capacité du système symbolique de l'autre à produire de l'universel.
En ce qui concerne le contexte occidental actuel - et notamment français - l'approche de François Burgat insiste sur son une population qui n'est pas tant laïque que déchristianisée: cela implique que, tout autant que son statut de religion de l'autre, l'islam doit également surmonter aujourd'hui les réticences suscitées par son statut de religion. L'usage de l'étiquette "intégriste" pour délégitimer certaines revendications est soulignée par le chercheur français.
Le colloque a également été l'occasion d'entendre des représentants des médias, en raison du rôle potentiel joué par ceux-ci dans la diffusion d'une image de l'islam. Journaliste à la Télévision suisse romande, Massimo Lorenzi se déclare convaincu qu'il n'y a pas véritablement d'attitude islamophobe chez les journalistes, même s'il peut y avoir des maladresses, dues notamment aux contraintes engendrées par la rapidité et la nécessité de faire court. Logique d'un système où manque la place pour la nuance, le doute, l'interrogation, le débat...
Lorenzi rappelle que les journalistes sont des généralistes, qui ne disposent pas toujours de connaissances suffisantes pour aborder ces sujets: si islamophobie il y a, il la voit donc comme involontaire et fruit d'une logique médiatique.
Le même problème a été relevé par Alain Rebetez, du magazine L'Hebdo: il y a chez les journalistes un problème de compétence, d'autant plus que le fait religieux est généralement étranger à leur monde. Mais il y a aussi un problème d'interlocuteurs et un problème de représentativité: qui est vraiment habilité à s'exprimer au nom des musulmans de Suisse? Sans oublier enfin un problème de confiance mutuelle.
Mais Rebetez estime que, même si l'on est passé du stade de l'information à un constat de problématisation en ce qui concerne l'islam, la connaissance de l'islam dans le public suisse a beaucoup progressé également au cours des quinze dernières années. Le fonctionnement médiatique et sa focalisation sur les crises, de surplus, n'est pas réservé à l'islam: les défauts des médias ne sont, selon le journaliste, pas imputables à l'islamophobie.
Ces exposés introductifs, comme on le devine, ont suscité des débats souvent animés dans le public et conduit à des prises de positions diverses, qu'il n'est pas possible de synthétiser dans le cadre de cette brève note. En outre, plusieurs autres exposés ont suivi au cours de la journée pour éclairer différents aspects de la question soulevée.
Ceux qui souhaitent en savoir plus trouveront un compte rendu complet du colloque sur le site du GRIS, en quatre parties [ce rapport n'est plus accessible sur le site d'origine, mais nous avons inséré le lien vers le contenu qui reste accessible grâce à Internet Archive - 19.09.2016].
En outre, les organisateurs ont eu l'excellente initiative de s'associer à Boèce. Revue romande de sciences humaines, pour publier les actes du colloque. Avec une rare célérité dans le monde des publications académiques, la première partie des actes est déjà parue et constitue le N° 6 (daté avril-juin 2003) de Boèce. Le numéro s'ouvre avec un utile panorama qu'ont préparé Mallory Schneuwly et Stéphane Lathion (Université de Fribourg) sur la présence de l'islam en Suisse. [Cette revue n'existe plus, mais peut être consultée dans certaines bibliothèques en Suisse - 19.09.2016].