C'est un peu tardivement que Religioscope rend compte de 8e European Christian Internet Conference (ECIC), qui s'est réunie sur un bateau entre Helsinki et Stockholm du 31 mai au 3 juin 2003. En 2002, Religioscope avait déjà relaté l'édition précédente de cette conférence annuelle.
Luthériens finlandais - à la pointe de l'utilisation d'Internet
"Combler le fossé digital" était le thème choisi pour cette réunion. Elle fut tout d'abord l'occasion d'en apprendre plus sur les efforts en Finlande afin de développer la présence chrétienne dans le cyberespace; nous avions déjà eu l'occasion d'évoquer l'an dernier l'exemple de Credonet.
L'ouverture de la homepage de l'Eglise luthérienne de Finlande en 1995 était comprise comme une application de plus du principe protestant selon lequel la Réforme est une oeuvre qui doit sans cesse être remise sur le métier (Ecclesia semper reformanda est), expliqua aux participants son chef de l'information, Ingmar Lindqvsit. L'Eglise doit être présente là où les gens se trouvent, et le cyberespace constitue aujourd'hui un tel "lieu".
Le développement d'Internet doit également favoriser la communication interne: selon les plans actuellement en cours d'application, toutes les paroisses (plus de 600) devraient être connectées au réseau de l'Eglise en octobre 2004, ce qui permettra de diffuser de façon très rapide des messages à l'ensemble des paroisses lorsque cela sera nécessaire. Il est vrai que la Finlande, où l'accent est généralement mis sur les technologies de l'information, constitue une société propice à un usage maximal de ces moyens de communication: sur une population d'un peu plus de 5 millions d'habitants, on estime que 2,7 millions sont "en ligne" et que 2,2 millions utilisent Internet chaque semaine...
Pour l'heure, précisa Rita Junninen, responsable de projet, le site officiel des luthériens finlandais accueille 60.000 à 80.000 utilisateurs par semaine - dont 20% de personnes employées par l'Eglise, ce qui souligne le rôle de communication interne également. Information interne et publique se mêlent dans les 23.000 pages accessibles sur le site.
En outre, un très important projet de portail Internet devrait voir le jour en 2004. Ce portail s'adressera aux citoyens finlandais en général, mais particulièrement aux jeunes et jeunes adultes. Il voudrait trouver des voies de communication originales, être considéré comme une source de confiance, être interactif, offrir des services aux grands tournants de l'existence, présenter un visage compatissant, humain - et parfois surprenant.
Un important budget, dont le montant n'a pas été précisé (mais il s'agit d'un montant à six chiffres) sera investi dans cette initiative. Celle-ci s'inscrit également dans la dialectique entre national et local: dans une société de mobilité croissante, les liens avec des paroisses spécifiques se distendent; un portail national jouera ainsi le rôle de point de contact stable, permettant éventuellement de renouer ensuite avec l'échelon local.
Comme on peut le constater, l'usage de l'outil Internet s'inscrit dans une véritable réflexion stratégique de longue durée. Notons que, sur un plan stratégique d'une autre nature - celui des perspectives commerciales - les entreprises actives dans les technologies de l'information en Finlande ont également pris conscience de l'intérêt présenté par "le segment de clientèle chrétien", comme l'a exposé aux participants de la 8e ECIC un représentant de Telia-Sonera. Outre les quelque 630 paroisses luthériennes en Finlande, il y existerait quelque 300 autres communautés chrétiennes (évangéliques, pentecôtistes...). Afin de saisir les spécificités et besoins de ce marché, Telia-Sonera a développé avec Credonet un partenariat fondé sur l'intérêt mutuel. Travailler avec une entreprise chrétienne permet en effet de mieux comprendre les besoins et attentes spécifiques de ce marché.
Internet, territoire de mission?
Comme le savent tous ceux qui s'intéressent aux usages religieux d'Internet, le potentiel missionnaire de cet outil retient particulièrement l'attention. Plusieurs des projets présentés à l'occasion de la 8e ECIC reflétaient les tentatives de plus en plus élaborées de services d'Eglise pour assurer sur ce terrain une présence visant non seulement les familiers des lieux de culte, mais aussi ceux qui s'en sont éloignés ou s'interrogent.
Un représentant de l'Eglise de Suède a ainsi évoqué l'expérience du service Fräga prästen ("Poser une question au prêtre"), un activité de cyberministère à laquelle participent une trentaine de prêtres et qui reçoit une moyenne de quatre questions par jour. Cela relève d'un modèle assez fréquent et répandu - à noter que le service se limite à répondre à des questions sur l'Eglise, ses services et ses activités, mais ne s'engage pas dans le conseil spirituel en ligne. Une initiative de ce genre correspond donc plutôt à une sorte de rubrique interactive du type FAQ ("foire aux questions", "questions fréquemment posées"), permettant de mettre ensuite en ligne les réponses comme une base de données.
D'autres initiatives, en revanche, vont beaucoup plus loin et ont des ambitions plus larges. Paul Bo Sorensen a ainsi évoqué le projet d'une "cyberéglise dans le cyberespace", initiative d'un groupe de l'Eglise luthérienne du Danemark. L'idée est celle d'une église qui non seulement serait "ouverte" 24 heures sur 24, puisque située dans le cyberespace, mais il y aurait 24 heures sur 24 (et en tout cas de 8h du matin à 1h du matin suivant, dans une phase initiale) un pasteur "dans l'église" (virtuelle), prêt à répondre instantanément à tout visiteur, à toute question, par différents canaux (chat, e-mail...). A l'heure où beaucoup d'églises sont fermées durant la journée, le cyberespace pourrait ainsi retourner la situation de façon inattendue!
A l'heure où nous écrivons ces lignes, le site n'est pas encore actif, il devrait le devenir dans les mois prochains [ce site, qui se trouvait à l'adressewww.cyberkirke.dk, n'existe plus et son contenu n'est plus accessible - 19.09.2016]. A noter qu'il affiche clairement son appartenance - et que la métaphore de la cyberéglise est affirmée par la présence en page d'accueil de la photographie d'une véritable église, dans laquelle le visiteur - une fois que le site sera actif - pourra entrer et progresser en cliquant sur la souris de son ordinateur.
En effet, 90% de la communication est non verbale, rappela Paul Bo Sorensen: "l'image triomphe toujours sur la parole!" La présentation du site doit donc immédiatement donner au visiteur le sentiment qu'il arrive dans une église, et non sur un site portail.
Pour sa part, le site allemand Evangelisch - das Ganze leben [à ce site a succédé evangelisch.de - 19.09.2016] a pour objectif d'aller à la rencontre de gens qui veulent renouer avec l'Eglise, comme l'a expliqué Tom Brok, qui travaille dans le cadre de l'Eglise protestante en Allemagne (EKD). Le site offre de petits clips audiovisuels présentant des situations de l'existence et permet d'envoyer des cartes électroniques, sans oublier des forums, des informations sur l'Eglise - et une rubrique "devenir protestant" (evangelisch werden). Illustration frappante d'une Eglise établie qui devient missionnaire sur son propre territoire, mais d'une façon qui propose et suggère sans imposer. La section "devenir protestant" prévoit même le cas de ceux qui ne sont pas encore sûrs de devoir faire le pas pour devenir ou redevenir membres de l'Eglise. Après avoir énuméré douze raisons d'y appartenir, le site encourage les indécis à devenir... membres à l'essai, c'est-à-dire à visiter régulièrement un lieu de culte, en leur garantissant qu'il n'y aura pour eux aucune obligation: "Pas d'inquiétude: personne ne vous demandera une carte de membre!"
La cible principale du site, précise Tom Brok, sont les femmes: ce sont surtout elles qui, à l'occasion de grands tournants de la vie, se montrent enclines à recréer le lien avec l'Eglise.
Quant au site néerlandais qui utilisera pour référence le thème biblique de l'Echelle de Jacob (le site n'est pas encore accessible à l'heure actuelle, mais le deviendra vraisemblablement dans le courant de l'automne 2003 [ce site ne semble plus exister - 19.09.2016]), c'est une superbe réalisation - sur le plan technique et graphique - dont le pasteur réformé Otto Sondorp a présenté l'avancement.
Sondorp travaille dans le cadre du Département de la mission intérieure de l'Eglise réformée des Pays-Bas. Selon les chiffres qu'il a communiqués aux participants, 75% des habitants des Pays-Bas étaient liés à une Eglise en 1958; ce pourcentage était tombé à 37% en 1999 et les projections pour 2010 voient ce pourcentage descendre à 25%. Les médias digitaux sont donc perçus comme un moyen de créer des ponts entre la vie séculière et l'Eglise.
En effet, malgré la sécularisation, estiment les promoteurs du site, l'homme reste aussi religieux que par le passé. En outre, l'attitude à l'égard de la religion est en train de se transformer, par rapport à ce qu'elle avait été au cours de décennies précédentes: c'est aujourd'hui à la mode d'être religieux, mais pas nécessairement d'être chrétien.
Dans ce contexte de la recherche de nouvelles spiritualités et de la création de nouveaux rituels, le site en cours de création entend trouver de nouvelles voies pour communiquer l'Evangile, d'une façon qui ne "sente" pas l'institution, mais soit en même temps immédiatement perceptible comme religieux (sans cacher son appartenance) et puisse répondre à des attentes de personnes en recherche spirituelle. L'ambition du site est même de parvenir à créer une communauté virtuelle avec des intérêts partagés.
Ces aperçus sur quelques-unes des initiatives évoquées à l'occasion de la 8e ECIC sont autant de signaux indicateurs de l'investissement des Eglises chrétiennes européennes dans le monde de l'Internet. Et la qualité technique de plusieurs des sites présentés montre aussi que, après la période des pionniers de l'Internet, souvent des enthousiastes isolés qui s'occupaient d'un site associatif ou diocésain avec des ressources techniques limitées, l'ère des professionnels de l'Internet chrétien européen a maintenant commencé.
Un grand point d'interrogation demeure cependant: l'Internet aidera-t-il réellement les Eglises à regagner du terrain et à atteindre un public qui ne serait pas entré en contact avec elles par d'autres voies? Il est encore prématuré d'esquisser une réponse.
Jean-François Mayer
© Religioscope 2003