1. La scène religieuse américaine en chiffres
2. Bref historique de l’évangélisme
3. Dogmes «evangelical» et fondamentalistes
4. L’engagement politique des fondamentalistes: la Nouvelle Droite ou Droite chrétienne
5. Millénarisme, messianisme américain, Israël et l’axe du mal
Les Américains sont isolationnistes de nature et leurs dirigeants ont dû toujours trouver des arguments percutants pour emporter leur adhésion dans les grands conflits du XXe siècle. Ce ne fut que lorsque les Allemands intensifièrent leur guerre sous-marine dans l’Atlantique nord en 1917 que Woodrow Wilson se résigna à entraîner les troupes en Europe dans une «croisade» des forces du bien contre les forces de la barbarie. F.D. Roosevelt ne put faire de même qu’au lendemain de Pearl Harbour. L’horreur des attentats du 11 septembre sortit instantanément les Américains de leur isolationnisme et Bush n’eut aucun mal à arracher l’accord du Congrès pour attaquer l’Afghanistan. L’invasion à l’automne 2001 fut présentée en termes purement stratégiques, une contre-attaque. L’invasion de l’Iraq, en revanche, posa problème et c’est dans de telles circonstances que l’équipe présidentielle doit soigner sa rhétorique. On sait maintenant que le projet de renverser Saddam Hussein fut adopté il y a longtemps, au moins dès les attentats de septembre 2001, mais déjà dans les années quatre-vingt la presse américaine dénonçait le danger qu’il représentait. Cependant, les liens entre Al Quaida et Saddam Hussein étant impossibles à prouver, l’Irak ne menaçant pas les États-Unis directement, comment contrer les arguments des opposants à la première guerre préventive de l’histoire récente?
On sait que Bush parvint très rapidement à rallier la majorité des Américains à son point de vue. Ce ralliement derrière le chef après le traumatisme des attentats de New York est tout à fait compréhensible et on peut imaginer qu’il aurait été aussi fort avec n’importe quel président. Toutefois, on peut également penser qu’il existe un facteur supplémentaire qui décuple l’empathie avec laquelle la majorité des citoyens fonctionnent en ce moment avec George W. Bush, et on peut risquer certaines interprétations. Président non élu par le vote populaire et médiocrement apprécié avant le 11 septembre, celui-ci a su immédiatement adopter le ton prophétique qui sied à l’Amérique, et parler à ses concitoyens le même langage qu’une grande partie d’entre eux entendent depuis toujours dans leurs églises, voire dans leurs écoles. Ainsi, il transforma avec succès cette agression en une croisade des forces du bien contre les forces du mal, pour la première fois de manière explicite lors du Message sur l’état de l’Union de janvier 2002, discours aux nombreuses références religieuses, telles que celle du «wonder-working power» (puissance divine qui effectue des miracles), emprunté à un hymne évangélique populaire. Ce Message, l’un des plus attendus de l’histoire américaine puisqu’il allait définir sur le proche et moyen terme la politique choisie pour venger les attentats,[1] avait été préparé pendant des semaines par une importante équipe de spécialistes. Les auditeurs et les observateurs allaient retenir une expression étrange: «l’axe du mal», laquelle désignait désormais les pays accusés d’avoir aidé Ben Laden et les islamistes en général, c’est-à-dire l’Irak, l’Iran et, étrangement, la Corée du Nord:
Les États comme ceux-là, et leurs alliés terroristes, constituent un axe du mal, s’armant pour menacer la paix du monde. En fabriquant des armes de destruction massive, ces régimes posent de plus en plus un grave danger. Ils peuvent fournir des armes aux terroristes, leur donnant des moyens à la mesure de leur haine. Ils pourraient attaquer nos alliés ou tenter de faire chanter les Etats-Unis. Dans tous les cas, le prix de l’indifférence serait catastrophique.[2]
Dans son livre récemment publié, The Right Man, David Frum, qui faisait partie de l’équipe des rédacteurs de discours présidentiels, explique qu’il cherchait une expression qui pourrait qualifier tous les pays du Proche et du Moyen-Orient dont l’islamisme militant traduisait la haine de l’Occident et de ses succès matériels. A court d’inspiration, et la destruction des tours jumelles ressemblant à Pearl Harbour, il prit sur ses étagères un livre de discours de F.D. Roosevelt, sauta sur le mot «axe» qui désignait l’Allemagne, l’Italie et le Japon, et inventa «l’axe de la haine». Juif lui-même, et de surcroît canadien, Frum ne fonctionne pas en tant qu’évangéliste et à ses yeux l’expression était historique et culturelle. Il précise que ce fut le rédacteur des discours en chef, Michael Gerson, qui «voulut utiliser le vocabulaire théologique que Bush employait depuis le 11 septembre et donc ‘l’axe de la haine’ devint ‘l’axe du mal’. La Corée fut ajoutée pour bonne mesure puisqu’elle aussi fabriquait l’arme nucléaire (…) et avait besoin d’une mise en garde.»[3]
Le discours revint annoté de la main de Bush qui en acceptait toutes les implications. Nous avons donc ici l’origine précise historique de l’expression «axe du mal». Néanmoins, si elle a autant marqué les esprits aux États-Unis, c’est parce qu’elle correspondait à un archétype de la rhétorique politique et religieuse américaine, la croyance en la division morale binaire du monde et c’est pour exactement la même raison qu’elle a choqué la Vieille Europe où depuis fort longtemps il est inconcevable qu’un chef d’État puisse utiliser des arguments religieux et fasse appel à la croisade. Aux cyniques européens, les observateurs confirment que Bush est sincère quand il en appelle à Dieu pour l’aider contre le grand Satan.[4] Son conseiller politique le plus proche, Karl Rove, est lui-même un fondamentaliste à l’écoute de ses frères.
Cette étude se propose d’expliquer le langage éminemment religieux de Bush, celui de l’évangélisme millénariste qui «parle» instinctivement à une grande partie de la population. Loin de nous, cependant, l’idée qu’un Rumsfeld, un Wolfowitz, un Dick Cheney, ou un Colin Powell préparent les plans de bataille en fonction d’un impératif religieux. Il ne s’agira donc pas ici de démontrer que la stratégie militaire américaine est motivée par la préparation du Retour du Christ, mais il s’agira de démontrer que, comme dans tous les pays du monde, si cette stratégie militaire est généralement acceptée par de très nombreux citoyens, c’est parce qu’on sait la leur présenter en des termes familiers. Nous insistons bien auparavant sur le fait que tous les Américains n’adhèrent pas au discours dominant actuel, car, au contraire, une partie non négligeable de la population le condamne avec véhémence.
Pour comprendre la rhétorique de l’administration Bush, il faut faire un véritable saut dans l’espace, géographique et mental, dans l’univers de la Bible Belt, «la ceinture biblique» qui a débordé de son cadre sudiste traditionnel pour atteindre jusqu’aux rives du Pacifique. Nous y rencontrerons les fondamentalistes qui animent les diverses associations politico-religieuses de la Nouvelle Droite, ou Droite religieuse, qu’ils ont créées avec succès depuis la fin des années soixante-dix, la Majorité Morale, la Coalition Chrétienne notamment. Nous nous pencherons en détail sur leur croyance la plus exotique pour le public français, le millénarisme, intimement lié au messianisme américain. Ce n’est qu’à ce prix-là que nous saisirons la portée de la rhétorique de l’axe du mal. Auparavant quelques chiffres sont nécessaires pour saisir le dynamisme de la scène religieuse américaine, ainsi qu’un historique du mouvement évangéliste qui forme la base électorale de Bush.
1. La scène religieuse américaine en chiffres
Les sondages sont fréquents et leurs résultats divergent toujours de quelques points, mais pour l’essentiel ils s’accordent sur ces pourcentages basés sur les réponses volontaires des sondés: plus de 90% des Américains croient en Dieu, quel que soit son nom, ou un principe suprême. Seulement environ 3 à 5%, selon les sondages, s’affirment athées. 80% se déclarent chrétiens. Les catholiques représentent environ 25% de la population (avec 65 270 444 fidèles[5] c’est la plus grosse dénomination), et ils sont de plus en plus nombreux à sympathiser avec les évangélistes sur les questions de morale et donc nécessairement sur les questions de politique qui, nous le verrons, se réduisent de plus en plus à des questions de morale. Les protestants, toutes confessions confondues, en représentent 48%, chiffre qui inclut les quelque 30% d’Américains qui sont évangélistes. La Gallup Organization et le Center for Research on Religion and Urban Civil Society viennent de mettre au point un «index du spirituel» qui passe en revue «l’état spirituel de la nation». 77% d’Américains croient que la bonne marche de la nation dépend de sa santé spirituelle, 72% estiment que leur vie n’a de sens que parce qu’ils ont la foi, et pour 60% leur foi s’applique à tous les aspects de leur vie. 74% pensent que Dieu agit activement dans leur vie.[6] Un autre sondage démontrait que 53% des Américains trouvaient que la religion était très importante dans leur vie, contre 16% en Grande Bretagne, 14% en France et 13% en Allemagne.[7] Si tous les Américains ne font pas étalage de leur foi, et s’ils sont assez nombreux à s’irriter de l’usage qu’en font les autres, les évangélistes en revanche, qui s’arrogent l’appellation «chrétiens», évangélisent en permanence leurs interlocuteurs.
Ce qu’il faut savoir également c’est que le degré de pratique religieuse est à son zénith historique. L’imagerie populaire américaine veut que la nation ait été fondée dans la pureté de la religion et qu’elle ait toujours maintenu ce cap. Ce mythe fondateur est en grande partie faux. Si les Pères pèlerins ont bien existé, leurs écrits ont occulté le fait que dans toutes les colonies il n’y avait qu’environ 10 à 20 % des gens qui appartenaient à une église, et les sociologues des religions Finke et Stark ont pu calculer que la pratique religieuse en 1776 ne concernait que 17% de la population. Ce sont les prédicateurs itinérants qui ont compris que la foi s’éteignait toute seule si elle n’était pas régulièrement stimulée et dès les débuts du peuplement américain, ils ont méthodiquement organisé des tournées, des fêtes du Verbe, les «Grands Réveils» (Great Awakenings). Le puritanisme des Pèlerins de 1620 était le fruit du réveil en Grande-Bretagne, puis il y en eut trois, d’une trentaine d’années chacun (1730-1760, 1800-1830, 1890-1920). Le taux d’adhésion religieuse suit une courbe exponentielle, unique en Occident, avec une seule baisse légère en 1870. 1776: 17%, 1850: 34%, 1860: 37%, 1870: 35%, 1890: 45%, 1906: 51%, 1916: 53%, 1926: 56%, 1952: 59%, 1980: 62%.[8]
On notera que cette même courbe appliquée à la France, et de plus en plus à l’Europe, traduirait l’évolution du taux de désaffection religieuse. Il faut ainsi être bien conscient que la culture américaine majoritaire est encore d’imprégnation biblique, même si la sécularisation, qui gagne du terrain tout de même, et l’immigration en provenance de pays non chrétiens tendent à faire diminuer le pourcentage des lecteurs de la Bible dans la population générale. La littérature et le cinéma contemporains portent toujours les traces de l’influence de la Bible dans sa version du roi Jacques de 1611. Que le discours politique de Bush ait des relents bibliques ne choque donc que la minorité d’Américains attachés à la séparation de l’Église et de l’État et qui passent depuis une cinquantaine d’années par les tribunaux pour essayer d’effacer de la vie publique les marques les plus flagrantes de cette religion culturelle, ou culture religieuse: procès contre la prière dans les écoles, gagné avec l’arrêt de la Cour suprême Engel v. Vitale de 1962; contre la présence d’une reproduction des tables de la loi dans un tribunal, d’une crèche de Noël sur une place publique…
2. Bref historique de l’évangélisme
Sur les cinquante dernières années, le déclin des anciennes dénominations protestantes (presbytérianisme, épiscopalisme, congrégationalisme, disciples chrétiens, méthodistes unis) s’est accentué, tandis que le catholicisme a continué à progresser (mais en grande partie grâce à l’immigration), ainsi que les religions nées au dix-neuvième siècle (mormonisme, adventisme, témoins de Jéhovah…). Néanmoins, le groupe véritablement conquérant est celui de l’évangélisme dont l’ascension n’a pas failli depuis deux siècles.
Il est issu des réformes en Allemagne au XVIIe siècle, et fut introduit en Amérique au XVIIIe siècle par George Whitefield. Le terme «mouvement» qu’on lui applique dénote les innombrables fluctuations qui se déroulent en permanence en son sein, où les congrégations (niveau d’une paroisse) rivalisent ou s’associent avec des dénominations (des rassemblements de congrégations) et des fidèles électron-libre. Il se divise en de nombreuses mouvances, qui vont du libéralisme jusqu’au conservatisme le plus strict, tendance qui nous préoccupera ici, et dont on retiendra qu’elle ne concerne qu’environ 60% des évangélistes. Pour comprendre la situation actuelle et la base électorale de George Bush, il faut résumer la «querelle entre les anciens et les modernes».[9]
A partir de 1876, certains baptistes accompagnés de presbytériens se réunirent annuellement pour programmer un retour aux valeurs «authentiques» des premières années du christianisme. De leurs rencontres à Niagara Falls sortit en 1910 un livre, The Fundamentals: a Testimony to the Truth sous la direction de Anzi Dixon et Reuben Archer Torrey. Ils devinrent ainsi «les fondamentalistes» au sens strict du terme. L’appellation s’applique désormais à tout groupe religieux archi-conservateur, et donc à la mouvance conservatrice non seulement des évangélistes mais aussi des catholiques. Les groupes que nous étudierons plus loin relèvent tous de ce fondamentalisme «générique» même si techniquement leurs chefs ne proviennent pas tous du fondamentalisme historique.
A la suite de la publication du livre, naquit une controverse entre les «fondamentalistes» et les «modernistes», essentiellement à l’intérieur des dénominations calvinistes, c’est-à-dire les baptistes, les presbytériens (nom américain de l’Église d’Écosse), et les congrégationalistes (nom véritable des Églises puritaines au XVIIe siècle et ensuite, et qui sont très minoritaires de nos jours). Des scissions se produisirent à l’intérieur des dénominations presbytériennes et baptistes dans les années 1930 lorsque les fondamentalistes partirent créer divers groupes séparatistes: la General Association of Regular Baptists, le Bible Presbyterian Church, les Independent Baptists et la World Baptist Fellowship.
Les evangelicals (terme différent de «evangelist», fédérateur) apparurent dans les années quarante pour rassembler ceux qui, malgré divers désaccords de politique interne, ne quittèrent pas les presbytériens et les baptistes tout de suite, notamment parce qu’ils avaient divers investissements financiers dans les églises locales qu’ils auraient dû céder et perdre. Certains ne se séparèrent jamais des deux premiers groupes. Les evangelicals, essentiellement des responsables presbytériens âgés, se définirent alors par leur désir de coopérer avec les éléments les plus conservateurs à l’intérieur des grandes dénominations libérales. Quant aux méthodistes, ils ont fini par s’identifier aux libéraux également, notamment après le rassemblement de divers groupes méthodistes en 1939. Les chefs de file étaient totalement acquis au protestantisme libéral avant même la fondation en 1968 de la UMC, United Methodist Church qui est numériquement le deuxième groupe protestant avec 8.298.145 fidèles.
L’évangélicalisme est donc né de la coopération entre ces evangelicals qui ont quitté les grandes dénominations et les conservateurs qui sont restés dans ces mêmes dénominations. Il faut aussi savoir que celles-ci sont devenues libérales, d’où l’antagonisme de leurs cadres et de certains membres à l’encontre des fondamentalistes qui sont des archi-conservateurs en théologie (et politique). Ce mouvement est donc constitué en premier de dénominations vouées à la perspective «evangelical», en second, des congrégations locales qui sont affiliées aux grandes dénominations libérales mais qui continuent à adhérer à une position «evangelical» conservatrice théologique, et en troisième, d’individus qui sont membres des grandes dénominations libérales, telle que l’UMC, mais qui observent une théologie conservatrice.
Politiquement, les evangelicals ont tendance à être républicains, surtout leur faction strictement fondamentaliste, car comme l’évangélisme dans son ensemble, l’évangélicalisme est lui-même divisé en mouvances divergentes,[10] tandis que les protestants libéraux tendent à être démocrates. Il y a eu quelques exceptions avec Jimmy Carter, qui était membre de la Southern Baptist Convention et démocrate, et Bill Clinton, également baptiste et démocrate. Cette Southern Baptist Convention est le rassemblement protestant le plus dynamique, le plus conservateur et aussi le plus gros avec 16.052.920 membres.[11]
Le pentecôtisme fait partie de l’évangélisme et participe souvent aux activités politiques des fondamentalistes. Il est né du troisième réveil religieux, au début du XXe siècle sous l’impulsion de pasteurs méthodistes ou baptistes et il s’est très vite répandu non seulement aux États-Unis mais dans le monde entier par l’entremise d’une multitude de groupes. Il s’agit d’un protestantisme émotionnel qui insiste sur les dons de l’Esprit envoyés aux hommes à la Pentecôte.[12]
Dans les années cinquante, Billy Graham, un «evangelical» qui avait abandonné ses propres racines fondamentalistes pour gagner le soutien des membres beaucoup plus nombreux des grandes dénominations évangélistes, porta le mouvement au pinacle de la scène religieuse américaine grâce à sa collusion avec les politiciens et les magnats de la presse, notamment Randolph Hearst.[13] Organisateur infatigable de croisades, il fut un chantre incontournable de l’anti-communisme dans le monde entier, y compris en France,[14] et vanta sans relâche les vertus de la démocratie américaine sans pour autant se voiler la face sur ses manquements à la morale chrétienne. Lorsqu’il se rendit compte que Nixon l’avait également exploité, et que le Watergate ternissait sa propre image, il revint à un christianisme plus générique sans trop de référence politique directe, mais il est resté très proche des dirigeants, notamment de la famille Bush, dont George, le père, appartient à l’Église épiscopalienne (nom de l’anglicanisme en dehors de la Grande-Bretagne), et la mère, Barbara, au presbytérianisme (Église d’Écosse à l’étranger). Son fils Franklin Graham a pris sa succession et nous reparlerons de lui plus loin.
Ce fut Billy Graham qui en 1986 ramena au Christ le jeune George Bush qui avait trop profité des plaisirs matériels et en fit le «born-againChristian » qui dirige désormais la politique américaine. Celui-ci est depuis sa conversion techniquement un «adhérent individuel» à l’évangélicalisme à l’intérieur de la United Methodist Church.[15] Comme, ainsi que nous l’avons vu, ce groupe est libéral, Bush est très vertement critiqué par les instances de sa propre Église qui se sont vigoureusement opposées à la guerre en Irak, et le lui ont fait savoir.[16]Les responsables de l’Église épiscopalienne aussi, ce qui a fait dire à Bush père que les religieux n’avaient pas à se mêler de politique étrangère… Réponse étrange quand on connaît l’utilisation constante que les présidents, Bush père comme les autres, font des chefs religieux dans la promotion de leur politique intérieure et étrangère.[17] En revanche, la Southern Baptist Convention est le seul groupe religieux dont les chefs de file, notamment le directeur de la branche politique, Richard Land, ont soutenu l’intervention américaine en l’Irak au début de cette année, et il n’est pas fortuit que le président Carter s’en soit retiré.[18]
Cependant, la position des autorités religieuses dans le pays n’a guère eu d’incidence sur l’opinion de leurs fidèles qui dans une grande majorité ont préféré «désobéir» à leur clergé pour soutenir Bush. Un sondage Gallup de mars 2003 indiquait que 63% des pratiquants réguliers, toutes confessions confondues, soutenaient l’invasion de l’Irak, contre 59% de la population générale.[19] Paradoxalement, des critiques s’élèvent aussi de l’intérieur de l’évangélicalisme contre la rhétorique de Bush et son utilisation de la religion à des fins guerrières.[20]
Imitant les débuts de la carrière fulgurante de Billy Graham qui mariait religion et politique, le fondamentalisme, au sens d’évangélicalisme conservateur, progressa fortement à partir des années soixante-dix, et certains pensent que c’est en partie en réaction contre la libéralisation des mœurs des années soixante. Ses ténors sont pour la plupart des stars télévangélistes qui occupent les ondes et les écrans de télévision grâce à d’habiles contrats avec les chaînes, ou grâce à leurs propres réseaux câblés.[21] Avant de présenter leur discours politico-moral, arrêtons-nous à leur message strictement religieux.
3. Dogmes «evangelical» et fondamentalistes
La plupart des dogmes des évangélistes, et des fondamentalistes parmi eux, sont ceux du protestantisme traditionnel. Ainsi, ils croient en la naissance virginale de Jésus, sans vouer un culte à la Vierge,et en la mort de Jésus pour la rémission des péchés. En revanche, d’autres croyances plus «radicales » les distinguent. Ils croient en l’infaillibilité de la Bible et en refusent la moindre interprétation symbolique. Ils la prennent au sens littéral et la connaissent intimement. Ils croient que Jésus va revenir très bientôt pour juger les bons et les méchants, qu’il ne sauvera que son propre peuple, et nous analyserons plus loin ce millénarisme. Ils pratiquent le baptême des adultes et la «conversion instantanée»: ils évangélisent en permanence leurs prochains afin que ceux-ci se convertissent ou, s’ils sont déjà chrétiens, qu’ils renaissent au Christ spontanément puisque le jour du Jugement dernier approche. Cette expérience émotionnelle et physique d’être «né à nouveau» («born again») deviendra dès lors la centralité de leur vie quotidienne. Elle doit être vécue comme une expérience révolutionnaire, et cela en permanence jusqu’à la mort, avec pour seul appui la Bible et la présence de Jésus. Les séances d’évangélisation collective se déroulent lors de croisades, sous des chapiteaux de cirque, dans des églises ou n’importe quel lieu. Le rituel ne comporte que des chants et la prédication qui est théologiquement très simple. Tout un chacun peut se proclamer prédicateur, pourvu que l’on maîtrise l’art oratoire et incantatoire et l’habileté gesticulatoire qui permettront aux auditeurs de comprendre que l’Esprit saint opère par le corps autant que par le cœur. Le public intervient pour ponctuer les injonctions du prédicateur de «Amen» et d’expressions physiques, allant dans certains groupes, pentecôtistes notamment, jusqu’aux transes, la glossolalie (l’art de «parler en langues»), et des séances d’imposition des mains afin de guérir les malades. N’importe quel fidèle peut se confesser publiquement ou apporter un témoignage de la présence de Jésus dans sa vie quotidienne.
Ils ont une vision individualiste de la moralité et exigent que le chrétien se sépare physiquement de la société non régénérée, et c’est pour cela que traditionnellement ils ne croient pas aux réformes sociales, leur seule activité altruiste passant par l’évangélisation. En effet, les fondamentalistes, au sens strict du terme, sont apparus en réaction contre les chrétiens libéraux de la fin du XIXe siècle qui luttaient pour que s’applique «l’évangile social» (Social Gospel) aux laissés-pour-compte de l’industrialisation sauvage. C’est pour cela que jusqu’aux années soixante-dix, ils étaient restés à l’écart de la société, parce qu’ils ne voulaient pas être souillés par elle, et même s’ils se signalaient par la férocité de leurs attaques contre les catholiques, les communistes, l’immoralité, ils ne prônaient pas l’engagement politique. La nouveauté fut qu’ils furent un certain nombre à sortir de leur isolement et à se rapprocher de quelques républicains ambitieux qui rejetaient aussi bien l’idéologie démocrate libérale que l’idéologie traditionnellement conservatrice des républicains, et qui inventèrent un nouveau conservatisme, celui de la Nouvelle Droite.[22]
4. L’engagement politique des fondamentalistes: la Nouvelle Droite
Pour faire triompher leur programme politique, qui n’était pas religieux de prime abord, les nouveaux conservateurs allaient ainsi se servir des évangélistes qui virent là le moyen de faire passer dans les actes publics leur idéal moral, la construction de la cité de Dieu en Amérique, tout comme les Pères pèlerins au XVIIe siècle qui se voyaient construire la Nouvelle Jérusalem en Amérique.
Le fondamentalisme est en effet un des héritiers du puritanisme du XVIIe siècle au moins sur deux plans: l’importance du respect de la loi divine au niveau de la communauté, et le destin manifeste du peuple élu que nous verrons avec le millénarisme. La prédestination que le puritanisme enseignait, et qui reste encore aujourd’hui un dogme baptiste,[23] supposait que le chrétien ne pouvait travailler à son salut puisque Dieu l’avait déjà décidé avant sa naissance. Pour transformer ce constat paralysant en incitation positive au travail (ce qui deviendra «l’éthique du travail»), les théologiens calvinistes imaginèrent que la qualité spirituelle de la vie que l’on menait et les fruits matériels que l’on récoltait pouvaient être le signe du salut, de l’individu, mais aussi, et c’est capital, de la communauté des saints. La brebis galeuse risquait de prouver que la communauté n’était pas sauvée. C’est bien cette même crainte qui va inciter les fondamentalistes à vouloir nettoyer la vie morale des Américains, la vie privée et la vie publique, et il n’est pas fortuit que Bush se soit présenté comme l’anti-Clinton, pendant la campagne de 2000 et ait annoncé qu’il fallait «laver le bureau ovale» (Frum intitule un de ses chapitres «The Un-Clinton»). On se souvient que le sondage de décembre 2002 indiquait que 77% des Américains croient que la santé de la nation dépend de la santé de sa vie spirituelle.[24]
Conséquence de l’alliance des fondamentalistes et des républicains, à partir de la fin des années soixante-dix, le programme du parti républicain, entraînant dans sa chute celui des démocrates, perdit tout contenu véritablement politique pour se focaliser sur les questions morales, celles que les évangélistes dénoncent tous les dimanches.
Le rapprochement entrait dans la stratégie de reconquête du pouvoir des républicains, après l’échec du Watergate et de la présidence croupion de Ford, sous Jimmy Carter, entre 1976 et 1980. Ce dernier était le premier président issu du Vieux Sud, de Georgie en l’occurrence, depuis la Guerre de Sécession et, ironiquement, était lui-même, on l’a vu, un baptiste convaincu. Il déçut cependant ses coreligionnaires qui avaient contribué à l’amener au pouvoir car il refusa d’utiliser sa religion à des fins politiques et surtout resta dans la ligne nationale du parti démocrate.[25]
Richard Viguerie a déclaré que ce fut Paul Weyrich et Howard Phillips qui allèrent chercher les prédicateurs fondamentalistes en raison de l’auditoire considérable qu’ils avaient conquis par leurs émissions religieuses télévisées: James Robison (télévangéliste talentueux de Forth Worth au Texas, un «evangelical» qui s’éveilla au pentecôtisme), Pat Robertson, Jerry Falwell…
Aux côtés de Weyrich, Viguerie et Phillips se trouvaient des individus qui sont encore très actifs plus de vingt cinq ans plus tard: Schlafly, Armstrong, Billings, McAteer… Ce ne sont pas des membres du Congrès, ni des élus locaux (ils perdirent les élections auxquelles ils se présentaient) mais des militants ambitieux et pragmatiques, sachant porter au pouvoir, ou y maintenir, les figures de proue du parti, grâce à leur parfaite connaissance des milieux politiques, évangélistes et du monde des affaires.
Ces fondateurs sont toujours aujourd’hui les piliers de la «Nouvelle Droite» aussi appelée «Droite chrétienne». Avant de nous arrêter à quelques figures, il convient d’établir un distinguo entre ces individus dits autrefois «nouveaux conservateurs», mais maintenant aussi «paléoconservateurs» et les «néo-conservateurs», très cités aujourd’hui dans les media français, qui n’ont pas les mêmes origines, ni les mêmes intérêts, même s’ils partagent en ce moment les mêmes alliances afin de mieux atteindre leurs objectifs. Ceux-ci sont essentiellement des juifs et des catholiques, à l’origine démocrates, souvent socialistes, trotskistes ou communistes, issus des milieux intellectuels new-yorkais. Ils ont fui ce qu’ils estiment être les dérapages de l’idéologie libérale des années soixante pour rejoindre les tenants d’un certain ordre moral au sein du parti républicain, sans nécessairement renier en bloc l’idéologie libérale de leurs débuts.
La plupart enseignent dans les grandes universités. Comme les evangelicals et les républicains conservateurs, ils défendent la libre entreprise, le travail individuel, les valeurs morales, le patriotisme, l’éducation, la famille. Mais alors que les membres fondateurs de la Nouvelle Droite fustigent les humanistes séculiers en général, les néo-conservateurs s’attaquent à ce qu’ils nomment la New Class: l’élite des producteurs de connaissances qui sont payés pour créer, manipuler et distribuer des biens symboliques, non-matériels, et qui ont une idéologie politique gauchiste et libérale.[26] Les neo-cons n’adhèrent pas à la célébration du bon vieux temps arcadien qui caractérise les fondamentalistes et leurs associés, et ils ne rejettent pas non plus l’État-providence en bloc. Utilisant les mêmes techniques de relations publiques que la Droite religieuse, ils ont coordonné leurs actions dans les années quatre-vingt-dix avec le Project for the New American Century (Projet pour le nouveau siècle américain) dirigé par Kristol.[27] Bien qu’ils soient très influents dans l’administration Bush, nous ne nous arrêterons pas davantage à eux, car ils ne fonctionnent pas de l’intérieur de l’idéologie fondamentaliste que nous tentons de cerner, et dont les véritables vecteurs sont les personnalités ci-dessous.
Paul Weyrich, lobbyiste professionnel ultraconservateur, fut le grand stratège de laNouvelle Droite religieuse. Né en 1943 dans le Wisconsin, d’origine grecque et catholique, il fonda avec la famille Coors, célèbres brasseurs du Colorado, la Heritage Foundation pour défendre les intérêts des conservateurs des états de l’Ouest, lesquels estiment que les parcs nationaux et autres terres fédérales dans leur région pourraient être rentabilisés plus intelligemment. Il a fondé aussi la Free Congress Foundation qu’il dirige toujours. Cette association s’appelait National Committee for the Survival of a Free Congress, une fondation politiquement et surtout culturellement conservatrice. Elle mène une guerre culturelle afin d’aider l’Amérique à revenir à la culture judéo-chrétienne occidentale qui en a fait une grande nation, et elle lutte contre la décadence morale et culturelle du politiquement correct qui est, d’après elle, en train de transformer l’Amérique en un pays du tiers-monde.
Né en 1941 dans le Massachusetts, Howard Phillips fait partie des premiers juifs que les conservateurs chrétiens fréquentaient. Il est toujours président du puissant groupe de pression Conservative Caucus qu’il a fondé en 1974, et qui a été très actif pendant toutes les grandes questions qui agitent les Etats-Unis depuis lors: dans le domaine stratégique et militaire, il s’est opposé à la trahison de Carter qui a «vendu» le canal de Panama, et aux négociations SALT II. Il a en revanche soutenu le projet astro-militaire de Reagan («guerre des étoiles» ou SDI, Strategic Defense Initiative), et a orchestré le soutien du monde des affaires aux militants anti-communistes en Amérique latine et en Afrique du Sud. Dans le secteur économique, le Caucus s’est opposé à l’ALENA, à l’Organisation mondiale du commerce, mais soutient les réductions d’impôts, et veut priver les groupes libéraux de fonds publics. Dans le secteur social, il s’oppose à la médecine socialisée, à l’avortement, aux droits spécifiques aux homosexuels. La Conservative Caucus Research Analysis, and Education Foundation qu’il créa en 1976 distribue d’importantes sommes aux groupes conservateurs. Il fonda en 1977 le Conservative National Committee pour soutenir les conservateurs aux élections locales, et il faut bien voir que c’est par le biais de ces élections que la Droite religieuse a gagné son pari sur les vingt dernières années. Il est également président de Policy Analysis, Inc. Organisation qui publie Issues and Strategy Bulletin et a lui-même écrit trois ouvrages: The New Right at Harvard (1983), Moscow's Challenge to U.S. Vital Interests in Sub-Saharan Africa (1987), et The Next Four Years (1992).
Née en 1924 à Saint Louis, Phyllis Schlafly est avocate, et ce qui est important, elle est elle aussi catholique. Elle commença à se signaler par la publication de divers pamphlets contre les financiers de l’Internationale du capital, contre les négociations pour la réduction des armes stratégiques, pour une défense nucléaire forte, contre l’égalité des droits pour les femmes, notamment dans son livre The Power of Positive Woman. Elle devint donc la pasionaria de la lutte contre l’avortement et la proposition d’amendement pour l’égalité des sexes, ERA (Equal Rights Amendment), dont la ratification échouera en grande partie grâce à son militantisme en 1982. Elle est liée également à Anita Bryant, grande meneuse des troupes bien pensantes contre les homosexuels qui l’ont caricaturée à la hauteur de son activisme proportionnel au leur. Lors de la Convention républicaine de 2000 à Philadelphie, Phyllis Schlafly démontra qu’elle avait toujours autant de pouvoir : l’aile libérale du parti, se voyant irrémédiablement noyée par la vague conservatrice, parvint à faire accepter une motion dans le programme final (platform), selon laquelle certains républicains avaient voté pour la liberté de l’avortement. Cette mention permettrait de surcroît de ne pas faire déserter tous les électeurs républicains libéraux potentiels. La motion fut votée. Schlafly manifesta alors un tel mécontentement auprès de son cercle de disciples que les dirigeants inventèrent alors une irrégularité dans le vote et annulèrent la motion. Seul le document contenant les minutes de la convention mentionne cette motion, dans la toute dernière page que personne ne lit.[28]
Né en 1933 au Texas, catholique, Richard Viguerie fut nommé «le requin du direct mail» (mailing ou publicité par correspondance) car il comprit dès ses premières campagnes politiques comme collecteur de fonds que les idées ne pouvaient se diffuser que par une bonne utilisation de la technologie. C’est sa Richard A. Viguerie Company qui conçoit les lettres que les gens reçoivent et auxquelles ils doivent répondre en cochant diverses cases, réponses qui seront ensuite envoyées aux élus afin de faire pression sur les décideurs. Son succès provient de sa capacité à sélectionner les destinataires afin que les retours soient supérieurs à la moyenne, c’est là toute l’importance d’avoir accès aux listes des télévangélistes avec leurs millions de fidèles, lesquels sont très réceptifs déjà aux arguments moraux puisqu’on les leur inculque depuis leur enfance dans les églises, à l’école et à la télévision.
Les fondamentalistes qui sont restés farouchement anti-catholiques l’accusent d’avoir manipulé les républicains pour offrir une tribune nationale à l’Église catholique. La lutte anti-avortement aurait d’abord été un cheval de bataille des catholiques américains, obéissant aux injonctions papales, et en ralliant la Nouvelle Droite à cette croisade, Viguerie aurait permis l’alliance entre ses coreligionnaires et les evangelicals. Il aurait également pesé sur la décision gouvernementale d’accepter une plus grande immigration en provenance d’Amérique latine, afin de noyer les Etats-Unis sous une marée catholique mettant en danger son gouvernement, vieil argument fondamentaliste s’il en est.[29]
Du côté des évangélistes, arrêtons-nous à Pat Robertson et Jerry Falwell, les deux grands maîtres de l’alliance à partir de la fin des années soixante-dix jusqu’à nos jours, et à Chuck Colson, un des grands artisans du rapprochement entre les évangélistes et les catholiques. Pat Robertson est aujourd’hui encore le plus grand porte-parole des evangelicals politisés. Né en 1930 en Virginie d’un père sénateur démocrate du sud et d’une mère apparentée à Winston Churchill, après maints déboires professionnels il devint pasteur baptiste, et comprit très vite le parti qu’il pouvait tirer de la télévision. Il acheta dès 1960 une station qu’il appela Christian Broadcasting Network, le célèbre CBN qui est devenu un des réseaux câblés les plus importants du pays. Il inventa ensuite la non moins célèbre émission de télévision, le 700 Club,[30] qui bat aujourd’hui des records de popularité et de longévité et mêle le divertissement, les témoignages chrétiens, les stars repenties, les sermons/discours politiques moralisateurs, l’actualité apocalyptique, le tout dans le pur style scénique de Las Vegas.
En 1981, sur la vague d’euphorie suscitée par l’élection de son candidat Reagan, il fonda le Freedom Council destiné à éduquer les citoyens à la vie politique. Puis il fut lui-même candidat à la présidence en 1988, contre Bush père, mais n’alla pas au-delà des primaires, au grand soulagement de nombreux Américains. Infatigable, il créa peu après la Christian Coalition pour succéder à la Moral Majority, et, en 1990, l’American Center for Law and Justice, dont les juristes défendent les causes de la Droite religieuse, ainsi que Operation Blessing pour aider les enfants à problèmes. Il prend régulièrement position en public sur toutes les questions importantes.
Le révérend Jerry Falwell, quant à lui, est intimement associé à la «Moral Majority»,[31] association politico-religieuse qui allait devenir si célèbre qu’on lui a souvent accordé plus de poids qu’elle n’en eut réellement. L’homme lui-même n’a rien de charismatique, contrairement à plusieurs de ses collègues télévangélistes, tels qu’un James Robison, un Jimmy Swaggart, un Oral Roberts ou un Robert Schuller, mais c’est un homme d’affaires remarquable. Né en 1933, il fut «born again» vers l’âge de 18 ans et choisit une carrière pastorale de l’intérieur du fondamentalisme sur lequel il écrivit un excellent ouvrage historique. Il fonda son église à Lynchburg, en Virginie, la Thomas Road Baptist Church, qu’il transforma en église électronique, célèbre dans tout le pays dès les années soixante-dix grâce à son émission qui retransmettait son service dominical, la «Old-Time Gospel Hour» («Heure de l’évangile du bon vieux temps»). En 1971 ses revenus s’élevaient à 1 million de dollars, et en 1979 son budget tournait autour de 56 millions de dollars, dont 35 avaient été levés auprès des 2,5 millions d’inscrits sur ses listes d’adresses, soit une moyenne de 14 dollars par donateur. Le reste provenait de la dîme que ses paroissiens lui versaient.
Falwell écrira que: «Dieu voulait que je regarde au-delà de Lynchburg. Nous ne pouvons être isolationnistes. Nous devons nous préoccuper du monde entier.»[32] On voit bien dans ces paroles se dessiner la nouvelle évolution de ces groupes religieux. Traditionnellement, les conservateurs en politique sont isolationnistes comme la plupart des Américains, ainsi que nous le disions en introduction, et ne veulent pas que leur pays s’implique à l’étranger sauf en cas d’intérêt national clairement défini. Et jusqu’à Bush père, l’entrée en guerre des Etats-Unis au XXeavait toujours été le fait des démocrates.[33] Lorsque Falwell affirme que le pays ne peut plus être isolationniste, il démontre comment les nouveaux conservateurs vont chercher à orienter les choix gouvernementaux, du côté politique vers un nouvel impérialisme économique, et du côté social vers une intensification de l’activité moralisatrice.
Pour montrer son enthousiasme, Falwell avait organisé en 1976 des rallyes patriotiques «I love America» et une campagne «Clean Up America» («Purifions l’Amérique»), et il invitait des politiciens sur le podium, tels que Jesse Helms[34] dont il garantissait la probité. Bien avant d’être contacté par Weyrich et Phillips, Falwell avait compris comment exploiter la crédulité de ses fidèles en leur inculquant un message politique entre les hymnes religieux.
Chuck Colson, enfin, commença sa carrière dans la politique dans l’administration Nixon où il était chargé des communications. Étant un des principaux acteurs de la réélection du président en 1972, il fut impliqué dans le Watergate qui précipita sa chute et il passa sept mois en prison. Auparavant, comme cela arrive très souvent en Amérique, il était devenu «born-again». A sa sortie de prison, il fonda Prison Fellowship Ministries (PFM) pour porter secours à ceux qu’il y avait rencontrés. Ce «ministère» ou aumônerie qui intervient dans plus de 80% des prisons américaines est maintenant présidé par un catholique, Mike Timmis, et environ 70% des aumoniers de l’association sont également catholiques. Très œcuménique, Olson qui est pourtant baptiste du Sud s’oppose à la peine de mort,[35] soutient certains libéraux, et surtout donc les catholiques. Dans son livre de 1993, The Body: Being Light in Darkness, il exhorte les evangelicals à serrer les coudes avec ceux-ci afin de lutter contre le matérialisme et la sécularisation. Sa collaboration lui a valu les critiques des evangelicals obsédés par «l’hérésie papiste», mais en a convaincu de nombreux autres.
Examinons maintenant les associations politico-religieuses mises sur pied par tous ces personnages. La Moral Majority fut fondée en 1979 et son premier président fut Robert Billings, expert de l’éducation évangéliste. Lorsque Reagan l’embaucha comme attaché aux relations avec les autorités religieuses, Falwell prit la présidence de l’association. Dans les débuts de la politisation des fondamentalistes, elle fut l’organisation la plus célèbre, mais elle était entourée de nombreuses autres, dont les deux plus importantes étaient la Religious Round Table, qui comptait cinquante-six membres, autant que de signataires de la Constitution, tous des personnalités du monde des affaires et de la politique. Le président en était E.D. McAteer, ancien directeur commercial de chez Colgate Palmolive. L’autre était la Christian Voice dirigée par le pasteur Robert Grant.
Une des activités principales de toutes ces organisations était, et est toujours, même si elles ont changé de nom ou de direction, de chapeauter des PAC, Political Action Committees, qui opèrent auprès des milliers de personnes inscrites sur les listes d’adresses des télévangélistes. Ces PAC, organisés au niveau local, permettent de financer les campagnes électorales. Ils offrent des séminaires d’éducation politique, incitent les gens à s’inscrire sur les listes électorales. Il s’agit là d’une formalité qui n’est pas définitive aux Etats-Unis, qui doit être sans cesse stimulée, qui peut se dérouler n’importe où (dans les magasins, sur la place publique, dans les églises) et dont le résultat le jour de l’élection correspondra souvent aux injonctions qui l’ont suscitée. La Moral Majority et ses associations soeurs informent le public du «Morality Rating» des candidats, c’est-à-dire qu’elles publient le relevé de toute leur carrière politique et de leurs votes sur tel ou tel point jugé capital par les conservateurs, le vote au Congrès n’étant pas secret comme en France.
Les fidèles verront leur soutien financier à l’action des PAC comme des occasions de fortifier leur pratique religieuse. La frontière est donc excessivement ténue entre le discours des politiciens et le sermon prononcé en chaire par les pasteurs, retransmis dans des millions de foyers, sermon qui, à côté d’explications de passages bibliques, portera longuement sur les problèmes morauxqui, nous l’avons vu, sont devenus l’ossature du discours politique dominant : avortement, pornographie, droit des homosexuels, droit aux aides sociales, supériorité du laisser-faire en économie, nécessité d’une armée forte… Le sermon glisse donc toujours vers le contenu des discours politiques républicains, et vice versa.[36]
Ainsi, les démocrates se voient accusés de tous les maux de la société américaine : perte d'autorité dans le monde à cause du détachement de Dieu, visible dans l'adoration des pratiques de Sodome et de Gomorrhe. Avant 1991, la défaite au Vietnam fut expliquée en termes moraux, le militaire dépendant de la vertu nationale. Puis, avec grande habileté encore, on lia la nécessité de reconstruire la force militaire à celle de reconstruire la morale et le moral du pays, et la guerre du Golfe et sa victoire furent interprétées comme la preuve d’une saine évolution.
Depuis l'arrêt de la Cour suprême qui légalise l'avortement (Roe v. Wade, 1973), les pasteurs et leurs alliés organisent des croisades contre les cliniques qui pratiquent l’avortement et intentent des procès. La Cour Suprême a rendu divers arrêts limitant la pratique de l’avortement, mais n’a pas accepté d’annuler son arrêt de 1973, et cela demeure l’enjeu majeur actuel du choix par Bush du remplaçant du prochain juge suprême qui partira. Les évangélistes fustigent la tolérance de l'homosexualité, de la pornographie, du divorce, le gâchis des impôts dans les programmes d'aide sociale, et demandent que leurs auditeurs écrivent au Congrès pour se plaindre et aussi pour réclamer une augmentation du budget de la défense. Les soldats du Christ ne doivent pas se battre sans armes supérieures à celles de leurs ennemis. On a pu entendre Falwell citer un verset des Éphésiens et attribuer la faiblesse de la Défense américaine à l'obscurité spirituelle des leaders politiques.[37] Il a également déclaré que la libre entreprise était décrite dans le Livre des Proverbes, [38] puis plus tard il a admis "ce n'est peut-être pas écrit dans la Bible" pour ajouter "mais c'est certainement le meilleur système".[39]
En plus du communisme comme rival diabolique, les évangélistes s'inventèrent très vite un ennemi intérieur, les humanistes séculiers. Tim LaHaye, un des grands théoriciens du mouvement que nous retrouverons avec le millénarisme, décrétait dès 1981: ils "sont décidés à transformer l'Amérique, pays à la morale traditionnelle, en un pays amoral et humaniste. Oh, ils ne l’appellent pas humanisme. Ils l’appellent DÉMOCRATIE, mais ils veulent dire humanisme dans toute sa dépravation amorale et athée."[40]
La Moral Majority s’attribuait 400 000 membres, dont 72 000 pasteurs, prêtres et rabbins, et se disait écoutée par 50 millions de protestants, 30 millions de catholiques et quelques millions de juifs et de personnes de confessions diverses. En 1980 elle opérait avec un budget de 1,5 à 2 millions de dollars. Elle recrutait chez les fondamentalistes blancs, les ruraux, les cols bleus et la petite bourgeoisie des affaires, ce que l’on pourrait appeler l’Amérique profonde, la majorité silencieuse chère à Nixon auparavant, une majorité qui connaissait la vraie morale. On notera que les Noirs, qui sont souvent des chrétiens très conservateurs sur les questions de morale, ne participent pas, sauf exception, à ces associations puisque dans leur grande majorité ils votent démocrate.
La Moral Majority se targua d’avoir fait inscrire pour les élections de 1980 3 à 4 millions de nouveaux électeurs, ce qui est considérable lorsqu’on sait que Reagan ne fut élu que par 27% de l’électorat. On voulut donc voir le travail des évangélistes derrière le succès de Reagan. Diverses études scientifiques tendent à démontrer que même sans eux il aurait été élu car la société américaine redevenait conservatrice. [41] En outre, en période électorale, les deux partis rivalisent d’activisme pour grossir les listes électorales et assez souvent les chiffres s’équilibrent. Reagan accorda quelques faveurs aux évangélistes, puis, quand on sut que leur poids n’était finalement pas si important que cela, il les oublia quelque peu. Falwell se retira de la politique officielle en 1987 et dissout en 1989 la Moral Majority qui n’avait plus grande utilité. Mokhtar Ben Barka estime que cela s’inscrivait «dans la droite ligne de la rupture entre fondamentalistes et activistes ultra-conservateurs. Il s’est finalement aperçu que les fondamentalistes avaient bel et bien été manipulés par la nouvelle droite politique. À part quelques gestes insignifiants en leur faveur, les adeptes de la nouvelle droite religieuse n’ont pratiquement rien obtenu, demeurant minoritaires et politiquement impuissants.» M. Ben Barka notait toutefois que Falwell n’était pas homme à se laisser abattre.[42]
En effet, ils avaient beau être déçus, les évangélistes ne baissèrent pas les bras mais au contraire fourbirent leurs armes au niveau qu’ils connaissaient le mieux, le niveau local des grass-roots (la base du peuple américain). Les bénévoles s’organisèrent, qui pour expurger les livres scolaires des impuretés humanistes et féministes et les imposer aux conseils scolaires (lesquels sont dirigés aux États-Unis par des enseignants mais aussi par les contribuables locaux qu’ils aient des enfants scolarisés ou non), qui pour réclamer le retour de la prière dans les écoles, qui pour exiger l’enseignement du créationnisme dans ces mêmes écoles…
Au niveau institutionnel, dès la mort de la Moral Majority, nous l’avons dit, Pat Robertson fondait en 1989 la Christian Coalition of America, dont le rayon d’influence devait inclure celle des multiples associations politico-religieuses de la décennie passée afin de donner aux Américains «une voix au gouvernement». Son programme consiste à renforcer les liens de la famille, protéger la vie humaine innocente (lutte contre l’avortement); rendre l’éducation aux autorités parentales locales; faire baisser les impôts; punir les criminels et défendre les droits des victimes; protéger les jeunes et la communauté de la pornographie; défendre l’institution du mariage; protéger la liberté religieuse. Elle se donne une mission en cinq points: représenter le point de vue pro-famille devant les conseils municipaux, les conseils scolaires, les législatures des États, le Congrès fédéral; faire des conférences de presse; former des leaders pour l’action sociale et politique; informer les électeurs pro-famille sur les différents problèmes et la législation; protester contre les attaques anti-chrétiennes (c’est-à-dire les interdictions de manifester ouvertement sa religion dans la vie quotidienne et publique).
Les tactiques sont les mêmes que celles des associations précédentes avec en prime depuis ces dernières années, l’utilisation d’internet qui accélère tout le processus d’information et de concertation des personnes sollicitées, et donc tout le lobbying.
Ralph Reed fut le premier président de la Coalition. Il quitta son poste en 1997 et est actuellement conseiller de Bush à la Maison Blanche. Il fut remplacé à la tête de la Coalition par Randy Tate. La présidente actuelle est Roberta Combs, et le quartier général vient d’aménager à Washington, D.C. La Christian Coalition a lutté avec succès contre le projet de sécurité sociale préparé par Hillary Clinton dans les débuts de la présidence de son époux. Dans son livre The New World Order de 1991,[43] Pat Robertson explique comment sa Coalition permit à Jesse Helms de se maintenir en Caroline alors qu’il était dans les sondages derrière son concurrent. Les deux dimanches avant l’élection, les membres de la Coalition distribuèrent 750 000 bulletins paroissiaux (church bulletins) décrivant la position des candidats sur les questions majeures. Helms gagna haut la main. Puis, en 1995, la Coalition dépensa un million de dollars[44] pour soutenir le programme politique, économique et social conservateur «Contrat avec l’Amérique» proposé par le président de la Chambre des représentants depuis les élections législatives de 1994[45] Newt Gingrich, nouvelle figure de la Droite conservatrice. Celui-ci fut néanmoins rapidement vaincu par des scandales financiers et moraux lui-même (son ex-femme révélant divers secrets et sa sœur le déclarant homosexuel!) et il perdit le perchoir de la Chambre à la suite des mauvais résultats pour les conservateurs aux élections législatives de mi-mandat présidentiel suivantes, en 1998.
Cet échec, à nouveau, arma de courage et de ténacité les évangélistes. Aux élections de 2000, la Coalition, forte d’un million de membres, de 1500 chapitres au niveau local, représentant selon ses dires deux millions de «personnes ayant la foi», distribua 70 millions de guides pour les électeurs de tous les États, dont plusieurs millions en espagnol.
L’attentat de septembre 2001 allait confirmer les imprécations des prédicateurs sur l’état moral de la nation et de sa défense. Falwell, Robertson profitèrent de la tragédie pour réoccuper l’espace médiatique. Alors que Bush prenait mille précautions oratoires pour prouver qu’il ne confondait pas dans sa vindicte l’islam des paisibles citoyens orientaux et des quelque 4 à 5 millions de musulmans américains avec l’islamisme terroriste, ces évangélistes traitent l’islam de religion globalement diabolique. Leurs sites internet en proposent de longues analyses comme religion de domination et de destruction. Le révérend Jerry Vines a déclaré que Mahomet était un «pédophile possédé du démon», déclaration qui pourrait passer pour le fait d’un extrémiste isolé si elle ne provenait du célèbre pasteur de la First Baptist Church de Jacksonville (Floride), ancien président de la Southern Baptist Convention.[46]
Quant à Franklin Graham, en digne héritier de son père, il est devenu l’éminence grise du pouvoir. C’est lui qui a béni les Conventions républicaines de 1996 et de 2000 et a prononcé l’invocation officielle lors de l’investiture de Bush en janvier 2001. Ses déclarations atteignent par conséquent une portée considérable. Or, il a décrété haut et fort lui aussi que l’Islam était la religion du mal, diabolique et mauvaise, («evil», «wicked»). Malgré ses prises de position peu œcuméniques, le Pentagone l’a invité pour venir y diriger les prières du Vendredi Saint dernier.[47]
Il a fondé une association charitable, Samaritan Purse, qui opère avec de l’argent public en Afrique et en Amérique latine et prodigue ses soins aux Irakiens que la colère de Dieu a frappés pour la bonne cause. Cette association a annoncé qu’elle allait apporter pour 500 000 dollars d’aide au pays, ce qui soulève de nombreuses critiques aux États-Unis où l’on se souvient que pendant la première guerre du Golfe, Franklin Graham accompagnait ses chargements de milliers de copies de l’évangile traduit en arabe pour les distribuer aux autochtones, provoquant la colère du général Schwarzkopf.[48] L’administration actuelle, soutenue par les chrétiens conservateurs, ne devrait pas lui être aussi hostile, et cela inquiète les Américains soucieux de ne pas passer pour de cyniques évangélisateurs.[49]
L’Église catholique américaine est, quant à elle, traversée de diverses tensions. Les groupes conservateurs catholiques, tels que l’American Society for the Defense of Tradition, Family and Property, dirigée par Preston Noell, ont apporté leur soutien à Bush en qualifiant la guerre en Irak de «guerre juste», en dépit de la position du Pape et de la hiérarchie américaine. Ces groupes conservateurs jouissant d’une forte audience auprès d’un grand nombre de catholiques en vertu des causes morales qu’ils défendent (explicites dans le titre de l’association), on voit bien quel peut être l’impact d’une telle prise de position sur l’Irak auprès des fidèles de la plus grosse Église américaine.[50] On aura remarqué également qu’un grand nombre de neo-cons étaient catholiques.
Depuis 2000, on est sûr que ce sont les chrétiens conservateurs qui ont permis à Bush d’accéder à la présidence, même si cela fut sans qu’il remporte la majorité du vote populaire.[51] A cette occasion, les attentes des conservateurs religieux furent satisfaites par l’arrêt de la Cour Suprême, Bush v. Gore. En effet, même si techniquement cet arrêt a pu être interprété par certains spécialistes comme véritablement constitutionnel, le doute subsiste quant à la partialité de la Cour Renhquist notoirement conservatrice.
Ce tour d’horizon de la montée en politique des fondamentalistes terminé, il nous faut maintenant présenter leur croyance la plus extravagante pour les Français, leur millénarisme, lequel nous ramènera à l’axe du mal.
5. Millénarisme, messianisme américain, Israël et l’axe du mal
Si le millénarisme a disparu du discours majoritaire européen, depuis son introduction par les Puritains il est resté très prégnant en Amérique où il remplit une fonction sociale et politique importante, de manière continue et surtout lors de ses grandes périodes d'effervescence, notamment depuis une trentaine d'années. Il représente bien plus qu'un élément théâtral et pittoresque du paysage américain. C'est lui qui a façonné la majorité des spiritualités américaines (celles qui s'opposent à la société autant que celles qui la soutiennent), la politique, la culture populaire ; il a justifié l'acquisition de la richesse capitaliste autant que la lutte pour une répartition équitable des droits et de la richesse. Il opère surtout de l'intérieur des confessions d’origine protestante, mais certains groupes catholiques et ethniques fondent aussi sur lui leur rapport à la société environnante.
La rhétorique apocalyptique, aussi "américaine que la tarte à la pomme", impose une vision particulière de l'histoire et incite ses adeptes soit au séparatisme loin de la société, perçue comme satanique, dans l'attente passive du Second Avènement, soit au prosélytisme intense et à l'activisme politique pour se prémunir contre les abominations annoncées pour la fin des temps imminente et c’est évidemment cette option qu’ont choisie les fondamentalistes actuels avec le succès que l’on sait. Quelques définitions s'imposent afin de mieux comprendre le champ lexical du millénarisme dans lequel baignent les Américains au quotidien. Le terme dérive de "millenium" ou période de mille ans, durée prise littéralement pour la majorité des millénaristes américains, et qui est annoncée dans la Bible (livre de l'Apocalypse 20:2-7) comme suivant, ou précédant de grandes catastrophes, apocalyptiques. Le Christ établira alors le règne des saints (selon certains, les tièdes devront se définir alors radicalement), au terme duquel viendront la fin définitive du monde et le tri des bons et des méchants pour l'éternité.[52] En général, les apocalypses révèlent l'avenir en prédisant une prochaine transformation cosmique qui verra les méchants punis et leurs victimes sauvées. Les évangélistes prennent le texte biblique à la lettre et lisent les événements historiques contemporains à la lumière des passages apocalyptiques de la Bible. Ils sont souvent dispensionalistes, c’est-à-dire qu’ils croient aux dispensations, terme qui signifie un âge biblique ou "covenant", pacte passé entre Dieu et les hommes, sous Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus… Ils sont aussi créationnistes, c’est-à-dire qu’ils croient littéralement en la Genèse, et donc en la création de l’homme telle qu’elle y est décrite. Ils refusent, bien entendu, l’évolution et ont obtenu de nos jours, sinon l’annulation complète des cours de sciences naturelles évolutionnistes, du moins l’enseignement en parallèle du créationnisme dans de nombreuses écoles publiques de la Bible Belt, mais aussi en Californie et dans d’autres États, sans parler de leurs propres écoles confessionnelles.[53]
Les millénaristes se divisent en deux grands groupes très attachés à leurs divergences. Les pré-millénaristes, pour qui Jésus reviendra avant l'Armaggedon et pour qui il sera donc présent pendant le millenium. Certains ont mis au point le concept de "Rapture", "Ravissement" au sens d'enlèvement, tiré de Thessaloniens (4:16-17) où il est dit que Jésus triera les bons avant les tribulations ou calamités qui dureront 7 ans. Les adeptes de la "Rapture" estiment qu'ils seront miraculeusement emmenés au ciel pour échapper aux tourments. C'est une affirmation que l'on entend régulièrement de nos jours aux États-Unis. Ces pré-millénaristes sont pessimistes car ils ne voient que pourriture morale dans la société. Les post-millénaristes sont plus optimistes car ils croient que Jésus ne reviendra qu'à la fin du millenium lorsque les hommes qui ont la foi auront pu mettre en place le royaume de Dieu sur terre. Ils peuvent refuser l'idée des tourments de l'apocalypse et voir une transition harmonieuse, tels les adeptes du New Age.
Ces deux variantes de millénarisme ont traditionnellement engendré deux types de réactions diamétralement opposées. Soit le retrait du monde des pré-millénaristes en général, qui estiment que la décomposition du monde est telle que l'homme ne peut y apporter de remèdes et que seul le châtiment de Dieu pourra le purger. La plupart des sectes américaines suivent ce schéma: mormonisme originel, adventisme, témoins de Jéhovah, survivalistes et milices chrétiennes… Elles enseignent à leurs membres comment se préparer à l'Armaggedon et se prémunir contre son issue fatale. La foi seule peut les isoler, et selon les groupes, leur faciliter le Ravissement céleste, qui les retirera du monde à temps pour éviter l'Armaggedon, la bataille finale. Lorsqu'ils prédisent une certaine date et que la fin du monde ne se produit pas, ils expliquent cela par l'action bénéfique de leurs prières qui ont permis de retarder l'échéance mais certainement pas de l'éviter définitivement. Que les membres des associations politico-religieuses soient pré-millénaristes, en contradiction avec ce qui précède (le refus de l’action sociale), montre bien la nouveauté de la situation actuelle. [54]
Soit l'action dans le monde afin d'adoucir le sort des croyants lors des tribulations, ou, dans certains mouvements, afin de faire se réaliser le millenium dans l'immédiat. Ce sera alors le millénarisme pacifique du New Age ou le millénarisme révolutionnaire : lutte pour l'indépendance des colonies ; révoltes des esclaves (Nat Turner, 1831) ; mouvement des droits civiques dans les années 1960 : n'oublions pas qu'un des moments phare de l'époque fut le fameux discours-sermon de Martin Luther King, "I have a dream", lequel reprenait la structure de la vision d'Isaïe de la paix et de l'harmonie entre les êtres humains et les animaux promises par le Seigneur.
Le millénarisme est lié au messianisme, c'est-à-dire l'attente du Retour du Christ, le messie[55] qui établira son royaume sur Terre et libèrera les opprimés. On a donc presque toujours interprété le messianisme et son corollaire le millénarisme comme étant les projections symboliques de peuples opprimés mais ses formes américaines démontrent que ce n'est pas toujours le cas. Le terme messianisme s’applique également à la croyance dans la mission particulière d’une personne, d’une communauté, d’un peuple, sans que le messie chrétien soit nécessairement impliqué. Le messianisme américain est une construction idéologique qui considère les États-Unis en tant que nation élue et donc supérieure, voire parfaite. Cette perfection n’a été possible que par la grâce de Dieu, mais celui-ci est quelque peu relégué à l’arrière-plan dans la mission que le pays s’arroge auprès des autres nations, dans l’idéologie conservatrice s’entend.[56]
Selon la version des Pères pèlerins puritains, l'Amérique était un nouveau paradis terrestre sur lequel Dieu leur avait confié la mission de construire la Nouvelle Jérusalem. Ils se définissaient comme le Peuple Élu des temps modernes, à l’image du peuple hébreu. Au fil des générations, l'Élection divine de leur communauté religieuse (de plus en plus réduite en raison de l'intransigeance de la doctrine et des règles de vie du puritanisme) fut étendue à la nation toute entière qui devait réaliser la mission divine. L'Amérique devenait dès lors pour cette mouvance optimiste le millenium en marche. Au XIXe siècle cela se poursuivit avec la rhétorique de la «Destinée manifeste», justification morale de la conquête territoriale des terres indiennes et mexicaines que Dieu avait réservées à son peuple afin qu'il y réalise Son Royaume, les occupants antérieurs ne possédant ni la force physique ni surtout la force spirituelle pour mener à bien ce dessein.
On comprend bien la fonction sociale et politique du millénarisme lorsqu'on voit comment cette image du Peuple élu (qui se sauvera seul ou bien aidera les autres à se sauver également) inspira les millions d'immigrants jusqu'à nos jours, et si la référence à la Nouvelle Jérusalem n'est plus aussi directe, elle demeure dans la vision du pays comme terre promise de liberté, de possibilité de travail et d'enrichissement, et comme modèle de la démocratie, système politique parfait qu’elle se doit d’exporter. Quand on compare les États-Unis avec d'autres terres d'immigration anglo-saxonnes (Canada, Australie...) on ne retrouve absolument pas cette obsession du Peuple Élu, il ne s'agit ainsi pas d'une idéologie propre à l'immigration mais bien d'un héritage puritain.[57]
Millénarisme et messianisme divisent ainsi le monde entre les élus et les damnés et invitent à la croisade. Ce goût de la mobilisation morale fonctionne aussi bien dans la lutte morale que nous avons présentée précédemment que contre le gouvernement fédéral ou le gouvernement mondial.[58] Examinons quelques exemples historiques:
- La Révolution de 1776. Le terme lui-même de "révolution" est millénariste puisqu'il implique un renversement total de la société. Si l'on compare la révolution américaine et la française on voit qu'elles ne sont guère semblables, si ce n'est dans leur suppression de la monarchie, car la deuxième fut beaucoup plus brutale et radicale dans ses conséquences que la première, et on peut donc trouver le mot trop fort pour décrire les événements dans les colonies britanniques. En réalité ils furent vécus en termes messianiques, la conquête de la liberté offrant aux colonies, et donc au monde selon le discours déjà internationaliste de l'époque, un millenium inconnu jusqu'alors, clairement défini dans la Déclaration d'Indépendance et le préambule de la Constitution. George III fut appelé la Bête dont le nombre est 666. Cette révolution ressuscitait l'âge d'or, ou plutôt l'enfantait, but final du millénarisme.
- L'"Awakening" ou Renouveau religieux des années 1815-1840 fut qualifié de "Shopkeeper's Millenium". Le grand prédicateur de l'époque, Charles Grandison Finney déclarait en 1830 que si les chrétiens s'attelaient à la tâche, ils convertiraient le monde entier et amèneraient le millenium en trois mois. Des milliers de gens se mettaient alors à l’œuvre après chaque prédication. Les millerites, purs produits de cette période, évoluèrent ensuite en adventistes puis en témoins de Jéhovah. Les mormons sont également issus de ce Réveil. Notons le titre exact de leur communauté : "Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours".
- La guerre de Sécession fut préparée et vécue des deux côtés en termes messianiques. Les abolitionnistes du Nord se devaient d'imposer leurs vues sur l'ensemble de la nation afin de laver la faute de l’esclavage. La guerre fut interprétée dans certains cercles comme l'Armaggedon purificateur et le triomphe du Nord comme la possibilité d'instaurer le millenium. Dans le Sud, l'interprétation inverse des événements s'élabora également en termes millénaristes. L'esclavage recevait la sanction divine puisqu'il correspondait à la malédiction de Noé contre son fils Ham et les Sudistes se voyaient comme poursuivant le plan de l'Ancien Testament, comme les forces du bien tenant tête à celle du diable.
- Voulant renforcer le pouvoir de l'État fédéral pour freiner la puissance du monde des affaires et du capitalisme sauvage, Theodore Rooseveltlança une de ses campagnes de réélection (1912) à la présidence avec le slogan "Nous sommes à Armaggedon et nous combattons pour le Seigneur", formule qui eut beaucoup de succès même si elle ne lui permit pas de reprendre la présidence. Wilson, le vainqueur, invoquerait un peu plus tard l'impérieuse nécessité de lutter contre les forces du mal pour préserver celles du bien, celles de la démocratie.
- Ronald Reagan et ses proches, pour remercier les évangélistes au moins en paroles, manièrent à merveille la rhétorique millénariste. Son secrétaire de l'Intérieur, James Watt, inquiéta pendant un temps les citoyens éclairés car c’était un pur produit de la droite fondamentaliste apocalyptique qui, pour faire plaisir aux membres de la Heritage Foundation des États de l’Ouest, décréta qu'il fallait ouvrir au capitalisme privé les immenses terres fédérales souvent protégées en parc nationaux car "une des charges que Dieu nous a données c'est d'occuper la terre jusqu'à Son Retour", et comme notre génération va vivre l'Armaggedon il faut se hâter d'obéir pour éviter Son courroux, et accélérer son retour. Quand Reagan baptisa l’Union soviétique l’"empire du mal", les millénaristes virent de suite l’URSS comme l'accomplissement de cet empire du nord que l'on trouve dans Daniel 11. [59] Détail amusant : lorsqu'ils quittèrent Washington, Reagan et son épouse achetèrent une résidence dans Bel Air, mais le numéro de rue étant 666, ils le firent changer.
Lorsque le communisme implosa, on l’a vu, les humanistes remplacèrent la Bête immonde. Toutefois tous les évangélistes n'acceptèrent pas de considérer la bête de l'apocalypse soviétique terrassée et de nombreux prophètes mirent en garde la population : la Russie voulait faire croire à sa métamorphose alors qu'il n'en était rien, et les humanistes qui réclamaient une baisse des budgets militaires étaient dans le complot, argument millénariste classique, celui des suppôts de l'Antéchrist.
Les trois dernières décennies du XXe siècle ont vu fleurir les termes d'apocalypse, d'Armaggedon et de millenium dans les livres, les films et le discours politique. En plus de la tradition millénariste dans laquelle baigne la culture américaine, deux facteurs majeurs à partir de 1945 ont apporté de l'eau à son moulin, ou plutôt à son brasier, deux facteurs tangibles qui ne relèvent pas d'interprétations fantaisistes. Il s'agit bien sûr de la bombe atomique et de la fondation de l'État d'Israël en 1948. La bombe ne peut qu'être comprise comme le feu dévastateur des tribulations. La création d'Israël, quant à elle, constitue la pénultième étape avant l’Armaggedon, puisque la condition essentielle à sa réalisation est le retour juifs en Palestine. C'est pour cela que les combats menés par Israël sont depuis le début attentivement suivis par les millénaristes américains. Dans le plan divin du combat entre les forces du mal et celles du bien, les évangélistes ne peuvent que soutenir Israël.
Dans le scénario des années quatre-vingt, Israël devait rester le fidèle allié des USA au Proche-Orient, tandis que les Arabes s'alliaient aux communistes du nord et de l'est, formant un axe du mal correspondant aux royaumes menaçant les Hébreux dans l’apocalypse de Daniel. Je me souviens avoir vu Jerry Falwell à la télévision en 1981 arpenter le champ de l'Armaggedon et commenter le déroulement de la bataille avec les unités soviétiques, les syriennes, et les autres etc. C'était on ne peut plus crédible. Il publia par la suite un pamphlet intitulé "Armaggedon : The Coming War with Russia" où il assurait "Je crois que l'Amérique peut gagner la guerre". Son livre Listen America explicite son projet de société pour le millenium qu'il a pour mission de mettre en place. Un chapitre s'intitulait "That miracle called Israel", belle démonstration d'œcuménisme, temporaire cependant, puisque le but de Falwell, et de ses alliés est toujours d'instaurer une théocratie chrétienne, seul gouvernement possible du millenium, et la conversion des juifs sera la condition sine qua non de leur survie. Les déclarations de solidarité des fondamentalistes envers Israël font la une de la presse américaine depuis plusieurs mois, et les juifs eux-mêmes, américains ou israéliens, quelque peu sceptiques quant aux intentions véritables de ces nouveaux alliés, ne s’en émeuvent guère, car si les communistes ont déserté le champ de bataille de l’Armaggedon, les armées arabes et islamistes sont bien au rendez-vous et le soutien des évangélistes n’est pas à négliger.
Cet amour soudain des fondamentalistes pour Israël intriguant les media, ils s’en expliquent en affirmant qu’il s’agit simplement d’une amitié entre les peuples bibliques, et se défendent de conseiller au gouvernement le soutien aux juifs pour des raisons millénaristes. C’est certainement vrai pour leurs alliés actuels, les neo-cons très proches des lobbies israéliens, mais naguère, comme nous l’avons vu avec Falwell, ces mêmes fondamentalistes ne cachaient pas leurs visées eschatologiques sur le Proche-Orient.[60]
Dans la même veine, le site internet de l’écrivain apocalyptique à succès, Tim LaHaye, un des ténors de la Nouvelle Droite que nous avons déjà mentionné, explique en ces jours de succès pour l’avènement de la démocratie en Irak, que la destruction de la Grande Babylone, dont le site géographique, ne l’oublions pas, est fort à propos non loin de Bagdad, est en préparation. Pour accomplir le script biblique, Saddam Hussein avait commencé sa reconstruction. Les forces de la coalition, soupçonnées par LaHaye de ne pas être totalement morales, bien qu’elles soient sous le commandement d’un chrétien «born-again», prévoient de poursuivre sa reconstruction à des fins mercantiles. Et c’est bien cette ultime reconstruction, défi à l’Eternel, qui provoquera le début des tribulations finales.
Conclusion
La furie de l’attentat du 11 septembre, qui a frappé tous les esprits dans le monde, a toutefois eu une résonance bien particulière aux États-Unis. En premier lieu, parce que le pays était attaqué pour la première fois sur son sol continental, mais aussi parce que cette attaque venue du ciel, démolissant les tours orgueilleuses du temple matérialiste du commerce international à l’image de celle de Babel, tour édifiée par des hommes voulant instaurer un gouvernement mondial sans Dieu, correspondait parfaitement au scénario apocalyptique auquel les millénaristes américains se préparent depuis 1620. Il n’est pas fortuit que dans les jours qui suivirent l’attentat, Jerry Falwell et Pat Robertson aient accusé les Américains athées, immoraux, avorteurs, pornographes et homosexuels, d’avoir provoqué l’ire de Dieu sur les tours jumelles.
La diabolisation de l’ennemi interne ou étranger fait partie intégrante de l'arsenal idéologique américain religieux et politique. Une recension des couvertures de Time Magazine en particulier sur les dix dernières années démontre la permanence du recours disproportionné à l'iconographie apocalyptique au sujet du moindre problème politique ou social.
Le vocabulaire du millénarisme, du dualisme entre les forces du bien contre les forces du mal, ou axe du mal, s'applique à toute circonstance nationale afin d’imposer un sens à l'événement et de canaliser l'agressivité du peuple dans une direction bien précise. Il s’agit là d’un instrument redoutablement efficace pour terrifier une population, et l’obliger à accepter telle ou telle décision politique dans la mesure où le chef charismatique qui l’annoncera se présente comme investi d’une mission prophétique. Cela suppose un travail constant de prédication religieuse accompagné de la surveillance des programmes scolaires, deux activités dont les evangelicals fondamentalistes secondés par leurs alliés de la Nouvelle Droite sont les grands champions. Que le président s’entoure de plusieurs membres de cette mouvance (ainsi son conseiller privé, Karl Rove; au poste d'Attorney General John Ashcroft, dispensationaliste notoire; à celui de Secrétaire de l'Intérieur, Gale Norton, protégée de James Watt…) démontre son intérêt à la fois pour leur doctrine et pour son poids électoral. Pour en revenir à la Bête de l’Apocalypse actuelle, Saddam Hussein, sa diabolisation est déjà ancienne, depuis au moins 1990, et sa présentation dans la presse, y compris dans les media dits libéraux, fut un bijou en la matière. C’est peut-être pour cette raison qu’on s’est attaqué très vite à lui, et que l’on délaisse, du moins en apparence, Ben Laden dont les media n’ont pas vraiment réussi à orchestrer la diabolisation iconographique. L’axe du mal dont Saddam Hussein est l’Antéchrist a une longue histoire derrière lui et, espérons-le, encore de beaux jours devant lui.
Bernadette Rigal-Cellard
Professeur d'études nord-américaines
Université de Bordeaux 3
24 avril 2003
Notes
[1] Ce morceau de bravoure annuel fait partie des obligations constitutionnelles du Président (Article II, section 3). Il s’agit toujours d’un discours long portant notamment sur la politique intérieure. Il est prononcé devant le Congrès en session jointe et il a subi quelques transformations dans sa présentation au fil des décennies afin de correspondre aux exigences médiatiques de l’époque. C’est devenu un des grands rituels de la religion civique américaine. Depuis Reagan les citoyens qui se sont distingués par un acte de bravoure, ou qui sont apparentés à une victime méritante, sont invités sur la tribune à côté de la Première Dame afin de recevoir les ovations du Congrès et du peuple devant les téléviseurs. En 2002 des parents des victimes des attentats étaient présents.
[2] http://www.whitehouse.gov/news/releases/ 2002/01/20020129-11.html. Ma traduction. «This is a regime that has something to hide from the civilized world. States like these, and their terrorist allies, constitute an axis of evil, arming to threaten the peace of the world.»
[3] David Frum. The Right Man: The Surprise Presidency of George W. Bush. New York: Random House, 2003, .p.238.
[4] Voir Tom Heneghan. «Bush Mix of God and War Grates on Many Europeans.» Reuters, April 4, 2003.
[5] Chiffre donné par l’Église catholique, Yearbook of American and Canadian Churches publié par le National Council of Churches chez Abingdon Press, 2003.
[6] Chiffres donnés in Adelle M. Banks. «Gallup Poll: Americans Link Faith to Everyday Life». Crosswalk.com, March 5, 2003. Le dernier sondage du Pew Research Center for the People and the Press était un peu moins généreux: 59% d’Américains estimaient que la religion était très importante dans leur vie,et quelque 40% pratiquaient régulièrement. Chiffres cités in Clifford Krauss. «In God We Trust… Canadians Aren’t So Sure». The New York Times, March 25, 2003.
[7] Un article de l’Independent de Londres du 21 février 2003, cité in Michael Tackett. «Bush’s Expressions of Faith Enter War Debate. Europe Especially Weary of Overtones.» Chicago Tribune, March 2, 2003.
[8] Roger Finke and Rodney Stark. The Churching of America, 1776-1990: Winners and Losers In Our Religious Economy. New Brunswick, NJ: Rutgers University Press, 1992. p.24-26. Charte des taux d’adhésion religieuse p.16.
[9] Je dois à Gordon Melton, éminent spécialiste des religions, fondateur et directeur de ISAR (Institute for the Study of American Religion, situé à l’Université de Californie à Santa Barbara) de m’avoir expliqué ces évolutions très complexes.
[10] Pour saisir les divergences voir: Clyde Wilcox. «The Fundamentalist Voter: Politicized Religious identity and Political Attitudes and Behavior.» Review of Religious Research, vol. 31 n° 1 (September 1989)p. 54-67. L’article suivant analyse les différences entre le soutien apporté à la Moral Majority par les fondamentalistes et les evangelicals: Clyde Wilcox. «Evangelicals and the Moral Majority.» Journal for the Scientific Study of Religion. Vol.28, n°4 (1989)p.400-414.
[11] Pour les chiffres des méthodistes et des baptistes: Yearbook of American and Canadian Churches publié par le National Council of Churches chez Abingdon Press, 2003.
[12] Voir Jean-Paul Willaime. «Le Pentecôtisme: contours et paradoxes d’un protestantisme émotionnel.» Archives de Sciences Sociales des Religions. 44eannée, n° 105 (janvier-mars 1999)p.5-28.
[13] Pour une analyse de son discours voir "L'évangélisme au XXe siècle : Billy Graham". Le Facteur religieux en Amérique du Nord : États-Unis (FRAN). Bordeaux: Centre d'Etudes Canadiennes en Sciences Sociales, Institut d'Etudes Politiques de Bordeaux, 1980. Tome 2. p.157-176.
[14] Dans Mythologies (Paris: Le Seuil, 1957), Roland Barthes croque savoureusement sa croisade au Vel d’Hiv dans les années cinquante.
[15] Un article de Newsweek décrit bien l’ambiance religieuse de la Maison Bush. Howard Fineman. «Bush and God». Newsweek online, March 10, 2003. 13 pages.
[16] Nixon en son temps avait été renié par ses coreligionnaires, les quakers, célèbres pacifistes.
[17] Bush père eut recours à la même stratégie que son fils, mais plus discrètement. Il présenta la nécessité d’intervenir contre l’Irak en terme de transcendance: l’Amérique, phare de la démocratie, devait en imposer le modèle dans le monde. Voir la comparaison que fait Roberta L. Coles entre son ton prophétique et celui, plus modeste de Clinton pour expliquer l’intervention militaire au Kosovo. Selon cette dernière, l’Amérique, qui a la chance d’être démocratique, n’est pas pour autant parfaite et doit lutter avec les autres peuples pour améliorer le monde. «Manifest Destiny Adapted for 1990s War Discourse: Mission and Destiny Intertwined.» Sociology of Religion, vol. 63 n°4 (Winter 2002) p.403-426.
[18] Sur les prises de position des Églises voir: Peter Steinfels. «Churches and Ethicists Loudly Oppose the Proposed War on Iraq.» The New York Times, September 28, 2002. p.A15(L)col 01. Le président et prophète de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (les mormons) a également déclaré que la guerre était juste, une fois celle-ci déclarée, et il semblerait que ce soit davantage pour soutenir les soldats que par esprit guerrier. Peggy Fletcher Stack. «Hinckley Says War is Just, But Respects Dissent.» The Salt Lake Tribune, April 7, 2003.
[19] Voir Richard N. Ostling. «U.S. Churches’Clergy-Laity Split on War». AP, March 18, 2003.
[20] Voir Jane Lampman. «New Scrutiny of Role of Religion in Bush’s Policies: The President’s Rhetoric Worries Even Some Evangelicals.» The Christian Science Monitor, March 17, 2003.
[21] Pour un résumé de ces tractations avec les chaînes de télévision voir Finke et Stark, p. 219-223. Sur l’utilisation des media par la Nouvelle Droite chrétienne voir: Jeffrey Hadden. «Religious Broadcasting and the Mobilization of the New Christian Right». Journal for the Scientific Study of Religion, vol. 26 N°1 (1987)p.1-19.
[22] Selon l’un de ses fondateurs, Richard Viguerie, le terme daterait de 1962. Il fut employé en 1975 pour la première fois par Kevin Phillips pour désigner les «conservateurs sociaux». Pour l’historique, la description et l’analyse de ce mouvement, voir: Mokhtar Ben Barka. La Nouvelle Droite américaine: des origines à l’affaire Lewinsky. Paris: Le Temps, 1999. Il donne l’origine du terme p.26.
[23] Les baptistes originels se sont séparés aux États-Unis en trois factions: les General Baptists qui acceptent l’arminianisme, c’est-à-dire la croyance dans le libre-arbitre; les Primitive Baptists qui croient en la prédestination, comme leurs ancêtres puritains, et refusent l’évangélisation; les baptistes majoritaires, ceux qui nous occupent ici. Ils ne croient qu’à un type de prédestination et sont très fortement évangélisateurs. Ils croient que Dieu fait d’eux les agents par l’entremise desquels le salut du croyant se manifeste. Cela veut dire que si le fidèle fait partie des élus, sans le savoir, il revient au baptiste évangélisateur de lui présenter l’évangile et donc de devenir le moyen par lequel l’esprit saint va l’éveiller à sa vocation. Dans la pratique, et en accord avec l’évolution arminianiste de la religion américaine, les baptistes majoritaires aujourd’hui acceptent le libre-arbitre même s’ils prétendent respecter la prédestination.
[24] On peut s’étonner d’ailleurs de ce pourcentage si élevé puisqu’on sait que lors du procès en destitution (impeachment) de Clinton, dont les témoins à charge étaient financés en grande partie par les diverses associations de la Droite religieuse, ce qui retint les juges, en février 1999, ce fut le fort taux de soutien dont bénéficiait le président dans la population, ce qui tendait à prouver que plus de la moitié des Américains n’attachaient guère d’importance à ses frasques intimes. Les conservateurs étaient quant à eux prêts à le tuer pour ses mensonges et son peu de cas de la sacralité du bureau ovale. Mokhtar Ben Barka pouvait alors écrire: «on peut raisonnablement interpréter l’acquittement du Président Clinton comme le premier coup d’arrêt sérieux donné à la croisade menée par les ultra-conservateurs depuis le début des années 80 pour réglementer la morale et la sexualité des Américains.» La Nouvelle Droite américaine. p. 229. On ne pouvait pas prévoir alors que la Cour Suprême allait accorder à Bush le bénéfice des voix de Floride à l’automne de l’année suivante.
[25] Dans le Sud, jusqu’aux années soixante au moins, le parti démocrate correspondait à l’aile droite du parti républicain national, et ses membres étaient les blancs racistes conservateurs. Ceux-ci commencèrent à rejoindre à contrecœur le parti républicain (parti fondé par Lincoln, l’Antéchrist des sudistes) après l’élection en 1964 de Johnson, démocrate au sens national, qui venait du Texas, et Nixon, républicain, s’empressa d’accélérer leur réalignement pour en faire ses propres électeurs. Toutefois, pendant de longues années, ils furent nombreux à continuer de se qualifier de «démocrates du sud».
Il faut aussi savoir que chacun des deux grands partis américains regroupe en son sein les tendances les plus diverses, le parti démocrate actuel partant à peine plus à gauche que l’aile libérale du parti républicain, mais s’arrêtant maintenant à droite bien avant l’aile conservatrice du parti républicain. Pour beaucoup de leurs membres, l’appartenance est affaire historique, familiale, autant qu’idéologique.
[26] Pour une analyse de leur discours sur la New Class voir Kyle Cleveland. «The Neoconservative Critique of Liberal Evangelicals: a Response to Berger and Hunter.» Review of Religious Research, vol.31, n°3 (March 1990)p.280-290. Sur le mouvement voir: Peter Steinfels. The Neoconservatives. The Men Who Are Changing America’s Politics. New York: Simon and Schuster, 1979; Ben Barka qui retrace l’historique des néo-conservateurs p.81-84; Patrick Jarreau. «Comment les néo-conservateurs pèsent sur la politique américaine.» Le Monde, 3 octobre 2002. p.2; Michael Lind. «The Weird Men Behind George W. Bush’s War.»The New Stateman, April 7, 2003.
[27] Les neo-cons les plus célèbres sont Nathan Glazer, philosophe et politologue; Norman Podhoretz, spécialiste des questions de défense, directeur de Commentary, revue juive conservatrice très ouverte aux débats intellectuels; Irving Kristol, philosophe, sociologue, dont le fils William (Bill) est le rédacteur du Weekly Standard, propriété de Murdoch, magnat de la presse archi-conservateur, dont la chaîne de télévision Fox News a été le fer de lance de la propagande anti-française; et les amis de Kristol: Fred Barnes et Robert Kagan; Daniel Bell, sociologue et marxologue; Seymour Martin Lipset, sociologue, politologue et historien; Michael Novak, sociologue, et théologien catholique; Elliot Cohen, professeur spécialiste du pouvoir militaire; Michael Horowitz, juriste et un des dirigeants du Hudson Institute, think tank neo-con; William Safire, George Will, Charles Krauthammer, éditorialistes des grands journaux libéraux (New York Times, Washington Post, Time, Newsweek). Dans les sphères du gouvernement se trouve Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la Défense, qui travaillait déjà pour Nixon et tous les autres présidents sauf Clinton. Il est considéré comme le stratège le plus influent et c’est lui qui aurait conseillé le premier l’attaque contre Bagdad dès le 15 septembre 2001. John Bolton, un des assistants de Colin Powell; Douglas Feith, le numéro trois du Pentagone; Elliot Abrams, récemment nommé responsable de la politique au Moyen-Orient au Conseil National de Sécurité; Richard Perle, membre du think tank conservateur American Interprise institute, conseiller à la Défense qui vient de démissionner pour un scandale de lobbying mais demeure très écouté;et la femme de Dick Cheney, le Vice-Président, qui est une sympathisante du mouvement.
[28] Je dois cette information, très importante et pourtant non connue, à Françoise Coste qui étudie les Républicains de l’État de New York et participait à la Convention. Je la remercie également pour toutes les informations en direct de New York qu’elle m’a fournies pour ce travail.
[29] Voir Stephen Mumford. American Democracy and the Vatican: Population Growth and National Security. American Humanist Association, 1984. p.43-44. Des extraits de ce livre sont publiés sur un site internet qui critique Viguerie: http://www.mosquitonet.com/~prewett/amdem4344.html
[30] Le nom de l’émission vient de ce qu’il demanda à 700 téléspectateurs de promettre de lui faire don de 10 dollars tous les mois.
[31] Pour une analyse détaillée de cette organisation voir Bernadette Rigal. «La 'Moral Majority' de Jerry Falwell». Le Facteur Religieux en Amérique du Nord.Talence : MSHA, 1982. vol. 3, p.53-73.
[32] «Politicizing the Word». Time. October, 1st, 1979. p. 70.
[33] Reagan, républicain aussi, envoya bien les troupes à l’étranger mais seulement pour des opérations très courtes que l’on ne peut qualifier véritablement de guerres.
[34] Célèbre sénateur ultraconservateur du Sud qui a pris sa retraite en décembre 2002. Né en 1921, il resta au Sénat de 1973 à janvier 2003, et fut notamment président de deux commissions sénatorialestrès influentes : celle de l’Agriculture, de la Nutrition et des Forêts, et celle des Affaires étrangères de 1995 à juin 2001.
[35] Cette position est quasiment unique chez les baptistes du Sud. Voir ses déclarations: http://www.pfm.org/PrisonFellowship/ChannelRoot/Issues/
CapitalPunishment/The+Question+Is+What+Is+Just.htm
[36] Il faut savoir que ce mélange des genres se pratique aussi dans de nombreux groupes religieux non chrétiens ou para-chrétiens, notamment dans des sectes aux dogmes en apparence très éloignés de la politique, mais dont l’idéologie est souvent proche de celle des républicains conservateurs. On pense à l’Église de l’Unification de Moon, que l’on retrouve aujourd’hui parmi les financiers des neo-cons (voir l’article de Michael Lind), et à la Church Universal and Triumphant entre autres…
[37] Jerry Falwell. Listen, America. Garden City: Doubleday, 1980. p.92. Ma traduction.
[38] Cité in Frances Fitzgerald. «A Disciplined Charging Army.» The New Yorker, May 8, 1981 (p.53-141) p.120. Ma traduction.
[39] Lors de l’émission religieuse de sa Gospel Hour, 12 juillet 1981. Ma traduction.
[40] Cité in Russel Chandler. «Humanists: Target of The Moral Right». Los Angeles Times, July 16, 1981 (p.1, 26-27) p.1. Ma traduction.
[41] Voir notamment les excellentes analyses du numéro spécial de la Review of Religious Research, vol. 27, n° 2 (December 1985): John H. Simpson. «Socio-moral Issues and Recent Presidential Elections.» p.115-123; Richard V. Pierard. «Religion and the 1984 Election Campaign.» p.98-113; Stephen D. Johnson and Joseph B. Tamney. «The Christian Right and the 1984 Presidential Election.» p. 124-133.
[42] Ben Barka, p. 199.
[43] Pat Robertson. The New World Order. Dallas, London, Vancouver, Melbourne: Word Publishing, 1991. p.260.
[44] Ben Barka, p. 173.
[45] Pour une analyse de l’influence de la Droite religieuse sur les élections de 1994, voir John C. Green, Mark J. Rozell, Clyde Wilcox. «Social Movements and Party Politics: The Case of the Christian Right.» Journal for the Scientific Study of Religion, vol.40, n°3 (2001) 413-426.
[46] Voir Susan Sachs. «Baptist Pastor Attacks Islam, Inciting Cries of Intolerance.» The New York Times, June 15, 2002. p.A10(L) col 05. Et: http://www.stpetersnews.org/archivespns/020615a.html
[47] Cette invitation a été fortement critiquée par les musulmans employés par le ministère de la Défense. Voir Alan Cooperman. «Graham Invitation Irks Muslims at Pentagon.» The Washington Post, April 15, 2003.
[48] De nombreux articles ont paru sur la question. Andrew Stern. «Christian Groups’ Iraq Aid Offer Draws Criticism.» Reuters, March 28, 2003. Doug Saunders. «U.S. Missionaries Plan Spiritual Warfare When Fighting Ends.» Globe and Mail, April 9, 2003. Steven Waldman. «Jesus in Bagdad: Why We Should Keep Franklin Graham Out of Iraq.» Slate, April 11, 2003. Michelle Cotte. «Franklin Graham v. Iraq: Bible Brigade.» The New Republic online, April, 15, 2003. Alan Cooperman. «Graham Invitation Irks Muslims at Pentagon.» The Washington Post, April 15, 2003.
[49] Cette crainte est notamment exprimée par la Science chrétienne, religion très libérale et ouverte sur le monde. Voir Jane Lampman, «A Crusade After All? Plans of some Christian groups to preach as they give aid pose a dilemna for Iraqi reconstruction.» The Christian Science Monitor. April 26-May 2, 2003. p. B1-2. L’évangélisation à outrance des musulmans américains est décrite par Laurie Goodstein, «Seeing Islam as 'Evil' Faith, Evangelicals Seek Converts». The New York Times, May 27, 2003.
[50] Voir Cheryl K. Chumley. «War Seen as in Line With Christian View.» The Washington Times, April 15, 2003.
[51] On appelle le vote populaire celui qui s’exprime à l’élection présidentielle de novembre. Le scrutin étant à deux tours, ce vote ne permet que l’élection de grands électeurs qui éliront véritablement le président en décembre seulement. Le nombre de grands électeurs est proportionnel à la population de l’État. Le candidat qui gagne le plus de votes populaires dans un état remporte tous les grands électeurs de l’État, y compris donc ceux qui représentaient son concurrent. En décembre, tous les grands électeurs doivent, moralement, voter pour le candidat qui a remporté leur État en novembre. À ce jeu-là, il suffit d’une majorité populaire infime dans quelques États populeux pour remporter un nombre très important de grands électeurs, nombre qui peut donc être finalement disproportionné par rapport au suffrage populaire.
[52] Le terme "apocalypse" signifie en grec, "révélation" et en anglais le dernier livre de la Bible s'appelle "Book of Revelation".
[53] Le débat que l’on pensait enterré depuis les années d’avant-guerre refait rage depuis la montée du fondamentaliste. C’est à tel point qu’un état libéral comme celui de New York doit officiellement interdire l’enseignement du créationnisme dans les écoles publiques.
[54] Pour comprendre cette contradiction, voir Clyde Wilcox, Sharon Linzey, Ted G. Jelen. «Reluctant Warriors: Premillennialism and Politics in the Moral Majority.» Journal for the Scientific Study of Religion. Vol.30 n° 3 (1991)p.245-258.
[55] Du terme araméen, meshchîkhâ: celui qui est oint, c'est-à-dire enduit des huiles saintes ; en gréco-latin messias, en grec christos.
[56] Cette perte de transcendance est perçue également par Sébastien Fath dans «Comme un vol de faucons hors de la ‘cage d’acier’». Le Monde, 15 mars 2003, p.17.
[57] La pratique religieuse dans ces pays, notamment au Canada dont la composition sociale et ethnique ressemble à celle des États-Unis, n’y est guère plus dynamique qu’en Europe, ce qui prouve bien la spécificité du modèle américain.
[58] Le livre de Robertson, The New World Order dénonce justement le gouvernement mondial que les intellectuels et les Atlantistes de Washington veulent créer. Ceci fut selon lui particulièrement flagrant pendant la première guerre du Golfe, qui se déroula justement entre le Tigre et l’Euphrate, terre d’origine de l’hérésie babylonienne. Celle-ci voulait démontrer que les hommes pouvaient se diriger seuls, sans Dieu, contrairement aux fils d’Abraham. L’action de l’ONU en 1991 dans ces terres d’Irak se lit dans la perspective millénariste de Robertson et de ses émules (et aussi des témoins de Jéhovah) comme le retour à ce gouvernement mondial loin de Dieu. L’ONU ne peut être que la Bête de l’Apocalypse, et représenter une menace contre la liberté américaine. Une grande partie des attaques contre l’ONU pour la deuxième guerre du Golfe peuvent s’expliquer en ces termes.
[59] Note sur le Daniel de l'Ancien Testament : fils des captifs juifs (livre de Daniel 6:13), il emprunta aux Babyloniens le concept des quatre royaumes qu'il voit dans son propre rêve des quatre bêtes féroces (chapitre 7). Le quatrième royaume dévorera toute la terre, l'écrasera sous ses pieds, la réduira en morceaux (7:23) et les dix cornes de la bête qui le représente sont les dix rois qui s'en élèveront. Un onzième subjuguera trois rois, mais au jour du jugement il sera consumé. Auparavant Daniel avait commencé sa carrière comme devin et avait interprété, au début du livre biblique, le rêve de Nabuchodonosor (2:37-44) dans lequel Dieu donne au roi un royaume de puissance et de gloire. Après son règne, il sera divisé, trois fois. Puis Dieu reconstruira un royaume indestructible qui consumera les autres (2:44). Ces royaumes correspondent aux parties de la statue du rêve.
[60] Sur le soutien de la Nouvelle Droite à Israël voir: Alan Cooperman. «Jewish Organizations Worried About Backlash for Iraq War». The Washington Post, March 15, 2003. Eun Lee Koh. «Robertson’s Speech Backing Israel Gets ovation at Temple.» The Boston Globe. April 14, 2003. Alison Mitchell. «Israel Winning Broad Support From U.S. Right.» The New York Times, April 21, 2002. p.1L, col 01. David Firestone. «Evangelical Christians and Jews Unite for Israel.» The New York Times, June 9, 2002. p.30 (L), col 03.
© 2003 Bernadette Rigal-Cellard