Au mois de juillet 2002, Religioscope avait publié un article qui évoquait la crise provoquée dans la Communion anglicane à la suite de la décision prise le 15 juin 2002 par le diocèse anglican canadien de New Westminster (Colombie Britannique) d'autoriser la bénédiction religieuse des unions de couples de lesbiennes et d'homosexuels.
L'affaire du diocèse de New Westminster a connu depuis l'an dernier plusieurs développements.
Tout d'abord, au début du mois de mai 2002, l'évêque William Hockin, âgé de 64 ans, qui s'apprête à se retirer de sa charge d'évêque de Fredericton (Nouveau Brunswick), a été nommé par la Chambre des évêques canadiens visiteur épiscopal pour les paroisses conservatrices du diocèse de New Westminster. En effet, huit paroisses refusent d'accepter l'autorité de l'évêque Michael Ingham et ont suspendu le versement de leurs contributions au diocèse, suite à l'approbation de la bénédiction religieuse pour des couples de lesbiennes ou d'homosexuels. L'évêque Hockin avait pris position contre la bénédiction d'unions de couples homosexuels.
A vrai dire, ce n'est pas exactement ce que les paroisses conservatrices dissidentes avaient souhaité. Réunies au sein d'un groupe intitulé Communion anglicane à New Westminster, sept des huit paroisses avaient accepté au mois de mars l'offre de Terry Buckle, évêque du Yukon, d'offrir une "supervision épiscopale de substitution" (alternative episcopal oversight). L'évêque Michael Ingham avait refusé cette solution, en soulignant que l'intrusion d'un évêque dans les affaires d'un autre diocèse sans y être invité allait à l'encontre des règles canoniques. Les milieux anglicans conservateurs s'étaient ironiquement étonnés de voir un évêque prêt à introduire des innovations aussi radicales invoquer par ailleurs les dispositions canoniques traditionnelles pour préserver son autorité.
En tout cas, les paroisses dissidentes ont immédiatement rejeté l'offre faite par la Chambre des évêques. Elles estiment que les actions de l'évêque Ingham sont beaucoup plus graves qu'une simple crise qu'il s'agirait de gérer, car elles ont brisé la communion. En outre, le visiteur épiscopal n'aurait pas l'autorité et les pouvoirs habituellement associés à l'exercice du ministère épiscopal: Michael Ingham conserverait le contrôle administratif, notamment. De plus, l'offre n'est faite que pour une durée initiale d'un an, sans assurance de renouvellement. En outre, seules pourraient bénéficier du ministère du visiteur épiscopal les paroisses qui seraient à jour de leurs versements à la caisse centrale du diocèse, alors que ceux-ci ont été volontairement suspendus par les paroisses protestataires. La solution du visiteur épiscopal paraît à celles-ci trop faible et temporaire.
Il est en revanche possible que quelques paroisses qui s'opposent également à la bénédiction des unions homosexuelles, mais ont choisi de ne pas rompre avec l'évêque diocésain, acceptent cette solution.
Pendant ce temps, malgré les interventions venues de toute la Communion anglicane pour l'adjurer de ne pas aller de l'avant, l'évêque Ingham a décidé au mois de mai d'autoriser plusieurs paroisses à procéder à la bénédiction de couples homosexuels. Le texte d'un "Rite pour la célébration d'alliances homosexuelles et lesbiennes" a été envoyé aux paroisses avec une lettre d'accompagnement expliquant que "ceci n'est pas une cérémonie de mariage, mais une bénédiction d'engagements permanents et fidèles entre personnes du même sexe afin qu'ils puissent avoir le soutien et l'encouragement de l'Eglise dans leur vie ensemble sous [le regard de] Dieu". Ces documents ont été envoyés avant le synode diocésain de la fin du mois de mai, lors duquel une motion pour tenter de retarder l'utilisation du nouveau rite a été défaite à la majorité de deux tiers.
Entre-temps, une première bénédiction d'union homosexuelle avait été célébrée le 28 mai dans une paroisse de Vancouver, entre deux hommes qui partagent une vie commune depuis 21 ans.
Nous mettons à disposition sur ce site le texte (en anglais) de ce rituel, au format PDF, à l'intention des lecteurs qui souhaiteraient l'examiner.
Selon un commentaire d'avril 2003 par le Rév. Richard G. Leggett, professeur d'études liturgiques à l'Ecole de théologie de Vancouver, le rite partage une structure semblable avec celui du mariage et inclut certaines lectures qui figurent également dans le rite du mariage. Mais il présente également des différences, souligne-t-il: par exemple, l'échange des consentements n'y est pas considéré comme un élément essentiel, contrairement au rite du mariage. Le ministre présidant la célébration ne déclare pas le couple marié. Le Rév. Leggett conclut donc que, en dépit de certaines similitudes avec le rite du mariage, le rite de bénédiction d'unions homosexuelles ne pose "aucune menace, s'il y en a jamais eu une, au mariage comme union sacramentelle d'un couple hétérosexuel".
Cette tentative de justification n'a pas convaincu une grande partie de la Communion anglicane. Si la Chambre des évêques du Canada s'est montrée très prudente par la voix de l'archevêque Michael Peers qui, dans une déclaration en date du 30 mai, déclare vouloir s'abstenir de porter un jugement, l'Archevêque de Cantorbéry – très conscient des risques que cette initiative pose pour la Communion anglicane – a exprimé un profond regret face à cette démarche malgré les "réserves considérables de l'Eglise". Rowan Williams souligne que cela va entraîner d'inévitables tensions et divisions. Il faut dire que, lors de leur réunion au Brésil du 19 au 26 mai, les primats de la Communion anglicane avaient souligné que "c'est à travers la liturgie que nous exprimons ce que nous croyons, et qu'il n'y a pas de consensus théologique au sujet des unions du même sexe. Pour cette raison, en tant que corps, nous ne pouvons soutenir l'autorisation de tels rites."
Cependant, il reste à voir si cette critique débouchera sur une prise de position ferme face à l'évêque Ingham. Beaucoup d'observateurs en doutent. Même si l'archevêque Rowan Williams s'est engagé à défendre la ligne officielle de la Communion anglicane dans ses fonctions de primat, il avait également admis avoir ordonné un prêtre en sachant que celui-ci entretenait une relation homosexuelle.
Une fois de plus, les réactions les plus vives sont venues surtout de pays non occidentaux, qui voient dans ces initiatives prises de façon autonome de nouvelles manifestations d'un impérialisme culturel.
C'est ainsi que l'Eglise anglicane du Nigeria (qui représente 17,5 millions d'anglicans, sur un total de 77 millions dans le monde) a annoncé le 30 mai qu'elle rompait la communion avec le diocèse de New Westminster. De même, plusieurs évêques de l'Asie du Sud-Est – dont l'évêque de Singapour – ont annoncé qu'ils n'étaient désormais plus en communion avec l'évêque Ingham et ceux qui partagent son approche.
D'autres réactions sur la même ligne sont attendues. Un groupe de primats de plusieurs pays de l'hémisphère sud ont fait savoir dans une déclaration commune que, à leurs yeux, l'action de l'évêque Ingham avait conduit la Communion anglicane à un moment crucial où elle devra faire le choix "entre rester une communion ou se déintégrer en une fédération d'Eglises". La même déclaration encourage les fidèles du diocèse de New Westminster qui ne suivent pas l'évêque Ingham à persévérer dans leur foi.
Mais la question de l'homosexualité n'a pas fini de faire des vagues dans la Communion anglicane sous d'autres aspects également. Le 7 juin, les épiscopaliens du New Hampshire ont élu comme nouvel évêque coadjuteur le chanoine V. Gene Robinson, qui se déclare ouvertement homosexuel et, père de deux filles adultes, partage sa vie depuis 13 ans "avec son partenaire Mark Andrew", selon les données biographiques officielles figurant sur le site du diocèse. Il avait mis fin au mariage avec son épouse par une cérémonie religieuse dans l'église où ils s'étaient unis, cérémonie au cours de laquelle ils s'étaient mutuellement déliés de leurs engagements, puis avaient communié ensemble.
Pour pouvoir être ordonné, le chanoine Robinson devra obtenir le consentement de la convention générale des évêques et représentants des diocèses, qui se tiendra à la fin du mois de juin. Cela promet des vifs débats et un lobbying intense de part et d'autre avant la convention, même si les observateurs estiment que les partisans de Robinson l'emporteront. Mais certains opposants agitent déjà la perspective d'une séparation et annoncent qu'ils pourraient décider de quitter l'Eglise épiscopalienne.
Il conviendra donc de suivre avec attention les développements dans la Communion anglicane au cours des mois à venir. Lors de l'ordination des femmes, bien moins d'épiscopaliens avaient quitté leur communauté qu'on ne l'avait prédit: les effectifs des communautés épiscopaliennes séparées sont restés modestes.
Au sein même de l'Eglise épiscopalienne, la résistance s'est amenuisée, et seuls trois des cent diocèses n'ordonnent pas des femmes. Rien ne dit qu'il en aille autrement avec la question de l'homosexualité: elle entraînera des séparations, mais rien ne permet encore de dire si celles-ci seront substantielles. En revanche, ces développements ne freineront certainement pas l'érosion de l'Eglise épiscopalienne.
C'est surtout à l'échelle globale de la Communion anglicane que la question de l'homosexualité pourrait accroître encore les divisions, voire mener à un éclatement si certaines Eglises de l'hémisphère sud adoptent une position intransigeante sur ce sujet.
© Religioscope 2003