En 1969, le pasteur réformé Oswald Eggenberger (1923-2003), auteur d’une thèse sur l’Eglise néo-apostolique, publiait un lexique des groupes religieux, couvrant aussi bien les "grandes Eglises" que les communautés religieuses numériquement moins importantes et les "sectes" – même s'il faut noter qu'il s'abstenait délibérément d'utiliser dans le titre ce terme perçu comme dépréciatif.
La 6e édition du livre Die Kirchen, Sondergruppen und religiösen Vereinigungen parut en 1994. Au fil des éditions, le volume devenait chaque fois plus épais. Eggenberger n'allongeait pas les notices – courtes, précises, parfois complétées par une évaluation théologique en caractères italiques, soigneusement distinguée de la partie descriptive. Le nombre de pages augmentait tout simplement parce que les groupes religieux actifs en Europe ne cessaient de se multiplier: si quelques-uns finissaient par disparaître, bien plus nombreux étaient ceux qui venaient les remplacer.
En 1963, le pasteur Eggenberger avait également créé une Informationsblatt, petit bulletin d'information trimestriel de quelques pages, de présentation sobre, qui relevait différents développements et tendances dans le champ des groupes religieux minoritaires: ce bulletin paraît toujours et célèbre donc en cette année 2003 son quarantième anniversaire.
Oswald Eggenberger était abonné aux revues de quelque 70 groupes religieux: il en dépouillait attentivement chaque numéro et en tirait certaines informations pour sa feuille. Mais le poids des ans conduisit Oswald Eggenberger à prendre sa retraite et à remettre en 1993 la responsabilité de l'Informationsblatt à une équipe plus jeune, sous la houlette du pasteur (et professeur d'université) Georg Schmid, dans le cadre de l'Evangelische Informationsstelle Kirchen - Sekten - Religionen.
De même, le répertoire qu'il publia en 1994 fut le dernier de sa plume: il transmit également le témoin au pasteur Schmid pour des éditions futures.
Depuis quelques années déjà, l'on savait qu'une nouvelle édition était en préparation. Elle vient de paraître. Le titre est un peu différent, puisque la 7e édition de ce manuel de référence contient maintenant le terme de "sectes" et est intitulée: Kirchen, Sekten, Religionen, sous la direction de Georg Schmid et de son fils et collaborateur, Georg Otto Schmid. Le lancement officiel du livre, qui a eu lieu le 15 mai 2003 à Zurich, fut d'ailleurs l'occasion d'un débat public entre trois participants sur l'utilité et la légitimité de l'utilisation du mot "secte". Tout en admettant, chacun dans sa perspective, la difficulté de définition du concept et les problèmes qu'il peut poser dans une activité de conseil pastoral, ils soutinrent que c'était un mot auquel il était difficile d'échapper.
Un quart environ du contenu provient encore du travail inlassable d'Oswald Eggenberger, disparu peu de temps avant la parution du livre, mais pour lequel il a encore rédigé un avant-propos. De 360 pages pour l'édition de 1994, celle-ci est passée à 528 pages: la diversification du paysage religieux n'a manifestement pas cessé ces dix dernières années. Une heureuse innovation aussi pour cette nouvelle édition: les adresses physiques et électroniques de groupes (car l'adresse de chacun des groupes mentionnés est fournie) seront mises à jour sur un site Internet en cas de modification.
Le volume s'efforce de couvrir l'ensemble des pays de langue allemande, avec quelques incursions en Suisse romande. Les groupes sont divisés en vingt catégories (puis, souvent, des sous-catégories). Chaque catégorie fait l'objet de quelques pages d'introduction générale. Puis une notice individuelle est consacrée à chacun des groupes, toujours selon une structure identique: nom du groupe, année de fondation, brève présentation du groupe (histoire et croyances), données statistiques (le cas échéant pour chacun des trois pays: Allemagne, Autriche, Suisse), adresse, site web. A certaines notices s'ajoutent quelques lignes d'évaluation critique en italiques, d'un point de vue marqué par une perspective réformée; la perspective critique transparaît parfois aussi dans certaines notices descriptives.
Chaque édition d'un livre de ce genre est d'abord une bonne occasion de prêter attention aux développements intervenus dans le champ religieux – en nous souvenant qu'il s'agit ici de l'Europe germanophone. L'augmentation même ou l'apparition de certaines catégories sont indicatrices de tendances.
L'introduction du volume se livre à ce tour d'horizon. Les auteurs constatent tout d'abord que les communautés pentecôtistes classiques n'ont pas dans les pays considérés l'impact qu'elles atteignent dans des pays du Sud. Ils observent en revanche une croissance des courants néo-charismatiques, issus de courants qui ont pris leur essor au cours des années 1980, qui mettent l'accent sur la création de communautés.
Les groupes autour de "nouvelles révélations" se multiplient, observent les auteurs (il est vrai qu'il y a à cet égard une riche veine dans le monde germanophone, qui remonte aux révélations par la "parole intérieure" reçues par l'Autrichien Jacob Lorber, 1800-1864). Cependant, la plupart de ces prophètes et prophétesses n'ont autour d'eux qu'un petit cercle d'auditeurs fervents. Rares sont les groupes qui, à l'instar de Vie Universelle (groupe appelé à ses débuts Œuvre de réintégration christique), atteignent une audience plus large. Les auteurs ne cachent pas leurs scepticisme quant à la possibilité pour beaucoup d'autres groupes de ce type de devenir des mouvements numériquement importants.
La croissance de la présence bouddhiste (comme bien sûr celle de l'islam) est en revanche indiscutable, comme le prouve notamment la multiplication de centres lamaïstes. Ce qui ne signifie pas, notent à juste titre les auteurs, que le bouddhisme attire des foules de nouveaux convertis, mais cela tient aussi en partie au caractère assez fluide que peut revêtir l'appartenance. En tout cas, la section sur le bouddhisme s'étoffe notablement si nous la comparons aux éditions antérieures.
Pour ce qui est des groupes issus de l'hindouisme, ce sont avant tout des messages mettant l'accent sur la bhakti, sur la dévotion, qui semblent avoir le vent en poupe. En outre, nous assistons aussi à un développement de groupes se réclamant de l'advaïta, ce qu'on dénomme génériquement les groupes de satsang, qui expriment une fascination pour la figure de Ramana Maharshi (1879-1950) et remontent à l'activité de Poonja (1910-1997), qui vit venir à lui beaucoup de disciples d'Osho (Rajneesh, 1931-1990) après sa disparition. (Sur le "Satsang Network", on peut recommander l'article capital de Liselotte Frisk, publié dans le numéro d'octobre 2002 de la revue universitaire Nova Religio.)
Les offres de type ésotérique se multiplient, mais les auteurs s'empressent de souligner qu'il ne s'agit pas ici de l'ésotérisme au sens classique de ce terme: au cours de la seconde moitié du 20e siècle, la quête "ésotérique" s'est largement transformée en recherche de soi "holistique" et quête d'un sentiment mystique de l'unité de toutes choses. Cependant, l'ouvrage estime que nous observons en ce début de 21e siècle un retour à l'attrait pour la "spiritualité de loges", de petits cercles élus autour d'un maître. Reste à voir si cette apparente tendance se confirmera…
Une catégorie qui prend de l'importance alors qu'elle était pratiquement absente des précédentes éditions est celle du néo-paganisme et de la néo-sorcellerie (Wicca). 24 pages y sont consacrées, en quatre grandes catégories: néo-celtes, néo-germains, néo-sorcellerie et néo-chamanisme. Les auteurs y discernent une réaction néo-romantique dans une ère de mondialisation, tout en relevant l'usage souvent très professionnel d'Internet de la part de tels groupes. Particulièrement à la mode, la Wicca attirerait, selon leur analyse, un ensemble hétérogène de femmes – guérisseuses, magiciennes, voyantes, philosophes, féministes, écologistes, etc.
Les groupes occultistes foisonnent également et savent, eux aussi, se servir efficacement des possibilités offertes par Internet.
Mais les lecteurs et utilisateurs du livre s'intéresseront avant tout aux centaines de notices individuelles que contient celui-ci sur les groupes religieux les plus variés, offrant un riche tour d'horizon des groupes religieux dans les pays de langue allemande.
Bien sûr, comme toujours pour un tel travail, les accents mis sur tel ou tel aspect d'un groupe et les évaluations qui sont faites pourraient être ici et là discutées; de même, l'on pourrait contester des détails ou trouver de petites erreurs factuelles. Mais il y aurait peu d'intérêt à disséquer le volume pour y repérer ces points. Il faut plutôt souligner l'utilité de cet outil de travail, qui permet de trouver rapidement un renseignement (l'index compte 34 pages), l'adresse d'un groupe, de le "situer" dans un paysage religieux éclaté. Ensuite, ceux qui le souhaitent peuvent aller plus loin grâce à d'autres lectures ou en prenant contact avec le groupe lui-même.
Des répertoires tels que celui qui vient de paraître demeurent donc des ressources indispensables pour quiconque s'intéresse à ces questions, à avoir sous la main à côté d'autres volumes de référence couvrant d'autres pays du monde, tels que l'Encyclopedia of American Religions de J. Gordon Melton ou de l'Enciclopedia delle religioni in Italia dirigée par Massimo Introvigne.
Jean-François Mayer
Georg Schmid et Georg Otto Schmid (dir.), Kirchen, Sekten, Religionen, Zurich, Theologischer Verlag, 2003 (528 p.) – ISBN 3-290-17215-5