A l'occasion du colloque international du Centre d'études sur les nouvelles religions (CESNUR), qui s'est déroulé en Lituanie du 10 au 12 avril 2003, les participants ont eu l'occasion de rencontrer des représentants du mouvement Romuva. Comme le rappelait Donatas Glodenis dans l'entretien sur la situation religieuse en Lituanie qu'il avait accordé à Religioscope, Romuva constitue aujourd'hui le principal groupe néo-païen en Lituanie, né déjà durant la période soviétique, en 1967.
Les membres de Romuva sont fiers de rappeler que la Lituanie a été le dernier pays d'Europe à abandonner la religion païenne: ce fut en 1387 que s'éteignit le feu sacré en Lituanie orientale, souligna Inija Trinküniené dans son exposé prononcé devant les participants au colloque avant d'emmener ceux-ci à un rituel célébré sur une colline de Vilnius. Selon les partisans de Romuva, le changement affecta surtout les classes nobles, tandis que la population aurait continué de vénérer secrètement les vieux dieux durant des siècles. Il faut cependant noter que les historiens ne sont pas tous d'accord entre eux sur le degré de christianisation de la Lituanie, même si tout le monde reconnaît que c'est le pays d'Europe où le paganisme a conservé le plus longtemps un statut officiel.
De toute façon, Romuva ne prétend pas détenir une quelconque transmission initiatique secrète en ligne directe: le groupe fonde sa recréation du paganisme balte sur ce qu'ont transmis les chants et croyances populaires. Le folklore aurait en effet conservé beaucoup de traditions et d'enseignements pré-chrétiens jusqu'à nos jours. Pas d'écriture sainte: les aspects théologiques des croyances ne sont pas aussi importants que les traditions vivantes. Un aspect central des croyances de Romuva est le caractère sacré de la nature et l'harmonie de l'homme avec son environnement.
Il y avait déjà eu dans l'entre-deux-guerres des tentatives de rétablir la religion païenne en Lituanie, en utilisant d'ailleurs déjà le nom de Romuva, qui désignait le sanctuaire central des anciens Baltes. En 1967, près de Vilnius, un groupe de professeurs et d'étudiants alluma à nouveau le feu sacré lors de la fête du solstice. Bien sûr, malgré la "couverture" folklorique du groupe qui adoptait le nom de Romuva, les ennuis avec les autorités soviétiques ne tardèrent pas. Le groupe fut interdit en 1971, puis jouit d'une certaine tolérance à partir de 1980, pour finalement être rétabli en 1988 à la faveur de la perestroika et obtenir son enregistrement officiel en 1992.
Des groupes de Romuva furent alors établis non seulement à Vilnius et à Kaunas, mais également à Boston, à Chicago et à Toronto, ce qui illustre le rôle de la diaspora balte dans le réveil païen, et d'ailleurs pas seulement en Lituanie. Aujourd'hui, Romuva affirme compter dix groupes locaux en Lituanie. Selon des estimations indépendantes, le nombre de ses fidèles ne dépasserait pas quelques centaines. Le mouvement poursuit cependant ses efforts d'organisation: son fondateur, Jonas Trinkunas (né en 1939), a été accepté par Romuva comme grand prêtre au mois d'octobre dernier.
Les membres de Romuva souhaiteraient voir leur organisation reconnue comme l'une des "religions traditionnelles" de la Lituanie; deux membres du Parlement se livrent d'ailleurs à un lobbying en vue de lui faire accorder ce statut. Mais si les membres de Romuva se montrent assez optimistes quant aux chances d'obtention de celui-ci, des experts locaux que nous avons consultés se montrent en revanche plus prudents.
Le principal dieu du panthéon lituanien, celui qui jouait également le rôle de protecteur de l'Etat, est Perkunas, le dieu du feu. Le jeudi est le jour qui lui est dédié et où l'on allume un feu en son honneur, comme cela fut fait lors de notre visite à Vilnius le jeudi 10 avril 2003.
Ce n'est pas seulement en raison de l'existence de groupes dans la diaspora que l'écho du paganisme lituanien renaissant dépasse les frontières du pays. Romuva entretient des contacts avec d'autres groupes païens à travers le monde, et Jonas Trinkunas se trouvait d'ailleurs au mois de février en Inde pour y participer au World Council of Elders of Ancient Traditions and Cultures (WCEAT), organisé à l'initiative de milieux nationalistes hindous pour renforcer les liens entre religions indigènes et non missionnaires.
Ce fut en outre durant la fête de Rasa (solstice d'été) que des représentants de plusieurs groupes païens de l'Europe, des Etats-Unis et de l'Inde se réunirent en 1998 en Lituanie pour y créer le Congrès mondial des religions ethniques (World Congress of Ethnic Religions, WCER), dont le bureau est toujours établi à Vilnius. Dans la déclaration adoptée à cette occasion, les participants affirmaient partager "la même vision de notre position dans le monde, fondée sur notre expérience historique commune d'oppression et d'intolérance. Les religions ethniques ou 'païennes' ont, dans le passé, grandement souffert de l'injustice et de la destruction causées par les religions prétendant posséder la vérité unique."
Il est intéressant d'observer comment les renaissances de "religions ethniques" entendent se combiner avec un "nouvel universalisme" et semblent voir dans la modernité le contexte favorable à leurs initiatives: "Nous croyons que le début d'une nouvelle ère de liberté individuelle et intellectuelle et les échanges d'information mondiaux nous permettent aujourd'hui de commencer à revenir à nos racines spirituelles et revendiquer notre héritage religieux."
Dans le renouveau païen, Romuva et la Lituanie jouent ainsi un rôle de référence. La 6e conférence annuelle du WCER se tiendra d'ailleurs à nouveau à Vilnius l'été prochain, du 7 au 9 août 2003.
Romuva dispose d'un site web, avec une section en anglais:
http://www.romuva.lt
Il existe également (depuis 1998) un groupe de discussion électronique sur Romuva et le paganisme lituanien, accessible seulement à ceux qui s'y inscrivent:
http://groups.yahoo.com/group/Romuva/
Un livre anglais présente le paganisme balte et Romuva: Jonas Trinkunas (dir.), Of Gods and Holidays: The Baltic Heritage, Vilnius, Tvermé, 1999. Cet ouvrage est cependant difficile à trouver en dehors de la Lituanie. Mais il en existe une élégante traduction allemande: Rasa: Götter und Rituale des baltischen Heidentums, Engerda, Arun-Verlag, 2002. Il est possible de le commander en ligne sur le site d'Arun-Verlag ou le site allemand d'Amazon.
© 2003 Religioscope