Certes, les sondages ne nous livrent qu'une dimension de la réalité, et l'on sait également combien la formulation de questions peut donner lieu à des malentendus ou estomper la complexité des réponses. Seules des enquêtes qualitatives permettent d'obtenir une image plus fine. Cependant, les sondages nous sont utiles parce qu'ils révèlent des tendances et indiquent de possibles changements d'attitude ou amorce de réorientations.
Les croyances des Français
Le premier des sondages qui retiendront ici notre attention est celui qui a été mené au mois de mars 2003 et dont les résultats ont été rendus publics au mois d'avril. Intitulé "Les Français et leurs croyances", il a été effectué par les soins de l'institut CSA en collaboration avec l'hebdomadaire catholique La Vie et le quotidien Le Monde. Il s'appuie sur une enquête téléphonique portant sur un échantillon national représentatif d'un millier d'adultes. Il présente l'intérêt d'offrir des comparaisons avec un sondage similaire qui avait été effectué en janvier 1994.
62% de l'ensemble des Français se disent catholiques, 6% musulmans, 2% protestants et 1% juifs. 26% se déclarent "sans religion". Le pourcentage des catholiques a baissé (de 67% en 1994 à 62%), celui des musulmans a notablement augmenté (de 2% à 6%), de même que progresse la catégorie des "sans religion" (de 23% à 26%).
Remarquons que, plus l'âge monte, plus le taux d'appartenance au catholicisme augmente: 40% des 18-24 ans, mais 79% des 65 ans et plus. Inversement, plus l'âge baisse, plus le pourcentage de musulmans est important: 1% des musulmans dans la catégorie des 65 ans et plus, mais 14% dans la catégorie des 18-24 ans. Même observation pour les "sans religion", qui forment 36% de la catégorie des 18-24 ans, et même 37% de la catégorie des 25-34 ans.
Ces chiffres sont suffisamment nets pour permettre de supposer que la chute de l'appartenance catholique en France (et peut-être plus encore de la socialisation catholique des jeunes) va décliner encore, même s'il est possible qu'elle atteigne son "plancher", mais seul un sondage semblable dans dix ans permettra de le déterminer plus clairement. La montée du nombre de musulmans est également notable: il ne fait aucun doute que le paysage religieux de la France aura connu de profondes transformations à la fin du 21e siècle.
Mais dans l'immédiat, ce qui frappe probablement plus est la relative tiédeur religieuse de la majorité de la population et l'éclectisme des croyances.
En ce qui concerne la pratique religieuse, 25% des Français disent prier tous les jours ou souvent, tandis que 74% prient rarement ou jamais. 19% des Français participent à un office religieux au moins une fois par mois, 24% aux grandes fêtes. Le taux de pratique est plus élevé parmi les musulmans: 28% disent participer à un office religieux au moins une fois par mois.
Si l'enquête offre le choix entre quelques solutions sur la vie après la mort, 39% des Français pensent qu'il n'y a rien après la mort, tandis que 33% supposent qu'il y a quelque chose, sans pouvoir dire quoi. 16% disent croire à l'immortalité de l'âme, 6% à la réincarnation et 4% à la résurrection du corps. Même si l'on peut supposer qu'un certain nombre de chrétiens pratiquants auront choisi l'option "immortalité de l'âme" faute de connaissances théologiques, le très faible pourcentage de croyance à la résurrection des corps manifeste quand même un hiatus entre les doctrines chrétiennes et les croyances réelles:12% seulement des catholiques pratiquants réguliers croient ainsi à la résurrection des corps, alors qu'ils l'affirment pourtant chaque fois qu'ils récitent le Credo.
En revanche, l'affirmation selon laquelle "Jésus-Christ est le Fils de Dieu" recueille l'adhésion complète de 36% des Français (93% des catholiques pratiquants réguliers) et l'adhésion partielle ("un peu") de 19%. De même, 30% des Français croient entièrement à la résurrection du Christ et 17% y croient un peu.
Etonnante réaction à une nouvelle question intégrée dans le sondage: les personnes interrogées croient-elle que "Mahomet est un prophète?" 24% des Français adhèrent entièrement à cette afirmation et 20% "un peu". Parmi ceux qui adhèrent à cette affirmation, 69% des catholiques pratiquants réguliers! En fait, moins la pratique est régulière, plus l'adhésion à cette proposition faiblit.
Bien sûr, cette reconnaissance du statut prophétique de Muhammad peut recouvrir différentes perceptions et ne pas dénoter une adhésion théologique: Muhammad est fréquemment qualifié de "prophète de l'Islam" même dans les médias, et il est possible que l'expression soit ainsi admise dans un sens honorifique et de respect pour les autres religions. Cela dit, il semble vraisemblable que les efforts de dialogue interreligieux aient également laissé ici leur empreinte.
De tels résultats étonnent moins si l'on constate que 51% des Français sont "tout à fait d'accord" et 26% "plutôt d'accord" avec la proposition: "De nos jours, chacun doit définir lui-même sa religion indépendamment des Eglises." Seuls 14% ne sont "pas du tout d'accord".
Mais un certain scepticisme ne s'applique pas seulement aux religions traditionnelles. Il semble y avoir une véritable chute de la croyance aux pratiques divinatoires, bien plus forte et rapide que la diminution de la pratique religieuse. De 60% de gens croyant avec ferveur ou un peu aux interprétations astrologiques en 1994, le pourcentage est tombé à 37%. De même, la crédibilité des voyantes a chuté de 46% à 23%. Bien entendu, il faudra voir s'il s'agit simplement d'une décrue temporaire ou d'un phénomène plus durable.
L'Eglise catholique et l'argent en France
Autre sondage (celui-ci effectué au mois de février, mais également rendu public en avril): la Conférence des évêques de France (CEF) s'est intéressée à la perception des Français sur l'Eglise catholique romaine et l'argent. Là encore, questionnaire présenté par téléphone, échantillon représentatif de 800 adultes.
52% des personnes interrogées (catholiques aussi bien que non catholiques) ont le sentiment que "l'Eglise est riche"; les propriétés immobilières de l'Eglise catholique romaine semblent jouer un rôle important dans cette perception. Cependant, une nette majorité (79%) admet que l'on ne saurait confondre la situation financière de l'Eglise dans le passé et celle qu'elle connaît aujourd'hui. 76% reconnaissent en outre que sa situation financière risque de devenir plus difficile dans les années à venir.
Seuls 17% pensent que l'Eglise parle clairement et de façon transparente de sa situation financière. En revanche, il n'y a apparemment guère de soupçons d'enrichissement personnel pour le bas clergé: seuls 13% des sondés croient que "les prêtres gagnent bien leur vie", mais 43% pensent que "les évêques gagnent bien leur vie". (Selon la CEF, les évêques et prêtres reçoivent un salaire net mensuel entre 747 et 945 euros.)
L'image sociale de l'Eglise semble cependant bien ancrée dans la population, puisque 69% estiment que l'Eglise joue un rôle plus ou moins important auprès des pauvres et des démunis.
Bien entendu, les catholiques pratiquants manifestent dans l'ensemble une perception plus positive. Il n'est pas étonnant que la situation matérielle de l'Eglise soit inégalement connue du public - qui ne peut par exemple savoir que les églises et cathédrales construites avant 1905 (séparation de l'Eglise et de l'Etat) appartiennent aux collectivités locales et à l'Etat, tandis que les diocèses sont propriétaires des bâtiments construits après 1905.
Les musulmans français face à leur avenir
Enfin, le troisième sondage a été effectué au début du mois d'avril par l'institut IPSOS en collaboration avec Le Figaro. A l'approche de l'élection au Conseil français du culte musulman (CFCM), le sondage s'interrogeait sur le degré de connaissance des musulmans en France au sujet de cette institution, mais également sur différentes attitudes. Le sondage portait sur un échantillon représentatif de 523 musulmans adultes.
Sans surprise, l'on constate que la grande majorité des personnes interrogées considèrent que les valeurs de l'islam et celles de la République française sont compatibles. En fait, plusieurs réponses aux questions soulevées par le sondage expriment une nette soif de reconnaissance et d'amélioration de l'image de l'islam en France: c'est apparemment l'un des principaux apports attendus de la création du CFCM.
83% des personnes interrogées se disent favorables à la création d'un institut de formation des imams de France "afin d'éviter que des imams étrangers prônant un islam fondamentaliste ne viennent en France" (à noter le caractère quand même assez "orienté" de la question!). En revanche, seulement un peu plus de la moitié (55%) se dit favorable aux interdictions de prêche aux imams "prônant un islam fondamentaliste extrémiste contraire aux valeurs de la République française": probablement faut-il avant tout y voir une méfiance face à une intervention de l'Etat qui pourrait qualifier de "fondamentalistes" des attitudes et discours qui ne sont pas nécessairement perçus comme tels par beaucoup de musulmans.
Remarquons aussi que 44% des personnes interrogées se disent favorables à l'interdiction pour des Etats étrangers de financer la construction de lieux de culte en France, mais 49% opposés. En fait, la questions aurait gagné à être conçue de façon plus fine: l'ingérence d'acteurs étrangers dans la vie des communautés musulmanes en France est certes une question importante, mais les réponses négatives à une telle interdiction ne signifient pas nécessairement un souhait de voir des pays étrangers jouer un rôle: cela peut aussi refléter une perception de l'importance que des apports financiers étrangers peuvent revêtir pour des communautés qui sont souvent loin d'être riches et aspirent à établir des lieux de culte dignes de ce nom.
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