Les 6 et 13 avril 2003, les délégués de plus de 75% des lieux de culte musulmans en France ont voté afin de désigner les membres du Conseil français du culte musulman (CFCM), établissant ainsi enfin une instance assez largement représentative de la population musulmane en France.
Trois principales organisations se répartiront la plus grande partie des 41 sièges: la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), 16 sièges; l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), 14 sièges; la Mosquée de Paris, 6 sièges.
Il y a un an encore, l'élection d'un CFCM paraissait très compromise. Cependant, les efforts énergiques du nouveau ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, Nicolas Sarkozy, ont finalement permis d'aboutir au mois de décembre à un protocole d'accord, et ainsi aux élections qui viennent de se dérouler.
Le 19 avril 2003, à l'occasion du 20e rassemblement annuel de l'UOIF au Bourget, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours. Son intervention a d'abord été bien accueillie, avant de susciter des réactions irritées lorsqu'il a évoqué la question du foulard islamique, qui a pris en France depuis plusieurs années une valeur quasi symbolique pour nombre de musulmans.
A titre documentaire, il nous a semblé opportun de mettre à disposition des lecteurs de Religioscope le texte intégral de ce discours. Il mérite d'autant plus l'attention que plusieurs développements récents semblent indiquer que le gouvernement français entend redéfinir plus précisément la signification et les implications de la laïcité - un concept dont on sait l'importance dans le contexte français.
Intervention de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales au 20ème rassemblement annuel de l'UOIF - Le Bourget - 19 avril 2003
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de m'exprimer à l'occasion du congrès organisé par l'Union des Organisations Islamiques de France, à un moment historique pour vous.
Les Musulmans de France ont témoigné clairement de leur volonté d'être des Français comme les autres, d'être des Musulmans de France pratiquant un Islam de France. Mes pensées vont d'abord à vos fidèles et à leur famille. Il n'est pas acceptable qu'en France un Musulman soit considéré comme un citoyen différent, un citoyen qui n'aurait pas le droit de vivre sa religion, de la transmettre à ses enfants, dans le respect et la dignité.
La religion musulmane ne doit pas être en France une religion à part. Elle doit trouver la place qui est la sienne comme les autres cultes reconnus depuis longtemps. Ni plus, ni moins.
Aujourd'hui, plus encore qu'hier, c'est un message fort que nous devons délivrer ensemble. Dans une période troublée par la guerre en Irak - une période où certains sont enclins à trouver des prétextes pour créer dans notre pays la suspicion et l'affrontement – votre rassemblement se doit d'offrir une image d'intégration, de paix, de sérénité et de citoyenneté. Je veux à cet égard rendre hommage aux responsables de la communauté musulmane. Comme vos homologues des autres religions, vous avez tenu un discours à la hauteur des responsabilités qui sont les vôtres.
Permettez-moi de remercier Monsieur BREZE, Président de l'UOIF et Monsieur Fouad ALAOUI, Secrétaire général. Je le remercie d'être l'un des moteurs de la création du Conseil Français du Culte Musulman.
Le succès des élections de la semaine passée est celui de tous les musulmans de France. Par l'élection de leurs représentants au CFCM, ils se sont engagés pour que le culte musulman ait sa place à la table de la République.
C'est une victoire pour les musulmans de France qui ont témoigné ainsi de leur volonté de vivre leur religion dans la paix et le respect des valeurs de la République. La France est la première démocratie à avoir accompli ce progrès. Il vous appartient maintenant de le faire vivre.
Le Conseil Français du Culte Musulman, comme les Conseils Régionaux du Culte Musulman, vous appartiennent.
Leur première mission est d'ouvrir au grand jour le culte Musulman. Nous n'avons que trop constaté dans l'histoire de notre pays combien l'ignorance était le prétexte aux accusations, aux suspicions, aux peurs et aux affrontements. Il ne peut y avoir de tolérance dans l'ignorance réciproque. Et il est important pour tous ceux qui vivent dans notre pays que vous soyez mieux connus, que vous vous présentiez au grand jour, pour ce que vous êtes, des citoyens comme tous les Français, qui simplement sont attachés à une religion qui dans notre vie collective est plus récente que d'autres et qui par conséquent doit être démystifiée.
Grâce au CFCM et aux Conseils régionaux, vous aurez des instances de dialogue connues et reconnues. Je sais combien vos débats internes sont nombreux car depuis quelques mois j'ai appris à mieux vous connaître. L'Islam est marqué par la diversité de ses courants de pensée, de ses fidèles et de leurs cultures.
Il n'est pas question de l'uniformiser. Il n'est pas question de singulariser, ni de distinguer un Islam officiel unique. Il n'appartient pas à la République d'arbitrer vos débats internes. Ces débats religieux et internes ne la concernent pas.
Pour autant, je crois nécessaire que les Musulmans de France puissent montrer au grand jour la réalité de leurs préoccupations et la richesse de leurs débats. Vous ferez taire ceux qui aiment tant à pointer du doigt le succès des uns et les échecs des autres. Votre diversité est une richesse que ces instances représentatives aideront à dévoiler pour mettre fin à cette image.
Je veux aussi vous dire qu'aujourd'hui, le succès n'est pas celui de tel ou tel homme. Il n'est pas le mien. Le succès est celui de chaque Musulman qui a la volonté de vivre sa religion en France comme les autres Français.
Le Conseil Français du Culte Musulman aura la responsabilité de dialoguer avec l'Etat et les pouvoirs publics pour poser quelques grands principes sur des questions essentielles telles que le contenu des émissions télévisées religieuses, la fonction des aumôniers, la place des femmes qui est un sujet de préoccupation majeure au plan de la liberté pour chacune ou encore la formation des Imams.
Cette dernière question est tout à fait prioritaire. Les jeunes musulmans de France ont besoin d'imams qui les comprennent, qui soient eux-mêmes imprégnés de la culture française, de son organisation, de ses traditions et qui parlent la même langue qu'eux. Pour que l'Islam soit pleinement intégré à la République, ses premiers représentants doivent eux même être parfaitement intégrés à la République et par conséquent formés en France. Nous n'avons pas à dépendre de l'étranger pour obtenir des imams qui ne parlent pas un mot de français.
Je crois également indispensable que les imams aient un statut pour pouvoir vivre dans des conditions décentes. Je sais que ce n'est pas toujours le cas actuellement. Trop d'imams sont RMIstes. Ce n'est pas le signe d'une bonne intégration. Comme pour les autres religions, il est nécessaire que les imams puissent être pris en charge par les instances religieuses musulmanes telles que les associations gestionnaires des lieux de culte.
Quant aux Conseils régionaux du Culte Musulman, ils pourront enfin dialoguer avec les autorités locales, que ce soit le préfet ou les élus, mais aussi avec les autres religions pour régler les questions quotidiennes que posent la pratique du culte. Je pense par exemple à la préparation de l'Aïd el Kebir pour que votre fête se déroule dans des conditions décentes et conformes aux exigences sanitaires. Je pense encore au problème des carrés musulmans dans les cimetières qui suppose que vous puissiez définir avec les maires ces emplacements. Chacun doit pouvoir enterrer ses morts, les prier, les honorer, les aimer dans le respect de sa religion et de sa culture. Devant la mort nous sommes tous égaux. La peine d'un musulman est la même que celle d'un catholique, d'un juif ou d'un protestant.
La création de cette instance n'est pas un simple débat institutionnel. Il s'agit d'abord de reconnaître aux Musulmans le droit de vivre leur foi comme les autres et par conséquent d'être des Français à part entière, des Français comme les autres.
La réalité est simple : 5 millions de musulmans vivent en France. Il ne peut y avoir deux catégories de citoyens : ceux qui peuvent vivre leur foi et les autres que l'on ne reconnaît pas ou pire qui sont obligés de se cacher et qui par conséquent inquiètent.
La laïcité est un principe fondamental de notre République. Loin d'être l'ennemi des religions, elle pose le principe que la République garantit l'exercice du culte, de tous les cultes, sans en privilégier un seul. En d'autres termes, dès lors que la religion est compatible avec la loi de la République, chacun peut être libre de pratiquer son culte.
Il ne s'agit pas de créer un Islam institutionnel. Cela n'aurait pas de sens car la République ne choisit pas entre les cultes. Elle n'en privilégie aucun et n'en exclut aucun, que ce soit dans le droit ou dans les faits.
Mon devoir est aussi de veiller à ce que la diversité de la société française reste un atout, non un handicap. Cela est d'autant plus vrai dans les périodes de tensions qui peuvent être le prétexte à des attentats, à des actes de racisme ou d'intolérance.
Je sais fort bien que trop de musulmans ont peur en France et se sentent victimes d'amalgames. Je sais aussi que cette peur est réciproque chez nos concitoyens qui confondent les discours clandestins et manipulateurs ou bien encore les extrémismes qui se manifestent en divers point du monde. Veillons à apaiser ces peurs pour qu'elles ne soient pas le ferment de replis identitaires ou de discours radicaux. Veillons à ce que l'Islam de France soit ce qu'il doit être, c'est à dire une religion de tolérance et d'ouverture.
Ma conviction est que la religion, dès lors qu'elle respecte clairement les valeurs de la République, est porteuse de valeurs positives et d'intégration.
Vous avez franchi un grand pas en montrant combien les musulmans de France étaient désireux d'être considérés comme les autres croyants. Vous donnez aujourd'hui à l'Islam le droit de s'asseoir à la table de la République au même titre que les autres cultes.
Ceci exige que cet Islam soit parfaitement respectueux des lois de la République.
C'est un point sur lequel je n'accepterai pas de dérives. Je ne veux pas que les éventuels excès d'une minorité pénalisent tous les Musulmans qui souhaitent vivre en paix.
Il ne peut y avoir en France d'Islam porteur d'un discours contraire aux valeurs Républicaines. Cet Islam est en France illégal et j'en tirerai toutes les conclusions. La loi de 1905 pose le principe que tout discours dans un lieu de culte qui inciterait à résister à l'application des lois ou à soulever une partie des citoyens contre les autres doit être puni. Que nul ne doute qu'il le sera.
Cette loi est juste et elle s'applique à tous quelle que soit leur religion.
Elle s'applique tant aux imams qu'aux prêtres ou aux rabbins sans distinction car il n'y a qu'une seule loi en France, la loi de la République. Et cette loi sera appliquée. Il est fondamental, pour l'ensemble de la société dans laquelle vous vivez, et pour vous même que quelles que soient les attaches culturelles, la loi commune soit appliquée.
Deux exemples :
La loi impose que sur une carte nationale d'identité, la photographie du titulaire soit tête nue que ce soit celle d'une femme ou d'un homme. Cette obligation est respectée par les religieuses catholiques, comme par toutes les femmes vivant en France. Rien ne justifierait que les femmes de confession musulmanes bénéficient d'une loi différente.
La loi distingue les associations cultuelles qui bénéficient de nombreux avantages fiscaux mais ne peuvent être subventionnées par l'Etat des associations culturelles qui peuvent être subventionnées par l'Etat. Il ne peut pas y avoir de confusion. Lorsqu'une mairie prête une salle à une association dite culturelle mais qui est utilisée comme salle de prière, elle est dans l'illégalité.
Cette loi s'impose à tous. Elle a déjà suscité de nombreux débats avec les autres religions lors de son élaboration. Mais, aujourd'hui, cette loi ne se négocie plus car elle est au cœur de la République.
Si vous réclamez une loi différente, vous ne pourrez réclamer les mêmes droits que les autres religions.
Et cette distinction n'est pas le chemin de l'intégration. Il est celui du rejet. Je serai ferme quant à l'application des lois de la République car cette fermeté est, comme pour tous les cultes, la condition de votre droit à vivre votre religion.
Au-delà aucune loi de la République ne peut s'appliquer avec plus douceur ou de rigueur pour les uns ou les autres. Personne ne peut revendiquer le droit à la différence pour ne pas respecter la loi. Personne ne peut revendiquer sa propre loi au-dessus de celle de la République. C'est un principe non-négociable car nous avons trop souvent été témoins des dangers que recèle à long terme la tolérance de l'inacceptable.
Des cités ont vu la loi des bandes tenter de rivaliser avec celle de la République. Des policiers ou des gendarmes sont agressés du seul fait que leur mission est de faire appliquer la loi. Ce sont alors vos propres enfants qui sont victimes de ces voyous et qui n'osent plus jouer au bas des immeubles. Ce sont alors des familles qui sont tentées de se regrouper par communautés pour se protéger des autres. Ce sont enfin des fidèles qui craignent d'exercer au grand jour leur foi, qui craignent de traverser un square pour aller à la mosquée.
Vos familles, comme celles de tous nos concitoyens, ont le droit de vivre en paix. C'est pourquoi j'attache tant d'importance à ce que la délinquance recule. Et pour cela, ma conviction est que la loi est la même pour tous et qu'elle s'applique partout.
Ce message s'impose avec la même vigueur pour toutes les lois de la République et tout particulièrement celle protégeant le principe de laïcité. Il n'y a pas de pratique qui puisse mettre en échec la loi de la République.
Lorsqu'un fidèle se rend à la Mosquée, à la Synagogue ou à l'Eglise, je ne peux admettre qu'il soit agressé du seul fait qu'il est musulman, juif ou chrétien. Nous serons parfaitement intolérants face à ceux qui instrumentalisent la religion et lui font dire ce qu'elle n'a jamais dit. Celui qui brûle une salle de prières à Nancy est le même que celui qui lance des pierres sur les fidèles qui se rendent à la synagogue. Il a le visage de la haine, du racisme et de la bêtise. Cet homme n'a pas sa place dans la République.
Les Musulmans sont des citoyens à part entière comme les autres. Vos enfants vont à l'école avec les autres enfants, ils sont assis sur les mêmes bancs, ils jouent ensemble et demain ils iront ensemble au collège, à l'université. Ils travailleront ensemble en France. A leur tour, ils fonderont une famille.
L'avenir des Musulmans de France est au sein de la République, elle ne peut être à côté.
Aujourd'hui, ce message est le vôtre, il est celui que vous avez consacré par l'élection du Conseil Français du Culte Musulman.
A ceux qui doutaient de votre volonté de vous intégrer, vous devez montrer votre volonté de ne pas laisser l'Islam extrême se développer dans les caves et les garages.
Aux adeptes de discours extrêmes qui jugent que l'Islam est incompatible avec la République, vous avez prouvé qu'ils avaient tort car vous aussi vous êtes convaincus que la foi n'a pas vocation à s'imposer aux lois de la République et que la République n'a pas la volonté d'imposer une foi.
C'est un grand message d'espoir pour tous les Musulmans de France qui ont le droit d'être des citoyens à part entière, de vivre leur foi, de transmettre leur foi à leurs enfants, de construire leur vie en France avec la même dignité que les autres Français.
C'est aussi un grand message d'espoir pour notre pays qui est attaché, très profondément attaché, aux valeurs qui sont les siennes, qui est tolérant, accueillant, qui vous tend la main comme il en a le devoir parce que vous êtes aussi des citoyens, et qui en retour attend que vous vous empariez de son message républicain.
La communauté nationale vous tend la main. Elle vous regarde. Vous êtes désormais comptable de l'image de chaque musulman de France. Saisissez cette main tendue par la République. Ne la décevez pas car les conséquences seraient immenses.