Patrick Haenni a récemment répondu aux questions de Denis Lensel, complétées par une question finale de Patrice Favre. Des extraits de cet entretien ont été publiés dans le quotidien fribourgeois La Liberté du 11 avril 2003. Avec l'autorisation de ce journal et celle de Patrick Haenni, nous avons le plaisir de publier ici la version intégrale de cet entretien.
La Liberté - L'adaptation de certains nouveaux discours islamiques aux thèmes néo-libéraux mondiaux de notre époque permet-elle d'espérer un assouplissement de l'Islam - c'est-à-dire l'apparition d'un Islam plus tolérant - au niveau de cette nouvelle génération d'intellectuels et de prédicateurs, ou au contraire pourrait-elle servir de vecteur à un regain de prosélytisme islamique sous un nouveau langage à travers le monde et jusqu'en Occident?
Patrick Haenni - Je pense que vous soulevez bien l’ambiguïté de cette troisième voie en train de gagner de l’importance depuis la seconde partie des années 1990. Je vais décrire les origines et la nature de ce changement, et revenir en fin de réponse sur ses limites.
Ce qui s’est passé, c’est que, depuis lors, la surenchère entre islam politique et islam officiel ne fonctionne plus avec la même intensité. La violence a disparu, la jeune génération de la mouvance islamiste s’est largement réconciliée avec les principes de la démocratie libérale.
Pourtant l’islamisation progresse et touche, toujours plus, les classes moyennes supérieures. Seulement, elle ne les atteint plus ni avec le même discours, ni avec les mêmes acteurs. L’islamisation des bourgeoisies urbaines s’effectue à partir de jeunes prédicateurs (Amr Khâlid, Khâlid al-Guindy, Al-Habîb Aly) et avec un style massivement rénové: l’accent est mis sur une conception moins intransigeante de la prédication, où il s’agit d’attirer à partir d’une imaginaire religieux où Dieu est amour et non mobiliser sur les peurs des tortures d’outre-tombe. En gros, la prédication s’adapte à la culture de classe de ce nouveau public, aisé, vivant aux rythmes de la globalisation.
C’est ainsi que l’on peut comprendre la généralisation du principe du talk–show islamique, où le public est poussé aux témoignages parfois proches de la confession et où l’insistance est mise sur les émotions plus que sur le respect non réfléchit du dogme. C’est dans la même veine que l’on peut comprendre les appels à la mobilité sociale ascendante, à l’ambition. C’est toujours dans ce même esprit qu’il faut situer “l’éthique protestante” présente dans le discours de Amr Khâlid pour lequel la richesse, loin d’être un tare ou le chemin du vice et de la perdition, est au contraire un signe d’élection divine qu’il faut faire fructifier par l’effort, la discipline et la productivité.
La liste serait longue des emprunts aux modèles occidentaux: citons par exemple la recomposition de la psalmodie religieuse par les rythmes de la pop arabe, les incitations à repenser la prédication en termes de marketing et le développement de versions islamisées des théories du management, ou encore le développement d’une vision de l’islam comme réalisation de soi (ce qui explique les groupes de yoga et de zen se développant dans certaines confréries, la focalisation sur l’islam comme religion nature, les tentatives de proposer une diététique islamique fondé sur les idées “bio”). Bref, un “souci de soi”, dont Michel Foucault faisait l’une des marques de la modernité, est en train de naître dans le monde musulman, y compris dans la dimension du religieux.
Les syncrétistes continuent sur le terrain plus politique: le Wasat, ce groupe d’outsiders des Frères musulmans, tient quant à lui des thèses proprement néo-libérales, appelant au retrait de l’Etat et à la reprise des responsabilités de l’Etat providence (santé, éducation) par les institutions traditionnelles de la solidarité musulmane alors que au sein du ministère des biens de main-morte (waqf-s), on repense le waqf en termes “d’auto suffisance de la société civile”. Bref, l’american way of life progresse, y compris au sein des représentations de ces nouveaux opérateurs religieux qui ont tous en commun: 1) d’avoir pris leur distance avec l’islam politique 2) d’être jeunes 3) d’être issus de milieux favorisés et socialement bien intégrés. Rien de tel pour casser les élans révolutionnaires, et repenser le religieux en termes non militants. On est bien dans le yupislamisme. C’est-à-dire: un “islam globalisé” (Olivier Roy) se constitue, ou plus exactement des modes de croire vécus en relation ostensible avec le monde se mettent en place, et en leur sein des éléments de modernité s’insinuent: insistance sur les émotion, sur la dimension subjective de la foi, refus de l’idée d’un Dieu châtieur, féminisation du champ religieux (ouvertures un peu partout de sections de femmes dans les mosquées, ouverture d’une section de formation à la prédication pour femmes au sein du ministère du Waqf). Bref, sur le registre des manières de croire, on n’est pas loin du modèle des born again Christians (à tout le moins de ce qu’en dit Danièle Hervieu-Léger).
Pourtant, ce point est central, cette modernisation de l’islam vécu n’est pas véhiculée par un courant constitué. Elle s’insinue par la bande au sein de l’ensemble des forces engagés dans les dynamiques d’islamisation aujourd’hui. Elle modifie les pratiques et certaines représentations, mais ne conteste pas la “matrice salafiste” (ce que l’on appelle un peu improprement le puritanisme ou le fondamentalisme). Ce qui lui manque, c’est un discours-cadre capable de fixer une direction idéologique (réformiste, moderniste, humaniste ou autre) aux changements en cours.
C’est cela le paradoxe du changement religieux aujourd’hui: on est dans une époque de modernisation sans projet de modernité. Ainsi Amr Khâlid, par-delà tous les changements qu’il introduit dans le prêche traditionnel, reste focalisé sur la question de la pudeur, appelle au port du foulard, reste timoré sur la question de la mixité (même si ses talk-shows sont mixtes...) et intransigeant sur les fondements du dogme. Surtout, il ne pense pas la modernité, il la pratique.
L’islam humaniste, ou réformiste, existe bien (Tariq Ramadan en Occident, Gamal al-Banna en Egypte, Mohamed Charfî en Tunisie, etc.), mais – à l’exception notable de Tariq Ramadan – il reste confiné au monde académique. Et ce n’est pas seulement en raison de la censure dont peuvent faire l’objet parfois les réformistes. Cela a trait aussi au caractère de la nouvelle demande religieuse, qui n’est pas liée à une intellectualisation du croire, précisément parce que la modernité religieuse, passant par la désidéologisation du religieux, se fiche des constructions théoriques et cherche avant tout les émotions.
La Liberté - Cette dépolitisation de l'Islam que vous observez parmi ces tendances nouvelles peut-elle elle aussi laisser espérer une évolution des attitudes de la société musulmane de demain vers plus de tolérance à l'égard des dhimmis?
Patrick Haenni - Je pense que, parce qu’elle se situe dans l’ordre du “souci de soi”, elle ne concerne que très marginalement des questions d’ordre public, comme le rapport aux minorités chrétiennes et juives (là où il en reste encore, c’est-à-dire au Maroc). La dépolémisation du rapport aux minorités religieuses est, selon moi, moins liée au changement religieux en cours. Elle suppose plutôt le développement du principe de citoyenneté.
La tolérance, il faut donc la chercher dans le champ politique, pas dans le champ religieux, et là, des avancées notables ont été faites par la jeune génération d’islamistes, et en particulier chez les outsiders des courants radicaux et des Frères musulmans: tous ceux qui tentent – en vain, en raison du refus du pouvoir – d’entrer dans le champ politique de manière légaliste: Parti de la sharia, Parti de la réforme et Parti al-Wasat (le milieu, entendre la modération). Tous, à des degrés divers, reviennent drastiquement sur leurs anciennes positions, et en particulier le Wasat qui, à ce jour, tient des positions plus ouvertes à l’égard des chrétiens que le régime lui-même: dans le programme du Wasat, le droit des Coptes à la présidence est reconnu, l’un des principaux maître à penser de ce programme, Rafiq Habîb, est par ailleurs un chrétien évangélique ...
La Liberté -Ces courants nouveaux qui se développent au sein de l'intelligentsia musulmane sont-ils représentatifs d'une "masse critique" suffisamment importante parmi la population pour faire évoluer les choses au sein de l'Islam en général?
Patrick Haenni - Distinguons bien, dans le champ de l’islamisation, les intellectuels et la multitude d’opérateurs religieux, prédicateurs, militants de base et autres responsables de “salons islamiques”, qui ne sont pas porteurs d’un projet constitué. Sur le plan politique, il est clair que les positions du Wasat influencent la jeune génération des Frères musulmans et la poussent vers plus “d’ouverture”. On l’a vu avec le nouveau slogan des Frères aux dernières élections législatives, “la constitution est la solution” se substituant à “l’islam c’est la solution”. On l’a vu encore lors de l’acceptation partielle de l’idée de parti représentant les Frères, etc. Gageons que cette influence ira en augmentant à mesure que la vieille garde encore marquée par la clandestinité et l’expérience des prisons nassériennes disparaîtra.
Pour le reste, le courant des nouveaux prédicateurs a une influence énorme. Amr Khâlid est écouté partout, et surtout a construit sa popularité en l’espace de moins de trois ans. Dans ce contexte, les chaînes satellites ont joué un rôle énorme et l’ont porté jusque dans les banlieues de l’Hexagone.
La Liberté - Certains intellectuels musulmans du Caire (comme Heba Ezza Raouf) parlent d'intégrer les non-musulmans, notamment les chrétiens, à la Ummah: cela revient-il automatiquement à envisager de leur donner les mêmes droits qu'aux Musulmans?
Patrick Haenni - Permettez-moi de répondre avec une petite mise en garde. Je me méfie quelque peu de la focalisation sur la question copte. Non pas qu’elle n’existe pas et les discours sur l’unité nationale témoignent précisément bien d’un problème. Mais la marginalisation des chrétiens, si elle constitue bien un problème, il n’est pas plus dramatique que la marginalisation du Sud de l’Egypte, que l’extension des nouvelles poches de pauvreté dans les métropoles ou de la classe ouvrière et de l’accentuation sérieuse ces dernières années des lignes de l’inégalité sociale. Surtout, la sensibilisation de l’opinion publique sur la question copte a efficacement réussi, sous couvert de rhétorique d’union nationale, à mettre de côté les conflits de classe pour le moins aigus, même si peu polémiques et peu visibles.
Rassurez-vous, je n’esquive pas votre question. Il me semble que la situation des chrétiens peu s’améliorer de deux manières. Soit, la plus simple et la plus directe, en établissant un régime de citoyenneté s’étendant jusqu’au plus épineux des problèmes, le statut personnel. En effet, la conversion obligée des chrétiens désirant épouser des musulmanes ne peut engendrer que deux conséquences: soit le repli communautaire (préserver la communauté en maintenant un fort taux d’endogamie), soit l’effacement à long terme des Chrétiens (vu les enfants de couple mixtes étant par définition musulmans). L’immense polémique suscitée par le feuilleton “Le temps des roses”, censé illustrer la force de l’unité nationale en montrant le mariage heureux entre un musulman et une chrétienne est bien le signe que la question des droits des chrétiens (le droit à la présidence par exemple) est marginale face à la question du statut personnel. Il y a bien, en deuxième lieu, un problème de reconnaissance des coptes, particulièrement visible par exemple dans l’enseignement de l’histoire dans les manuels scolaires, et on peut aussi avancer la faible représentativité des coptes dans les hautes instances dirigeantes du pouvoir politique ou de l’armée. Mais encore une fois, la question est bien celle de la représentativité en général et non pas celle des coptes en particulier. Lorsque le régime n’est, dans les faits, pas un régime représentatif, la question des coptes est un des éléments d’une problématique plus large que je mentionnais tout à l’heure: la démocratie.
De l’autre côté, on peut supposer que l’amélioration du statut des coptes puisse advenir de dynamiques d’inclusion à partir d’une réforme du discours islamique sur le mode des propositions de Heba Raouf. Ces propositions sont d’ailleurs partagées par le Wasat qui va plus loin et propose bien un modèle paradoxal de sécularisation par l’islamisme. Ainsi, pour le Wasat, qui se définit comme un “parti civil à référence religieuse”, la référence reste la religion. À ceci près, et c’est fondamental, que la religion, pour eux, n’est pas un ensemble de textes sacrés, mais un référent “civilisationnel” (la civilisation islamique), renvoyant à une histoire partagée dans laquelle, évidemment, les Chrétiens sont partie prenante. Du coup, en donnant un statut historique au référent religieux, on lui ôte toute capacité de légiférer dans l’absolu.
C’est ainsi que Esâm Sultan, l’un des membres fondateurs du parti, considère que “la religion est un guide général de l’existence, mais la question des détails est du ressort de la responsabilité humaine”. En faisant basculer le référent religieux du sacré à l’histoire, on sécularise et cela permet ainsi d’inclure les coptes dans un horizon identitaire partagé à référence islamique (la umma). Pourtant, ces acrobaties rhétoriques ne résolvent pas la question du statut personnel et Abu el-Ela Mâdî, le président du parti, continue de rester sur les positions traditionnelles: pas de mariage mixte avec des femmes musulmanes sans conversion. Mais ce point est un reliquat – bien vivace - de patriarcalisme, mais pas une position religieuse indiscutée: le penseur islamique réformiste Gamâl al-Banna, le petit-frère de Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, ne voit pas de problèmes à cette mixité. Mais il est, bien entendu, complètement minoritaire. Ce que je voudrais finalement relever, c’est qu’en bout de compte, entre les positions de la jeune génération islamiste et la politique du pouvoir et de ses instances religieuses (al-Azhar), les premiers ont définitivement une bonne longueur d’avance.
La Liberté - Le "yuppislamisme" et l'adapatation au marché perçu comme nouveau cadre de l'islamisation ont mené à des comportements équivalents à ceux de l'éthique chrétienne dans sa version protestante, observez-vous: peut-on en déduire la possibilité de démarches syncrétiques avec l'état d'esprit de certains pays occidentaux, d'Europe et même... d'Amérique du Nord, dans un contexte d'acceptation de la mondialisation?
Patrick Haenni - Je pense avoir passablement répondu à cette interrogation dans la première question. Résumons: il n’y a pas de discours d’acceptation de la mondialisation. Par contre, la mondialisation, on la vit, y compris dans le champ religieux, mais pas tellement dans une logique d’emprunt, mais plutôt de “réinvention”.
Ainsi, Amr Khâlid, quand il parle de la richesse comme d’un signe d’élection divine, ne se réfère pas au protestantisme ni à Max Weber, mais à une éthique de classe, la sienne, l’aristocratie (son père est un ancien médecin de la présidence de la république, sa mère la petite fille d’un ancien premier ministre au temps du roi Farouq). Quand on appelle à repenser la prédication en termes de marketing, on vise l’efficacité du discours, non la copie d’un modèle occidental. Et idem pour les collections “management” qui se généralisent dans les maisons d’édition islamiques. Le yoga, ou le zen, quand ils s’implantent, c’est dans un quête de bien-être individuel et spirituel qu’ils sont mobilisés non par fascination pour l’Occident ou l’Asie.
Le fait qu’on ait affaire à des procédures de réinvention et non à des postures de mimétisme, explique que les syncrétismes bien réels peuvent très bien aller de paire avec un fort accent mis sur la quête identitaire, la spécificité de la culture musulmane. Ainsi, Driss Badîdi, maître de zen dans la confrérie soufie de la Bushishiya, une branche de la Qadiriyya bien installée au sein des professions libérales à Casablanca, considère que le zen est un moyen “d’approfondir ses racines arabo-musulmanes” ... C’est un classique d’ailleurs de la mondialisation de s’homologuer par le local (les pubs de Macdo en France sur le hamburger franchouillard, les propos de Marco Moreira, ex-PDG de Coca considérant que ce dernier "ne projette pas, mais reflète", etc.).
Pour saisir la portée de ces démarches syncrétiques, il ne faut pas oublier deux choses qui expliquent que même si leur progression est réelle, elle n’en demeure pas moins marginale: d’abord, elles suscitent de fortes résistances. L’éthique protestante de Amr Khâlid passe très mal dans les milieux défavorisés en Egypte, les pratiques de zen et de yoga au sein de la Bushishiyya ont suscité des réactions très vives au sein de la confrérie où les éléments conservateurs tentent autant que possible de les isoler. Les groupes de chant islamiques s’inspirant des rythmes de la pop arabe sont marginalisés au sein des mosquées où les Frères musulmans dominent à Alexandrie. Les tentatives de mettre des versets du Coran en chanson ont suscité un tollé en Indonésie, en Malaisie et au Liban. Quant aux sites d’homosexuels musulmans au Liban et aux Etats-Unis, les seuls réactions que cela suscite, c’est l’indignation et leur désignation comme apostats.
D’où ma seconde remarque sur la différence entre les syncrétismes en Occident et dans le monde musulman. En Occident, à tout le moins en Europe, ceux-ci prennent pied dans un contexte où les Eglises n’ont plus de capacité de pression légales. La sécularisation redoublée de la désinstitutionnalisation du renouveau religieux les a suffisamment marginalisées pour leur ôter toute capacité de nuisance sur les syncrétismes en cours. Du coup, le grand “bazar du bizarre”, comme le titrait il y a bien longtemps un numéro spécial du Canard enchaîné, se porte bien. Même la peur des sectes se définit moins, dans l’opinion publique, en termes religieux (en termes de déviances), qu’en termes de coûts sociaux (arnaques financières, viviers de violence, de lavages de cerveaux, etc.).
Tout au contraire, dans le monde musulman, l’émergence, depuis la seconde partie des années 1990, de dynamiques d’islamisations encadrées ni par les courants islamistes ni par les institutions religieuses officielles, ne se font pas contre les principes centraux de la vision religieuse dans laquelle les uns et les autres se reconnaissent, à savoir la “matrice salafiste” (Olivier Roy), une matrice renforcée par les possibilités légales de mener des actions contre les personnes que l’on jugerait s’écarter trop du dogme (affaire Nasr Hamid Abu Zeid, Nawal Saadawi, Hassan Hanafi) avec les conséquences parfois grave que cela eut (l'assassinat de Farag Foda en 1992, la tentative d'assassinat de Naguib Mahfouz en 1994, les menaces de mort contre Sayyed al-Qimny, etc.).
La Liberté - Dans quelle mesure le déroulement de la guerre en Irak va-t-il freiner cette modernisation de l'islam? ou n'aura-t-elle qu'un effet limité?
Patrick Haenni - Ce qui est le plus intéressant, c’est que cette modernisation de l’islam est sociologique, pas théologique, elle fait l’économie d’un Vatican II de l’Islam. Elle se déroule hors de toute tentative de réforme du dogme, et donc aussi en dehors de la sphère politique. Du coup, elle ne peut qu’être marginalement affectée par des événements aussi violents qu’ils soient, comme la question palestinienne ou la guerre en Irak. Celles-ci ont fait remonter un certain nationalisme mais dont les composantes sont autant séculières (l’arabité) que religieuses (l’islam).
De surcroît, la guerre en Irak a bien montré au monde musulman combien "l’Occident" n’est pas cette entité homogène qu’ils se représentaient, que l’administration américain n’est pas l’Europe. Ils ont vu aussi que les peuples sont souvent en désaccord avec leurs gouvernements et le manifestent de la même manière que dans le monde arabe (la différence dans la radicalité concernant d’ailleurs plus les forces de l’ordre que les foules qu’ils ont pour fonction de calmer…). Il y a bien une vision beaucoup plus politique que culturelle en train de se construire de l’Occident, et on voit bien que l’impérialisme annoncé, est bien plus celui d’une administration (américaine), que d’une civilisation (l’Occident). Et cela ne peut que contribuer à décrisper le rapport aux productions culturelles de cette dernière, à commencer par la démocratie et les droits de l’homme.
© La Liberté 2003 – Reproduit avec autorisation
Rappelons que Patrick Haenni a notamment publié sur ce site un article qui développe certains aspects de cet entretien, “Les nouveaux prêcheurs égyptiens et la modernisation paradoxale de l’islam“.