Une querelle juridique qui avait même attiré l'attention de la grande presse américaine est arrivée à son terme: l'Eglise universelle de Dieu (Worldwide Church of God) a cédé à l'un de ses groupes schismatiques, la Philadelphia Church of God, les droits de publication des ouvrages du fondateur - en échange de 3 millions de dollars.
Le cas n'est pas unique: un mouvement religieux connaît des dissidences. Les groupes qui s'en séparent veulent utiliser les écrits propres aux groupes. Mais, à l'époque actuelle, peu de livres publiés ne sont pas munis d'un copyright. La situation se corse donc, pour les dissidents, si le mouvement d'origine non seulement leur refuse le droit de publier ces ouvrages, mais les rend inaccessibles.
L'affaire qui retient ici notre attention avait une coloration très particulière: fondée par Herbert W. Armstrong (1892-1986), l'Eglise universelle de Dieu avait bel et bien hérité de celui-ci les droits de ses ouvrages. Mais, après la mort d'Armstrong, ses successeurs ont rapidement commencé à modifier la ligne doctrinale du mouvement, au point d'en arriver à renier les enseignements d'Armstrong et à adhérer en 1997 à la National Association of Evangelicals.
En une dizaine d'années, des croyances considérées auparavant comme indispensables (et dont le refus aurait entraîné l'exclusion) furent donc complètement abandonnées. Comme on pouvait s'y attendre, cela causa aussi de sérieuses tensions dans le mouvement: alors que ses effectifs s'élevaient à quelque 150.000 membres lors du décès d'Armstrong (mais son impact était plus large grâce à la diffusion du magazine gratuit, The Plain Truth, La Pure Vérité), l'Eglise universelle de Dieu donna naissance à plusieurs dizaines de schismes, dont beaucoup qui entendaient conserver tout ou partie de l'enseignement d'Armstrong. Parallèlement, le nombre de membres du groupe d'origine a connu une chute spectaculaire (il serait aujourd'hui de 67.000), de même que ses revenus (passés de 170 millions de dollars à 25 millions), selon le Pasadena Star-News (26 janvier 2003).
Ayant répudié ces doctrines (par exemple la croyance que des peuples occidentaux sont les descendants des tribus perdues d'Israël, l'observance de certaines pratiques et fêtes héritées du judaïsme biblique, etc.), l'Eglise universelle de Dieu n'entendait évidemment pas continuer à publier les livres dans lesquels ces enseignements qu'elle considérait maintenant comme hérétiques étaient développés.
Cependant, l'un des groupes dissidents, la Philadelphia Church of God, non seulement continua à diffuser ces ouvrages, mais en fit une active promotion dans des médias, sans respect du copyright. L'Eglise universelle de Dieu déposa plainte en 1997 au sujet de la diffusion du livre Le Mystère des Ages et put faire reconnaître en l'an 2000 ses droits devant les tribunaux, mais sa concurrente lança une contre-attaque qui débouchait sur de coûteuses procédures (la Philadelphia Church of God affirme avoir dépensé 5 millions de dollars).
Une solution a cependant pu être trouvée, nous a appris hier le weblog quotidien de Christianity Today: les deux groupes religieux ont conclu un arrangement afin de mettre un terme à la dispute. L'Eglise universelle de Dieu reçoit 3 millions de dollars et cède ses droits sur 19 ouvrages d'Armstrong à sa rivale. L'argument financier a manifestement joué un rôle important pour décider l'Eglise universelle de Dieu - qui connaît des difficultés en raison de la chute de ses revenus - à accepter cette solution. En outre, ses dirigeants ont aussi le sentiment que, en renonçant à la propriété des droits de reproduction de ces livres, ils marquent symboliquement une coupure définitive avec leur passé doctrinal.
"[...] nous avons reçu une somme considérable d'argent et l'autre partie a reçu une série de livres qui sont périmés et inexacts aux yeux de la plupart des chrétiens", a commenté le responsable des finances de l'Eglise universelle de Dieu (Pasadena Star-News, 26 mars 2003).
Les deux camps se déclarent donc heureux de l'issue, comme le montrent les commentaires sur leurs sites respectifs.
L'Eglise universelle de Dieu estime que la solution permet de ramener un esprit de paix et de recevoir un apport financier substantiel. Elle avait jugé "financièrement prudent" de republier 16 livres d'Armstrong accompagnés d'une préface indiquant que le contenu de ces ouvrages n'était pas correct bibliquement, mais jamais les revenus découlant de la vente de ces livres n'auraient permis d'obtenir une somme équivalente.
En outre - et cet argument mérite d'être noté - les ouvrages étaient de toute façon largement diffusés sur Internet par différentes sources: il serait devenu de plus en plus difficile de protéger le copyright.
Quant à Gerald Flurry, qui se trouve à la tête de la Philadelphia Church of God, il exulte, affirmant avoir remporté "la plus grande victoire" dans l'histoire de son mouvement. "Les écrits de M. Armstrong sont le fondement de tout ce que nous croyons." Et, du simple point de vue financier, il doute que ses rivaux aient fait une bonne affaire et affirme que le montant qu'ils ont reçu couvre à peine leurs frais de justice.
Nous n'avons fait que résumer ici l'affaire et ses aboutissements, mais elle mériterait un examen beaucoup plus attentif des arguments et contre-arguments avancés durant la controverse (dont on trouve quelques intéressants échos, certes partisans, dans un long résumé de l'affaire par le fils de Gerald Flurry): ils soulèvent la question de savoir si un groupe peut, grâce à la propriété d'un copyright, non pas propager un message en conservant son contrôle, mais - à l'encontre des desseins de l'auteur du legs - essayer d'empêcher la diffusion de ce message, alors que d'autres croyants le tiennent pour vérité révélée.
Pour une vue d'ensemble (qui exigerait cependant de permanentes mises à jour!) des nombreux schismes de l'Eglise universelle de Dieu, il existe un bon chapitre dans le livre de David V. Barrett, The New Believers: A Survey of Sects, 'Cults' and Alternative Religions, Londres, Cassell, 2001, 544 p. (chapitre 17: "Schism in a Sect: The Worldwide Church of God and Its Offshoots", pp. 479-518).