Le nombre de détenus musulmans en France n'est pas déterminé puisque les personnes emprisonnées ne sont plus tenues, depuis 1911, de décliner leur religion à leur entrée en prison. Cependant, vivre l'islam, incarcéré, n'est pas une chose aisée. Trop peu d'aumôniers de cette confession, un cadre de vie pas toujours adapté à sa pratique, une méconnaissance préjudiciable de l'islam par une certaine catégorie du personnel pénitentiaire en sont assurément les causes. Il demeure cependant que la désorganisation et le manque de cohésion dont font preuve les divers courants musulmans de France n'y sont pas étrangers.
En France, sur 185 établissements pénitentiaires et 918 aumôniers, seuls 69 sont musulmans, soit 7,5%. Ce pourcentage paraît d'autant plus faible que parmi les 25% d'étrangers incarcérés, presque 65% sont originaires d'Afrique et pour la majorité du Maghreb. Donc a priori musulmans. Sans oublier les détenus français d'origine maghrébine. Cette faible représentation cultuelle n'est pourtant pas due à un blocage de l'Administration pénitentiaire. Celle-ci n'a pas, en effet, à quantifier les besoins des communautés et il leur appartient, à chacune, de présenter des candidatures d'aumôniers. Le dernier mot revient, par contre, à l'administration qui décide ou non d' "accréditer" le représentant religieux.
Aujourd'hui, toutes les parties concernées s'accordent cependant à dire que l'aumônerie musulmane est d'une grande précarité. Le recteur de la Mosquée de Paris y voit un problème de moyens: "Notre aumônerie n'a jamais bénéficié de subsides suffisants, alors qu'il y a sans cesse des candidatures. L'aumônerie musulmane pénitentiaire est la plus pauvre des aumôneries de France." Il reproche ainsi au ministère de la Justice de ne pas accorder suffisamment d'indemnités. L'imam de Strasbourg, Chaïb Choukri, représentant des aumôniers de l'Est, va plus loin: "Il y a souvent un blocage de la part de l'Administration et du ministère de l'Intérieur qui craignent des problèmes d'intégrisme et restent très vigilants."
La manière de vivre l'islam au quotidien en prison n'est pas uniforme car chaque établissement a sa propre organisation. La prison de Longuenesse, dans le Pas-de-Calais, attend qu'une dizaine de détenus aient fait une demande pour voir un aumônier avant de transmettre la requête auprès de l'imam concerné. Les délais d'attente peuvent pour cette raison parfois être longs, ce qui explique que certains détenus musulmans fassent appel aux aumôniers des autres confessions. Quant aux offices du vendredi, ils se déroulent régulièrement dans certains établissements comme presque jamais dans d'autres. Cela dépend souvent de la disponibilité des représentants.
Mais c'est la pratique du jeûne, durant le mois sacré de Ramadan, qui est la plus problématique, suivant le type d'établissement dans lequel se trouve le détenu. Dans les maisons d'arrêt, destinées à accueillir les personnes dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à un an, le régime est strict car l'objectif est avant tout sécuritaire. Aucune distribution spéciale de plateau, par exemple, ne peut être mise en place. Les horaires de repas du soir sont fixés entre 17h30 et 18h00. A celui qui rompt le jeûne de se débrouiller pour réchauffer son plateau, ou se nourrir si la rupture intervient avant cet horaire. Par contre, dans les centres de détention et centrales, pour les longues peines, les détenus sont moins soumis à des horaires fixes, ils ont plus ou moins la possibilité de s'organiser et la liberté d'aller et venir.
La place de l'aumônier est très importante dans la prison. Outre le fait qu'il offre aux musulmans la possibilité de pratiquer leur religion, c'est en partie lui qui renvoie une image de l'islam au personnel pénitentiaire. "Le bon travail des aumôniers change le regard du personnel sur l'islam. Il faut être sérieux, ouvert et prouver que notre religion est une religion de tolérance. Parce que la religion que connaissent – ou croient connaître – la plupart d'entre eux, c'est l'islam de la télévision, de la violence, de l'extrémisme. C'est malheureux mais c'est ainsi", insiste Chaïb Choukri.
Ces dernières années, beaucoup de personnes impliquées dans des réseaux extrémistes musulmans se sont retrouvées derrière les barreaux, souvent à l'issue de procès très médiatisés. Et la méfiance envers tous s'est accrue. C'est pourquoi, beaucoup d'imams aujourd'hui espèrent pouvoir développer l'aumônerie pénitentiaire. C'est aussi une façon, avouent-ils, de contrôler les dérives extrémistes qui peuvent arriver en prison.
L'élection de représentants nationaux de la communauté musulmane est prévue en avril prochain. Mais, jusque là, il n'y avait aucune réelle organisation du culte et les limites de la cohésion de la communauté ont été mises à jour par les difficultés à trouver un consensus. Or tant qu'au niveau supérieur, rien n'aura été structuré, ils est peu probable de voir le culte musulman s'organiser en prison, et donc assurer une pratique acceptable de l'islam. "L'organisation du culte musulman en France est une nécessité criante", insiste l'imam de Strasbourg. Il est grand temps en effet pour l'aumônerie pénitentiaire musulmane de se faire une place. D'autant plus que les attentes sont réelles.
Maya Larguet
© 2003 Maya Larguet.
Cet article est reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.