Deux récents articles de la Jewish Telegraphic Agency (JTA, 4 mars 2003) évoquent des communautés de juifs qui ont été amenés à garder le secret sur leur appartenance religieuse. Mais, tandis que l'une s'est aujourd'hui ouverte - en Espagne - l'autre se referme sur elle-même - en Turquie.
Le premier article s'intéresse aux "Chuetas", c'est-à-dire aux Majorquains d'origine juive - et toujours soupçonnés par leurs voisins de l'être demeurés, ce qui explique qu'ils se marièrent entre eux jusqu'au début du 20e siècle. De fait, bien des familles conservaient certaines coutumes juives, par exemple liées au sabbat.
L'expansion coloniale à partir de la péninsule ibérique a fait que des descendants de marranos se trouvent aujourd'hui également en Amérique latine, par exemple au Brésil. Le terme de marranes lui-même est considéré par certains comme péjoratif, et ils lui préfèrent alors aujourd'hui le mot hébreu anousim ("convertis forcés"), souligne Jerome Socolovsky, auteur de l'article.
Et des descendants de familles crypto-juives redécouvrent leur identité et font parfois le pas de la conversion aux judaïsme. Ils y sont aidés par des associations comme Amishav, fondée par le rabbin Eliyahu Avichail, "qui aida à convertir les crypto-juifs aujourd'hui célèbres de Belmonte, au Portugal".
Etablie en Israël, l'association Amishav a des sympathisants dans plusieurs pays, y compris en France. Amishav est à l'origine de différentes initiatives pour retrouver les "tribus perdues" ou ouvrir à des groupes parfois très exotiques les portes du judaïsme: c'est aux efforts d'Amishav, par exemple, que l'on doit en bonne partie l'immigration en Israël des Bnei Menashe, venus de l'Inde, aux confins de la Birmanie (et considérés - ainsi que leur nom l'indique - comme des descendants de la tribu de Manassé).
Selon l'un des responsables d'Amishav, cité par la JTA, jusqu'à 20.000 personnes vivant aujourd'hui à Majorque pourraient être d'ascendance marrane. Ces chiffres sont cependant incertains - et nombre des descendants de juifs convertis n'ont pas la moindre intention de retourner au judaïsme.
Bien différente apparaît la situation des juifs de Sanliurfa, l'ancienne ville biblique d'Ur, aujourd'hui en Turquie, peuplée par 600.000 habitants, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière syrienne. Selon l'enquête de Matthew Gutman pour la JTA, une dizaine de familles juives vivraient encore à Sanliurfa et célébreraient les fêtes juives dans le secret de leurs demeures - tout en se rendant par ailleurs dans les mosquées locales.
Ce que l'on sait sur eux est cependant très incertain, et il n'est pas facile de faire la part de la rumeur, souligne l'auteur de l'article: les juifs de Sanliurfa - s'ils existent toujours - sont si soucieux de leur sécurité et donc de préserver leur anonymat qu'ils refusent tout contact avec les représentants d'organisations juives qui ont tenté d'entrer en contact avec eux au cours des dernières décennies. Et des responsables municipaux démentent l'existence de toute communauté juive dans leur ville, affirmant que la population y est entièrement musulmane.
Quelque 150 familles juives seraient demeurées à Sanliurfa au moment de l'émigration massive vers Israël après la 2e guerre mondiale. La plupart se seraient complètement assimilés, tandis que quelques-uns préserveraient clandestinement leur identité. Des processus de crypto-judaïsme se poursuivent donc en pleine époque contemporaine.