Il n'est pas très fréquent de lire des analyses détaillées de la situation religieuse au Laos. C'est donc avec intérêt que l'on découvre un article à ce sujet dans le numéro de décembre 2002 (récemment sorti des presses) de la revue britannique Religion, State & Society, publiée sous la responsabilité du Keston Institute.
L'auteur est Lev Morev, un chercheur russe (de formation soviétique) spécialiste du Laos et de la Thaïlande. Dans les années 1950, il fut le premier à enseigner la langue thaïe en Union soviétique. Son article est très bien informé, même si transparaît parfois une tendance à sympathiser avec la position gouvernementale.
Selon les résultats du recensement de 1995, rappelle Morev, les deux-tiers de la population du Laos (4,6 millions d'habitants) se déclaraient bouddhistes. Le nombre de chrétiens était de 60.000. Cependant, ce dernier chiffre ne reflète pas la réalité: une étude non publiée d'un organisme officiel laotien (1999) parvenait à une estimation de 150.000 chrétiens, soit approximativement 3% de la population.
Un bouddhisme en quête de réforme
L'héritage bouddhiste reste étroitement associé à l'affirmation de l'identité nationale laotienne: l'auteur évoque à ce propos la décision prise en 1991 de remplacer la faucille et le marteau par une stupa bouddhiste comme insigne du Parti révolutionnaire du peuple lao...
Cependant, le bouddhisme laotien présente des faiblesses, malgré des signes extérieurs de prospérité. A la fin des années 1980, le niveau de formation des moines était médiocre. Il faut rappeler que, pour beaucoup de ceux qui s'y engagent, l'état monastique ne représente qu'un statut temporaire, ce qui a pour conséquence que les trois-quarts des moines ont moins de 25 ans, selon les estimations de l'auteur. Peu nombreux sont les moines qui le restent durant plus de dix ans. Et le statut monacal n'a plus le prestige dont il jouissait autrefois.
Morev conteste que les faiblesses internes de la sangha s'expliquent par les intrusions de l'Etat, comme le pensent d'autres auteurs: il attribue plutôt cette situation aux processus de sécularisation, qui n'épargnent pas la société laotienne.
Des mesures ont été prises à partir du début des années 1990 pour remédier à cette situation. Cela s'est traduit par des efforts d'amélioration de la formation théologique (ouverture d'un institut universitaire de théologie à Vientiane ainsi que d'un établissement pour la formation des enseignants des écoles religieuses, écoles dont le nombre a augmenté). Des moines et des laïcs vont suivre une formation à l'étranger, notamment en Thaïlande. L'accent est plus fortement mis sur l'enseignement de l'éthique et de la moralité bouddhiste.
Les moines ont maintenant accès à une audience plus large: ils peuvent parler à la télévision et à la radio, se rendre dans les établissements d'éducation et les hôpitaux.
Cependant, il faudra encore du temps pour atteindre les résultats espérés: lors d'un congrès tenu en avril 1998, un haut dignitaire du bouddhisme laotien soulignait que de gros efforts de renouveau restaient nécessaires et quebeaucoup de moines étaient encore "incapables d'expliquer les croyances fondamentales du bouddhisme". Des mesures sont prises pour renforcer la discipline et sévir contre les moines qui enfreignent les règles à l'observation desquelles ils sont tenus.
Morev ne croit pas à la thèse d'une "rebouddhisation" de l'Etat laotien. Le bouddhisme n'a jamais contrôlé l'Etat. Quant à l'harmonisation entre les principes bouddhistes et le marxisme - qui reste la doctrine officielle du régime - il reste à voir comment elle se réalisera.
Une diversification du paysage religieux
Les 150.000 chrétiens se répartissent à peu près également entre catholiques et protestants. La majorité de ces derniers appartiennent à l'Eglise évangélique du Laos. Le protestantisme s'est particulièrement développé après la déclaration d'indépendance en 1954.
D'autres communautés chrétiennes sont cependant présentes aussi, à commencer par les adventistes du septième jour (depuis 1973).
Une petite surprise: la religion suivante par ordre d'importance numérique serait la Foi bahá'íe, dont l'implantation est due à l'arrivée d'un homme d'affaires iranien en 1952. Elle compterait quelque 10.000 adhérents. Plusieurs organisations commerciales financeraient ses activités.
Il y a aussi au Laos quelques milliers de musulmans - peu d'entre eux sont cependant d'origine laotienne. Il y a parmi eux des immigrants d'origine pakistanaise ou indienne qui résident de façon permanente au Laos ainsi que des musulmans d'ethnie cham qui ont fui le Cambodge.
Enfin, un nouvel acteur a pris place dans la vie religieuse laotienne depuis deux décennies: ce que Morev appelle des groupes "néo-protestants", c'est-à-dire des groupes évangéliques. Le premier groupe de ce type apparut au Laos il y a une cinquantaine d'années déjà, mais leur floraison s'est particulièrement accentuée depuis la proclamation de la liberté de religion dans le Constitution de 1991.
Il y aurait quelque 250 groupes de ce genre (le chiffre paraît très élevé et, s'il est exact, il refléterait de façon frappante le dynamisme missionnaire évangélique). Avec de manifestes sentiments de suspicion, Morev souligne que ces groupes entrent souvent dans le pays sous couvert d'aide humanitaire, pour mener ensuite en parallèle une action religieuse. Leurs activités missionnaires seraient particulièrement intenses parmi les minorités nationales qui ne sont pas d'ethnie lao (en particulier les Khmu et les Hmong). Certains des convertis suivraient ensuite une formation de ministres du culte à l'étranger, par exemple aux Philippines. Morev souligne avec réprobation qu'ils quittent souvent le pays clandestinement, sans demander d'autorisation: "Les dirigeants religieux des organisations humanitaires ne sont généralement pas très regardants sur les moyens qu'ils utilisent."
Comme dans d'autres régions du monde, l'activité missionnaire évangélique entraîne donc au Laos certaines frictions. Des avantages matériels accordés aux convertis sont dénoncés - pas seulement par le gouvernement, mais aussi par les associations bouddhistes. En même temps, l'aide humanitaire fournie est appréciée.
Mais ces groupes sont également perçus comme des facteurs d'opposition politique, d'autant plus qu'ils ont souvent converti également des réfugiés laotiens à l'étranger - et auraient manifesté, selon Morev, un intérêt particulier pour des milieux peu sympathiques à l'actuel système politique.
Certains groupes - mais l'article n'indique pas clairement avec quelles associations étrangères ils sont éventuellement liés ou s'il s'agit d'associations religieuses de formation locale - se signaleraient par une attitude radicale de non coopération avec le reste de la société, et donc de non participation (au service militaire, à des tâches d'utilité publique, etc.). Il y aurait sans doute là une étude plus attentive à mener, mais qui exigerait une enquête de terrain.
Etat et religion
Morev reconnaît que des mesures répressives ont été exercées par le gouvernement contre des groupes non officiels. Il concède qu'il a pu y avoir des excès. En même temps, il estime que le chiffre de 60 lieux de réunion fermés par les autorités indique plutôt que celles-ci choisissent de fermer les yeux sur la plus grande partie des cas. Selon les observations que Morev dit avoir faites en l'an 2000 dans deux provinces, ni les adventistes ni les bahá'ís ne se plaignaient d'atteintes à leurs activités religieuses, seuls les évangéliques faisaient état de certaines difficultés.
Cette question mérite d'autant plus l'intérêt que, aux Etats-Unis, la Commission sur la liberté religieuse internationale (un organisme à caractère semi-officiel avec statut consultatif) suggère depuis quelques années de placer le Laos dans la liste des pays suscitant des préoccupations particulières en matière de liberté religieuse. Comme Religioscope l'avait relaté, la question du Laos avait suscité en 2002 des divergences entre défenseurs américains de la liberté religieuse, certains portant un regard critique sur ce pays, tandis que d'autres estimaient que le Laos enregistrait de réels progrès.
Il y avait peu de dispositions légales au sujet des activités religieuses, mais l'Etat tend depuis quelque temps à développer des règles plus précises, qui laisseraient une certaine latitude à des décisions à l'échelon local. (Religioscope a publié en septembre 2002 une information au sujet d'un décret "Sur le contrôle et la protection des activités religieuses" ainsi que la traduction française du texte de ce décret.)
De façon générale, Morev rappelle que les relations entre Etat et communautés chrétiennes ont depuis longtemps été marquées par des tensions. Les communistes laotiens n'auraient, selon lui, jamais développé une propagande antireligieuse aussi intense que dans certains autres régimes communistes ("il est difficile de trouver des publications laotiennes contemporaines attaquant la religion en tant que telle"), mais ont toujours considéré les religions de provenance occidentale comme associées au colonialisme. En outre, comme dans d'autres pays, le fait que les centres de décision se trouvent à l'étranger suscite des préoccupations. Et l'intrusion de groupes religieux nouveaux paraît perturber les équilibres sociaux.
Morev conclut cependant que, même si les activités missionnaires de ces groupes entraînent un certain accroissement de leur nombre de fidèles, il doute beaucoup que cela conduise à une mutation profonde des rapports de forces entre religions au Laos. Il s'inquiète en revanche de conséquences pour la structure traditionnelle et le cadre d'existence de groupes ethniques minoritaires.
Source: Lev Morev, “Religion in Laos Today”, in Religion, State & Society, 30/4, déc. 2002, pp. 395-407.
Sur les problèmes de liberté religieuse au Laos, on peut lire le chapitre consacré à ce pays dans l’édition 2002 (octobre 2002) d’un rapport officiel annuel américain, l’International Religious Freedom Report:
http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/2002/13878.htm
Le rapport estime que le gouvernement laotien continue d’apporter des restrictions à la liberté religieuse. Les autorités laotiennes ont bien sûr rejeté ces accusations.
Plusieurs associations évangéliques pour la défense de la liberté religieuse, mais également des associations d’exilés laotiens publient régulièrement des informations critiques au sujet de la situation au Laos et se livrent à des activités d’information et de lobbying aux Etats-Unis, par exemple le Lao Human Rights Council, dont le siège se trouve dans le Wisconsin.