Religioscope a déjà évoqué à plusieurs reprises les tensions qui traversent la Communion anglicane et aura certainement l'occasion de revenir sur ce sujet au cours des mois à venir, qui s'annoncent plutôt turbulents. Pour l'instant, nous souhaitons simplement signaler en quelques lignes à nos lecteurs que ce sujet intéresse la parution l'an dernier d'un livre qui offre un tour d'horizon sur les différentes communautés.
Son auteur est un jeune chercheur américain, Douglas Bess, qui explique son initiative par la frustration ressentie face à l'absence de toute approche panoramique de ces courants. L'étude est limitée aux Etats-Unis (avec quelques aperçus sur le Canada en raison des liens entre les deux pays): c'est donc une première exploration, des études futures devraient prendre en compte également les aspects internationaux, à commencer par les groupes semblables dans les Iles britanniques. D'autant plus que des appuis extérieurs (de la part d'évêques asiatiques ou africains) ont aussi joué un rôle dans le développement de ces courants.
Divided We Stand: le titre du volume est bien trouvé, car le lecteur peu familier avec l'anglicanisme se trouve confronté non pas à une contestation unie, mais à une variété de groupes, chacun avec ses accents, sans parler des rivalités de personnes entre évêques, qui ont également joué un rôle dans cet éparpillement. Alors qu'il n'existait qu'une poignée de groupes il y a vingt ans, Bess en recense une trentaine aujourd'hui! Il est parfois assez difficile de s'y retrouver si l'on ne connaît pas déjà ce monde: un tableau des groupes serait un complément bienvenu à une éventuelle édition future de ce livre (sans oublier un index!).
Hors de question pour Religioscope de résumer les péripéties du Continuing Anglican Movement relatées au fil de quelque 300 pages. Un premier chapitre, intitulé "Le déclin de l'Eglise épiscopalienne", offre pour commencer un utile aperçu sur les évolutions et controverses au sein de l'Eglise épiscopalienne au cours des cinquante dernières années - non sans similitudes avec ce que l'on a pu observer dans d'autres confessions, d'ailleurs - et décrit ainsi le contexte dans lequel des groupes conservateurs ont décidé d'aller jusqu'à la rupture pour préserver ce qu'ils estimaient être l'héritage anglican.
Statistiquement, l'Eglise épiscopalienne a enregistré une véritable saignée à partir de la fin des années 1960, et pas simplement en chiffres relatifs: il y avait 3,4 millions d'épiscopaliens aux Etats-Unis en 1960, il n'y en avait plus que 1,6 millions en 1994!
Cependant, la plupart de ceux qui ont quitté les rangs épiscopaliens n'ont pas trouvé le chemin des communautés conservatrices dissidentes, contrairement aux espoirs nourris par celles-ci. En outre, il ne faut pas oublier qu'il reste des épiscopaliens conservateurs au sein même de l'Eglise épiscopalienne, qui estiment, pour différentes raisons, qu'il n'est pas légitime ou prématuré de créer des communautés séparées. Les dissidents pensaient rapidement rassembler des centaines de milliers, voire des millions de fidèles: en réalité, tous réunis, les quelque trente juridictions différentes n'en ont recueilli que quelque dizaines de milliers.
Parmi les différentes raisons qui expliquent ce semi-échec, l'auteur en identifie qui se trouvent en fait à la racine même de l'identité anglicane, puisque l'anglicanisme recouvre en son sein des perceptions assez différentes, de la Low Church de tendance nettement protestante à la High Church liturgisante et catholicisante, sans oublier la Broad Church plutôt protestante dans sa théologie, mais en même temps tolérante de la tendance catholicisante et volontiers prête à admettre des sensibilités différentes d'une paroisse à l'autre.
Cela signifie que des épiscopaliens se sont engagés dans une même démarche dissidente avec des objectifs et des projets d'Eglise qui pouvaient être très différents les uns des autres. Inévitablement, cela a entraîné rapidement des divisions ou des impossibilités de s'entendre. Comme le souligne l'auteur, tant que ces différents éléments demeuraient ensemble au sein de l'Eglise épiscopalienne, ces divergences pouvaient faire l'objet de compromis. En revanche, à partir du moment où l'on commençait à créer des communautés séparées, chacun allait inévitablement mettre l'accent sur sa vision de l'Eglise. L'on peut donc dire que les germes de la désunion parmi les continuers existaient dès l'origine. Les ambitions et rivalités entre évêques au sein des groupes nouvellement constitués n'améliorèrent rien.
Le Continuum n'a donc certainement pas mis l'Eglise épiscopalienne à genoux. Reste à voir si la poursuite des controverses dans les rangs épiscopaliens (notamment avec l'actuel sujet chaud de l'ordination des homosexuels) peut changer la donne? Un nouveau facteur pourrait être l'Anglican Mission in America (AMIA) - que Religioscope a déjà eu l'occasion de mentionner - groupe créé avec le soutien d'évêques anglicans en Asie et en Afrique pour fournir un soutien pastoral à des épiscopaliens conservateurs. Des évêques ont été consacrés pour cette tâche aux Etats-Unis, même s'ils appartiennent "techniquement" à l'Eglise anglicane du Rwanda! Ils ne se considèrent comme l'un des groupes du Continuum, puisqu'ils se trouvent liés à des évêques qui appartiennent toujours à la Communion anglicane. Les développements de l'AMIA sont prometteurs, même s'il est peu probable que le groupe devienne à ce stade un mouvement de masse. En outre, l'auteur ne pense pas que beaucoup de dissidents soient tentés de se joindre à l'AMIA, puisque cela les mettrait à nouveau théoriquement en communion avec l'ensemble de l'anglicanisme, c'est-à-dire aussi avec des Eglises qui acceptent l'ordination des femmes.
Douglas Bess, Divided We Stand: A History of the Continuing Anglican Movement, Riverside (Californie), Tractarian Press, 2002 (314 p.).