La Suisse est en effet l'un des pays qui conservent une question sur l'appartenance religieuse dans les recensements effectués tous les dix ans. Religioscope avait déjà évoqué en mars 2002 les premiers résultats rendus publics, qui révélaient la rapide progression de l'islam et de l'Eglise orthodoxe - la conséquence de mouvements migratoires.
Le 30 janvier 2002, l'Office fédéral de la statistique a publié des résultats plus détaillés, notamment la répartition canton par canton. Rappelons au passage que, en Suisse, l'organisation des relations entre Etat et religions varie d'un canton à l'autre.
En l'an 2000, la Suisse comptait une population résidente de 7.228.010 personnes. 1.495.525 personnes (20,1%) étaient de nationalité étrangère.
Première constatation: les deux principales confessions religieuses continuent de rassembler une large majorité de la population du pays. 41,8% de la population a déclaré appartenir à l'Eglise catholique romaine et 33% à l'Eglise évangélique réformée. Mais ces deux confessions subissent un recul, "non seulement en termes relatifs mais aussi en nombres absolus".
Les Eglises évangéliques libres et autres communautés protestantes (2,2%), les juifs (0,2%) et les catholiques chrétiens (nom porté en Suisse par les vieux-catholiques, séparés de Rome depuis le concile Vatican I au 19e siècle) restent stables.
A noter que la structure démographique varie sensiblement d'une communauté à l'autre: l'Eglise évangélique réformée et l'Eglise catholique chrétienne "ont [...] particulièrement vieilli". Cela est notamment attribué à la faible intégration de personnes immigrées, dont la moyenne d'âge est moins élevée. En revanche, les Eglises évangéliques libres et autres communautés protestantes "comptent une proportion sensiblement plus élevée de personnes jeunes, de familles et d'enfants". Après avoir longtemps bénéficié d'un apport d'immigrants en provenance des pays de l'Europe méridionale, l'Eglise catholique va connaître à son tour un vieillissement accéléré.
Outre les musulmans et les orthodoxes, une autre catégorie connaît une augmentation marquée: les personnes déclarant n'appartenir à aucune Eglise ou communauté religieuse (11,1% - en comparaison, cette catégorie représentait 1,1% de la population en 1970 et 7,4% en 1990). La proportion des personnes se déclarant sans appartenance "est particulièrement élevée chez les personnes âgées de 30 à 50 ans". En outre, "les hommes sont proportionnellement plus nombreux que les femmes à se dire sans appartenance religieuse".
C'est dans le canton de Bâle-Ville que l'on découvre la plus forte proportion de personnes sans confession (31%), suivi de Genève (23%) et de Neuchâtel (22%).
Il convient de prêter aussi attention à ce que les résultats du recensement nous révèlent sur les autres commautés religieuses. Rappelons tout d'abord - nous y avions déjà fait allusion dans notre note de mars 2002 - la forte progression de l'islam (311.000 adhérents, 4,3% de la population) et des Eglises orthodoxes (132.000 adhérents, 1,8% de la population). Dans les deux cas, il s'agit d'une conséquence directe de l'immigration en provenance des Balkans (Bosnie-Herzégovine, Serbie, Macédoine, Kosovo).
Les commentaires du recensement apportent une précision importante: "Pour les Albanais du Kosovo et de Macédoine, qui constituent à l'heure actuelle la communauté musulmane la plus importante de Suisse, l'appartenance linguistico-ethnique prime toutefois sur l'appartenance religieuse." Les chiffres d'un recensement ne peuvent nous livrer qu'une partie de la réalité: des enquêtes à la fois quantitatives et qualitatives plus détaillées seraient nécessaires pour savoir ce que recouvrent ces appartenances déclarées.
Même s'il existe un effet de mode favorable au bouddhisme, cela ne se traduit pas en chiffres: il n'y a que 21.305 bouddhistes en Suisse (0,3% de la population) - et, dans ce cas également, il s'agit manifestement en majorité de personnes de nationalité étrangère ou naturalisées plus que de convertis suisses.
Quant aux communautés hindouistes, elles rassemblent 27.839 fidèles (0,4%), dont 2.096 seulement de nationalité suisse.
Parmi les communautés chrétiennes minoritaires, le recensement a identifié 8.411 méthodistes, 31.780 membres de "communautés néo-piétistes et évangéliques" et 20.062 adhérents de groupes pentecôtistes.
Relevons particulièrement les chiffres concernant des communautés religieuses chrétiennes en dehors des traditions catholique et protestante: en effet, l'intérêt du recensement est de nous indiquer en même temps si les chiffres officiellement communiqués par ces communautés correspondent plus ou moins à la réalité; à cet égard, nous pouvons donc suggérer que l'intérêt de ces résultats dépasse les frontières de la Suisse, notamment pour les chercheurs spécialisés dans l'étude des religions minoritaires.
Le recensement confirme les statistiques officielles fournies par les Témoins de Jéhovah: en l'an 2000, 20.330 personnes en Suisse disaient appartenir à cette communauté. Si nous consultons les statistiques communiquées chaque année par les Témoins de Jéhovah eux-mêmes, elles tournent autour de 17.000 "proclamateurs" en Suisse ces dernières années (un "proclamateur" étant - dans le vocabulaire des Témoins de Jéhovah - un membre consacrant régulièrement un certain nombre d'heures à prêcher l'Evangile). Le chiffre légèrement plus élevé du recensement n'est pas étonnant: il y a des gens qui peuvent fréquenter régulièrement des réunions de Témoins de Jéhovah sans être proclamateurs, ou dont l'activité a faibli. Nous pouvons donc dire que le recensement confirme que les statistiques publiées annuellement par les Témoins de Jéhovah offrent un bon reflet de la réalité numérique de cette communauté: cette remarque vaut probablement à l'échelle du globe.
En revanche, les résultats pour l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours (populairement appelés "mormons") soulèvent un sérieux problème statistique - sauf éléments qui viendraient rectifier ces résultats, mais c'est peu probable, car les fonctionnaires en charge du recensement ont consacré beaucoup de soin à établir des tables d'identification très détaillées, en consultation avec plusieurs chercheurs universitaires suisses. Selon les résultats du recensement suisse de l'an 2000, les saints des derniers jours sont au nombre de 3.436 en Suisse. Or, les statistiques officielles de l'Eglise pour la fin de l'année 1999, que nous trouvons dans le 2001-2002 Church Almanac (Salt Lake City, 2000), affirment qu'il y aurait 7.043 membres en Suisse. Cela signifie donc que le nombre de "mormons" devrait être divisé par deux. S'agit-il simplement d'inactifs? L'on sait en effet que le pourcentage de fidèles en fait inactifs est assez élevé au sein de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Cela ne paraît pas certain: des membres qui resteraient attachés à la foi des saints des derniers jours se déclareraient probablement quand même membres de l'Eglise. Renoncer à affirmer son appartenance même lors d'une simple réponse à un recensement semble indiquer un éloignement nettement plus prononcé. La question soulevée est importante, car elle autorise à supposer que le nombre de membres de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours pourrait également être fortement surévalué dans d'autres pays. Cela pourrait éventuellement conduire à certains réajustements d'analyses qui insistent sur la croissance exceptionnelle du mouvement. Il y a donc sur ce point une recherche à mener.
Des chiffres également inférieurs à ceux qui sont généralement avancés pour l'Eglise adventiste du septième jour (2.809 membres selon les résultats du recensement) et l'Eglise néo-apostolique (27.781 adhérents).
Un chiffre à relever également: la Communauté des chrétiens - proche de l'anthroposophie - à laquelle Religioscope a récemment consacré deux textes, comptait 2.520 fidèles en Suisse en l'an 2000. Elle touche d'ailleurs probablement un public plus important: sans y appartenir formellement, des anthroposophes font parfois appel à elle.
Jean-François Mayer
© 2003 Religioscope