Il y a une trentaine d'années, les moines d'Esphigmenou avaient déjà fait la une de l'actualité. Le monastère était en effet devenu un haut lieu de la résistance athonite contre le dialogue œcuménique entre le Patriarcat de Constantinople et les catholiques romains, résistance qui s'était développée après la rencontre entre le patriarche Athenagoras et le pape Paul VI en 1964. Après avoir refusé de recevoir une commission d'enquête envoyée par le Patriarcat (sous la juridiction duquel est placé le Mont Athos) et d'obéir à un ordre d'éloignement frappant l'higoumème et quelques autres moines, les habitants d'Esphigmenou s'étaient retranchés dans leur monastère et avaient déployé une banderole proclamant: "L'orthodoxie ou la mort!" Le slogan continue d'y flotter depuis.
Le Patriarcat œcuménique n'avait cependant pas renoncé à mettre au pas les opposants à sa politique œcuménique. En 1992, un petit groupe de moines russes qui occupaient le skite du Prophète Elie avaient été expulsés manu militari, dans des délais très brefs, par une délégation constantinopolitaine avec l'aide de la police, puis remplacés par une autre communauté. Le petit groupe de moines russes refusait également, pour motifs de conscience, de commémorer liturgiquement le Patriarche de Constantinople. Mgr Kallistos (Ware), célèbre théologien orthodoxe britannique et évêque dans la juridiction du Patriarcat de Constantinople, avait déploré l'expulsion même et – plus encore – la manière dont elle s'était déroulée (Sobornost, 15/1, 1993, p. 34).
L'affaire d'Esphigmenou promet de faire plus de vagues. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une poignée de moines, mais de 107 personnes. En outre, ce ne sont pas des Russes, mais des Grecs. Toujours est-il qu'un ultime avertissement a été donné aux moines en novembre 2002 et que l'administration de la Sainte Montagne – comme les orthodoxes ont coutume d'appeler le Mont Athos – a distribué aux moines d'Esphigmenou dès la fin du mois de décembre 2002 des ordres d'expulsion. Leur excommunication offre la base juridique pour une telle mesure, puisqu'il est interdit à des schismatiques et des non orthodoxes de résider au Mont Athos.
Le 16 janvier 2003, l'archimandrite Methodios, higoumène d'Esphigmenou, a tenu une conférence de presse à Thessalonique. "Nous combattrons avec nos chapelets de prière", a-t-il déclaré à cette occasion, soulignant que seules des "armes spirituelles" seraient utilisées pour faire face à cette menace. Mais il a également annoncé que la communauté avait l'intention de faire appel de la décision au Conseil d'Etat, qui représente la plus haute autorité administrative en Grèce. Si c'est le cas, un intéressant débat juridico-religieux aura lieu, en raison du statut très particulier dont jouit la république monastique du Mont Athos.
Selon Spyros Payiatakis, un journaliste du quotidien grec Kathimerini (22 janvier 2003) qui est allé récemment visiter le monastère rebelle, le calme y règne et la vie s'y poursuit sans agitation apparente. Les résidents d'Esphigmenou ne retirent en revanche rien de leurs positions dans ce qu'ils considèrent comme une "bataille pour la vérité". Interrogés par ses soins, les moines dénoncent les "pouvoirs d'iniquité" qui recourent à des mesures administratives pour les contraindre à quitter leur monastère. Ils critiquent également les "laquais du Patriarche" au Mont Athos et les "charlatans spirituels qui font la cour aux visiteurs hétérodoxes de la Sainte Montagne".
Selon des informations publiées par Associated Press (17 janvier 2003), le monastère serait privé d'eau et d'électricité. L'higoumène affirme que les autorités empêchent également approvisionnement, huile de chauffage et médicaments d'atteindre le monastère.
Si les moines d'Esphigmenou finissent par être expulsés de force de leur monastère, il est probable que plusieurs tenteront de se retirer dans des skites isolés, d'autant plus que – même s'ils se montrent les plus radicaux – ils ne sont pas les seuls au Mont Athos à exprimer une hostilité envers les relations du Patriarcat avec les catholiques romains. Mais le Patriarcat et les autorités athonites sont fermement décidés à les voir complètement quitter le territoire. "Ils pourraient aller en Alaska, au Nouveau Mexique ou même en Arizona", a répondu un moine d'un autre monastère interrogé par Spyros Payiatakis.
Les sympathisants des moines et les opposants à l'œcuménisme parmi les orthodoxes de la Grèce et de la diaspora n'auront en tout cas pas été apaisés dans leurs craintes par les déclarations de Sebastian Rousos, porte-parole de l'Eglise catholique romaine en Grèce, citée dans une dépêche du Catholic News Service (17 janvier 2003). Selon lui, bien que les catholiques romains n'aient rien à voir dans cette dispute, la décision d'expulsion des moines zélotes pourrait être le signe d'une amélioration dans les relations entre orthodoxes et catholiques romains. "Le patriarche Bartholomée a montré son ouverture envers l'Eglise catholique en visitant Assise en 2002 et en maintenant des relations personnelles avec le pape, C'est pourquoi ces moines ont réagi – ils rejettent complètement tous les liens catholico-orthodoxes", a commenté le porte-parole. Depuis quelque temps, rapporte le Times (6 janvier 2003), on pouvait voir sur les murs d'Esphigmenou des banderoles proclamant: "Le pape est l'Antéchrist." (JFM)
Religioscope a en outre mis en ligne la traduction anglaise d’un important document dans lequel les moines d’Esphigmenou expliquent leurs positions: A Rejoinder to a Challenge of the Legitimacy of the Orthodox Monastic Brotherhood of the Holy Monastery of Esphigmenou
© Religioscope 2003