Les systèmes communistes ont toujours considéré les religions comme source potentielle d'opposition – pas toujours à tort, d'ailleurs, si l'on en juge par l'exemple de la Pologne. A l'occasion, ils ont également vu dans des groupes religieux des structures qu'ils pouvaient tenter d'utiliser à leur profit, comme le montrèrent les tentatives menées par l'intermédiaire d'Eglises de pays communistes dans des organismes comme le Conseil œcuménique des Eglises (COE).
Pasteur et chargé d'un enseignement à l'Université de Zurich, J. Jürgen Seidel a publié en 2002 (en allemand) le texte augmenté de la leçon inaugurale qu'il avait présentée l'année précédente. Sous le titre bien choisi Diener zweier Herren? ("Serviteurs des deux maîtres?"), il a étudié le dossier des tentatives menées à l'époque communiste par la Stasi est-allemande pour recueillir des renseignements sur des personnes ou associations religieuses (protestantes) en Suisse.
La Stasi tentait de recruter des pasteurs
Le petit volume soulève d'autres questions, bien au delà du contexte local. Pouvait-on à la fois et en bonne conscience être pasteur protestant et travailler pour la Stasi? Certains "collaborateurs inofficiels" (inoffizielle Mitarbeiter, IM) ont tenté de justifier leur activité en invoquant le souci de préserver l'Eglise et l'enseignement de la théologie dans le système communiste.
Sur 149 enseignants de théologie protestants en République démocratique allemande (RDA), 30 étaient des agents de la Stasi (p. 17). En 1988, à côté de ses 91.000 employés à plein temps, la Stasi comptait au moins 173.000 "collaborateurs inofficiels" (p. 19).
La Sous-Division XX/4 de la Stasi s'intéressait aux Eglises, religions, facultés de théologie. Dans une perspective communiste, explique Seidel, il ne s'agissait pas simplement de surveiller d'éventuelles menées hostiles, mais également d'affaiblir autant que possible les religions, supposées disparaître progressivement dans un système communiste (p. 22).
Cependant, même dans un système autoritaire, il est intéressant de constater que la plupart des ministres du culte refusèrent de collaborer avec la Stasi: le pourcentage des pasteurs qui le firent était très petit. En 1958, le pasteur Gottfried Forck – futur évêque luthérien de Berlin – déclarait clairement à un groupe d'étudiants qu'un chrétien ne pouvait pas collaborer avec la Stasi (p. 26).
Les pasteurs que la Stasi approchaient étaient invités à prendre contact avec leur évêque. Dans plus d'un cas, des récits montrent que des interventions fermes de la part de l'autorité ecclésiastique pouvaient suffire à mettre un terme aux pressions des services de renseignement est-allemands pour recruter des pasteurs (p. 27). En fait, nombre de pasteurs refusèrent sans subir pour autant des conséquences graves.
Activités à l'étranger sous couverture religieuse
Une situation de théologien se prêtait bien à des activités de la Stasi dans des pays étrangers. Particulièrement visées par des "collaborateurs inofficiels" – sur la base du cas de Zurich étudiés par Seidel – étaient les grandes organisations œcuméniques et confessionnelles (COE, Fédération luthérienne mondiale, Alliance réformée mondiale, etc.), mais aussi les facultés de théologie – et, bien sûr, les associations s'occupant de soutenir les chrétiens dans les pays communistes (p. 29).
En effet, les associations occidentales qui prenaient la défense des chrétiens persécutés dans le monde communiste étaient des sources de critiques contre le camp socialiste, dont il s'agissait de déterminer les intentions et de déjouer les plans. Il existait (et existe toujours) une telle association dans la région zurichoise, l'Institut Glaube in der 2. Welt (G2W).
C'est ainsi qu'un théologien envoyé grâce à une bourse à la Faculté de théologie protestante de Zurich fut recruté par les services est-allemands peu avant son départ, en 1975. Parmi ses missions figurait précisément l'observation de G2W, dont le siège se trouvait alors à Küsnacht, non loin de Zurich.
Il s'y rendit à plusieurs reprises, s'y fit recevoir, établit un plan des lieux, une description de chaque collaborateur et de leurs habitudes. En réalité, sans rien en montrer, les collaborateurs de G2W étaient très prudents face à de tels visiteurs venus de l'Est et s'arrangeaient pour ne leur laisser voir que ce qu'ils voulaient bien!
Les résultats de telles opérations – qui rassemblaient en fait surtout du matériel appartenant à la catégorie des sources ouvertes – ne paraissent pas très impressionnants rétrospectivement. Cependant, les archives consultées par Seidel montrent qu'ils intéressèrent non seulement la Stasi, mais également ses partenaires soviétiques (p. 47).
Nombre de "collaborateurs inofficiels" éprouvèrent des conflits de conscience et furent parfois aidés par des hommes d'Eglise à se libérer de ces liens. Certains, après la chute du système communiste, ont également tenté de prendre contact avec ceux qu'ils avaient espionnés pour leur présenter leurs excuses et invoquer les circonstances difficiles dans lesquelles ils se trouvaient alors. (JFM)
J. Jürgen Seidel, Diener zweier Herren? Theologen als ‘Inoffizielle Mitarbeiter’ (IM) des Ministeriums für Staatssicherheit (MfS) der DDR in Zürich, Zurich / Fribourg-en Brisgau, Pano Verlag, 2002 (82 p.).
Site: http://www.pano.ch
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