La face cachée de Halloween: sous ce titre, le catholique français Damien Le Guay a livré un ouvrage dont le ton est celui du pamphlet. Mais, à côté des développements polémiques, il contient aussi des éléments d'analyse sur un phénomène qui mérite en effet de retenir l'attention de ceux qui s'intéressent aux mutations du champ religieux contemporain. Ce sont ces aspects de l'ouvrage auxquels nous nous arrêterons dans ces quelques lignes.
Pour Damien le Guay, Halloween participe de l'escamotage de la nature chrétienne de certaines fêtes: après Noël (le Père Noël prend la place de Jésus), c'est donc au tour de la Toussaint. le succès de Halloween lui paraît donc représenter un indice significatif d'une étape ultime de la laïcisation de la société française. Le commerce et les médias marchent désormais de concert au service de la laïcisation. "La laïcisation de l'Etat est entrée dans sa dernière phase, la plus radicale, depuis un siècle." (p. 36) En effet, alors que la société gardait un lien – même ténu – avec la tradition chrétienne, celui-ci se rompt: la société française bascule "hors de l'orbite de la religion chrétienne".
L'auteur tend à voir dans Halloween un instrument de légitimation du paganisme (p. 152), mais en même temps, plus que comme retour à un lointain passé, Halloween apparaît comme une tradition inventée (pp. 115-116) et un "pur produit d'une modernité en quête d'un souffle nouveau" (p. 123). La laïcité, regrette l'auteur, finit par préférer n'importe quel sacré à la religion chrétienne (pp. 126-127).
L'analyse est intéressante, mais, si l'on prend Halloween comme symptôme, le raisonnement présente une faiblesse (assez typique de nombre d'auteurs français): il ne s'intéresse qu'à la France et ne prend pas du tout en considération d'autres pays européens. Or, indépendamment de la situation religieuse de ces pays, ils font tous l'expérience du déferlement de la mode d'Halloween ces dernières années.
Peut-être y a-t-il un élément que l'auteur ne prend pas adéquatement en compte pour expliquer cette évolution rapide: le rôle du cinéma et de la télévision. Nous pouvons nous demander en effet dans quelle mesure les films et séries d'origine américaine n'ont pas contribué à préparer le terrain, comme pour d'autres modes culturelles.
Cela dit, l'auteur a raison de s'interroger sur l'étonnant et rapide succès d'Halloween, puisque la déferlante se produit en moins de dix ans. Les premières traces, fort modestes, apparaissent dans certaines villes de l'est de la France en 1995. En 1997, "un certain engouement se manifeste, encouragé par France Télécom" (p. 24). C'est en 1998 que le phénomène Halloween explose. Un changement de symbolique religieuse sur la base d'une opération de marketing, au nom "de la bonne humeur, de la convialité" (p. 69), cela peut en effet laisser songeur – et mériterait à n'en pas douter une solide recherche. (JFM)
Damien Le Guay, La face cachée d’Halloween, Paris, Ed. du Cerf, 2002 (162 p.).