Comme chaque année, le Département d'Etat américain a publié au début du mois d'octobre son rapport sur la liberté religieuse dans le monde. Comme d'habitude, il suscite des réactions irritées de la part de certains pays montrés du doigt. Mais une autre controverse s'amorce sur la désignation des pays suscitant une préoccupation particulière du point de vue du respect de la liberté religieuse: les propositions faites par la Commission sur la liberté religieuse internationale suscitent des critiques venant d'un intervenant américain inattendu, Robert Seiple.
Le rapport annuel sur la liberté religieuse dans le monde que vient de publier le Département d'Etat est le quatrième. Sa parution est devenue une sorte de rituel au début de chaque automne. Et, à chaque fois, de façon tout aussi prévisible, ses assertions suscitent des critiques et réactions irritées venant toujours plus ou moins de la même liste de pays: la Chine, le Vietnam, le Myanmar et quelques autres.
A vrai dire, la lecture du résumé du rapport montre d'emblée que celui-ci n'épingle pas que des pays aux régimes autoritaires. Au contraire, dès les premiers paragraphes, l'on peut lire:
"Certains Etats démocratiques en Europe occidentale ont mis en oeuvre des politiques qui ont pour résultat de stigmatiser des religions minoritaires, [ce qui est] le résultat de leur identification indiscriminée et souvent inexacte avec des 'sectes' dangereuses. Ces pratiques sont particulièrement troublantes en ce que des pays qui s'efforcent d'aller vers la démocratie ainsi que certains Etats non démocratiques adoptent des lois et politiques 'anti-sectes' qui se fondent en partie sur celles de l'Europe occidentale. Dans des Etats non démocratiques, auxquels manque une tradition d'attachement aux droits de l'homme et aux règles légales, des lois 'anti-sectes' pourraient aisément être mises en application selon des modalités qui auraient pour conséquence la persécution de croyants." (Trad. par Religioscope)
En dehors de la question des "sectes" (surtout en France, mais également en Belgique et en Allemagne - dans ce dernier pays, la Scientologie), ce sont bien sûr avant tout des Etats non occidentaux qui suscitent les principales préoccupations américaines. "La liberté religieuse n'existe pas en Arabie saoudite", explique ainsi le rapport. Plusieurs autres pays sont classés dans les catégories hostiles soit à la religion en général (des pays communistes), soit aux religions non officielles (des pays musulmans ou post-communistes). En ce qui concerne les "améliorations notables" au cours de l'année écoulée, le rapport ne mentionne qu'un seul pays: l'Afghanistan post-taliban.
Le rapport annuel sur la liberté religieuse dans le monde n'est pas un exercice dont il faut négliger l'importance: la question de la liberté religieuse est devenue de plus en plus l'un des instruments de la politique internationale des Etats-Unis, dans leur rôle de seule superpuissance mondiale. L'influence d'un actif lobby parlementaire évangélique n'y est pas étrangère.
Outre le rapport annuel, un autre élément important est la désignation des pays suscitant des préoccupations particulières en matière de liberté religieuse (countries of particular concern), en application de l'International Religious Freedom Act (IRFA) de 1998. Cette liste contient actuellement la Birmanie, la Chine, l'Iran, l'Irak, le Soudan et la Corée du Nord.
La Commission sur la liberté religieuse internationale (U.S. Commission on International Religious Freedom, USCIRF), un organe fédéral semi-officiel (il s'agit d'une commission indépendante à caractère consultatif, qui n'est pas subordonnée au Département d'Etat et n'est donc pas la rédactrice du rapport), a recommandé le 30 septembre 2002 (avant la publication du rapport) que le Secrétaire d'Etat désigne douze pays dans la liste de ceux suscitant des préoccupations particulière: outre ceux qui y figurent déjà, la Commission demande depuis des années qu'y soient ajoutés l'Arabie saoudite, le Turkmenistan et le Laos. Cette année, elle voudrait en outre inclure dans la liste l'Inde, le Pakistan et le Vietnam.
La question est évidemment délicate lorsqu'il s'agit de pays alliés des Etats-Unis: ainsi, la désignation de l'Arabie saoudite n'améliorerait pas des relations qui souffrent déjà de certains accrocs depuis l'an dernier. Il n'est pas exclu qu'elle finisse cependant par se retrouver sur la liste dans les années à venir, dans le cadre des transformations que les Etats-Unis aimeraient maintenant voir se produire dans la péninsule arabique.
Mais une réaction inattendue est venue contester la proposition de désignation d'un petit pays rarement à la une de l'actualité: le Laos. Nul ne s'étonnera que le gouvernement laotien ait critiqué le rapport 2002 - qui parle de la poursuite de restrictions religieuses en dépit d'améliorations limitées. En revanche, la proposition de l'USCIRF de placer le Laos sur la liste des pays suscitant des préoccupations particulières a suscité l'irritation de Robert Seiple.
L'évangélique américain Robert Seiple est une figure connue dans la domaine de la liberté religieuse; président de l'organisation humanitaire chrétienne World Vision de 1987 à 1998, il avait ensuite exercé - durant deux ans - la fonction de premier ambassador-at-large du Département d'Etat pour les questions de liberté religieuse internationale. Il a ensuite fondé et dirige actuellement l'Institute for Global Engagement, un think tank qui se préoccupe de créer des "environnements durables" pour la liberté religieuse dans le monde.
Dans un texte énergique du 11 octobre 2002, intitulé "Cursing the Darkness" [ce texte n'est plus disponible à l'adresse de cet hyperlien et semble avoir disparu du site - 24.08.2016], Seiple considère la mesure proposée à l'encontre du Laos par l'USCIRF comme "injustifiable": à ses yeux, c'est une approche contre-productive, mettant l'accent sur "la punition de la persécution religieuse plutôt que sur la promotion de la libetré religieuse".
Selon lui, c'est le révélateur plus large d'une tension entre le Département d'Etat et l'USCIRF, conçue délibérément par les instigateurs de la législation de 1998 pour exercer une pression sur les diplomates, jugées trop mous dans leur approche, ce qui entraîne deux approches complètement différentes et crée une situation de confusion.
Dans le cas particulier du Laos, Seiple estime que l'USCIRF ne prête pas attention à des améliorations réelles qui ont suivi les discussions avec une délégation laotienne de haut niveau venue en visite aux Etats-Unis l'été dernier, et avec laquelle la question de la liberté religieuse a été largement discutée. Seiple va jusqu'à suggérer qu'il vaudrait mieux supprimer l'USCIRF.
Cette controverse présente notamment l'intérêt de montrer que, si la liberté religieuse devient de plus un thème intégré dans la politique étrangère des Etats-Unis, il y a depuis des années plusieurs approches en compétition et que, également dans le milieu évangélique, les choix tactiques pour défendre la liberté religieuse ne sont pas monolithiques.
Jean-François Mayer
Pour accéder aux rapports 2001 et 2002:
http://www.state.gov/g/drl/rls/irf/
(pour consulter les chapitres sur les différents pays, cliquer sur le continent désiré: la liste des pays apparaît alors)
Le 7 novembre 2002, le site du magazine Christianity Today a mis en ligne une réponse de l'USCIRF à Robert Seiple:
http://www.christianitytoday.com/ct/2002/143/41.0.html