En quelques années, l'impact d'Internet s'est fait sentir dans tous les secteurs de notre vie. La religion n'y échappe pas. Les Eglises traditionnelles et les mouvements religieux nouveaux sont quasiment tous présents sur le Web. Ils y voient un nouveau mode de présence dans le monde, un nouveau moyen de faire connaître leurs convictions. Certaines analyses postulent également que le réseau Internet deviendra pour un nombre toujours croissant de gens une source d'information prioritaire, également dans le domaine religieux. Mais verrons-nous également naître des Eglises virtuelles? Des Eglises sans bâtiment, sans lieu de rassemblement physique, mais dont les fidèles se retrouveront dans le cyberespace?
Au fil des progrès techniques, ce n'est pas exclu. De plus, à côté de nombreux sites de groupes religieux qui ont une activité communautaire de type classique, il existe déjà quelques groupes religieux dont la présence est purement virtuelle - certains sont certes des parodies, et il n'est pas toujours facile de s'en faire une idée au premier abord, mais il existe bel et bien aussi des Eglises virtuelles créées par des gens qui y croient.
En 1997, le Révérend David Ford, qui habite dans le Sud des Etats-Unis, en Georgie, a créé la First International Church of the Web (FICOTW). L'homme reconnaît qu'il n'avait guère de compétences informatiques, mais il a subitement eu l'inspiration, nous a-t-il confié (bien entendu par la voie d'un e-mail, en septembre 2002), qu'il existait là un nouveau terrain pour la prédication de l'Evangile. Remarquons au passage que Brother Dave (comme il aime être appelé) participe par ailleurs au culte dominical d'une communauté dans sa ville et s'occupe en outre d'un ministère pour l'aide au sans-abri. Il ne s'agit donc pas d'un personnage purement virtuel!
Plusieurs traits rapprochent la FICOTW de ces mail order churches (Eglises par correspondance) qui existent aux Etats-Unis (et qui sont parfois des affaires financières: ventes de diplômes d'ordination, etc.): "faites-vous ordonner pasteur en trois minutes seulement", proclame la célèbre Universal Life Church!
L'ordination (virtuelle) de la FICOTW est gratuite; ce n'est que pour obtenir un beau diplôme imprimé ou d'autres objets du même genre qu'il faut payer - et des sommes qui ne sont d'ailleurs pas exorbitantes. En outre, on a l'impressiôn qu'un certain nombre de gens qui se tournent vers la FICOTW semblent avoir des motivations plutôt sincères et désintéressées, si l'on lit leurs témoignages.
Il faut dire que Brother Dave fait bien les choses. Non seulement il ordonne tous ceux qui se sentent appelés à exercer un ministère, mais il leur offre des conseils, par exemple toutes les étapes à suivre pour créer une Eglise virtuelle (à commencer par son nom!) ou comment préparer son premier sermon.
Le site de la FICOTW ignore les derniers développements de la technologie, et on voit que son auteur n'a pas fait appelà un Web designer professionnel. Le visiteur, habitué à des pages plus modernes, risque souvent de continuer son surf ailleurs. Mais, comme le souligne David Ford dans ses réponses à nos questions, le succès ne saurait se mesurer simplement au nombre d'adhérents: "Tout ministère qui conduit ne serait-ce qu'une seule personne au Christ est un ministère réussi."
Pour l'observateur, la question est surtout de savoir si l'on peut parler de communauté religieuse. Après tout, il n'y a guère d'activités communautaires, la FICOTW - contrairement à certains autres groupes - n'offre même pas de culte en ligne. Ne s'agit-il pas plutôt d'une addition d'individus en contact avec le responsable de la page sur une base individuelle? Laissons Brother Dave nous expliquer comment il conçoit lui-même son activité et ses résultats:
"Nous avons une véritable congrégation, et beaucoup de membres communiquent les uns avec les autres […] par e-mail. […] Je sais que nous avons beaucoup de membres qui sont handicapés et ne peuvent pas visiter une église classique pour se retrouver en communauté, et ils apprécient vraiment la possibilité d'être en communion avec nos autres membres à travers le Web. Nous avons aussi des membres [qui se trouvent] dans des zones rurales, où ils n'ont pas accès à des églises classiques, ou qui sont retenus chez eux pour d'autres raisons, ou encore des membres dans des pays musulmans, où ils ne peuvent pas pratiquer ouvertement leur foi chrétienne. Pour tous ces membres, et pour nos autres membres aussi, notre type d'église est une bénédiction. C'est pourquoi, oui, j'ai le sentiment d'avoir établi une véritable congrégation virtuelle."
Rien ne nous permet de contrôler ces résultats ou de mesurer le succès de la FICOTW. Quel que soit l'avenir de celle-ci, elle est un premier signe de développements auxquels nous assisterons sur le Web: sans doute sous des formes plus perfectionnées, nous verrons probablement apparaître des Eglises virtuelles.
La grande question restera pourtant de savoir si elles parviendront à créer des communautés virtuelles qui en arriveront à jouer pleinement le rôle de substitut de communautés physiques ou si - comme y appellent les Eglises traditionnelles - la présence sur le Web restera généralement un premier pas vers la participation aux cultes de communautés "physiques".
Jean-François Mayer
A propos de la série d'entretiens radiophoniques (en coopération entre Espace 2 et Religioscope) dans le cadre de laquelle cet article a été préparé, lire notre introduction.