Depuis quelque temps, l'Arabie saoudite se trouve souvent à la une des médias. Une récente enquête d'un institut de Harvard montre comment les autorités de ce pays s'efforcent d'exercer un filtrage de l'accès à Internet. Cela a bien sûr également des conséquences pour des sites religieux.
Religioscope - 15 août 2002 - Selon une résolution du Conseil des ministres de l'Arabie saoudite du 12 février 2001, tous les utilisateurs d'Internet dans le Royaume doivent s'abstenir de publier ou d'accéder à des données qui soient contraires à l'Etat ou à son système, qui portent atteinte à la dignité de chefs ou représentants d'Etats étrangers, qui propagent des idées subversives - mais aussi "qui violent la sainteté de l'islam et sa shari'ah".
L'accès au réseau Internet en Arabie saoudite est contrôlé par Internet Services Unit (ISU). Ce service déclare ouvertement que l'une de ses fonctions est de préserver "nos valeurs islamiques". Dans cette perspective, l'une de ses tâches avouées est de filtrer Internet afin d'empêcher la diffusion de matériel "en contradiction avec nos croyances ou qui puisse influencer notre culture". Le site d'ISU fournit d'intéressantes précisions sur les principes et techniques de filtrage [la page http://www.isu.net.sa/saudi-internet/content-filtering.htm n'est plus accessible - 24.08.2016]; à noter que les utilisateurs peuvent proposer de bloquer ou débloquer certains sites. (L'ISU recevrait des utilisateurs environ 500 suggestions quotidiennes de blocage de sites ayant échappé à sa vigilance, selon son directeur, dont la moitié environ font alors l'objet d'une décision de blocage.)
Aucune liste des sites interdits n'étant disponibles, deux chercheurs de Harvard, Jonathan Zittrain et Benjamin Edelman, se sont livrés à une enquête dont ils ont récemment rendus publics les résultats. Ils ont utilisé pour leur étude une technique empirique, en tentant de visiter plus de 60.000 pages à travers des serveurs saoudiens. 2.000 pages environ étaient bloquées, selon leurs observations. Mais cela ne représente probablement que la pointe émergée de l'iceberg.
Ces pages interdites relèvent d'une vaste palette de sujets. L'étude s'est particulièrement intéressée aux pages n'ayant pas un contenu sexuel, dont l'interdiction est automatique, tandis que les autres types de pages inaccessibles relèvent en principe - selon les lignes directrices de l'ISU - d'une décision politique. Parmi ces pages, on en découvre par exemple 246 indexées par Yahoo dans la catégorie "religion". Ce n'est pas toujours l'ensemble d'un site qui se trouve interdit d'accès, mais parfois seulement certaines de ses sections.
Les auteurs de l'étude ont ainsi observé que de larges portions du site des Ontario Consultants on Religious Tolerance étaient inaccessibles. De façon prévisible, un site chrétien tel que Answering Islam se trouve également bloqué. Certains sites musulmans n'y échappent pas. Ainsi, remarque le site de Christianity Today (7 août 2002), Islamic Awareness, qui s'efforce de répliquer au prosélytisme chrétien, se retrouve également sur la liste des sites inaccessibles, "probablement parce qu'ils nous citent trop", suggère un missionnaire évangélique. Plus surprenante est la mesure frappant des sites de paroisses américaines, comme celui d'une église luthérienne de Fort Worth (Texas), qui ne fournit guère plus que son adresse et les horaires des offices religieux.
Les auteurs de l'étude font remarquer qu'une partie des interdictions peut découler de l'usage automatisé de logiciels de filtrage, avec leurs imperfections. Et, non sans une certaine ironie, ces logiciels sont entre autres fournis par des sociétés américaines spécialisées dans les techniques de filtrage, révélait le New York Times le 19 novembre 2001.
Selon l'étude de Harvard, le filtrage peut bien entendu être contourné par des personnes familières avec les aspects techniques, mais elles sont en revanche sans doute efficaces pour contrôler l'accès de la grande majorité des utilisateurs saoudiens au réseau mondial.
Jean-François Mayer
L’étude de Jonathan Zittrain and Benjamin Edelman est accessible dans son intégralité sur le site du Berkman Center for Internet & Society de la Harvard Law School:
http://cyber.law.harvard.edu/filtering/saudiarabia/