Lors de la dernière session du Saint Synode de l'Eglise orthodoxe russe, le 17 juillet 2002, la décision a été annoncée de transformer la délégation permanente du Patriarcat de Moscou auprès de l'Union européenne en représentation du Patriarcat auprès des organisations internationales européennes, avec siège à Bruxelles. L'évêque Hilarion a été nommé à la tête de cette représentation, avec le titre d'évêque de Podolsk, un vicariat dans le diocèse de Moscou.
Or, l'évêque Hilarion avait été envoyé il y a quelques mois seulement en Grande-Bretagne pour assister le métropolite Antoine de Souroge, en remplacement de l'archevêque Anatole (maintenant rétabli dans ses fonctions le 17 juillet par le Synode). Derrière ce très rapide transfert, un conflit qui a agité un diocèse et révèle des tensions potentielles plus profondes entre Eglises orthodoxes de la "diaspora" et "Eglises-mères". Avec l'aimable autorisation du Service orthodoxe de presse, nous reproduisons ci-dessous le récit de cette affaire, publié dans le N° 270 (juillet-août 2002).(Religioscope)
Service orthodoxe de presse - juillet 2002 - Le métropolite Antoine de Souroge, qui dirige le diocèse du patriarcat de Moscou en Grande-Bretagne et en Irlande a annoncé, le 16 juin dernier, que son deuxième auxiliaire, l'évêque Hilarion (Alféïév), un jeune théologien russe de 36 ans arrivé en Grande-Bretagne il ya moins de quatre mois, avait accepté de présenter sa démission, compte tenu des graves tensions apparues entre lui et une grande partie des membres du clergé et des paroisses du diocèse.
Il a souligné que l'évêque Hilarion n'avait pas su s'adapter au contexte ecclésial et pastoral local et agissait "de manière contraire à l'esprit et à la pratique du diocèse". Ces agissements allaient dans le sens d'une reprise en main du diocèse par le département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, estime-t-on généralement à Londres, en se fondant sur les déclarations et les actes de ce même département ces dernières années, notamment lors de la visite à Londres de son responsable, le métropolite Cyrille de Smolensk, le 28 novembre 2001, lequel avait insisté sur la nécessité de concentrer le travail pastoral sur les citoyens russes récemment installés en Grande-Bretagne, alors que le métropolite Antoine veut voir dans son diocèse, non pas une entité religieuse nationale exclusivement russe, mais le ferment, avec d'autres juridictions en Grande-Bretagne, de "la vraie Église locale".
L'assemblée diocésaine clérico-Iaïque réunie le 29 juin, à Londres, n'a fait que confirmer la situation. Le sort de l'évêque Hilarion y a été réexaminé en présence de ce dernier, lequel s'est présenté comme victime d'une cabale menée par les éléments occidentaux au sein du diocèse. Il a déclaré ne pas avoir à donner sa démission, affirmant que seul le saint-synode de l'Église russe, qui l'avait nommé, pouvait le rappeler. Tirant les conclusions de cette situation, le métropolite Antoine a pour sa part déclaré à l'assemblée:
"L'homme qui est venu n'est pas celui que j'ai connu ou que j'attendais. S'il reste, il détruira ce que j'ai fait pendant cinquante ans. C'est soit lui, soit moi."
Dans une déclaration, dont il devait personnellement donner lecture, au nom de son conseil diocésain, à l'issue de la liturgie eucharistique qu'il présidait, le 16 juin, dans la cathédrale de Tous-les-Saints, située à Ennismore Gardens, dans le centre de Londres, le métropolite Antoine avait exprimé la "considérable inquiétude apparue dans le diocèse à la suite de la nomination de l'évêque Hilarion par le saint-synode du patriarcat de Moscou comme deuxième évêque auxiliaire".
Le métropolite a révélé avoir demandé, l'année dernière, que le père Hilarion (Alféïév), qui n'était alors que prêtre, soit affecté à son diocèse, parce qu'après deux ans d'études à Oxford celui-ci semblait bien connaître le diocèse et en partager "l'esprit et la culture". En guise de réponse, il avait reçu du métropolite Cyrille de Smolensk une lettre l'informant que le père Hilarion viendrait à Londres "non pas comme simple prêtre, mais comme évêque", en remplacement de l'archevêque Anatole (Kouznetsov), l'un des deux auxiliaires du métropolite Antoine, qui serait mis à la retraite, officiellement pour raisons de santé, ce qui fut fait. Il avait également eu ensuite confirmation formelle du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou que l'évêque Hilarion était de facto son "successeur" désigné.
Dès son arrivée en mars, l'évêque Hilarion a entrepris une série de visites pastorales à travers le pays, en donnant la préférence aux contacts avec les fidèles récemment venus de Russie, au point que ceux-ci ont pu "croire qu'il était 'leur' évêque, chargé de défendre 'leurs' intérêts" et ainsi favoriser "l'émergence d'un diocèse purement russe dans sa composition ethnique", a affirmé la métropolite Antoine, qui a fait également état d'actes contraires aux normes canoniques: ouverture de nouvelles communautés sans l'accord de l'évêque diocésain, critique publique du mode de fonctionnement du diocèse, contestation de la validité des statuts diocésains. "II n'y a eu aucun effort de sa part pour comprendre l'éthos, l'esprit et la vie de notre diocèse, pas plus que sa signification pour la vie de l'Église orthodoxe en Europe occidentale", a souligné le métropolite Antoine, avant d'en venir à la conclusion qu'il était préférable que l'évêque Hilarion "retourne à Moscou, où il pourra faire bénéficier [l'Église] de ses grands et multiples talents de manière plus utile". Et d'indiquer que "l'évêque Hilarion [avait] accepté de présenter sa démission au patriarche et de demander une nouvelle affectation".
Au-delà de la personnalité et de l'attitude de l'évêque Hilarion, a poursuivi le métropolite Antoine, cette situation traduit l'"écart de plus en plus profond entre la foi telle que nous la confessons et la vivons ici, en Europe occidentale, et l'expérience d'une Église [de Russie] qui, ayant été terriblement marquée par l'épreuve cruelle de 70 ans de communisme, cherche aujourd'hui à retrouver son identité nationale et semble vouloir insister sur une autorité hiérarchique pyramidale au détriment de la conciliarité".
Déjà le 19 mai, dans une première déclaration, lue à la fin de l'assemblée générale annuelle de la cathédrale de Tous-les-Saints, le métropolite Antoine avait fait état des "tensions réelles et désagréables", causées par les actions de l'évêque Hilarion. Le métropolite Antoine soulignait alors que l'une des "particularités" de son diocèse tient au fait que les membres du clergé, à commencer par l'évêque, "se considèrent comme des serviteurs du peuple de Dieu". À l'instar de nombreux responsables du patriarcat de Moscou aujourd'hui, l'évêque Hilarion "emploie toujours dans ses discours le mot 'règlement', et jamais le mot 'service' [...], alors que l'éthos de notre diocèse passe par un esprit de 'service' de la part des clercs et de 'fraternité' de la part des laïcs, et ne se résume pas à une structure hiérarchique", ajoutait-il.
L'évêque Hilarion a été nommé, en décembre 2001, évêque auxiliaire du diocèse de Souroge par le Saint Synode de l'Église orthodoxe russe et ordonné, le 14 janvier 2002, à Moscou, après avoir été, pendant plusieurs années, responsable des relations entre chrétiens au département des relations extérieures du patriarcat de Moscou.
Dans une longue intervention lors d'une réunion du clergé du diocèse de Souroge, le 25 mai, à Londres, et dont on a refusé de communiquer le texte au Service orthodoxe de presse, il a contesté la version des faits donnée par le métropolite Antoine, tout en décrivant son projet d'avenir pour le diocèse dans des termes qui, selon des témoins, traduisent une conception singulière de la vie ecclésiale, puisqu'il adresse des offres de carrière aux membres du clergé, se faisant fort de leur trouver des "sponsors" pour "les entretenir" ou encore de leur obtenir auprès des autorités synodales des distinctions ecclésiastiques.
Par ailleurs, l'attitude de l'évêque Hilarion suscite désarroi et consternation chez plusieurs personnes qui !'ont bien connu, en Russie notamment, et qui n'auraient "jamais pu imaginer un tel 'retournement'", ont-elles confié au Service orthodoxe de presse, affirmant ne pas comprendre comment ce jeune théologien, qui se déclarait autrefois si proche de la vision ecclésiale et spirituelle du métropolite Antoine, avait pu agir, ces quatre derniers mois, en totale contradiction avec tout ce qu'il avait écrit et fait précédemment.
Selon les statistiques disponibles les plus récentes, l'Église orthodoxe compterait en GrandeBretagne 280.000 fidèles (chiffres pour 1992) et connaît une progression importante depuis ces dernières années, même si sur le plan institutionnel elle reste divisée en plusieurs juridictions, dont la plus importante, du point de vue numérique, est l'archidiocèse du Patriarcat œcuménique, suivi par le diocèse du patriarcat de Moscou.
Fondé en 1962, ce diocèse est extrêmement dynamique grâce à l'action du métropolite Antoine (Bloom), qui exerce son ministère pastoral en Grande-Bretagne depuis 53 ans, d'abord comme prêtre, puis comme évêque. Ancien médecin, prédicateur apprécié, connu pour son remarquable travail pastoral, le métl!'auteur de nombreux ouvrages de spiritualité parus en anglais, en russe et en français. Le diocèse compte aujourd'hui une dizaine de paroisses et plus de douze communautés en Grande-Bretagne ainsi qu'une paroisse en Irlande. En plus du métropolite Antoine et de son premier auxiliaire, l'évêque Basile (Osborne) qui réside à Oxford, le clergé comprend vingt-trois prêtres et huit diacres. Il publie un bulletin mensuel en anglais et en russe, Cathedral Newsletter, et une revue trimestrielle en anglais, Sourozh.
Cet article a été originellement publié par le SOP (Service orthodoxe de presse), N° 270, juillet-août 2002, pp. 7-9. Reproduit avec l'aimable autorisation de la rédaction du SOP (14 rue Victor Hugo, 92400 Courbevoie, France). Le SOP informe ses lecteurs sur la vie de l'Eglise orthodoxe en France et dans le monde, et fournit une réflexion sur l'actualité.
[Le SOP n'existe plus - 27.08.2016]