La présence massive de sites chrétiens sur le Web dans le monde anglophone a souvent été relevée. Mais les chrétiens d'autres langues sont également de plus en plus présents dans le cyberespace. De premières Assises de l'Internet chrétien francophone ont eu lieu à Paris le 8 juin 2002. Constat: ce sont en général encore des passionnés, en grande majorité des bénévoles, qui se trouvent derrière ces sites. Mais ici et là, une professionnalisation se fait jour.
Une invitation avait été lancée à quelque 500 animateurs de sites chrétiens de langue français, à l'initiative d'Eklesia.net [ce site n'existe plus - 29.08.2016], en collaboration avec Témoins et Croire (site lancé par le groupe catholique Bayard Presse). Une petite cinquantaine de personnes se sont retrouvées à Paris, au Centre Sèvres, le samedi 8 juin 2002 pour les Assises de l'Internet chrétien.
Des participants ne cachaient pas leur plaisir de pouvoir mettre des visages sur les noms de différents protagonistes des activités chrétiennes sur Internet en France. Les personnes présentes étaient pour la plus grande partie françaises et, par conséquent, en forte majorité catholiques, même si l'on notait la présence de quelques protestants. L'approche est cependant réolument œcuménique, et il n'est pas impossible que les liens tissés sur le Web - à travers les expériences partagées et une passion commune - y contribuent.
D'initiatives individuelles...
Nombre de sites sont partis d'initiatives personnelles. Un "jeune retraité", Philippe Lestang, a ainsi mis sur pied "un répertoire encyclopédique chrétien constitué d'un vaste ensemble de liens vers des documents figurant sur le web francophone" - présentation délibérément austère, le but est la clarté et la rapidité d'accès à un contenu établi à la suite d'un véritable travail de bénédictin du cyberespace!
Même les responsables des sites de plus d'un diocèse français se révèlent être des bénévoles, qui y consacrent une partie de leur temps libre.
... à des efforts diocésains
Mais on assiste aussi à un début de professionnalisation. Ainsi, le diocèse de Versailles avait un site qui n'était pas mis à jour. L'évêque décida d'investir les moyens nécessaires pour créer un site digne de ce nom. Public cible: les habitants des Yvelines. "Dans le cadre de sa pastorale de communication, le Web est considéré depuis par le diocèse comme un média à part entière", se réjouit Jean-Marie Moulet, l'un des membres de l'équipe Internet du diocèse de Versailles. "Equipe": le mot est important, car ce fonctionnement garantit une pérennité, même si l'un des animateurs vient à manquer. Afin d'assurer le suivi du travail, une personne semi-permanente a en outre été nommée.
Le comité de rédaction se réunit deux fois par trimestre, avec participation du vicaire général. Chaque rubrique est considérée comme un "mini-site" bénéficiant d'une certaine autonomie, même si tout est contrôlé par le responsable des communications avant d'être mis en ligne.
Le site se signale aussi par le souci d'un rafraîchissement permanent, clé de toute fréquentation régulière: parmi les éléments d'actualité, l'un au moins doit dater de moins de huit jours. Selon les constatations des animateurs, les visiteurs du site sont avant tout à la recherche d'informations pratiques: "comment faire pour baptiser mes enfants?" ou autres questions du même ordre.
Le diocèse de Versailles, indique Jean-Marie Moulet, serait "l'un des plus actifs sur le Toile en France". Au mois de février, on y dénombrait une trentaine de sites liés à l'Eglise catholique romaine, pour la plupart des sites paroissiaux.
C'est dans ce même diocèse qu'a aussi vu le jour un beau site d'évangélisation pour enfants, la Maison Arc-en-ciel, destiné aux moins de 12 ans, qui s'efforce de sensibiliser ceux-ci à la foi et à la vie chrétiennes en intégrant celles-ci dans le cadre de la vie quotidienne - et en suivant sur le site le rythme des saisons, aussi bien climatiques que liturgiques. C'est un décor bien ancré dans le réel qui s'ouvre sur l'écran, même si l'ordinateur permet quelques fantaisies oniriques qui séduiront les jeunes visiteurs.
La métaphore du cyberespace est exploitée pleinement: le site est une maison. "Nous avons voulu créer un univers: l'enfant doit avoir le sentiment d'arriver quelque part, pas sur une page", expliquent les animatrices du site. Le site est conçu pour inciter à la découverte, mais aussi à l'interactivité. Le visiteur est acteur, et les textes peu abondants afin de ne pas le décourager. En même temps, le site est marqué par une volonté de ne pas galvauder les mystères chrétiens à travers la facilité qu'offrirait un clic simplement ludique.
Cybercuré et pastorale sur Internet
Comme l'observent tous ceux qui s'intéressent aux usages d'Internet par les Eglises, ce média ouvre de nouvelles possibilités pour l'écoute et le conseil pastoral, grâce au caractère à la fois anonyme et informel de ce contexte moderne d'échange. Les participants aux Assises en ont eu un extraordinaire exemple en écoutant le témoignage d'un "cybercuré". Non pas un jeune clerc féru d'informatique, mais un prêtre âgé du diocèse de Nanterre qui, à côté d'un ministère paroissial, a souhaité s'engager "dans un ministère […] auprès des gens qui sont 'au seuil de l'Eglise'". Il s'agit donc d'une tentative de pastorale paroissiale s'adressant particulièrement aux chrétiens non pratiquants - c'est-à-dire à la majorité, souligne le Père Raymond d'Izarny, animateur de ce site à la présentation très simple.
"Le Cybercuré" - c'est le nom du site - se trouve placé sous l'autorité pastorale du Service diocésain de la communication du diocèse de Nanterre. Le souci du site est de répondre… aux questions que les gens se posent. La remarque paraît banale, mais le P. Raymond d'Izarny avoue que cela lui a demandé une véritable "conversion mentale": au lieu de partir de l'enseignement que l'on souhaite donner, se placer dans la perspective de l'interlocuteur et aller à la rencontre de ses interrogations. Et ce sont bien plus souvent des questions pratiques que théoriques. "Cela m'a fait découvrir un décalage énorme entre les préoccupations du pasteur que j'ai été et les préoccupations des gens qui ne sont pas des chrétiens pratiquants", a expliqué le P. Raymond d'Izarny aux participants.
Le site répond manifestement à un besoin: le cybercuré reçoit 200 visites par jours, dont 4 à 5 personnes qui lui posent directement des questions, le dialogue s'instaurant alors par e-mail. Dans ses réponses, il insiste sur le fait que ces échanges électroniques ne remplacent pas un dialogue direct avec un prêtre: il ne voudrait pas que ses efforts contribuent à la disparition des contacts humains! Il prête grande attention au vocabulaire utilisé - par exemple ce que révèlent les questions les plus souvent formulées sur le moteur de recherche du site - afin de mieux adapter son discours, qui choisit délibérément la forme des questions-réponses, sur le mode FAQ (Frequently Asked Questions - Foire Aux Questions) typique des sites Web.
Le souci d'aller à la rencontre des gens dans leurs préoccupations, et en particulier de ceux qui sont éloignés des paroisses, s'exprime aussi dans l'initiative de PMC (Portail du mariage et du couple ou Portail du mariage chrétien [ce site n'existe plus, mais est remplacé par celui des Centres de préparation au mariage - 29.08.2016]). Après une dizaine d'années d'accompagnement pastoral des jeunes et de préparation au mariage dans un cadre diocésain est née la prise de conscience de la nécessité de créer des passerelles pour permettre à des gens de renouer avec l'Eglise. "J'ai créé le site il y a 4 ans, à la suite d'une expérience de stand catholique aux salons du mariage. Il y avait la queue à notre stand. Pour moi, le Web a été le moyen de prolonger toute l'année cette porte ouverte de l'Eglise sur le monde", déclare Claude Hériard, le webmestre du site.
Cela a commencé par une présentation du mariage à Paris, avec la msie en ligne d'un livret imprimé à ce sujet. Surprise pour l'animateur: les premiers courriels ne venaient pas de Paris - en fait, le tout premier message électronique lui parvint du Canada, ce qui conduisit à développer un site pour la francophonie, et pas simplement local.
En outre, un autre site, BDC (Bonheur dans le couple), a été ouvert, qui ne s'affirme pas explicitement chrétien, tout en s'efforçant d'exprimer des valeur et en offrant un lien discret vers le mariage chrétien.
Claude Hériard a a réussi à obtenir que sa page Web soit donnée comme référence par l'un des principaux sites commerciaux français destinés aux futurs mariés: ceux qui entendent se marier à l'église apprécient d'avoir accès à de telles informations. C'est un exemple de collaboration que peuvent développer des sites religieux et des sites commerciaux.
Une "dimension stratégique"?
Internet est aussi "un territoire à conquérir", a affirmé Jean-Marie Delahais, animateur de Cathonet [ce site n'existe plus - 29.08.2016], un carrefour de sites - pour orienter les internautes - qui offre à la fois des liens et des dossiers thématiques. "La présence chrétienne sur Internet a aussi une dimension stratégique." L'existence d'un territoire virtuel "marqué chrétien" participe de la présence chrétienne dans le monde. Plus nombreux qu'on ne l'imagine sont les sites de dénigrement du christianisme, avertit Jean-Marie Delahais: si les chrétiens laissent libre l'espace virtuel, il sera occupé par d'autres acteurs. Mais pour y agir efficacement, il faut aussi se soucier d'un vocabulaire accessible à un large public - problème qui n'est d'ailleurs pas spécifique à Internet, mais également à d'autres médias.
Souvent, il a pu sembler que le Web était le lieu d'expression privilégié de petits groupes religieux plutôt que des grandes institutions. Ces Assises ont illustré une présence très active des Eglises (et en particulier de l'Eglise catholique romaine) dans l'espace virtuel francophone. En quelques années, une multitude d'initiatives ont vu le jour, souvent avec des moyens modestes - ce que permet Internet. Il est vrai qu'il s'est souvent agi de démarches individuelles, plus que d'efforts venus d'en haut. Mais, notamment à la suite des impulsions venues de Rome ces derniers mois, il est probable que ce média sera de plus en plus intégré dans une véritable stratégie de communication, à l'exemple de ce qu'ont déjà entamé certains diocèses.
Jean-François Mayer