Comme nous l'avions pronostiqué dans notre note du 1er juillet 2002, la controverse suscitée par les sacrifices d'animaux offerts par le roi du Népal dans deux temples à l'occasion de sa visite en Inde a donné un nouvel élan au mouvement pour l'abolition de ces pratiques dans les temples hindous. Le gouverneur du Bihar et du Jharkhand a ordonné aux gouvernements des deux Etats de mettre un terme à ces pratiques. Mais elles ne sont pas uniques à l'hindouisme.
Cette initiative fait manifestement suite aux interventions récentes d'activistes pour les droits des animaux - qui protestent contre les sacrifices d'animaux au nom de la tradition hindoue, de la même façon que les responsables des temples incriminés invoquent celle-ci pour poursuivre leur pratique. Cela présage quelques intéressants débats théologiques...
La polémique n'est pas nouvelle
La lettre adressée par le secrétaire principal du gouverneur V.C. Pande aux autorités des deux Etats souligne que l'Acte de prévention contre les cruautés envers des animaux de 1960 interdirait l'offrande sacrificielle d'animaux. En fait, si l'on se réfère au texte même de l'Acte de 1960, il prévoit une exception pour les sacrifices (de même d'ailleurs que pour les expérimentations scientifiques sur des animaux), dans la mesure bien entendu où ceux-ci ne s'accompagnent pas d'actes de cruauté. L'article 28 est formulé en ces termes:
"Nothing contained in this Act shall render it an offence to kill any animal in a manner required by the religion of any community."
Les lois de certains Etats de l'Union indienne semblent cependant plus restrictives.
Selon une brochure publiée par l'Animal Welfare Board of India (AWBI), il y aurait eu en Inde une augmentation des sacrifices d'animaux au cours du 20e siècle: ceux-ci auraient pour cadre les temples hindous (en particulier des sacrifices offerts aux différentes manifestations de la déesse Kali), mais aussi les pratiques religieuses des populations tribales. L'AWBI met en cause les intérêts commerciaux qui encouragent les sacrifices et conteste leur justification culturelle, en argumentant que d'autres pratiques ayant une longue histoire ont été interdites (mariage des enfants, sati des veuves sur le bûcher funéraire de leur mari, etc.). Le document de l'AWBI suggère différentes bases légales permettant de s'opposer aux sacrifices d'animaux.
Cela fait des années que des activistes s'opposent aux sacrifices d'animaux. Dans les années 1970, une campagne pour leur abolition parmi les hindous du Sri Lanka avait eu un certain succès.
Pas une question uniquement hindoue
La question ne se pose pas que dans l'hindouisme. A l'occasion de la Fête du Sacrifice, durant le mois du pèlerinage, de nombreux animaux (notamment des moutons) sont sacrifiés en accomplissement de préceptes religieux à travers le monde musulman. Certains musulmans modernistes contestent aujourd'hui cette pratique: en mars 2000, des débats contradictoires avaient ainsi eu lieu en Turquie, dans le cadre d'émissions télévisées très populaires. Les autorités avaient insisté sur la nécessité de ne pas sacrifier des animaux dans n'importe quelles conditions et d'éviter aux animaux des souffrances inutiles lors d'égorgements par des personnes non qualifiées. Et des associations humanitaires incitaient les croyants à offrir une chaise roulante pour des handicapés plutôt que des animaux pour le sacrifice (Turkish Probe, 12 mars 2000, p. 3).
Les milieux juifs qui rêvent de la reconstruction du temple de Jérusalem et de la restauration du culte dans celui-ci estiment en général que cela impliquera aussi la reprise des sacrifices d'animaux.
Aux Etats-Unis, les pratiques de sacrifices rituels dans le cadre de religions afro-américaines (notamment la Santeria) ont donné lieu à des décisions de justice.
Enfin, curieusement, la question a même été soulevée dans des milieux chrétiens africains: dans le cadre des efforts d'inculturation du christianisme, Mgr Buti Tlhagale, archevêque catholique romain de Bloemfontein (Afrique du Sud), avait suggéré d'examiner la possibilité d'incorporer des sacrifices d'animaux dans le cadre liturgique en Afrique. Il ne proposait cependant pas de procéder à un sacrifice durant la messe, mais d'offrir en libation durant celle-ci le sang d'un animal sacrifié ou une bière traditionnelle africaine. Ces libations sont destinées à honorer les ancêtres. L'archevêque soulignait que beaucoup de familles africaines, même chrétiennes, continuent de sacrifier des animaux lors de grandes étapes de l'existence. Il lui paraissait donc souhaitable d'intégrer cette coutume. Ses suggestions soulevèrent des discussions sur les limites de l'inculturation.
Jean-François Mayer
The Prevention of Cruelty to Animals Act,1960. 59 of 1960. As amended
by Central Act 26 of 1982:
http://envfor.nic.in/legis/awbi/awbi01.html
How to Check Animal Sacrifices (Animal Welfare Board of India):
http://www.indianngos.com/issue/animalwelfare/resources/articles5.html [cet article ne semble plus accessible; en revanche, voici le site de l'Animal Welfare Board of India: http://www.awbi.org/ - 29.08.2016]