En mars 2000, la mort violente de plusieurs centaines de membres d'un groupe apocalyptique dissident de l'Eglise catholique en Ouganda, le Mouvement pour la restauration des Dix Commandements de Dieu, avait fait les grands titres de la presse internationale. La Commission ougandaise pour les droits de l'homme vient de publier un rapport à ce sujet.
Les événements de mars 2000 s'étaient produits dans une région isolée du Sud de l'Ouganda. Cela explique que, par rapport à d'autres événements violents impliquant des groupes religieux en Occident, l'affaire n'ait encore donné lieu - à côté des articles de presse - qu'à peu de recherches, en dehors d'un rapport d'un groupe de chercheurs de l'Université Makerere à Kampala ainsi que d'exposés et articles du rédacteur responsable de Religioscope, qui s'est rendu dans ce but à deux reprises en Ouganda, en 2000 et 2001 (pour un résumé de l'affaire, on peut lire notre reportage publié le 15 mars 2001 dans le quotidien suisse La Liberté [cet article n'est plus accessible en ligne - 30.08.2016]).
C'est donc avec d'autant plus d'intérêt qu'on prend connaissa[nce d'un rapport publié au mois de mai 2002 par la Uganda Human Rights Commission, un groupe à caractère semi-officiel. En raison de la nature du travail de cet organisme, il ne s'agit pas d'une enquête complète sur l'affaire: les questions relatives aux droits de l'homme retiennent particulièrement l'attention (et le rapport conclut que les pratiques du Mouvement pour la restauration des Dix Commandements violait lesdits droits sur plusieurs points). Le rapport émet différentes recommandations à cet égard. Enfin, certaines conclusions restent sujettes à discussion: il reste beaucoup à faire pour avoir une image exacte et complète de cette tragédie et de son arrière-plan.
Bornons-nous à résumer en quelques lignes certaines conclusions du rapport (que les lecteurs intéressés pourront consulter directement sur le Web (format PDF) pour plus de détails.
Tout d'abord, en accord sur ce point avec tous les autres observateurs, la commission exclut l'explication du suicide collectif qui avait été émise dans les premiers jour suivant le drame: il s'agit plutôt d'un assassinat collectif planifié par un petit groupe. Une lettre d'adieux d'un membre dont le texte est cité intégralement dans le rapport laisse entendre à sa famille que les adeptes du groupe se réfugieraient dans l'Arche (c'est-à-dire le quartier général du mouvement à Kanungu), tandis que l'humanité entrerait dans le temps des grandes tribulations et que la présente ère prendrait fin avant le début de l'année 2001.
Le rapport confirme que, si Joseph Kibwetere était formellement le chef du groupe, la véritable dirigeante était en fait Credonia Mwerinde. Il ne paraît pas exclu que Joseph Kibwetere soit déjà mort plusieurs mois avant les événements (peut-être victime du sida, très répandu en Ouganda). Cela recouperait de façon intéressante d'autres cas dans lesquels la mort d'un des dirigeants dans un couple à la tête d'un mouvement semble avoir encouragé la marche vers une issue radicale.
Le rapport confirme que les propriétés du groupe ont été vendues à des prix bradés dans les jours précédant l'événement. De même que la lettre déjà citée plus haut, cela montre bien que les adeptes s'attendaient à des événements importants et imminents (même si, en dehors de quelques personnes, ils ne connaissaient vraisemblablement pas la nature réelle de ceux-ci).
La majorité des victimes retrouvées dans des fosses communes dans quatre localités du pays - à côté des centaines de membres qui périrent dans l'incendie du 17 mars 2000 - étaient des femmes et des enfants. Le rapport s'interroge sur cette surreprésentation de femmes: elle paraît cependant assez conforme à une tendance observée dans nombre de groupes religieux à travers le monde.
Le rapport estime - ce qui recoupe les observations du rédacteur deReligioscope - que Credonia Mwerinde et la plupart des autres dirigeants ont très probablement péri dans les flammes de Kanungu le 17 mars 2000. En revanche, le rapport conclut que le P. Dominic Kataribabo (un prêtre bien formé, qui avait séjourné durant deux ans aux Etats-Unis dans les années 1980 et y avait obtenu un diplôme universitaire) n'aurait pas péri dans l'incendie de Kanungu: soit il est mort ailleurs, soit il aurait survécu aux événements. C'est peut-être l'une des conclusions les plus originales du rapport, et qui soulève bien sûr une question importante. Elle montre en même temps les incertitudes qui persistent, notamment en raison de l'impossibilité d'identifier les corps des victimes (brûlées dans l'église ou décomposées dans les fosses).
Jean-François Mayer
Site de la Uganda Human Rights Commission:
http://www.uhrc.org [site inactif en décembre 2002]
Texte du rapport The Kanungu Massacre de mai 2002 (texte intégral du rapport, mais sans les appendices):
http://www.uhrc.org/publications/[1022501764]Kanungu%20report-website.htm
[ce document n’était plus accessible en décembre 2002]
[Un exemplaire du document est accessible en PDF à l’adresse suivante: http://www.ais-info.org/doc/informes/2002%20The%20Uganda%20Massacre.pdf – 30.08.2016]
Articles de la presse ougandaise annonçant la publication du rapport:
http://www.cesnur.org/2002/uganda_001.htm
Dossier étoffé d’articles de presse sur l’affaire de Kanungu depuis mars 2000 sur le site du CESNUR:
http://www.cesnur.org/2001/uganda_updates.htm
Un article en anglais de Jean-François Mayer: “Field Notes: The Movement for the Restoration of the Ten Commandments of God”, in Nova Religio: The Journal of Alternative and Emergent Religions, 5/1, octobre 2001, pp. 203-210. Cet article n’est pas disponible pour l’instant sur Internet. Pour s’abonner à la revue Nova Religio, voir la page d’accueil de son actuel éditeur, University of California Press:
http://nr.ucpress.edu/