Depuis le 19e siècle ont eu lieu plusieurs tentatives de création de communautés orthodoxes de rite occidental. Elles ont généralement eu pour cadre l'Europe ou l'Amérique du Nord. Il est plus inattendu d'apprendre qu'un prêtre tente actuellement de créer à Moscou une paroisse orthodoxe de rite latin...
A l'occasion de la parution de cette note d'information, Religioscope a également le plaisir de mettre en ligne et d'offrir à ses lecteurs un panorama historique sur les différentes expériences de groupes orthodoxes de rite occidental aux 19e et 20e siècles.
C'est à l'amabilité de l'historien Ivan Grézine que nous devons d'avoir découvert cette communauté naissante. Et nous remercions son fondateur, le Père Andreas Jezierski, d'avoir très aimablement répondu à nos questions en détail dans un courrier du 18 mai 2002 et de nous avoir fourni (en latin) deux textes relatifs à ce groupe. Les informations ci-dessous ne se fondent donc pas sur une observation directe, mais uniquement sur le contenu du site et les échanges avec le P. Andreas Jezierski.
"Ecclesia Vera et Orthodoxa", lit-on sur la page d'accueil du site de ce groupe (site essentiellement en russe, avec quelques textes en latin). Placée sous le patronage de St Grégoire le Grand, la paroisse orthodoxe de rite latin à Moscou en est encore à ses premiers pas, puisqu'elle ne possède pas de chapelle et célèbre dans un appartement, sur un autel provisoire. Il importe aussi de noter qu'elle n'appartient pas au Patriarcat de Moscou, mais relève de la juridiction d'un petit groupe orthodoxe séparé, la "Vraie Eglise Orthodoxe Russe (Métropole de Moscou)", dirigée par Mgr Viatcheslav (Lissovoi). Ce groupe affirme que son épiscopat dérive des consécrations intervenues en 1943 dans le cadre de l'Eglise orthodoxe autonome d'Ukraine.
A l'origine de la paroisse orthodoxe de rite latin se trouve un Moscovite d'origine polonaise, Andreas Jezerski, né en 1967, éduqué dans une famille religieusement indifférente et converti au catholicisme romain en 1988. En 1989, selon son propre récit, il se rendit en Pologne et entra dans un monastère dominicain à Cracovie. Ses inclinations traditionalistes l'auraient cependant fait entrer en conflit avec les autorités ecclésiastiques, bloquant en même temps ses aspirations au sacerdoce.
Ce fut en Pologne qu'il entendit parler pour la première de Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991) et du Séminaire traditionaliste d'Ecône. Il entra en contact avec Ecône dès 1990, correspondant en latin, langue dans l'étude de laquelle il s'était plongé dès 1986. En décembre 1991, il partit pour la Suisse. Il passa six mois en Occident. Revenu à Moscou, il collabora avec les groupes catholiques traditionalistes en Russie, mais déclare avoir compris en 1994 qu'Ecône n'était, selon ses termes, "pas intéressé par la Sainte Tradition, mais seulement par les traditions".
Andreas Jezierski dit avoir été orthodoxe selon la foi dès 1994 - tout en priant selon le rite romain - et avoir dès ce moment cherché à entrer dans l'orthodoxie. Déçu très vite par le Patriarcat de Moscou "à cause de son oecuménisme", explique-t-il, il devint finalement orthodoxe dans la juridiction de la "Vraie Eglise Orthodoxe Russe" en 1998. Il y fut ordonné prêtre pour le service de la communauté de rite latin - et la photographie figurant sur le site montre en effet le prêtre en ornements latins.
La communauté orthodoxe de rite latin de Moscou utilise le Missel et le Bréviaire romains, avec certains changements: il va sans dire que le Filioque a été supprimé dans le Credo, par exemple. Les formes liturgiques utilisées sont celles du rite romain tel qu'il existait au début du 19e siècle, mais la communauté est invitée à retrouver des formes plus anciennes. Il y a donc sur ce point une différence notable par rapport à la pratique des groupes catholiques traditionalistes en Occident, qui acceptent généralement les pratiques liturgiques en vigueur au moment du Concile Vatican II.
La triple immersion est requise pour la cérémonie du baptême (triple infusion exceptionnellement, si les circonstances rendent un baptême par immersion impossible). La communion est distribuée aux fidèles sous les deux espèces. La langue liturgique doit exclusivement être la langue latine, et le chant utilisé est le chant grégorien. Le signe de la croix est fait à la façon orthodoxe.
La communauté suit bien sûr l'ancien calendrier (c'est-à-dire le calendrier julien), en utilisant aussi le calendrier romain des fêtes - mais en vénérant uniquement les saints orthodoxes. Les règles des carêmes sont les mêmes que dans la tradition orthodoxe, mais le Grand Carême commence avec le Mercredi des Cendres, conformément à la tradition latine, et l'Avent débute de même le dimanche le plus proche de la fête du Saint Apôtre André.
Non conformes à la tradition orthodoxe, des pratiques telles que la Bénédiction du Saint Sacrement ont été supprimées. En revanche, le P. Andreas Jezierski dit ne voir aucun obstacle à l'utilisation de statues. Quant à la pratique du Rosaire, l'épiscopat de la juridiction dans laquelle se trouve la communauté orthodoxe de rite latin a déclaré (dans un document de l'an 2000 dont le P. Andreas Jezierski a bien voulu nous communiquer la version latine) ne voir dans cet usage "rien de contraire à la foi orthodoxe".
Selon le statut canonique de la Communauté, toute forme de communion avec des catholiques romains - tant dans l'Eucharistie que dans la prière - est interdite. Afin de permettre une pleine communion "avec leurs frères de rite oriental", les clercs de la communauté latine sont requis d'étudier les liturgies orientales.
Le Père Andreas Jezierski nous indique que sa communauté attire tant d'anciens catholiques que des orthodoxes appréciant le rite latin ainsi que des incroyants convertis.
Parmi les tentatives de création de communautés orthodoxes de rite occidental que nous décrivons dans l'article que l'on trouvera en cliquant ici, celle de Moscou est certainement l'une des plus inattendues.
Jean-François Mayer
Site: http://www.ecclesia.narod.ru/id0_1.htm
[Le site n’existe plus, mais son contenu reste accessible grâce à Wayback Archive: https://web.archive.org/web/20070906103800/http://www.ecclesia.narod.ru/id0_1.htm; page en latin: https://web.archive.org/web/20050129023202/http://www.ecclesia.nm.ru/latine/ – 30.08.2016]