Les grandes lignes du texte que l’on trouvera ci-dessous avaient été présentées à l’occasion d’un colloque organisé à Paris le 13 octobre 2000 sous les auspices de l’IHEDN (Institut de Hautes Etudes de la Défense Nationale). A la demande des organisateurs, l’auteur s’était livré à un essai de prospective. Au moment de mettre ce travail en ligne, nous avons longuement hésité : fallait-il le livrer tel quel, dans sa version finale révisée en novembre 2000, plus de 18 mois après sa rédaction ? C’est le choix que nous avons finalement fait : une étude prospective doit pouvoir résister à l’épreuve du temps. Il est d’autant plus intéressant de la relire maintenant, après le tournant du 11 septembre 2001 et à la lumière de l’évolution de facteurs évoqués dans ces pages.
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La politique de sécurité ne saurait faire l’économie d’une analyse et d’une réflexion sur les facteurs religieux. L’actualité récente nous en a encore fourni des exemples. La visite d’Ariel Sharon sur le Mont du Temple a été perçue comme une provocation qui a mis la Palestine en ébullition : le site sacré est investi d’une valeur symbolique qui confère à l’acte une dimension différente de celle qu’aurait eue une incursion dans un village palestinien[1]. L’intrusion dans l’espace sacré a provoqué les troubles considérés comme les plus graves depuis 1948 dans la population arabe israélienne[2]. Même si ce n’est pas un conflit religieux, des symboles religieux y occupent une place cruciale. A des milliers de kilomètres de là, le pouvoir chinois – qui a pourtant une longue expérience de contrôle de mouvements dissidents – semble ne pas savoir comment faire pour empêcher les manifestants du mouvement spirituel Falun Gong de protester contre la répression qui leur est infligée et donne l’impression de se sentir menacé par ces pacifiques protestations[3]; et, sur un autre front, il s’indigne de la canonisation par l’Eglise catholique romaine de martyrs chinois pourtant bien antérieurs à l’avènement du communisme, y voyant une fois de plus une suspecte intention d’ingérence[4]. Ailleurs, que ce soit aux Moluques ou dans les Balkans, des groupes en conflit font appel à leurs appartenances religieuses respectives, agitées comme autant d’étendards identitaires. Alors que le XXe siècle avait commencé, dans bien des milieux intellectuels, avec la conviction que le rationalisme conduirait bientôt les religions à n’être – au mieux - que des survivances fokloriques ou de pittoresques reliques du passé, peu de penseurs se risqueraient aujourd’hui à prédire que le XXIe siècle verra l’extinction ou la marginalisation des religions : ce sont plutôt certaines idéologies séculières, hier rassembleuses de foules, qui se trouvent en passe de connaître le sort des dinosaures. Peter Berger, professeur à l’Université de Boston et spécialiste mondialement connu en sociologie des religions, conclut que la théorie de la sécularisation s’est trompée et annonce rien moins que la « désécularisation du monde »[5].
Bien entendu, ces déclarations percutantes doivent être prises avec prudence et nuances. L’évolution des religions dans le monde ne suit pas un sens unique, elle ne se résume pas à des formules-chocs, et Peter Berger doit d’ailleurs concéder que sa thèse souffre quelques exceptions, à commencer par la situation en Europe occidentale[6]. Les considérations sur le rôle de la religion dans le monde moderne ont souvent eu tendance à se réduire à des slogans simplificateurs. En réalité, nous observons des évolutions contradictoires et simultanées, y compris au sein des mêmes sociétés : sécularisation et activisme religieux peuvent fort bien se développer parallèlement. Selon des modalités changeantes, le facteur religieux est tout simplement une constante de la vie sociale, avec une influence variable.
Une autre erreur serait de croire les religions immuables. Si elles ont un petit parfum d’éternité, elles sont aussi en constante transformation, même celles - comme l’hindouisme - dont l’antiquité pourrait donner l’illusion de la permanence. Non seulement les religions changent, mais leur statut dans les sociétés a changé – pas seulement en Occident d’ailleurs : tous ceux qui étudient les « fondamentalismes » savent qu’il s’agit de phénomènes bel et bien modernes, malgré les prétentions de retour à un passé mythique. Même les croyants qui affirment haut et fort leur attachement à des formes très traditionnelles de religion ne croient probablement plus exactement comme leurs ancêtres. Dans certains organes de presse américains, le lecteur découvre parfois l’annonce publicitaire d’un groupe catholique intégriste qui invite les fidèles éloignés de tout lieu de culte de rite traditionnel à assister la messe tridentine… sur Internet, où elle est accessible 24 heures sur 24 ![7] La revendication de la tradition s’accorde parfois de façon surprenante avec les techniques de pointe. Le contexte dans lequel vivent les religions s’est transformé. La sécularisation, les mutations sociales et les innovations technologiques entraînent des conséquences que nous ne mesurons souvent qu’après coup. Et la mondialisation se joue dans le domaine religieux aussi. Décrire l’avenir possible des religions et de leur influence sur la sécurité internationale signifie donc prêter attention à ces transformations en cours ou émergentes. En outre, pour compliquer un peu les choses, il ne suffit pas toujours de prolonger une courbe actuelle pour obtenir un aperçu vraisemblable d’une situation future.
Surtout depuis la fin de la guerre froide, nous avons conscience que nos possibilités prédictives dans le domaine stratégique à long terme sont limitées. Il est téméraire de vouloir décrire l’état et l’influence des religions dans le monde à l’horizon 2025. Certaines des lignes tracées ici se révéleront peut-être moins droites que nous ne l’imaginons aujourd’hui. L’entreprise est hasardeuse, mais pourtant stimulante[8]. Afin d’ébaucher brièvement quelques-unes des perspectives qui paraissent les plus vraisemblables, je procéderai sous forme de thèses, ce qui aura l’avantage de la concision.
* Dans un contexte marqué par la mondialisation et la rapidité des communications, les religions vivront de moins en moins dans des sphères autonomes et l’interpénétration des croyances s’accentuera probablement. Cela débouchera sur des attitudes de relativisme ou de syncrétisme, mais aussi sur des tensions.
Je cite souvent une petite anecdote qui illustre les conséquences de la facilité et de la rapidité des communications. Il y a quelques années, au Mont Abu, au Rajasthan, un habitant du lieu me proposa de m’emmener voir un ermite dans une grotte. Au petit matin, nous nous mîmes donc en route dans un magnifique paysage de montagne. Après une petite heure de marche, nous atteignîmes la grotte du saint homme. J’eus alors la surprise de voir apparaître un jeune Québécois, qui nous expliqua fort aimablement que l’ermite, dont il gardait l’habitation troglodyte, ne pourrait malheureusement pas nous recevoir, car il s’était absenté pour une quinzaine de jours afin d’aller rendre visite à des disciples… en Autriche !
Cette situation sans précédent a plusieurs conséquences. Tout d’abord, il est difficile de porter sur les autres religions le même regard que dans le passé : il ne s’agit plus simplement de phénomènes exotiques, car elles sont présentes au coin de la rue. Même parmi les religions ethniques ou nationales, rares sont celles qui, aujourd’hui, n’ont pas une dimension internationale. Même les zoroastriens, qui n’admettent en principe pas de convertis dans leurs rangs[9], comptent parmi leurs 130 000 fidèles, outre 80 000 âmes en Inde et 25 000 en Iran, 15 000 croyants en Amérique du Nord et d’autres répartis dans plusieurs pays. L’hindouisme, dans sa diversité, compte une diaspora estimée à quelque 15 millions d’âmes au début des années 1990[10], certainement appelée à croître rapidement, pour des raisons tant démographiques qu’économiques. On commence à voir apparaître, dans des pays occidentaux, des temples hindous bâtis dans le style traditionnel ; si certains milieux hindous continuent à refuser les conversions, d’autres n’ont pas ces réticences, en particulier les nombreux mouvements néo-hindous apparus dès le 19e siècle et qui ont choisi la voie d’une universalisation de l’hindouisme, d’ailleurs en bonne partie en réponse au prosélytisme musulman et chrétien, qui les plaçait face à des questions épineuses[11]. Le phénomène de diaspora est évidemment bien connu (et nullement récent !) en ce qui concerne le judaïsme, qui n’a par ailleurs jamais entièrement fermé la porte à des conversions[12].
Tout cela ne va pas nécessairement déboucher sur de nouvelles grandes compositions syncrétiques, mais aura certainement d’autres conséquences : a) de moins en moins de fidèles des grandes Eglises se montreront prêts à accepter des positions exclusivistes (comme l’illustrent les réactions au récent document romain Dominus Jesus), des attitudes relativistes seront de plus en plus répandues, puisant des éléments issus d’autres croyances ; b) les traditions religieuses nouvellement importées en Occident vont également connaître des adaptations, à la fois au sein de leurs communautés d’origine et par suite de l’adhésion de convertis occidentaux [13] .Le malaxage croissant entre traditions différentes ne sera pas simplement une grande et joyeuse fête multiculturelle : il entraînera des tensions au sein des communautés concernées et dans leur voisinage. Comme l’a fait remarquer un sociologue allemand, la réalité actuelle est celle d’un pluralisme limité, les sociétés occidentales ne sont pas (encore ?) devenues des sociétés multireligieuses et leurs valeurs fondamentales restent liées dans une certaine mesure à la tradition chrétienne[14]. Il se peut que cela change, mais une telle transition entraînerait inévitablement des réactions et situations conflictuelles, qui ne resteraient pas sans conséquences du point de vue de la sécurité.
* En contradiction avec la tendance générale au mélange des religions et des croyances, certaines zones du globe demeureront relativement homogènes ou connaîtront même une homogénéisation religieuse croisssante.
Ce n’est pas demain, bien sûr, que les missionnaires de toutes croyances iront frapper aux portes des moines du Mont Athos ou des dignitaires du Vatican ! Mais, en dehors même de ces petites enclaves monoreligieuses atypiques, d’autres zones du globe paraissent destinées à être relativement préservées du pluralisme religieux pour une durée encore indéterminée. A voir le traitement réservé aux non musulmans en Arabie saoudite, je doute fort – sauf bouleversement complet – qu’on y voie s’élever demain des églises ou des temples de religions non musulmanes ! Non seulement une partie du monde musulman paraît destinée à demeurer pratiquement monoreligieuse dans les années à venir (malgré l’impact potentiel des moyens de communication modernes), mais l’homogénéisation religieuse de certaines zones du globe s’est en fait – et paradoxalement – renforcée au cours du XXe siècle. Que l’on songe par exemple à la Turquie, qui comptait une substantielle population chrétienne avant 1920, réduite aujourd’hui à peu de chose. La diminution de la population chrétienne dans plusieurs pays du Proche-Orient est également une réalité. Quant aux Balkans, les conflits des dernières années ont eux aussi entraîné une certaine homogénéisation religieuse de plusieurs zones.
Cela a-t-il des implications pour la sécurité ? Certainement. La coexistence de groupes religieux différents présente certes des risques de frictions, mais elle comporte aussi des avantages : lorsque le croyant d’une autre religion est le voisin, il y a quelque chance que cette religion prenne ainsi un visage humain et ne soit pas simplement une entité anonyme. L’homogénéisation religieuse de certaines zones risque de contribuer, si des mouvements religieux activistes s’y développent parallèlement, à une vision très réductrice et simplificatrice d’autres religions ou d’autres sphères culturelles.
* Dans un paysage religieux marqué par un éclatement sans précédent et par la possibilité d’accès à un nombre pratiquement illimité de voies spirituelles, il est peu probable qu’une nouvelle grande religion mondiale soit en mesure d’émerger ou de s’affirmer au cours des vingt-cinq années à venir.
En raison de la facilité des communications et de la possibilité (en tout cas théorique) pour une nouvelle religion d’acquérir instantanément une audience mondiale – situation sans précédent - , nous pourrions imaginer que se lèvera demain une foi nouvelle qui se répandra comme un traînée de poudre et s’implantera plus rapidement encore que l’islam à ses débuts pour devenir une nouvelle grande religion mondiale, à côté de prédécesseurs à l’existence déjà séculaire. Un tel scénario serait excitant pour l’historien des religions et représenterait une transformation majeure du contexte stratégique, mais je le crois fort improbable. De nouvelles religions apparaissent en effet, et certaines seront durables, deviendront peut-être l’amorce de traditions indépendantes. En revanche, la tendance au relativisme et la possibilité d’accéder à une très large palette d’offres spirituelles feront qu’il sera difficile à une religion nouvelle d’émerger de la mêlée et de s’affirmer comme un grand mouvement à l’échelle mondiale[15].
Certains mouvements continueront de connaître une progression notable. Par exemple, les mormons (Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours) comptent aujourd’hui quelque 11 millions de membres – une croissance déjà considérable si l’on songe qu’ils rassemblaient un peu plus de 1 million de membres en 1950 et moins de 5 millions en 1980. Selon les projections, ils pourraient être 35 millions en 2020, avec de fortes modifications dans la répartition entre continents (les projections indiquent que la majorité des membres vivront probablement en Amérique latine)[16]. A titre de comparaison, cela signifie que, dans quelques années déjà, le nombre de mormons dans le monde aura dépassé le nombre de juifs : ceux-ci comptaient un peu plus de 13 millions d’âmes en 1997, avec un très modeste accroissement annuel de 0,2% environ[17]. Cela signifie-t-il que le mormonisme comptera désormais au rang des grandes religions mondiales ? Il n’est pas exclu que ce statut lui soit un jour reconnu, mais, en même temps, la dimension statistique ne nous révèle qu’une partie de la réalité : même avec une population inférieure à celle du mormonisme, l’influence culturelle, économique et politique du monde juif restera de toute évidence très supérieure à celle que pourront prétendre exercer les mormons.
* En raison du développement rapide de moyens de circulation des idées tels que le réseau Internet, les croyances s’influenceront de plus en plus mutuellement et les transferts de thèmes d’un groupe religieux à un autre s’accéléreront (phénomènes transreligieux).
La véritable explosion que connaît le réseau Internet a donné lieu à bien des hypothèses. Certains auteurs suggèrent par exemple que les groupes religieux les plus variés vont y trouver l’occasion de répandre leurs doctrines. Comme nous l’avons déjà remarqué, la réalité est plus complexe : non seulement la surabondance de l’offre ne crée-t-elle guère des conditions favorables (pourquoi choisir une voie spirituelle plutôt qu’une autre, quand il suffit de cliquer sans quitter son écran pour avoir accès confortablement à des dizaines d’offres différentes ?), mais Internet offre également à des voix critiques l’occasion d’exposer leurs griefs ou désaccords avec les groupes qui tentent d’y faire du prosélytisme, et il n’est donc pas sûr que ce nouveau moyen de communication soit l’instrument rêvé de toutes les propagandes[18]. En revanche, il semble prédisposé à promouvoir tous les butinages et tous les éclectismes: la facilité avec laquelle sont établis des liens d'une page à l'autre contribuera à accélérer les transferts de thèmes et d'idées. Même à l'intérieur des grandes religions, ceux qui y adhéreront seront sans doute de plus en plus souvent touchés par des croyances étrangères à leur propre tradition – consciemment ou non. Pour en donner un exemple à une échelle microscopique : je me suis livré à une petite recherche sur un groupe de discussion catholique apocalyptique sur Internet, et j’ai pu voir non seulement y participer des gens qui n'appartiennent pas à la tradition catholique, mais aussi y apparaître des thèmes qui proviennent d'autres courants religieux. C'est un minuscule exemple des malaxages qui vont s'opérer de plus en plus
* La mondialisation entraînera également des incertitudes, des crispations et des peurs. Des groupes vont recourir à des ressources identitaires face à ces développements perçus comme des menaces. Les références religieuses resteront l’une de ces voies d’affirmation identitaire. Il faut notamment s’attendre au développement de mouvements nationalistes religieux.
Beaucoup d'avocats de la mondialisation et du développement de grandes entités supranationales n'ont pas pleinement conscience des craintes (et parfois des réactions paranoïaques) que cela peut susciter : cela est pourtant compréhensible, lorsque le citoyen a le sentiment que son destin dépend d’organismes complètement hors d’atteinte et extérieurs aux sphères dont il se sent partie prenante. Lors de la votation populaire qui a eu lieu en Suisse en l’an 2000 pour ratifier les accords bilatéraux avec l’Union européenne, plusieurs journalistes m’ont fait part de leur surprise en observant les opposants à la ratification de ces accords, car ces opposants percevaient manifestement la démarche de rapprochement avec l’UE comme une menace existentielle et un péril pour leur identité, dans des termes presque apocalyptiques. Chez une partie d’entre eux, cela se mêlait d’ailleurs à des convictions religieuses très affirmées.
Mais c’est à un phénomène plus large que je veux prêter attention ici : celui des courants qualifiés de « fondamentalistes », un terme peu satisfaisant, parce qu’il est utilisé à toutes les sauces, et souvent pour dénigrer plus que pour décrire et comprendre : dire « fondamentaliste », c’est automatiquement ranger la personne ou le groupe dont il s’agit dans une catégorie peu recommandable. Le chercheur américain Mark Juergensmeyer avait préféré parler de « nationalismes religieux »[19]. En effet, dans la plupart de ces cas, même s’il y a une revendication universaliste, les messages religieux militants face auxquels nous nous trouvons expriment un nationalisme religieux.
L’islamisme du Hamas palestinien, bien qu’il s’inscrive dans un cadre de référence plus large qu’une lutte de libération nationale, est amené par sa confrontation avec le messianisme territorial du sionisme à procéder à une « sanctification de la Palestine islamique »[20]. L’étude du thème du martyr, du shahîd, qui sacrifie sa vie dans le cadre de la lutte palestinienne, reflète d’ailleurs toute cette ambivalence : est-il tombé dans la voie de Dieu ou pour la patrie palestinienne – ou pour les deux ?[21]
Le sionisme religieux est l’un des exemples les plus manifestes de nationalisme à justification religieuse : le sionisme était à l’origine séculier dans une large mesure, mais il lui fallait en même temps se référer à l’histoire religieuse pour établir sa légitimité et il n’a jamais complètement réussi « à construire une identité capable de transcender l’identification religieuse »[22]. Les juifs orthodoxes antisionistes considéraient l’Etat d’Israël comme une parodie sacrilège d’une rédemption qui ne pouvait venir que de Dieu, mais certains rabbins développèrent une « théologie nationaliste » qui voyait le sionisme comme l’agent de Dieu[23]. Alors que le sionisme séculier a perdu son aura des débuts, le sionisme religieux peut constituer une réponse attrayante pour ceux qui se trouvent en quête de valeurs et d’une identité forte.
En Inde, la contestation de certains sikhs, même si elle est moins forte aujourd’hui que dans les années 1980, a pour idéal la création d’un Etat indépendant, le Khalistan. Toujours dans le sous-continent indien, un puissant mouvement nationaliste s’est développé et tente de trouver dans l’identité hindoue sa justification[24]. Ce mouvement ne représente pas la défense d’une orthodoxie religieuse précisément définie, mais cherche plutôt à rassembler la diversité indienne derrière quelques dénominateurs communs et l’idéal de la nation hindoue. Au Sri Lanka, le bouddhisme est utilisé comme soutien du nationalisme.
En raison de la mondialisation et des craintes qu’elle fera inévitablement surgir, il faut s’attendre à voir apparaître au cours des années à venir des réactions identitaires qui puiseront parfois dans la religion une partie de leur inspiration. En lisant les publications de ces groupes, l’on ne peut manquer de constater qu’ils se sentent menacés par une intrusion – qu’il s’agisse de missionnaires d’autres religions, de la diffusion de modes culturelles étrangères ou de transformations économiques qui ignorent les frontières : autant de facteurs qui ne vont pas disparaître, au contraire, et paraissent donc nécessairement devoir entraîner des réactions. L’adjectif « identitaire » décrit peut-être de façon plus adéquate ces mouvements que l’étiquette « nationaliste » ; mais la nation constitue souvent le cadre de l’affirmation identitaire. Du point de vue religieux, ces mouvements représentent aussi des courants de revitalisation et de réforme : plus qu’ils ne perpétuent une tradition intangible, ils répondent (en adaptant cette tradition) à de nouvelles situations entraînées par les mutations politiques, sociales et technologiques ainsi que par la confrontation avec d’autres messages religieux[25]. Mais un courant de revitalisation peut naturellement prendre différentes formes, pas nécessairement nationalistes.
* Ces dimensions nationalistes et identitaires ne doivent pas faire oublier l’autre face du phénomène religieux, c’est-à-dire ses prédispositions à traverser les frontières : les activités transnationales des religions continueront d’entrer parfois en conflit avec les stratégies d’Etats-nations, même si elles se situent sur des plans en partie différents.
La mention des nationalismes religieux ne doit pas faire oublier que la plupart des religions ont une dimension et – parfois – des stratégies transnationales : la réalité des nations demeure, elle marque nombre de religions[26], mais les grandes organisations religieuses tendent à penser et à agir dans une perspective transnationale. Cela est particulièrement frappant dans le cas de l’Eglise catholique romaine, qui bénéficie de l’avantage unique d’avoir également, grâce à l’Etat du Vatican, un appareil diplomatique et des modalités de présence sur la scène internationale sans équivalent dans d’autres religions[27]. Et cela illustre une fois de plus le risque de toute interprétation trop simple : le nationalisme religieux n’est qu’une face de la situation et du rôle stratégiques des religions.
C’est cette dimension transnationale qui inspire en partie les craintes du régime communiste chinois face aux missions chrétiennes. C’est également cette dimension transnationale qui motive des aspirations panislamiques, même si cela est loin de déboucher toujours sur des coopérations en profondeur[28]; mais elle fait que les turbulences dans un secteur du monde musulman sont potentiellement susceptibles d’inspirer des sentiments de solidarité dans des zones ethniquement différentes, et il est très probable que cela se développera encore au XXIe siècle, pour toutes les raisons déjà évoquées.
* Le christianisme sera toujours moins eurocentrique. Outre le poids démographique de sa présence en Afrique et en Amérique latine, ses plus importantes possibilités d’expansion se situent en Asie.
C’est, pour commencer, une réalité démographique : la part des pays industrialisés dans la population mondiale diminue d’année en année. Europe et christianisme sont de moins en moins des équivalents, et ce n’est pas en Occident que se situent les perspectives d’avenir du christianisme. Cela ne signifie pas que le christianisme va disparaître demain de l’Europe : d’une part, une minorité plus ou moins importante de la population y restera attachée avec ferveur ; d’autre part, comme le fait observer une sociologue britannique, aucun système de valeurs cohérent ne s’est manifesté pour prendre sa place, ce qui signifie que beaucoup de gens vont conserver quelque lien avec leur héritage chrétien, même s’ils n’y croient plus vraiment ou l’arrangent à leur manière[29].
Pour nous limiter au cas de l’Eglise catholique romaine, dans le monde occidental, elle peut au plus espérer maintenir ses positions, peut-être en se développant même dans quelques pays, mais sans perspective de croissance massive : ce sera plutôt la stabilité au mieux, le déclin au pire. Les meilleures perspectives d’avenir se situent en Afrique et en Asie, deux continents dans lesquels le catholicisme romain reste statistiquement sous-représenté (en 1997, près de 15% de la population africaine et 3% de la population asiatique étaient de foi catholique romaine)[30]. En fait, les plus importantes perspectives pour le christianisme au XXIe siècle se situent en Asie, qui est aussi le continent qui connaîtra la plus forte croissance démographique en chiffres absolus au cours des prochaines décennies. Pour tout observateur de la stratégie du Saint-Siège, l’attention prêtée à l’Asie est manifeste, et Jean-Paul II ne s’est pas simplement laissé aller à un élan oratoire en déclarant à Manille en 1995 que le troisième millénaire serait pour le christianisme celui d’une moisson en Asie, affirmation répétée dans l’exhortation apostolique Ecclesia in Asia de 1999.
En Asie, l’un des grands points d’interrogation est constitué par la Chine, qui ne compte que 1 à 2% d’habitants chrétiens[31]. En raison du déclin idéologique du communisme et du faible succès de ses tentatives de revitalisation autour de thèmes comme celui de la « civilisation spirituelle » et de la « nouvelle culture socialiste », il y aura de plus en plus un vide que d’autres philosophies pourront être amenées à combler. En cas d’effondrement complet du système communiste, un champ missionnaire sans précédent dans l’histoire s’ouvrirait : ce n’est pas pour rien qu’il y a déjà des institutions qui préparent les futurs missionnaires pour la Chine. Un développement du christianisme en Chine aurait également des conséquences stratégiques.
* Dans l’Afrique subsaharienne, l’assèchement progressif du réservoir potentiel de convertis parmi les adeptes des religions africaines traditionnelles entraînera des frictions croissantes entre groupes missionnaires ou activistes chrétiens et musulmans. Plus généralement, des tensions autour des entreprises missionnaires vont continuer à se manifester dans plusieurs régions du monde.
Le bouleversement religieux le plus massif du XXe siècle a eu pour cadre le continent africain. Les religions africaines traditionnelles rassemblaient 58,1% de la population du continent en 1900; en 1980, leur part était descendue à 13,9%. Même si ces pourcentages devaient être révisés à la hausse, ils font prendre conscience de l’ampleur du changement intervenu : la carte religieuse de l’Afrique subsaharienne n’a plus grand chose de commun avec ce qu’elle était il y a un siècle. Les Eglises chrétiennes en ont principalement bénéficié : elles rassemblaient 9,2% de la population africaine en 1900 ; en 1980, 44,2% des Africains étaient chrétiens. En ce qui concerne l’islam, il rassemblait déjà 32% de la population africaine en 1900 et atteignait 41,2% in 1980[32]. Il y a cependant de fortes variations régionales, dans le détail desquelles je ne puis entrer ici.
En quoi ces évolutions de la démographie religieuse ont-elles des conséquences pour la sécurité internationale? Tout simplement, les missions chrétiennes et musulmanes auront de moins en moins de convertis potentiels provenant des religions africaines traditionnelles : elles devront donc exercer leur prosélytisme soit envers des membres d’autres branches de la même religion, soit envers des fidèles de la grande religion concurrente. Il est peu probable que cela n’entraîne pas des frictions et conflits, surtout dans un contexte où se développent des mouvements d’activisme religieux[33]. Nous en avons encore eu de tristes exemples ces derniers mois au Nigeria, avec les heurts entraînés par la volonté de provinces à majorité musulmane d’introduire la charia.
De façon plus large, et paradoxalement, le libre choix de sa religion par chaque être humain est en principe reconnu par toutes les conventions internationales, mais de vives réactions se développent face au prosélytisme dans plusieurs régions du monde : la liberté religieuse n’est pas toujours contestée de front, mais l’on suggère que certains types d’activité missionnaire ne sont pas légitimes et qu’un prosélytisme de mauvais aloi doit être combattu[34]. Les exemples de réactions de cette nature abondent dans les pays post-soviétiques, par exemple. Mais il vaut la peine d’étudier également les réactions antimissionnaires en Inde de la part de mouvement hindous militants. Et certaines réactions envers les « sectes » dans des pays occidentaux présentent des analogies avec ces phénomènes.
Il est vrai que l’activité de missions étrangères peut entraîner des turbulences, par exemple lorsqu’elles manquent de respect pour des traditions locales et suscitent des réactions ou tensions entre communautés. Cependant, il est illusoire de penser pouvoir fermer aujourd’hui les frontières à la circulation d’idées ou de croyances : c’est un combat perdu à long terme. Cette diffusion continuera à provoquer des suspicions et des réactions : loin de s’atténuer, celles-ci semblent prendre de l’essor ces derniers temps. Avec leurs nouveaux services chargés de s’occuper de la liberté religieuse internationale et les rapports publiés à ce sujet sous les auspices du Département d’Etat depuis 1999, les Etats-Unis pensent pouvoir encourager le respect d’une entière liberté de religion et de diffusion des croyances à travers le monde, mais il n’est pas certain que ces bonnes intentions atteignent leur but : dans certains cas, elles peuvent aussi renforcer la méfiance ou susciter la crispation face à des ingérences étrangères. Il est vrai que ce dilemme sur les méthodes d’action appropriées n’est pas propre aux questions de liberté religieuse et se pose quant à toute intervention diplomatique relative au respect des droits de l’homme.
* Dans un contexte où l’affirmation de l’autonomie individuelle et du libre choix affecte également le domaine religieux, les grandes religions pourront de moins en moins prétendre exercer un contrôle sur leurs troupes, ce qui limitera leurs possibilités d’influencer une situation politique ou un conflit.
Les religions peuvent contribuer aussi bien à la guerre qu’à la paix, attiser les tensions ou encourager le respect du prochain. En fait, les religions ne sont pas toujours les acteurs volontaires des conflits dans lesquels elles se trouvent impliquées : des thèmes ou des symboles religieux peuvent se trouver récupérés par des gens qui ne sont pas toujours des croyants, sans véritable consentement des autorités religieuses – ou avec leur assentiment plus ou moins enthousiaste. En outre, il n’est pas si facile de déterminer dans quelle mesure une organisation religieuse est réellement capable d’influencer les choix et actions de ses fidèles : en France aujourd’hui, par exemple, combien de baptisés souscrivent-ils réellement à tous les dogmes de leurs Eglises respectives et agissent-ils selon les consignes de celles-ci ? Ils ne sont certainement qu’une minorité. En dehors de petits groupes, les chefs religieux ont rarement derrière eux des troupes marchant au pas cadencé et prêtes à s’ébranler sur une simple injonction !
Les dirigeants des religions ont conscience d’un problème de crédibilité : si une religion n’influence pas positivement la vie de ses fidèles, si elle ne contribue pas à l’harmonie du monde, elle risque de voir peu à peu ses effectifs fondre dans un monde où s’exerce de moins en moins une pression sociale pour le maintien d’appartenances. Le génocide qui s’est produit en 1994 au Rwanda, un pays largement christianisé (il ne s’agissait assurément pas là d’un cas de « guerre de religion » !), n’a pas seulement donné lieu à de sévères examens de conscience sur la faillite des Eglises[35], mais aussi à une floraison de communautés chrétiennes nouvelles[36]. Pour qui est insatisfait, il est facile aujourd’hui d’aller voir ailleurs. Cette réalité marquera encore plus les religions dans de larges zones du monde au XXIe siècle.
Les religions peuvent assurément exercer parfois une influence positive en faveur de la paix[37]. Ainsi, la communauté de Sant’Egidio a joué un rôle non négligeable dans la conclusion de l’accord de paix pour le Mozambique signé à Rome en octobre 1992 après 27 mois de négociation[38]; elle a eu, comme on le sait, moins de succès dans sa tentative d’intervenir pour résoudre la crise algérienne. Plusieurs organisations religieuses œuvrent (parfois très discrètement) à la réconciliation et à la paix. Mais probablement ont-elles le plus de succès dans des conflits où elles ne sont pas elles-mêmes impliquées à un titre ou à un autre. Il ya eu plusieurs déclarations en faveur de la paix par des dirigeants religieux de l’ex-Yougoslavie – sans grand effet. Quant au Proche-Orient, en raison de ses liens historiques avec les racines des grandes religions monothéistes, il connaît probablement la plus forte densité d’organisations de dialogue interreligieux[39]: cette prolifération de groupes qui prétendent contribuer à une meilleure compréhension ne semble pas avoir exactement les effets qu’on pourrait en attendre… Les activités de dialogue interreligieux et les efforts pour promouvoir la paix à travers celui-ci rassemblent avant tout des professionnels du dialogue, qui vont de colloque en conférence et de séminaire en rencontre fraternelle. Mais les « troupes », si l’on ose utiliser cette expression, ne suivent pas toujours – précisément parce que les fidèles d’une religion ne sont pas vraiment comparables aux divisions d’une armée.
Il vaut certainement la peine de continuer à explorer les voies par lesquelles les religions peuvent apporter leur pierre à la résolution de certains conflits, d’autant plus qu’elles continueront à être des forces qui motiveront profondément des êtres ou groupes humains à agir pour le meilleur ou pour le pire[40]. Pourtant, malgré la bonne volonté et des initiatives particulières toujours bienvenues (après tout, on ne se plaindra pas si des efforts de paix peuvent atteindre des résultats, même limités), il n’est pas sûr que la contribution des religions à la paix devienne beaucoup plus efficace au cours du quart de siècle à venir, surtout dans un contexte où les fidèles ne deviennent certainement pas plus disciplinés… En revanche, cela n’empêche pas que des religions contribuent à l’évolution de sociétés, comme nous allons le voir.
* L’influence des religions sur la vie publique s’exercera de façon différente selon les régions du monde. Dans des pays où les possibilités d’expression politique pluraliste sont faibles, il est probable que la religion demeurera un ressource de liberté de parole et de changement. Dans les pays démocratiques, les grandes communautés religieuses resteront présentes à travers des débats sur des questions éthiques, par exemple.
L’influence des religions sur la vie publique dépend grandement des contextes historiques et politiques : dans les pays d’Europe hier communistes, les religions jouaient un rôle très différent d’un pays à l’autre. Aujourd’hui, il existe des zones du globe dans lesquelles des religions, par leur autorité morale, sont en mesure d’exercer une influence positive. Je pense par exemple ici à certaines régions d’Afrique, dans lesquelles les Eglises sont parmi les rares organisations ayant la possibilité et les moyens d’intervenir avec une certaine autorité dans le débat public, de compenser certaines insuffisances d’Etats et de contribuer au renforcement de la société civile[41]. Des Eglises peuvent agir selon des modalités qui ne sont pas politiques, mais ont des conséquences sur le plan politique. A l’occasion de la 12e assemblée plénière du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar, qui s’est tenue du 30 septembre au 9 octobre 2000 près de Rome, le secrétaire général de cette assemblée a expliqué : « […] nous pouvons dire que, quand il y a eu une crise en Afrique, le peuple et les politiciens ont demandé l’aide de l’Eglise. […] Nous prêtons attention à la politique seulement dans la mesure où cela touche la vie du peuple. »[42]
Par leur simple existence, en créant un espace de liberté idéologique dans lequel l’Etat n’a pas le droit de s’immiscer, des Eglises jouent un rôle politique perçu comme menace par des régimes fondés sur une forte composante idéologique. Le cas de la Chine est vraisemblablement le plus frappant. Surtout depuis l’effondrement du système soviétique, les dirigeants communistes chinois ont prêté une grande attention au rôle possible joué par les Eglises dans ce processus d’évolution politique, afin d’en tirer les leçons et d’éviter si même possible de subir le même sort. Au milieu des années 1990, l’un des principaux dirigeants du Parti communiste chinois écrivait : « Je suis profondément troublé quand je lis [des informations] sur l’infiltration sans cesse croissante par des groupes religieux, en particulier les activités antirévolutionnaires qui sont entreprises sous le couvert de la religion. Ceci a été une technique employée de longue date par nos ennemis de classe, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, d’utiliser la religion pour tourner nos jeunes contre nous. C’est une pénible leçon, et nous devons tirer des enseignements de l’expérience d’autres Etats communistes. »[43]Non moins révélatrice est la remarque faite en février 2000 par le président Jiang Zemin : « Falun Gong représente autant une menace pour le Parti communiste que l’a été le mouvement Solidarité pour les communistes en Pologne dans les années 1980. »[44] On ne saurait plus clairement indiquer la perception de ces activités religieuses par le régime communiste chinois[45]. La répression des activités religieuses « illicites » par la Chine, qui a connu une intensification dans le courant des années 1990, va se poursuivre dans les prochaines années – sans que cela signifie pour autant l’abandon du discret dialogue diplomatique avec le Vatican, par exemple, qui pourrait même finir par déboucher sur une normalisation des relations. A long terme, cependant, le Parti communiste chinois perdra la partie : il s’usera avant les groupes religieux qu’il combat – et même s’il devait réussir à en éliminer complètement certains, d’autres apparaîtront. Ce que nous ignorons, en revanche, et qu’il est impossible de se risquer à prédire, ce sont les circonstances dans lesquels le communisme, tôt ou tard, cédera la place à un autre régime en Chine continentale.
Bien entendu, ce n’est pas seulement le christianisme qui est susceptible de jouer un tel rôle. En Birmanie, même si une partie du clergé est soumise au pouvoir, qui s’est livré à de gros efforts pour contrôler les structures du bouddhisme, les observateurs estiment que la majorité des moines sont favorables à la démocratisation et encouragent probablement une résistance sourde contre l’autoritarisme du régime[46]. De même, des informations régulières en provenance du Vietnam montrent comment des moines, sans s’engager dans des actions politiques à proprement parler, adoptent un comportement qui est perçu par le régime comme une contestation de son contrôle.
Et l’Occident ? On y trouve dans plusieurs pays des partis politiques à étiquette religieuse (principalement la démocratie chrétienne), mais ce n’est pas le principal canal par lequel, aujourd’hui, des Eglises peuvent espérer influencer la vie publique : certes, les valeurs chrétiennes orientent encore les projets d’une minorité d’hommes politiques, mais peu d’entre eux déterminent leur action en fonction d’orientations ou de consignes données par leurs Eglises ! Les sociétés dans lesquelles nous vivons peuvent être dites sécularisées dans le sens où les Eglises y exercent une influence relativement modeste. Mais elles ne sont pas absentes des débats contemporains ; le caractère toujours plus complexe des questions éthiques dans le monde moderne leur offre une occasion de jouer à nouveau un rôle, et même d’être sollicitées pour le faire. L’Eglise catholique romaine s’efforce ainsi de s’affirmer « comme une autorité morale de référence »[47]. Elle se veut « experte en humanité ». Les religions continueront à tenter de participer aux débats de société, parfois en choisissant de nouvelles voies. Il reste cependant à voir si elles auront ainsi réellement la possibilité d’influencer des orientations stratégiques.
* Dans ce contexte plus individualiste, les élites religieuses traditionnelles se verront toujours plus concurrencées par d’autres sources potentielles d’autorité religieuse.
Cela rejoint la question du contrôle de leurs « troupes » par leurs dirigeants religieux, question que nous avons déjà examinée brièvement. Si nous observons le monde musulman contemporain, nous constatons que les autorités religieuses traditionnelles s’y trouvent de plus en plus en concurrence avec d’autres « experts », qui n’appartiennent pas à ces élites. Nous assistons plutôt à ce que des spécialistes ont décit comme une « fragmentation de l’autorité », avec des sources concurrentes et contradictoires qui se disputent la gestion du sacré et l’autorité qui en dérive[48]. Cela entraîne d’ailleurs dans certains cas une surenchère, des groupes radicaux contraignant de fait les autorités religieuses traditionnelles à durcir leurs positions pour ne pas être dépassées et « délégitimées ». Il convient de prêter attention aussi au développement d’Internet et à la multiplication de sites islamiques en tous genres : comme l’a fait remarquer un universitaire musulman, « le développement de cette technologie va rendre l’itjihad [jugement indépendant fondé sur les sources islamiques] beaucoup plus aisée […]. »[49] La multiplication des sources potentielles d’autorité va ainsi encore s’accentuer dans le monde musulman[50]. Cela renforcera l’impact transnational de certaines propagandes et permettra également à de petits groupes musulmans activistes d’atteindre plus rapidement une présence internationale.
Nous ne sommes qu’au début de ce processus. Et le monde musulman ne sera pas le seul touché, même s’il est vraisemblable que cela présente des conséquences beaucoup plus immédiates en matière de sécurité. De façon générale, les nouveaux moyens de communication paraissent susceptibles de favoriser le développement de liens directs, horizontaux, court-circuitant les autorités religieuses traditionnelles et multipliant les sources d’autorité[51]. En outre, en raison de l’accès à une masse sans précédent de données et du véritable déluge d’informations qui nous submerge (le problème n’est plus tant de trouver l’information que de s’y retrouver !), d’autres sources de renseignement sur les questions religieuses joueront un rôle toujours plus important, en concurrence avec les autorités traditionnelles : par exemple les médias séculiers, comme pourvoyeurs d’information et de culture, y compris dans le domaine spirituel, même si le message y devient parfois insipide ou dilué[52].
* Certaines formes d’activisme religieux déboucheront vraisemblablement sur des attitudes plus modérées, aptes à composer avec un environnement pluraliste et développant éventuellement des voies originales de participation politique.
Nous avons parfois tendance à considérer que l’activisme religieux débouchera inéluctablement sur la violence et sur des défis périlleux lancés aux sociétés sécularisées. La réalité est plus nuancée, et risque de se nuancer encore durant le quart de siècle qui nous attend. Certes, des mouvements radicaux et violents continueront d’émerger. Mais d’autres groupes d’activistes religieux seront amenés à composer avec des systèmes politiques pluralistes et à s’intégrer au sein de ceux-ci, parfois peut-être en imaginant des formes de participation créatrices. Aux Etats-Unis, la Moral Majorityet les différentes manifestations du militantisme politique chrétien qui lui ont succédé ont en grande partie joué le jeu du système et peut-être même contribué à la vitalité du débat politique en incitant à s’y intéresser et à s’y engager des gens qui ne se seraient sinon reconnus dans aucun des courants existants.
Il ne paraît pas exclu que des développements en partie semblables se produisent dans certains secteurs du monde musulman[53]. Il y a une grande variété de courants islamiques militants. Si nous observons la situation en Turquie, nous constatons qu’il s’y trouve de jeunes intellectuels islamiques qui manifestent une réelle curiosité pour d’autres philosophies, en ne remettant nullement en question leurs propres convictions, mais sans que cela entraîne un rejet d’autres réalités religieuses et culturelles – ils sont tellement convaincus que l’avenir leur appartient que cela les incite à une forme de respect et de tolérance. Depuis quelque temps, en dépit de la méfiance traditionnelle de l’islamisme turc pour le rapprochement avec l’Union européenne – longtemps perçue comme une façon de se détourner du monde islamique - , certains militants musulmans commencent à se montrer favorables à une participation de la Turquie à l’UE, espérant bien sûr que cela entraînera une plus forte démocratisation du pays. Ce n’est pas un développement négligeable. Des personnes familières avec la situation indonésienne disent y constater l’existence de courants analogues. Bien entendu, c’est une face de la réalité, il y en a d’autres, mais nous assisterons à plusieurs développements de ce genre au cours des vingt-cinq années à venir dans différents pays, même s’il est évidemment trop tôt pour savoir si cela entraînera des conséquences politiques profondes.
* Il continuera d’y avoir des actes de violence commis par de petits groupes religieux. Dans la plupart des cas, il est cependant peu vraisemblable qu’ils réussissent à avoir un impact stratégique.
Un autre aspect, malheureusement, sera la poursuite d’actions violentes de la part de petits groupes religieux militants se référant aux croyances les plus variées – qu’il s’agisse de mouvements indépendants ou, au contraire, sur les marges radicales de grandes traditions religieuses. On sait que le nombre de groupes terroristes à motivation religieuse s’est multiplié au cours des années 1980 et 1990, alors qu’il en existait fort peu dans les décennies immédiatement précédentes, au point que certains experts n’écartent pas de ce fait la possibilité d’actes de violence « plus nombreux et plus intenses »[54].
Les prédictions dans ce domaine sont hasardeuses – et aux acteurs prévisibles, déjà identifiés, peuvent s’en ajouter d’autres, dont nous ignorons peut-être jusqu’à l’existence : il y a moins de dix ans, qui aurait pensé à un groupe comme Aum Shinrikyo ? La violence à motivation religieuse n’est cependant pas nouvelle. Elle nous frappe avant tout parce que nous ne l’avions pas attendue, mais aussi parce que, comme tout acte de type terroriste, elle vise à produire des actions spectaculaires, et peut-être plus encore, d’ailleurs, que les actions terroristes séculières : Mark Juergensmeyer fait remarquer que, dans bien des cas, il ne faut pas l’interpréter en terme de tactique visant à atteindre des objectifs terrestres et immédiats, mais plutôt d’actions dramatiques qui veulent frapper les esprits par leur portée symbolique[55].
Je ne doute pas, hélas, que des actes de ce genre continueront de se produire au cours des vingt-cinq prochaines années. Je pense aussi que les acteurs de cette violence à fondement idéologique religieux apparaîtront au sein de différentes traditions. Les craintes liées au contexte de mondialisation, aux mutations technologiques et au sentiment de perte des repères traditionnels qui vont les accompagner, seront propices à susciter dans certains esprits la tentation du recours à des solutions extrêmes, sur des bases aussi bien religieuses (ou quasi-religieuses) que séculières.
§ § §
A l’aube du XXIe siècle – pour revenir aux considérations exprimées au début de ce texte - , peu d’analystes prendraient le risque de prédire la disparition de la religion : sciences et techniques ont connu des avancées considérables, mais elles n’ont certainement pas apporté la réponse à toutes les questions traditionnelles de l’humanité sur le sens et la précarité de l’existence, et probablement en ont-elles suscité de nouvelles[56]. Mais la recherche de réponses va de moins en moins s’effectuer dans un cadre unique : les itinérances religieuses tendront à devenir plus individualisées, en Occident en tout cas, et le « bricolage religieux » personnel sera de plus en plus répandu, ce qui n’est pas sans conséquences sociales - « des fragments religieux ne constituent pas une communauté morale »[57]. La cohésion de nos sociétés autour de valeurs communes et largement acceptées, au-delà du simple désir de bien-être et de prospérité ou d’un vague humanisme, pourrait devenir une question cruciale.
Cela dit, de grands groupes religieux continuent d’exercer une influence qui, décroissante peut-être dans la plupart des pays occidentaux pour l’instant, joue toujours un rôle plus ou moins important dans d’autres contextes. De plus, l’influence des religions ne se mesure pas seulement à l’impact direct qu’elles peuvent avoir sur des processus politiques, économiques et sociaux : une religion est une manière de penser, d’aborder l’existence quotidienne, de se comporter dans la société. La diffusion ou le recul d’une religion sur un territoire ne restent donc pas sans conséquences à long terme. Or, le XXIe siècle continuera de voir des modifications de la carte religieuse du globe, pas seulement par suite de conversions, mais aussi en raison des facilités de communication et des migrations. Au cours des dernières décennies, par exemple, la mission de groupes protestants (surtout nord-américains) en Amérique latine a entraîné la conversion d’un pourcentage non négligeable de la population dans certains pays ; dans un second temps se sont également développés des groupes religieux autochtones d’inspiration pentecôtiste. Cela ne transforme pas seulement la carte religieuse de certains pays, mais peut avoir des conséquences politiques, économiques, stratégiques, même si elles ne se manifestent que dans la longue durée.
Les religions continueront en l’an 2025 d’affecter à certains égards la sécurité du globe, pour le meilleur ou pour le pire. Mais il ne faut pas non plus exagérer leurs possibilités d’influence, comme nous l’avons vu, d’autant plus que les croyances traditionnelles vont devoir faire face à de multiples défis, à commencer par l’accélération constante des mutations technologiques, mais aussi des problèmes de crédibilité et des tensions internes probablement toujours plus vives entre orientations divergentes au sein d’une même religion. Quel que soit leur rôle dans le monde, les religions ne pourront ignorer qu’elles vivent dans un monde marqué par la modernité et la sécularisation, et ces faits leur imposeront un cadre et des limites : les croyants ne peuvent plus entièrement croire de la même manière.Pourtant, si une durée de 25 ans représente un segment considérable pour une prospective stratégique, l’échelle de temps sur laquelle avancent les religions est beaucoup plus longue, car des mentalités ne se transforment pas du jour au lendemain, des appartenances séculaires et inscrites par de multiples signes dans notre environnement ne disparaissent pas en l’espace d’une génération. Les données stratégiques se modifieront, la politique de sécurité devra s’adapter à un environnement changeant, les conditions dans lesquelles agiront les religions se transformeront plus ou moins profondément, mais il est peu probable qu’elles présenteront un visage radicalement différent dans vingt-cinq ans seulement.
Jean-François Mayer
Fribourg, le 8 octobre 2000 ; revu le 13 novembre 2000.
Notes
[1] Cf. Jean E. Rosenfeld, « Profane Acts, Profound Consequences », in Los Angeles Times, 4 octobre 2000. La lecture des textes des militants juifs sionistes favorables à la reconstruction du Temple sur l’esplanade des mosquées montre que les émotions s’enflamment tout aussi rapidement « en face », par exemple lorsque l’administration musulmane se livre à des travaux sur le site. On peut le voir en visitant un site comme celui des Fidèles du Mont du Temple et de la Terre d’Israël : http://www.templemountfaithful.org/.Sur les spéculations et l’activisme autour du Mont du Temple, cf. Gershom Gorenberg, The End of Days : Fundamentalism and the Struggle for the Temple Mount, New York, Free Press, 2000.
[2] Selon Elie Rekhess, directeur du programme sur la politique arabe au Dayan Center de l’Université de Tel Aviv, le sentiment religieux constitue l’un des principaux facteurs ayant conduit à cette situation, au-delà des rangs du Mouvement islamique ; en outre, il se trouve que ce dernier a fait de la cause de la mosquée d’Al Aqsa un thème de ralliement et d’agitation depuis quelques années, ce qui a encore aggravé la crise – à laquelle des éléments de frustration socio-économique au sein de la population arabe ne sont pas non plus étrangers (David Rudge, « Expert : Arabs were Ripe for Explosion », Jerusalem Post, édition en ligne, 3 octobre 2000).
[3] Sur Falun Gong, on pourra trouver une très bonne analyse dans l’article de Hubert Seiwert, « Falun Gong – eine neue religiöse Bewegung als innenpolitischer Hauptfeind der chinesischen Regierung », in Religion – Staat – Gesellschaft. Zeitschrift für Glaubensformen und Weltanschauungen, 1/1, 2000, p. 119-144.
[4] Le régime chinois ne fait ici que poursuivre une tradition de suspicion précommuniste : l’un des martyrs chinois, Joseph Yuan, exécuté par strangulation en 1817, fut interrogé sur la demande de l’oraison dominicale : « Que votre règne arrive ! » En effet, « le préfet soutenait que le sens de cette phrase était que les Européens viendraient pour s’emparer de la Chine » (cité par Jean Charbonnier, « Canonisation de martyrs de l’Eglise de Chine », inEglises d’Asie, supplément au N° 315, septembre 2000, p. 7).
[5] Peter L. Berger, « The Desecularization of the World : A Global Overview », in P.L. Berger (dir.), The Desecularization of the World : Resurgent Religion and World Politics, Washington / Grand Rapids (Michigan), Ethics and Public Policy Center / William B. Eerdmans, 1999, pp. 1-18.
[6] Ibid., pp. 9-10.
[7] Adresse du site : www.latinmass-ctm.org. Avis aux amateurs… mais le chargement de la vidéo est très long ! A certains égards, ces messes sur Internet pourraient être considérées comme une extension des retransmissions télévisées destinées aux malades et isolés. La juxtaposition entre technologies modernes et revendication pure et dure de la tradition n’en est pas moins frappante.
[8] Ce texte prolonge la réflexion entamée il y a quelques années dans le cadre d’un aperçu d’ensemble de la situation des religions dans le monde et de leur impact stratégique : J.-F. Mayer, Religions et sécurité internationale, Berne, Office Central de la Défense, 1995. Cf. également J.-F. Mayer, « Las religiones en el siglo XXI : perspectivas y temas abiertos », inRevista de la Escuela Nacional de Inteligencia (Buenos Aires), pp. 187-206.
[9] Il n’y a cependant pas unanimité à ce sujet, et le débat sur la conversion parmi les parsis n’est pas nouveau ; de fait, des convertis ont été acceptés, dans le cas de mariages mixtes, mais cela a causé des divisions au sein de la communauté (Cyrus R. Pangborn,Zoroastrianism : A Beleaguered Faith, Nouvelle Delhi, Vikas Publishing House, 1982, pp. 141-146). En revanche, un livre publié par la Fédération des associations zoroastriennes d’Amérique du Nord soutient que la « microscopique communauté parsie » ne dispose pas de la « masse critique nécessaire pour absorber des mariages mixtes, particulièrement dans la liberté relative qui prévaut en Amérique du Nord » ; selon eux, cela conduirait inévitablement à la disparition de l’identité zoroastrienne (Khojeste P. Mistree et Mobed Fariborz Sohrab Shahzadi, The Zarathushti Religion : A Basic Text, Hinsdale [Illinois], The Federation of Zoroastrian Associations of North America, 1998, p. 175).
[10] Ces chiffres incluaient cependant les Indiens d’autres religions. Cf. Jagat K. Motwani et al. (dir.), Global Indian Diaspora : Yesterday, Today and Tomorrow, New York, Global Organization of People of Indian Origin, 1993.
[11] Bien des hindous restent réticents face aux conversions, mais une seule des quatre grandes écoles de l’hindouisme maintient un refus systématique et absolu des conversions, selon le mensuel Hinduism Today (22/1, janvier 2000, p. 31).
[12] Cf. Joseph R. Rosenbloom, Conversion to Judaism : From the Biblical Period to the Present, Cincinnati (Ohio), Hebrew Union College Press, 1978.
[13] Un phénomène récent et digne d’attention, car il s’est développé en un temps très court et paraît appelé à croître, est l’émergence de maîtres spirituels occidentaux se réclamant de traditions orientales, mais reprenant en fait rarement celles-ci telles quelles (cf. Andrew Rawlinson, The Book of Enlightened Masters : Western Teachers in Eastern Traditions, Chicago / LaSalle, Open Court, 1997).
[14] Karl-Fritz Daiber, Religion unter den Bedingungen der Moderne. Die Situation in der Bundesrepublik Deutschland, Marburg, Diagonal Verlag, 1995, pp. 172-174.
[15] Ce n’est pas un scénario complètement exclu, en revanche, à l’échelle d’un pays ou d’une ethnie. Le cas du mouvement chinois Falun Gong est frappant à cet égard, puisqu’il a réussi probablement à rassembler deux millions d’adeptes au moins en dix années à peine. Mais il semble n’attirer que marginalement des adhérents non chinois et rien ne dit qu’il poursuivra sa progression ou même se maintiendra à long terme : il y a aussi des mouvements qui déclinent après des débuts prometteurs.
[16] Lowell C. ‘Ben’ Bennion et Lawrence A. Young, « The Uncertain Dynamics of LDS Expansion, 1950-2020 », in Dialogue : A Journal of Mormon Thought, 29/1, printemps 1996, pp. 8-32.
[17] Sergio Della Pergola, « World Jewish Population, 1997 », in American Jewish Year Book 1999, New York, American Jewish Committee, 1999, pp. 543-580.
[18] Sur l’ambivalence du potentiel offert par Internet aux nouveaux mouvements religieux et sectes, cf. J.-F. Mayer, « Les nouveaux mouvements religieux à l’heure d’Internet », inCahiers de Littérature orale, N° 47, 2000, pp. 127-147.
[19] Mark Juergensmeyer, The New Cold War ? Religious Nationalism Confronts the Secular State, Berkeley, University of California Press, 1993.
[20] Le patriotisme n’est pas étranger aux Frères Musulmans dans d’autres pays, mais la démarche de Hamas présente certaines spécificités : « Les mouvements de Frères Musulmans égyptiens et syriens ont justifié leur patriotisme local en soulignant les rôles centraux que leurs pays respectifs ont joué dans l’histoire islamique. Hamas ne pouvait suivre ce modèle, puisque la Palestine dans ses frontières présentes n’a jamais existé comme une seule unité politique ou administrative sous les différents empires musulmans et n’a jamais abrité un centre politique majeur. Hamas a plutôt articulé une signification spirituelle islamique pour l’identité et le patriotisme palestiniens, qui dérive de la sainteté de la Palestine comme une terre sainte islamique. Une autre raison principale pour sanctifier la Palestine a été le besoin de réfuter et peut-être même de s’approprier les prétentions religieuses juives sur la sainteté de la terre d’Israël. A certains égards, les prétentions religieuses juives et islamiques sur la Palestine présentent des images miroirs. » (Meir Litvak, The Islamization of Palestinian Identity : The Case of Hamas, Tel Aviv, Moshe Dayan Center for Middle Eastern and African Studies, 1996, pp. 10-11)
[21] Cf. Christine von Kaenel-Mounoud, « Le martyr/e dans la société palestinienne », inTsantsa. Revue de la Société suisse d’ethnologie, N° 4, 1999, pp. 75-91.
[22] Renzo Guolo, « Terra e redenzione. Il radicalismo religioso in Israele », in Religioni e Società, N° 26, sept.-déc. 1996, pp. 65-80 (p. 65).
[23] Cf. Gideon Aran, « The Father, the Son and the Holy Land. The Spiritual Authorities of Jewish-Zionist Fundamentalism in Israel », in R. Scott Appleby (dir.), Spokesmen for the Despised : Fundamentalist Leaders of the Middle East, Chicago / Londres, University of Chicago Press, 1997, pp. 194-327.
[24] On lira bien sûr à ce sujet les travaux très documentés de Christophe Jaffrelot, à commencer par son copieux volume : Les Nationalistes hindou. Idéologie, implantation et mobilisation des années 1920 aux années 1990, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1993. Trad. anglaise revue et mise à jour : The Hindu Nationalist Movement and Indian Politics, Londres, Hurst, 1996.
[25] Cf. J.-F. Mayer, « Les fondamentalismes entre religion et politique », in Pierre d’Angle(Aix-en-Provence), N° 3, 1997, pp. 47-62.
[26] Que l’on pense par exemple aux Eglises protestantes ou orthodoxes, généralement organisées sur une base nationale, ou à l’islam, dont la diaspora se retrouve souvent divisée en fonction de distinctions nationales ; même les grandes organisations qui se veulent panislamiques se trouvent souvent liées de fait à la stratégie d’un Etat, qu’il s’agisse de l’Arabie saoudite, du Pakistan ou de la Libye.
[27] Comme on l’a fait remarquer, la mondialisation offre au catholicisme romain , qui ne s’est jamais senti à l’aise dans le système des Etats-nations, « des possibilités uniques de s’étendre, de s’adapter rapidement au nouveau système mondial émergent et peut-être même de jouer un rôle actif en façonnant certains aspects du nouveau système » (José Casanova, « Globalizing Catholicism and the Return to a ‘Universal’ Church », in Susanne Hoeber Rudolph et James Piscatori [dir.], Transnational Religion and Fading States, Boulder [Colorado] / Oxford, Westview Press, 1997, pp. 121-143).
[28] Cf. Dale F. Eickelman, « Trans-state Islam and Security », in ibid., pp. 27-46.
[29] Grace Davie, « Contrastes dans l'héritage religieux de l'Europe », in Grace Davie et Danièle Hervieu-Léger (dir.), Identités religieuses en Europe, Paris, La Découverte, 1996, p. 43-62 (p. 58).
[30] Cf. Annuaire statistique de l’Eglise 1997, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 1999.
[31] Il est en fait très difficile d’évaluer quels sont les chiffres véritables, car des statistiques très approximatives et probablement gonflées sont parfois citées.
[32] David B. Barrett (dir.), World Christian Encyclopedia, Nairobi / Oxford / New York, Oxford University Press, 1982, p. 782 (une édition revue et mise à jour de ce monumental et précieux ouvrage était annoncée pour l’an 2000 et sera probablement disponible au début de l’année 2001).
[33] On observe des tensions entraînées par cet activisme religieux à la fois au sein des communautés et entre religions dans un pays comme la Tanzanie, et il est probable que des recherches sur d’autres pays aboutiraient à des observations similaires (Frieder Ludwig, « After Ujamaa : Is Religious Revivalism a Threat to Tanzania’s Stability ? », in David Westerlund [dir.], Questioning the Secular State : The Worldwide Resurgence of Religion in Politics, Londres, Hurst, 1996, pp. 216-236). Les dirigeants religieux tanzaniens viennent d’ailleurs de créer une « Commission islamo-chrétienne pour la paix, le développement et la résolution des conflits en Tanzanie », qui vise précisément à prévenir les conflits entre musulmans et chrétiens face aux activités de groupes qui provoquent des tensions entre les communautés et à d’autres problèmes qui peuvent affecter la société et en perturber l’harmonie (« Fundamentalists No Longer Disprupting Peace », African Church Information Service [Nairobi], 6 octobre 2000).
[34] Cf. John Witte et Richard C. Martin (dir.), Sharing the Book : Religious Perspectives on the Rights and Wrongs of Proselytism, Maryknoll (New York), Orbis Books, 1999.
[35] Hugh McCullum, The Angels Have Left Us : The Rwanda Tragedy and the Churches, Genève, World Council of Churches, s.d.
[36] Information communiquée par le chercheur néerlandais Gérard van’t Spijker (août 2000), qui m’a indiqué qu’il avait recensé jusqu’à 300 nouvelles dénominations qui se sont développées après 1994 !
[37] Un livre publié il y a quelques années aux Etats-Unis soutenait d’ailleurs que la contribution possible des religions à la paix avait été un facteur trop négligé par la diplomatie internationale : Douglas Johnston et Cynthia Sampson (dir.), Religion, the Missing Dimension of Statecraft, New York / Oxford, Oxford University Press, 1994.
[38] Le rôle joué par Sant’Egidio ne doit d’ailleurs pas éclipser la contribution d’autres groupes religieux ; en outre, des Etats ont également encouragé les efforts de paix, et le résultat atteint ne saurait être ramené à un facteur unique (cf. Alex Vines et Ken Wilson, « Churches and the Peace Process in Mozambique », in Paul Gifford [dir.], The Christian Churches and the Democratisation of Africa, Leyde / New York / Cologne, E.J. Brill, 1995, pp. 130-147).
[39] Cette observation se fonde sur un inventaire (non publié) établi en 1998 dans le cadre de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich par Christian Hofer, « Directory of Interfaith Agencies in Israel, Palestinian Territories and Jordan » (cette recherche avait été soutenue par le Département fédéral suisse des affaires étrangères). Le rapport incluait également une liste (non exhaustive) de près de 100 conférences interreligieuses pour le Proche-Orient réunies entre 1994 et 1998 !
[40] Deux ouvrages récents peuvent stimuler la réflexion sur ces questions : R. Scott Appleby, The Ambivalence of the Sacred : Religion, Violence, and Reconciliation, Lanham (Maryland), Rowman & Littlefield, 2000 ; Marc Gopin, Between Eden and Armageddon : The Future of World Religions, Violence and Peacemaking, New York, Oxford University Press, 2000.
[41] Cf. Paul Gifford, African Christianity : Its Public Role, Londres, Hurst, 1998.
[42] Cité par Pauline Mumia, « Churches in Africa Resolve to Keep Clear of Politics », African Church Information Service (Nairobi), 6 octobre 2000.
[43] Cité par Beatrice Leung, « Catholic Bridging Efforts with China », in Religion, State & Society, 28/2, juin 2000, pp. 185-195 (p. 186).
[44] South China Morning Post, February 12, 2000.
[45] A noter que ce qu’on sait aujourd’hui des réactions qui accueillirent en 1978 l’élection de Jean-Paul II dans les pays sous domination soviétique montre que les dirigeants communistes de l’Europe de l’Est pressentirent immédiatement le danger potentiel présenté par le nouveau pontife, considéré comme « plus dangereux à l’échelon idéologique que ses prédécesseurs » (Felix Corley, « Soviet Reaction to the Election of Pope John Paul II », inReligion, State & Society, 22/1, 1994, pp. 37-64 [p. 41]).
[46] Cf. Bruce Matthews, « The Legacy of Tradition and Authority : Buddhism and the Nation in Myanmar », in Ian Harris (dir.), Buddhism and Politics in Twentieth-Century Asia, Londres /New York, Pinter, 1999, pp. 26-53.
[47] Liliane Voyé, « Religion in Modern Europe : Pertinence of the Globalization Theories ? », in Nobutaka Inoue (dir.), Globalization and Indigenous Culture, Tokyo, Kokugakuin University, 1997, pp. 155-186 (p. 172).