A la veille des élections présidentielles au Mali, plusieurs observateurs soulignent l'importance croissante du facteur islamique. La multiplication des associations islamiques en est l'indice le plus perceptible.
Le Mali se trouve en période électorale: premier tour de l'élection présidentielle le 28 avril (second tour le 12 mai si aucun candidat ne passe la barre des 50%), puis élections législatives au mois de juillet.
Ce pays de 11 millions d'habitants jouit d'une réputation plutôt bonne auprès des pays occidentaux: économie de marché et multipartisme. Les 24 candidats au premier tour de l'élection présidentielle témoignent de ce pluralisme politique. Un nombre de prétendants que certains Maliens semblent d'ailleurs trouver un peu excessif, de même que les 80 partis actifs dans le pays. Soumaïla Cissé, l'un des 24 candidats (et membre du parti au pouvoir, il est vrai), le déclarait à l'AFP (26 avril 2002): "Il n'est pas souhaitable que nous (ayons) 80 partis au Mali, où je suis convaincu qu'il n'y a pas 80 projets de société."
Plus de 90% de la population malienne est de religion musulmane. Et les dirigeants religieux musulmans sont entrés dans la bataille électorale. Lors des prières du vendredi 26 avril, les prédicateurs de plusieurs mosquées ont appelé à voter pour l'ancien Premier Ministre Ibrahim Boubacar Keita. Non sans susciter l'irritation de nombre de fidèles à Bamako, fâchés de voir la mosquée utilisée à des fins politiciennes, rapporte Joan Baxter (correspondante de la BBC, 26 avril 2002). D'autant plus que le candidat Keita ne passe pas pour le plus pieux...
Le collectif de 20 associations qui a appelé à soutenir Ibrahim Keita avait présenté aux candidats plusieurs demandes pour l'application de règles islamiques dans la vie du Mali. Il déclare avoir discerné des convergences avec le programme du présidentiable officiellement appuyé par le collectif. Le programme du Rassemblement pour le Mali du candidat Keita ne présente cependant pas, à première vue, de traits particulièrement islamiques.
Il existe aussi au Mali d'importantes associations musulmanes qui entendent être "apolitiques" (en tout cas par rapport à la politique des partis) et pouvoir ainsi offrir un recours en cas de crise: par exemple l'Association malienne pour l'unité et le progrès de l'islam (AMUPI). L'AMUPI est représentée au sein de la commission électorale indépendante chargée de superviser le processus. Son président a expliqué à l'AFP (26 avril 2002) que l'Association avait "demandé à chacun de voter pour le candidat de son choix".
Le facteur musulman semble en tout cas appelé à jouer un rôle plus important que lors de précédentes consultations. C'est le résultat d'évolutions plus profondes. Alors qu'il n'existait que quelques associations islamiques il y a dix ans, elles sont aujourd'hui au nombre de 150 (Christian Science Monitor, 26 février 2002). A côté des péripéties politiques immédiates, cet élément mérite de retenir l'attention, d'autant plus qu'il illustre des développements qui ne se limitent pas aux frontières du Mali.
Un Haut Conseil Islamique du Mali a été créé au mois de janvier avec les encouragements du gouvernement, avec pour objectif avoué de réglementer la prédication et de représenter un interlocuteur unique de la communauté musulmane face aux autorités, "tout en sauvegardant la spécificité de chaque association", tenaient à souligner ses fondateurs.
L'élite politique du pays est de plus en plus souvent critiquée dans les prêches du vendredi au Mali, ce qui constitue apparemment un fait nouveau. La corruption et la pauvreté y sont dénoncés. Le Mali est parmi les pays les plus pauvres de la planète, avec une énorme dette de plus de 3 milliards de dollars et un PNB par habitant de 240 dollars (en 1999). Comme dans bien d'autres régions du monde, des gens s'interrogent sur la pertinence de l'imitation d'un modèle occidental qui n'a pas tenu ses promesses et se demandent si une solution fondée sur l'héritage islamique pourrait apporter des réponses plus adéquates.
Ces développements ne peuvent être séparés des courants qui agitent l'ensemble du monde musulman. Certains groupes recevraient de l'argent de pays du Golfe. Des missionnaires venus de pays musulmans ont invité des centaines de Maliens à aller recevoir une formation religieuse hors de leur pays. "Des efforts de recrutement toujours plus intenses se déroulent dans la région, et des prédicateurs radicaux en visite sont autorisés à parler dans les mosquées", affirmait au Washington Post (30 septembre 2001) un diplomate qui suit de près la situation religieuse du pays.
Au mois d'octobre 2001, la police malienne avait effectué une rafle dans les milieux islamistes pakistanais de Bamako, la capitale. Plusieurs associations islamiques maliennes ont vu dans l'adhésion de leur gouvernement à la "guerre contre le terrorisme" lancée par les Etats-Unis après le 11 septembre une preuve de la forte influence occidentale, et les portraits d'Oussama Ben Laden ont fleuri pendant plusieurs mois, même si cela doit être compris comme recours à un symbole protestataire face à l'Occident plus que comme adhésion aux thèses d'Al Qaïda.
Jean-François Mayer
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