David Cook enseigne à la prestigieuse Rice University, à Houston (Texas). Il a étudié à l'Université de Chicago et à l'Université hébraïque de Jérusalem. Il a soutenu sa thèse de doctorat à l'Université de Chicago en 2001. Il s'intéresse particulièrement à la littérature apocalyptique musulmane, à l'histoire islamique, à l'astronomie historique, à la religion populaire au Proche-Orient et aux relations philosophiques entre judaïsme et islam. Il est l'auteur d'un livre dont la parution est très attendue, Studies in Classical Muslim Apocalyptic Literature, à paraître chez Darwin Press (Princeton), dans la série "Studies in Late Antiquity and Early Islam".
David Cook est également l'auteur de plusieurs articles, certains accessibles sur Internet:
"Islam and Apocalyptic" (article introductif)
http://www.mille.org/scholarship/papers/cookabs.html
"Muslim Fears of the Year 2000" (Midle East Quarterly, juin 1998)
https://web.archive.org/web/20020106083941/http://www.meforum.org/meq/june98/muslim.shtml
"Die Propheten des Weltuntergangs" (Die Zeit, 2001)
https://web.archive.org/web/20041030113027/http://www.zeit.de/2001/39/Politik/200139_essay.cook.html
Liste des travaux de David Cook:
https://reli.rice.edu/Content.aspx?id=68
David Cook se penche sur des sujets peu souvent abordés et explore régulièrement les souks des pays du monde arabe pour y découvrir des traités apocalyptiques contemporains généralement ignorés. Il est également attentif aux emprunts à d'autres cultures et traditions religieuses. C'est en guide avisé qu'il confie à Religioscope ses observations.
N.B.: à la fin du texte, précisions sur plusieurs noms cités dans l'entretien et accès à un texte apocalyptique musulman contemporain en anglais.
Religioscope – Il n'est guère possible de comprendre le contenu et le rôle de la littérature apocalyptique musulmane contemporaine sans avoir quelques connaissances de la littérature musulmane classique sur ces thèmes. Comme nous le savons, les groupes millénaristes chrétiens s'appuient particulièrement sur des passages de certains livres de la Bible: par exemple le Livre de Daniel ou l'Apocalypse. Quelles sont donc les principaux fondements de la pensée apocalyptique musulmane – qu'il s'agisse du Coran lui-même ou des hadith (paroles et enseignements du Prophète)?
David Cook – Le fondement principal se trouve dans les hadith. Le Coran n'est pas un livre apocalyptique. On y trouve assez peu de séquences apocalyptiques. Pour la plus grande partie, sa nature eschatologique se manifeste dans des descriptions du Ciel et des Derniers Jours, mais pas sous la forme d'un apocalyptisme sur cette terre. En revanche, les hadith contiennent un important matériel d'apocalypses littéraires, de fragments apocalyptiques et d'imagerie apocalyptique, matériel sur lequel peut s'appuyer un apocalyptisme moderne.
Religioscope – Pourriez-vous préciser le rôle du Messie et du Mahdi dans la pensée musulmane sunnite traditionnelle?
D. Cook – Il existe plusieurs figures messianiques dans la pensée musulmane traditionnelle. La première d'entre elles est Jésus. Il doit revenir après son ascension au Ciel. A son retour, sa fonction sera de tuer l'Antéchrist. Il gouvernera la terre. Il est le champion de Dieu contre l'Antéchrist. Parmi les autres figures messianiques, mentionnons en particulier le Mahdi, qu'on peut réellement considérer comme le Messie de l'islam. Jésus lui donnera le pouvoir après la mise à mort de l'Antéchrist. Le Mahdi établira un royaume semi-messianique sur terre. Les valeurs musulmanes et l'islam en général y régneront.
Religioscope – Beaucoup de gens pensent que la pensée apocalyptique se manifeste surtout dans la tradition chiite. Mais votre recherche met en évidence que c'est également une composante bien réelle du sunnisme.
D. Cook – Tel est bien le cas. La tradition chiite est différente: sa tendance est plus fortement messianique. Il ne pouvait donc manquer de sauter aux yeux des chercheurs que la position du Douzième Imam était celle d'une figure qui reviendrait pour fonder un royaume messianique. Cependant, dans la pensée sunnite, on trouve beaucoup plus de développements d'idées apocalyptiques – dans le sens d'événements cataclysmiques supposés se produire avant la fin du monde – et d'une figure messianique non millénariste, qui ne doit pas nécessairement établir un royaume messianique, mais qui serait un chef idéalisé d'Etat musulman.
Religioscope – Quelle est l'aire de diffusion géographique de tels courants? Certaines zones du monde musulman ont-elles été plus marquées que d'autres?
D. Cook – Il ne me vient à l'esprit aucun lieu où ne se serait produite aucune activité millénariste. Nous avons des documents sur des figures messianiques en Afrique occidentale, une dynastie messianique a régné en Afrique du Nord, il y a eu des mouvements apocalyptiques au cours des quatorze derniers siècles dans la Péninsule arabique, bien sûr en Iran et souvent en Inde. Dans les limites de mes connaissances, j'aurais plus de mal à citer des mouvements en Asie centrale.
Religioscope – Qu'en est-il de mouvements millénaristes organisés au 20e siècle? Quels exemples vous viennent à l'esprit?
D. Cook – Par exemple la révolte messianique en Arabie saoudite en 1979. A la même époque se produisait également un mouvement messianique au Nigeria. De plus, nous ne pouvons pas exclure la possibilité que nombre de mouvements musulmans radicaux d'orientation violente soient teintés de tendances apocalyptiques.
Religioscope – Certains événements de l'actualité jouent souvent un rôle important dans la pensée de mouvements millénaristes: ainsi, la Révolution française suscita bien des spéculations apocalyptiques dans le monde chrétien. Pouvons-nous supposer que la guerre des Six Jours en 1967 a joué un rôle semblable pour des spéculations apocalyptiques musulmanes contemporaines?
D. Cook – Sans aucun doute. La guerre des Six Jours a été perçue comme l'événement apocalyptique par excellence. Elle représenta un choc cataclysmique pour le monde musulman tout entier. Elle entraîna la perte du contrôle des lieux saints musulmans de Jérusalem. Pour la plupart des musulmans, de tels événements étaient inexplicables. Il est donc assez naturel qu'un tel événement ait été interprété comme un événement apocalyptique. Nous ne saurions non plus nous étonner que cela ait donné lieu à une floraison de théories complotistes, qui ont fourni une base à plusieurs spéculations apocalyptiques postérieures.
Religioscope – En lisant vos articles, l'on ne peut remarquer votre insistance sur la différence entre l'apocalyptisme musulman classique et l'apocalyptisme contemporain. Quelles sont les principales différences?
D. Cook – Je commencerais par mentionner la tendance des auteurs contemporains à lier les prédictions traditionnelles à des événements présents. Cela n'a pas de précédent chez les auteurs apocalyptiques des époques antérieures, à une exception près – un auteur du 17e siècle écrivit un traité apocalyptique qui présente certaines caractéristiques des écrits modernes, mais c'était un cas isolé. En dehors de cet auteur, aucun auteur prémoderne n'essaie de mettre en relation les traditions et des événements précis survenant de nos jours. Cela s'est complètement transformé avec les auteurs contemporains.
Un autre aspect est l'usage fréquent de matériel biblique. Dans l'islam traditionnel, l'usage de la Bible n'est pas complètement interdit, mais assurément très inhabituel! Or, les auteurs apocalyptiques contemporains ne se bornent pas à recourir largement à la Bible, mais ils donnent au lecteur le sentiment de l'utiliser au même titre de preuve que les hadith et le Coran. Le moins qu'on puisse dire est qu'une telle démarche paraît problématique dans une perspective musulmane traditionnelle.
En outre, on ne peut manquer de relever l'usage important de théories du complot aux tonalités antisémites, qui servent d'arrière-plan à la lecture des événements qui se déroulent dans le monde contemporain.
Religioscope – Pour revenir à l'usage de la Bible, y avait-il quand même déjà une utilisation de la Bible dans des buts apologétiques au cours de périodes antérieures, ou est-ce entièrement nouveau? Même si l'islam affirme que le texte de la Bible a subi des interpolations, ce n'est pas un livre entièrement rejeté.
D. Cook – Oui, il y a eu des utilisations musulmanes de la Bible à l'époque classique: par exemple pour y trouver des références à la venue du Prophète Muhammad. Cela était particulièrement fréquent lorsque des chrétiens se convertissaient à l'islam: il n'était pas rare des les voir écrire ensuite un livre dans lequel ils interprétaient différents versets à la lumière de l'islam. Cependant, ces efforts n'ont pas pénétré très profondément dans l'islam normatif. Les versets ainsi choisis par ces convertis n'étaient pas vraiment utilisés par la plupart des musulmans pour justifier leur foi. Néanmoins, il est vrai qu'il y a eu une utilisation de la Bible dans l'islam traditionnel.
Religioscope – Et le recours au pseudo-évangile de Barnabé demeure-t-il très répandu?
D. Cook – Sans le moindre doute: il m'arrive même de le voir cité par certains de mes étudiants!
Religioscope- Ces auteurs contemporains qui citent la Bible n'ont peut-être pas lu que la Bible, mais également certains auteurs occidentaux qui utilisent la Bible? Je pense par exemple à des auteurs chrétiens millénaristes. Savons-nous si des auteurs musulmans contemporains sont par exemple des lecteurs du best-seller de l'Américain Hal Lindsey, 'The Late Great Planet Earth' (traduit en français sous le titre 'L'Agonie de notre vieille planète')?
D. Cook – Oui: il est nommément cité par une demi-douzaine d'auteurs au moins. En fait, la vision apocalyptique de ces auteurs musulmans contemporains a été façonnée par des contacts avec ce type d'écrits: soit par une connaissance de seconde main des théories de Hal Lindsey et d'autres auteurs dans une ligne semblable, soit en citant directement des références telles que Pat Robertson, Jerry Falwell, Hal Lindsey, Ronald Reagan, la Bible Scofield, et bien d'autres sources.
Religioscope – Qu'en est-il du recours à des sources occidentales non bibliques. A l'époque d'Internet, on pourrait imaginer des reprises non seulement de théories du complot, mais même de certains thèmes issus du New Age?
D. Cook – La littérature du New Age n'est guère populaire en milieu musulman. En revanche, différentes autres sources sont bien présentes. Vous pouvez trouver des citations de Nostradamus dans la littérature apocaylptique musulmane d'aujourd'hui, l'imagerie des OVNI est également très présente, sans parler de nombreuses citations d'Evangiles gnostiques, etc.
Religioscope – Puisque des emprunts sont même faits à la littérature occidentale, on ne serait pas surpris de trouver des emprunts également au chiisme?
D. Cook – Curieusement, il y a fort peu d'emprunts au matériel chiite. La construction intellectuelle sunnite est autosuffisante. Les chiites empruntaient beaucoup plus aux sunnites à l'époque classique – et continuent de le faire aujourd'hui. Les principaux emprunts identifiés au chiisme relèvent plus d'attitudes extrémistes (par exemple les attentats suicides).
Religioscope – Les auteurs apocalyptiques musulmans actuels s'efforcent-ils de déterminer des dates pour les événements prédits, comme certains de leurs homologues chrétiens?
D. Cook – Certainement. Il y a plusieurs groupes de dates à relever. Ainsi, il y a eu des spéculations autour de l'an 2000: des auteurs pensaient que quelque chose d'important allait se produire en l'an 2000, par exemple la destruction du Dôme du Rocher à Jérusalem. Un autre cycle de prédictions porte sur notre année 2076, c'est-à-dire l'an 1500 de l'ère musulmane, traditionnellement associée à l'achèvement du monde. Si le monde doit arriver à sa fin dans moins de 75 ans, toute une série d'événements doivent se produire d'ici là, ce qui donne lieu à des spéculations autour de différentes dates. Un troisième groupe de calculs apocalyptiques part de la fondation de l'Etat d'Israël: il s'agit de déterminer combien d'années l'Etat d'Israël doit exister selon le plan divin.
Religioscope – En vous écoutant, l'on ne saurait douter qu'il existe de nombreux auteurs apocalyptiques dans le monde musulman aujourd'hui. Mais nous savons que certains auteurs de ce type en Occident sont des voix qui crient dans le désert. Peut-on mesurer dans une certaine mesure l'impact et la circulation de la littérature apocalyptique? Existe-t-il un public?
D. Cook – J'en suis convaincu. En même temps, j'aurais du mal à le prouver. Je n'ai pas accès à des données statistiques ou aux résultats des ventes. Mes voyages à travers le monde arabe et ma recherche de littérature apocalyptique dans ces pays m'ont montré qu'elle était très répandue et se vendait bien. Mais il est impossible d'avancer des chiffres.
Religioscope – Les autorités religieuses traditionnelles réagissent-elles face à cette prolifération de littérature apocalyptique? et comment?
D. Cook – Il y a des condamnations innombrables! Nombre d'auteurs musulmans apocalyptiques radicaux ont été condamnés par différentes sources musulmanes respectées, par exemple l'Université d'Al-Azhar. Plusieurs fois, des brochures ont été publiées pour mettre en doute leurs prédictions ou pour montrer quelles libertés ils ont prises avec les textes. Il est difficile de déterminer si ces condamnations ont une efficacité. Beaucoup d'autorités religieuses dans les pays arabes ne jouissent pas d'un grand prestige religieux: elles sont souvent considérées comme des instruments plus ou moins dociles du gouvernement.
Religioscope – Il est impossible de ne pas se demander quel a été l'impact de cette littérature musulmane apocalyptique sur des groupes radicaux. Dans le cas d'Israël, où sont actifs des groupes juifs et chrétiens qui considèrent ce pays comme un lieu clé pour le scénario de la fin des temps, assiste-t-on à une réaction mimétique dans certains secteurs de la population musulmane? Les membres du Hamas sont-ils des lecteurs enthousiastes de traités apocalyptiques?
D. Cook – Je ne sais pas. Je n'ai jamais vu de preuves qu'ils le soient. En revanche, beaucoup de textes qui paraissent dans le contexte palestinien manifestent une forte conscience des attentes apocalyptiques juives. Ainsi, en 1999, une brochure écrite par un Palestinien exprimait une connaissance très précise des différentes attentes apocalyptiques juives au sujet de la construction du Temple. Mieux encore, l'auteur citait un matériel considérable en hébreu, ce qui était assez peu commun pour un traité apocalyptique musulman. Une grande partie des sources provenaient de journaux, traduits de façon très libre, La ligne était: "Les chrétiens viennent pour aider les juifs à détruire le Dôme du Rocher." Nombreuses étaient aussi les spéculations à propos de la proclamation du Rabbin de Loubavitch comme le Messie.
Nous observons donc une sorte symbiose. Mais il n'y a pas de preuve irréfutable qu'un texte de ce type ait été le produit de la mouvance de Hamas. Je suis convaincu que l'auteur a écrit sous pseudonyme. Après avoir interrogé plusieurs dirigeants religieux palestiniens, j'ai été confronté à tellement de théories différentes sur son identité que je suis forcé de conclure qu'il reste anonyme.
Religioscope – Et l'impact de la littérature apocalyptique contemporaine dans d'autres zones du monde musulman?
D. Cook – La littérature apocalyptique a eu un grand impact sur Internet. Le Web permet une diffusion aisée. Le problème de beaucoup de ces auteurs apocalyptiques est que leurs affirmations sont souvent très provocatrices: leurs écrits se retrouvent donc interdits. Le réseau Internet leur permet de faire passer leur message.
Il n'existe pas de recherche sur la diffusion de la littérature apocalyptique moderne d'origine arabe dans le reste du monde musulman, mais je soupçonne qu'elle fait l'objet de traductions. Il faudrait enquêter dans d'autres pays musulmans pour le déterminer.
Religioscope – Dans un article publié en octobre 2001 par 'Le Monde', le professeur Pierre Lory écrivait que beaucoup de moudjahidines engagés aujourd'hui dans un jihad sont en fait d'orientation millénariste. Selon lui, cela fait qu'ils attachent peu d'importance à la victoire ou à la défaite, qu'ils ne se soucient pas de savoir s'ils affrontent des forces très supérieures, puisque la décision appartiendra à Dieu. Partagez-vous cette analyse?
D. Cook – Je tends à la partager. Mais je suis un peu réservé sur l'usage du terme "millénariste" dans le contexte musulman. Dans la croyance musulmane, il n'y a aucune période que nous puissions réellement identifier à un millénium. Il n'y a aucune notion selon laquelle un âge messianique doit nécessairement être un âge de paix et d'abondance. Au contraire, il est fortement caractérisé par la poursuite de la guerre. Le Mahdi n'est pas un gouvernant dont le pouvoir est caractérisé par la stabilité: selon beaucoup de traditions, il est renversé, ou assassiné. En général, cette période que nous appellerions le millénium est marquée par bien des turbulences et guerres, plutôt que par la vision pacifique du millénium occidental.
Je crois, en revanche, que ces moudjahidines se caractérisent par une vision messianique et que c'est en fonction de celle-ci qu'ils interprètent les événements de notre époque.
Religioscope – Cette vision messianique pourrait-elle dans une certaine mesure expliquer pourquoi des individus s'engagent parfois dans des actes apparemment sans espoir? Si nous lisons le traité de Faraj, 'Le Devoir oublié', il semble qu'il ne soit pas préoccupé par ce qui se produira après les actions qu'il encourage à commettre: ce sera à Dieu de décider.
D. Cook – Nous pouvons observer la présence d'un sentiment de purification personnelle par l'action. Des gens comme Faraj ont trouvé leur propre réponse à la nature pécheresse de la société égyptienne en participant personnellement au combat: car le combat peut être compris – à partir du Coran et de traditions musulmanes – comme une action rédemptrice. Dans une société pécheresse, il importe de chercher quelle action lui gagnera le plus vraisemblablement la faveur divine. C'est pourquoi il importe peu de savoir si l'action conduit à la victoire: les musulmans sont bien entendu déjà du côté de Dieu, et Dieu est à leur côté. La victoire viendra – au temps déterminé par Dieu. Il est possible de se purifier par le combat, sans que cela doive nécessairement conduire à une victoire immédiate.
Religioscope – En voyant ce qui est arrivé depuis le 11 septembre, on pourrait trouver bien des aliments pour une réflexion apocaylptique. Observez-vous des indices d'une utilisation de ces événements dans le matériel apocalyptique récent, par exemple celui qui circule sur Internet?
D. Cook – Ces événements spectaculaires ne pouvaient manquer d'être utilisés. En outre, n'oublions pas que la "guerre contre le terrorisme" est bien sûr interprétée comme une guerre contre l'islam. Même si la guerre d'Afghanistan est perdue, cela ne signifie pas nécessairement que, sur le plan idéologique, le message ne peut plus être diffusé. Au contraire. Tout cela peut donner naissance à un accroissement de spéculations apocalyptiques – et de violence.
Religioscope – La majorité des millénaristes occidentaux sont passifs: rares sont les groupes qui deviennent révolutionnaires. La plupart des penseurs apocalyptiques musulmans et des adhérents à leurs thèses demeurent-ils également passifs, en attendant que Dieu agisse?
D. Cook – Dans l'islam, la structure de l'élite religieuse favorise un apocalyptisme passif (dans ce sens du terme). Ils acceptent leur héritage apocalyptique, mais cela ne débouche pas sur un activisme. Mais ils prêtent attention aux signes des temps, ce qui est conforme à la tradition musulmane: selon l'une des traditions du Prophète, l'attente de l'arrivée de l'heure du Jugement signifie participer à celle-ci.
Si peu des recherches ayant été menées sur les idées messianiques ou apocalyptiques dans le monde musulman! Cela fait longtemps que j'aimerais me livrer à une sorte de sondage à ce sujet et interroger les gens pour savoir dans quelle mesure ils croient réellement que l'Antéchrist va bientôt venir.
L'entretien avec David Cook s'est déroulé à Houston le 13 novembre 2001. Les questions de Religioscope ont été posées par Jean-François Mayer.
A propos de quelques noms cités dans l'entretien…
Evangile de Barnabé – Cet évangile apocryphe ne remonte pas à l'époque du christianisme primitif. Il nous est connu par un manuscrit du 16e siècle, qui retint l'attention d'érudits dès le 18esiècle. Il fut utilisé à cette époque dans le cadre de controverses déistes contre le christianisme. notamment par John Toland (1670-1722). Certains auteurs le considèrent comme un texte entièrement élaboré entre le 14e et le 16e siècle (le manuscrit que nous possédons remonte en effet au 16e siècle), tandis que d'autres pensent qu'il peut en partie s'être appuyé sur des documents plus anciens. Au 20e siècle, à partir de sa traduction en arabe, il devint un instrument de l'apologétique musulmane: en effet, au chapitre 97 du livre, Jésus lui-même annonce Muhammad comme futur messager de Dieu. A côté des éditions universitaires du texte, il en circule donc des éditions populaires souvent publiés par des maisons d'édition musulmanes; plusieurs auteurs musulmans continuent de l'utiliser comme un argument pour démontrer la véracité de l'islam par rapport au christianisme.
Références
Jean Toland, Le Nazaréen ou le Christianisme des juifs, des gentils et des mahométans, Londres, 1777 (éd. originale anglaise 1718).
Luigi Cirillo, Evangile de Barnabé. Recherche sur la composition et l'origine, Paris, Ed. Beauchesne, 1977 (2e éd. revue par Michel Frémaux en 1999).
Hal Lindsey – Né en 1930 à Houston, cet auteur évangélique est devenu célèbre par ses interprétations largement répandues des prophéties bibliques appliquées à la situation de notre temps. Son livre The Late Great Planet Earth (1970) devint rapidement un best-seller, vendu à des millions d'exemplaires. Il a publié plusieurs autres ouvrages depuis. Dans son interprétation prophétique, selon laquelle le retour du Christ est imminent, la création de l'Etat d'Israël en 1948 et la guerre des Six Jours en 1967 jouent un rôle central.
Références
Hal Lindsey et C. Carlson, L'Agonie de notre vieille planète, Braine l'Alleud, Editeurs de Littérature Biblique, 1974 (suivi de plusieurs autres tirages au cours des années suivantes).
Mal Couch (dir.), Dictionary of Premillenial Theology, Grand Rapids (Michigan), Kregel, 1996.
Bible Scofield – Publiée pour la première fois en 1909, cette Bible commentée par Cyrus Ingerson Scofield (1843-1921) a été un instrument essentiel pour la diffusion des théories prémillénaristes dans leur version dispensationaliste, qui remonte à l'origine aux interprétations développées par John Nelson Darby (1800-1882). Selon la thèse dispensationaliste, comme son nom l'indique, l'histoire de l'humanité est divisée en plusieurs âges ou dispensations; à la fin de celle que nous vivons actuellement reviendra le Christ. Les prophéties bibliques qui se réfèrent à Israël ne doivent pas être comprises, selon les dispensationalistes, dans un sens spiritualisées en étant appliquées à l'Eglise, mais doivent bel et bien se réaliser sur cette terre. Cela entraîne un fort intérêt pour les événements du Proche-Orient à l'époque contemporaine.
Référence
Il existe une édition française de la Bible suivant la traduction protestante classique de Louis Segond, mais incorporant les commentaires de Scofield: La Sainte Bible […] avec parallèles, chaînes de références, notes explicatives et commentaires de C.I. Scofield […], Genève-Paris, Société Biblique de Genève, 2000 (1ère éd. française 1975, sur la base de la version anglaise de 1967).
Abd al-Salam Faraj (1954-1982) – Sur ce personnage et, surtout, sur l'important traité Le devoir oublié, voir l'entretien de Religioscope avec le professeur Johannes J.G. Jansen (en anglais).
Référence
Johannes J.G. Jansen, The Neglected Duty: The Creed of Sadat's Assassins and Islamic Resurgence in the Middle East, New York, Macmillan, 1986)
Rabbin de Loubavitch – Menachem Mendel Schneerson (1902-1994), chef de la branche hassidique des Loibavitch, en était arrivé à être considéré par ses fidèles comme le Messie, ce qui les conduisit à développer d'intenses activités missionnaires pour proclamer cette nouvelle. Malgré son décès, une partie du mouvement reste convaincu du statut messianique de Schneerson, ce qui suscite de vives critiques dans d'autres secteurs du judaïsme. Le rabbin s'était toujours opposé à toute concession territoriale aux Palestiniens.
Références
Simon Dein, "Lubavitch: A Contemporary Messianic Movement", Journal of Contemporary Religion, 12/2, mai 1997, pp. 191-204.
Yigal Schleifer et Gershom Gorenberg, "Chabad's Messiah Complex", Jerusalem Report, 21 juin 1999, pp. 30-34.
David Berger, "The Rebbe, the Jews, and the Messiah", Commentary, sept. 2001, pp. 23-30.
Pour illustrer l'apocalyptisme musulman contemporain...
Afin de découvrir par vous-même le discours et les particularités de l'apocalyptisme musulman contemporain, Religioscope met à votre disposition, sous forme de fichier PDF (77 pages, 665 Ko) le texte intégral en anglais du traité de Safar Ibn Abd Al-Rahman Al-Hawali, The Day of Wrath. En particulier dans les derniers chapitres de ce traité, les références à la Bible sont fréquentes. Ce texte avait été déchargé par nos soins en septembre 2001 du site jihadiste www.azzam.com [au cours de l'automne 2002, ce site a cessé d'être disponible, apparemment de façon définitive] . Il a entre-temps disparu de ce site et de plusieurs autres.
Saoudien, auteur réputé dans les milieux islamistes, Al-Hawali est une figure notoire du militantisme islamiste dans son pays et un opposant à tout alliance entre le régime saoudien et l'Occident. Arrêté en 1994 à la suite de manifestations antigouvernementales dans la ville de Burayda, il fut relâché en 1999. Il s'est signalé en octobre 2001 par une lettre ouverte au président Bush. Au mois de mars 2002, il a publié (en arabe) un texte sur le combat palestinien.