Ce décès n'a pas fait grand bruit, même s'il a été signalé dans la presse américaine: Carl McIntire est décédé dans le New Jersey le 19 mars 2002. Il n'est guère dans les habitudes de Religioscope de consacrer beaucoup de place aux rubriques nécrologiques. Cependant, nous tenons à évoquer la disparition d'un homme qui a marqué le fondamentalisme américain au 20e siècle et s'est notamment signalé par son opposition résolue au mouvement oecuménique. C'est en effet l'un des derniers acteurs de la controverse fondamentaliste des années 1920 qui disparaît avec lui.
Fils d'un pasteur presbytérien, Carl McIntire était né dans le Michigan et grandit dans l'Oklahoma. Il étudia au Princeton Theological Seminary de 1928 à 1929 et fut au nombre de ceux qui le quittèrent en signe de protestation au moment où il passa entièrement sous le contrôle de théologiens d'orientation moderniste. Il suivit John Gresham Machen (1881-1937), professeur à Princeton depuis 1906, qui abandonna son poste à ce moment et fonda le Westminster Theological Seminary.
McIntire accéda au ministère en 1931. Avec Machen, il se sépara de l'Eglise presbytérienne aux Etats-Unis en 1936, estimant que les tendances de celle-ci étaient de plus en plus modernistes, et les dissidents formèrent l'Eglise presbytérienne d'Amérique (rebaptisée par la suite Eglise presbytérienne orthodoxe). Mais des divisions traversèrent rapidement celle-ci, et McIntire fonda alors en 1938 l'Eglise presbytérienne biblique (Bible Presbyterian Church). Comme évangéliste, il commença aussi à utiliser intensivement la radio.
McIntire et son Eglise jouèrent un rôle important dans la fondation de l'American Council of Christian Churches (ACCC) en 1941. Ce conseil entendait présenter un front uni des dénominations fondamentalistes. Ne pouvaient y adhérer que des Eglises rejetant clairement le modernisme et toute appartenance au Federal Council of the Churches of Christ in America (l'ancêtre du National Council of the Churches of Christ in the U.S.A., qui lui succéda en 1950), la plus importante organisation oecuménique du pays. McIntire devint le premier président de l'American Council. La même année naquit cependant la National Association of Evangelicals, qui se distançait explicitement de la ligne de l'American Council en raison de son caractère jugé trop militant et réactionnaire. Dans les années 1950, l'American Council allait connaître plusieurs défections.
Opposé au modernisme et au communisme (mais aussi au catholicisme), McIntire observa avec grande inquiétude l'émergence du mouvement oecuménique. Non sans un certain flair publicitaire, il eut notamment son heure de gloire lors de la fondation du Conseil oecuménique des Eglises (COE - en anglais World Council of Churches, WCC) à Amsterdam en 1948. Une semaine avant l'assemblée constituante du COE, au mois d'août 1948, McIntire réunit dans la même ville des fondamentalistes séparatistes et, avec l'appui de mécènes américains, lança une contre-organisation, l'International Council of Christian Churches (ICCC), qui entendait rassembler uniquement des "chrétiens bibliques" et alerter les fidèles sur les dangers présentés par le modernisme et le catholicisme romain, affirmaient ses fondateurs. L'initiative était habile, et fut considérée par les adversaires de McIntire comme une pure opération de propagande, car ce lancement d'une organisation rivale à quelques jours de distance entretint une certaine confusion.
Le COE dut s'habituer à cet irritant contestataire, puisque, au cours des années suivantes, chaque fois que se tenait une assemblée du COE, McIntire s'arrangeait pour mettre sur pied dans la même ville une assemblée concurrente quelques jours plus tôt (l'histoire de l'ICCC par lui-même fournit quelques commentaires sur cette stratégie)! On comprend donc que le service de presse du COE (ENI) ait pris la peine de consacrer un article au décès de son vieil adversaire. Quant à l'ICCC, il existe toujours et a célébré en 1998 le cinquantième anniversaire de sa fondation à Amsterdam, avec un message de McIntire, qui en resta le président jusqu'à sa mort. L'ICCC a des branches régionales en Amérique du Nord, en Amérique latine, en Extrême-Orient et en Afrique, mais n'en indique aucune en Europe. Selon l'Encyclopedia of American Religions, l'ICCC affirmait en 1998 regrouper 700 dénominations réparties dans 100 pays.
Cependant, une opposition croissante à McIntire se manifesta jusque dans les rangs de ses fidèles: en 1956, l'assemblée générale de l'Eglise presbytérienne biblique décida de quitter l'ICCC et l'ACCC. Parmi ceux qui refusèrent de continuer à suivre McIntire se trouvaient des figures marquantes de l'évangélisme américain, par exemple Francis Schaeffer (1912-1984). McIntire se retrouva avec une minorité des membres de sa propre Eglise, mais finit par pouvoir en conserver le nom.
Plusieurs autres schismes suivirent, pour des questions relatives à l'organisation (et aux méthodes administratives de McIntire) plus que pour des raisons doctrinales. En 1984, McIntire finit même par se retirer de l'Eglise presbytérienne biblique et par fonder la petite Bible Presbyterian Church - Collingswood Synod. réduite à quelques petites paroisses aux Etats-Unis, en Australie et en Birmanie. L'âge et un autoritarisme croissant n'arrangèrent pas les choses - le cas n'est pas unique dans l'histoire des groupes religieux. En 1996, sa communauté vieillissante de Collingswood (50 participants en moyenne aux services religieux hebdomadaires), dont il avait été le pasteur depuis 60 ans, fut obligée d'en tirer les conséquences et de lui offrir une retraite honorable. Il refusa, cela entraîna de nouvelles controverses. En 1996, la communauté n'eut d'autre solution que de déclarer la fonction pastorale vacante. McIntire refusa la décision et commença à tenir des services religieux dans sa propre maison.
C'est ainsi que le vieux lutteur du fondamentalisme devint de plus en plus isolé. Jusque dans les derniers mois de sa vie, cependant, il continua d'enregistrer des émissions radiophoniques à l'enseigne de Reformation Hour, diffusées sur deux chaînes de radio du New Jersey.
Jean-François Mayer
Principales sources utilisées pour cette note de synthèse:
- Louis Gasper, The Fundamentalist Movement, La Haye-Paris, Mouton, 1963.
- Randall Balmer, Encyclopedia of Evangelicalism, Louisville-London, Westminster John Knox Press, 2002.
- J. Gordon Melton, Encyclopedia of American Religions, 6e éd., Detroit-Londres, 1999.
- Geoffrey Thomas, "Carl McIntire Meeting in His Home", Banner of Truth, 1999.
URL: http://www.banneroftruth.co.uk/articles/1999/01/carl_mcintyre.htm - Dennis McLellan, "Carl McIntire, 95; Firebrand Radio Evangelist", Los Angeles Times, 23 mars 2002.
Site de l’ICCC: http://www.iccc.org.sg/
Archives:
Carl McIntire Collection, PCA Historical Center, St. Louis, Missouri
http://www.pcahistory.org/findingaids/mcintire.html