[Pour une présentation de Massimo Introvigne, lire l'introduction de l'entretien sur la religion en Italie et la notice sur le CESNUR.]
Religioscope - Vous avez fondé, en 1988, le CESNUR, qui est aujourd’hui le principal centre de documentation européen sur les nouveaux mouvements religieux. Vous avez publié, au printemps 2001, une encyclopédie des religions en Italie qui couvre l’ensemble du champ religieux et pas seulement les nouveaux mouvements. Peut-on dire que cela indique un élargissement des activités du CESNUR ou une prise de conscience que les nouveaux mouvements religieux ne constituent pas une section séparée du champs religieux, qu’on ne peut les comprendre que dans le cadre d’une approche générale du champ religieux contemporain?
Massimo Introvigne - C’est en préparant un article, qui avait été publié dans un journal de réflexion édité par les dévots de Krishna, que j’avais commencé à m’interroger pour savoir s’il fallait conserver l’expression de "nouveaux mouvements religieux". Cette catégorie avait été introduite par Eileen Barker, notamment pour essayer de contrer l’emploi d'un mot tel que "secte", qui lui déplaisait, car porteur d’un jugement de valeur. Je crois que l’expression "nouveaux mouvements religieux" a eu son utilité. Cependant, on se demande à présent quels mouvements peuvent être qualifiés de "nouveaux". Par exemple, les mormons ou les témoins de Jéhovah sont-ils de nouveaux mouvements?
Aux yeux d’auteurs catholiques ou protestants, les critères sont évidemment théologiques. "Nouveau" est donc mis en rapport avec leur doctrine. Les auteurs anti-sectes, s’ils acceptent d’employer "nouveaux mouvements religieux" (par exemple dans le cadre de leur participation à des activités académiques), voudraient mettre l’accent sur l’idée que ces mouvements sont des groupements totalitaires, faisant pression sur leurs adhérents. De ce point de vue, ils intègrent à leur définition des groupes catholiques, voire musulmans.
Certains chercheurs américains voudraient appeler "nouveaux mouvements religieux" des groupes comme Al-Qaïda d’Ousama ben Laden. En réalité, le problème est similaire à celui que l’on rencontre dans l’utilisation de mots tel que "fondamentalisme": ce sont des termes lancés sur une trajectoire, profitant en quelque sorte de la vitesse acquise, sans que l’on ne s’interroge sur leur signification. Par exemple, lors du colloque organisé au Mexique par la Société internationale de sociologie religieuse en 2001, dans un atelier où Eileen Barker défendait l’emploi de "nouveaux mouvement religieux", plusieurs chercheurs américains lui ont signalé l’emploi, dans leurs universités, de l’expression "nouvelles minorités religieuses". Evidemment, cette expression posera à son tour des problèmes, car comment déterminer les minorités qui doivent être considérées comme nouvelles? On peut se poser à nouveau la question en ce qui concerne les témoins de Jéhovah, s’agit-il d’une nouvelle ou d’une ancienne minorité? L’approche de Gordon Melton dans son Encyclopédie des religion américaines (en anglais) propose de distinguer plutôt entre familles spirituelles, quitte à laisser au lecteur le soin de définir les familles spirituelles qui lui semblent nouvelles ou "alternatives". Si on veut garder l’esprit de la proposition originelle qui est d’utiliser l’expression "nouveau mouvement religieux", en se passant de tout jugement de valeur, je pense qu’il est nécessaire de supprimer l’adjectif "nouveau".
Religioscope - Donc vous n’êtes pas du nombre de ceux qui proposent l’étude des "nouveaux mouvements religieux" comme une sorte de discipline séparée. Vous préférez son intégration dans l’étude des phénomènes religieux en général.
Massimo Introvigne - Il n'y a que très peu de chaires traitant des "nouveaux mouvements religieux", car la définition fait problème. Certaines minorités religieuses, dont les mormons et les témoins de Jéhovah, n’apprécient pas beaucoup d’être appelés ainsi et font valoir qu’ils existent depuis le 19ème siècle.
Références de l'encyclopédie américaine citée dans le texte:
J. Gordon Melton, Encyclopedia of American Religions, 6e éd., Detroit-Londres, Gale, 1999 (XXIV+1244p.)