Ces dernières semaines, il n'y a presque pas de jour sans que la presse américaine ne contienne des nouvelles sur des affaires de pédophilie impliquant des membres du clergé catholique romain aux Etats-Unis. Ces affaires ont des conséquences tant pour l'image que pour les finances de l'Eglise catholique romaine aux Etats-Unis. Mais les controverses au sujet d'abus sexuels dans le cadre de communautés religieuses sont loin de se limiter au catholicisme.
Le 21 février, un ex-prêtre du diocèse de Boston a été condamné à 9 à 10 ans de prison pour avoir abusé sexuellement d'un garçon; de nombreuses autres poursuites sont en cours contre lui, puisqu'il aurait été impliqué dans 130 cas au total en 30 ans de ministère. Plus encore que les faits eux-mêmes, note le Guardian (23 février 2002), l'opinion publique a été choquée par le fait que le prêtre impliqué (et d'autres) avait simplement été déplacé d'une paroisse à l'autre au fur et à mesure qu'il faisait l'objet d'accusations. La volonté de prévenir le scandale en l'étouffant se révèle maintenant être un gros revers du point de vue des relations publiques.
Réactions de l'Eglise catholique
Mais ce n'est pas fini, car plusieurs autres prêtres se trouvent également en ligne de mire. Le procès très largement médiatisé entraîne en outre un effet boule de neige: dans le seul diocèse de Boston, au cours des dernières semaines, rapporte le Boston Globe(24 février 2002), plus de 200 personnes déclarant avoir été victimes d'abus sexuels de la part du clergé ont pris contact avec des avocats. Il faut dire que le système américain peut déboucher sur d'importants dommages-intérêts accordés aux plaignants, et que des avocats se spécialisent dans des cas d'abus sexuels par des membres du clergé. Le diocèse de Boston a déjà dépensé plus de 10 millions de dollars pour indemniser des plaignants dans l'affaire en cours. "L'impact financier est sévère", déclare le conseiller légal de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis (Time Europe, 11 février 2002). Il faut s'attendre à des ondes de choc à travers tout le pays, même si certains diocèses avaient déjà empoigné le problème il y a plusieurs années à la suite de scandales locaux (par exemple le diocèse de Dallas, qui avait fini par payer aux plaignants contre un de ses prêtres plus de 23 millions de dollars il y a quelques années).
Face à ces turbulences, une politique beaucoup plus ferme se dessine à l'échelle de toute l'Amérique du Nord - et au-delà. Des prêtres soupçonnés d'implication dans des affaires de pédophilie sont maintenant suspendus. Ainsi, le 23 février 2002, l'Archevêché de Philadelphie a déclaré avoir connaissance de 35 cas depuis les années 1950 et a immédiatement suspendu les six prêtres concernés encore en activité (Reuters, 23 février 2002). Le président de la Conférence des évêques a présenté le 19 février 2002 des excuses publiques et écrites "pour cette défaillance dans nos responsabilités pastorales" (Associated Press, 20 février 2002). Il faudra cependant de grands efforts encore pour rétablir la confiance, et la pression médiatique s'annonce forte: une enquête du Boston Globe (25 février 2002) aboutit à la conclusion que plusieurs diocèses n'ont pas encore adopté une approche rigoureuse (plusieurs n'interdisent pas encore strictement l'emploi dans une paroisse d'un prêtre ayant commis des abus sexuels, selon les documents de 13 diocèses examinés par le Boston Globe). Scott Appleby, directeur du Centre pour l'étude du catholicisme américain à l'Université Notre Dame, se montre cependant optimiste: les scandales de Boston "vont avoir un effet catalysateur pour changer la politique ecclésiastique" sur ces questions.
Les affaires de pédophilie ne se limitent évidemment pas à l'Amérique du Nord: on se souvient de la condamnation de l'évêque de Bayeux (France) en 2001, parce qu'il n'avait pas alerté la justice sur les actes pédophiles d'un de ses prêtres. L'Eglise catholique de l'Irlande vient d'annoncer le paiement d'une importante somme aux personnes ayant été victimes d'abus physiques et sexuels au cours des dernières décennies. Et des accusations viennent d'être émises à l'encontre d'un prélat polonais. L'Eglise catholique romaine entend donc manifestement s'attaquer à ce problème (potentiellement dommageable pour son image) non seulement à l'échelle diocésaine ou nationale, mais internationale: dans un document de novembre 2001, le pape Jean Paul II a consacré son premier courrier électronique avait demandé pardon aux victimes d'abus sexuels commis par des membres du clergé.
Les abus ne sont pas l'apanage de l'Eglise catholique romaine
Inévitablement survient la question de savoir s'il s'agit d'une conséquence de l'obligation du célibat sacerdotal? En fait, "même les critiques de l'Eglise concèdent que ce n'en est pas la cause", relève le New York Times (17 février 2002). Nombreux sont également les cas d'abus sexuels commis par les clergés d'autres confessions chrétiennes, dans lesquelles n'existe pas la règle du célibat. Ainsi, en Australie, une controverse sur des cas de pédophilie touche actuellement l'Eglise anglicane, également accusée d'avoir voulu étouffer des affaires de ce type.
Hors de la sphère chrétienne, l'Association internationale pour la conscience de Krishna affirme être actuellement menacée de se retrouver ruinée financièrement en raison de plaintes pour des abus sexuels et autres commis par des membres dans le passé; les plaintes portent sur des demandes de dommages-intérêts de 400 millions de dollars (Independent, 8 février 2002). De nombreux élèves de ses écoles ont été victimes d'abus jusqu'au début des années 1980. A noter que c'est le cabinet d'avocats Windle Turley (Dallas), qui avait obtenu les 120 millions de dollars versés par le diocèse catholique de Dallas déjà mentionnés plus haut, qui se trouve à la tête de l'offensive contre les dévots de Krishna.
Nul doute que les affaires de pédophilie ne sont pas nouvelles. Mais la sensibilité à ces méfaits est beaucoup plus forte: la pédophilie est aujourd'hui un thème beaucoup plus fréquemment mis en lumière sur la place publique. Elle se conjoint à l'exigence de "transparence" souvent invoquée aujourd'hui. En outre, l'implication de membres du clergé suscite presque à coup sûr l'intérêt soutenu des médias. (JFM)
Références: le texte en anglais de la prise de position du 19 février 2002 de Mgr Wilton D. Gregory, Président de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis, se trouve sur le site Web de celle-ci:
http://www.usccb.org/comm/gregorystatement.htm [le document n'est plus accessible à cette adresse et n'a pas été répertorié par Internet Archive - 03.09.2016]
On trouve également sur le site plusieurs autres documents relatifs à la pratique de l'Eglise catholique romaine aux Etats-Unis pour faire face aux abus sexuels commis par des membres du clergé. Ces documents s'efforcent également de montrer que cette préoccupation n'est pas nouvelle: ils se réfèrent notamment à un questionnaire qui avait été adressé à tous les diocèses du pays en 1993-94.
En ce qui concerne les plaintes déposées contre les dévots de Krishna, on peut en trouver les textes ainsi que d'autres précisions sur le site du cabinet Windle Turley:
http://www.wturley.com
A noter que l'Association internationale pour la conscience de Krishna avait pris il y a quelques années déjà l'initiative assez inhabituelle d'entamer une réflexion critique sur les abus du passé en demandant au sociologue Burke Rochford de mener une enquête pour faire toute la lumière et en publiant les résultats de cette recherche dans l'un de ses périodiques, l'ISKCON Communications Journal (6/1, juin 1998). Ce texte est disponible en ligne:
https://web.archive.org/web/20020803174509/http://www.iskcon.com/icj/6_1/6_1rochford.html [plus accessible à l'URL d'origine, mais conservé grâce à Internet Archive - 03.09.2016]
On y trouve également un texte rédigé par un membre du mouvement pour expliquer quelles furent les réactions de celui-ci: "ISKCON's Response to Child Abuse: 1990-1998":
https://web.archive.org/web/20080517005139/http://www.iskcon.com/icj/6_1/6_1bharata.html [plus accessible à l'URL d'origine, mais conservé grâce à Internet Archive - 03.09.2016]
A noter que les affaires de pédophilie impliquant des membres du clergé sont également exploitées dans des buts polémiques par des associations critiques à l'égard de l'Eglise catholique romaine. C'est par exemple le cas du Mouvement raëlien et de son "Association pour la dénonciation des prêtres pédophiles":
http://www.nopedo.org
L'analyse des cas de pédophilie par des membres du clergé et des controverses à ce sujet devrait donc également inclure l'utilisation polémique qui en est faite par des acteurs dont les objectifs varient.