Un élève sikh d'une école de Montréal a-t-il le droit de continuer à venir en classe en portant le kirpan, un petit poignard considéré comme un symbole religieux par les croyants sikhs? Le conseil d'établissement s'y oppose: le kirpan peut être utilisé comme arme. Un exemple de plus de la difficile frontière entre liberté religieuse et questions de sécurité dans le contexte de l'après-11 septembre. Mais les problèmes posés par le port du kirpan ne sont pas nouveaux.
Nouveau: après avoir lu l'article ci-dessous, cliquez ici pour les développements de l'affaire de Montréal et quelques autres informations sur l'affirmation de leur identité par les sikhs (23.04.2002).
Puis voyez une note d'information sur les nouveaux développements au mois de mai (3.06.2002).
Dixième gourou du sikhisme, Guru Gobind Singh (1666-1708) donna à cette tradition sa forme définitive (le sikhisme "orthodoxe" ne reconnaît d'ailleurs aucun gourou après lui, et le livre sacré des sikhs, le Guru Granth Sahib, est considéré comme tenant lieu de gourou pour la communauté). L'une des initiatives de Gobind Singh fut l'établissement de la Khalsa, à laquelle on accède par la célébration de l'amrit (équivalent, dans le sikhisme, de ce que sont le baptême ou l'initiation dans d'autres traditions religieuses). Comme dans d'autres traditions, cela s'accompagne du respect de certains signes distinctifs pour celui qui entend rester fidèle à sa tradition. Cela signifie, dans le cas des sikhs, le port des "cinq K":kesha (ne jamais se couper les cheveux ou la barbe), kangha(peigne dans la chevelure), kara (bracelet en acier), kaccha(culottes courtes) et kirpan (une dague d'une dizaine de centimètres).
Ces signes distinctifs entraînent parfois des difficultés pour les sikhs, notamment lorsqu'ils trouvent en situation de diaspora. Plus d'un sikh en Occident peut ainsi relater comment un emploi lui fut refusé parce qu'îl insistait pour conserver son turban et sa barbe. Le port du turban a également d'autres conséquences: par exemple, il n'est pas conciliable avec le port d'un casque de motocyliste. Si certains pays ont admis l'exemption du casque pour les sikhs, ce n'est pas le cas partout: en Suisse, par exemple, le Tribunal fédéral a décidé en 1993 que le port du casque était également obligatoire pour les motocyclistes sikhs (le plaignant était d'accord de porter un casque, mais invoquait la complexité du changement de couvre-chef, car il estimait que sa religion ne l'autorisait pas à montrer publiquement sa tête non couverte).
Mais plus délicat encore est la question du kirpan, ce petit poignard que portent les sikhs, et le contexte de l'après-11 septembre ne va certainement pas améliorer la situation. Le dernier cas en date est relaté ces jours par la presse canadienne et a pour cadre le quartier de LaSalle (Montréal). Inscrit dans une classe d'accueil pour y apprendre le français, un enfant sikh de 12 ans a reçu cette semaine une lettre de la direction de son école l'informant qu'il ne serait pas autorisé à retourner en classe tant qu'il voudrait continuer à y porter son kirpan. Celui-ci est considéré comme une arme et n'a donc pas sa place à l'école. L'intervention de la mère d'un autre élève a conduit l'école à prendre cette décision, bien qu'aucun reproche de violence ne soit fait au jeune sikh.
Ce n'est pas le premier cas au Canada, rappelle la Montreal Gazette (21 février 2002). Une interdiction avait déjà eu lieu en 1988 dans les écoles de Toronto, mais une décision de justice avait par la suite estimé que cette interdiction représentait une discrimination à l'égard des sikhs, notant que jamais une école canadienne n'avait connu un cas de violence dans lequel un kirpan avait été utilisé. Certaines restrictions peuvent cependant être admises, par exemple d'envelopper soigneusement le kirpan ou de s'arranger pour qu'il ne puisse pas être vu.
Selon l'avocat des parents du garçon, relate La Presse (16 février 2002), " il n'y a aucun précédent au Québec relatif au port du kirpan. L'Ontario dispose cependant d'une jurisprudence volumineuse - et complètement en faveur du port de cet objet." Les parents de l'enfant avaient proposé de placer le kirpan dans une enveloppe de coton cousue, mais cette solution de compromis élaborée en accord avec la direction de l'école a été rejetée à l'unanimité par le conseil d'établissement réunissant les représentants des parents d'élèves et professeurs.
Les opinions à Montréal sont divisées. Janet Bagall, éditorialiste de la Gazette, fait observer que le souci d'interdire les armes dans le cadre scolaire est légitime et souligne que les sikhs admettent bien de placer leur kirpan dans les bagages de soute afin de pouvoir accéder à des avions - des consignes dans ce sens ont été diffusées par des organes représentatifs de la communauté à la suite des événements du 11 septembre. D'ailleurs, rappelle Alain-Robert Nadeau dans Le Devoir (20 février 2002), en 1999, "le Tribunal canadien des droits de la personne avait conclu que l'interdiction faite à un sikh de porter un kirpan à bord d'un avion constituait une limite raisonnable à sa liberté de religion". De fait, il y avait eu en septembre 1981 une tentative de détournement d'avion au Canada avec usage d'un kirpan. Indéniablement symbole religieux, le kirpanpeut aussi devenir une arme.
Répondant au National Post (22 février 2002), la directrice de l'école signale que d'autres enfants ont accepté de porter des répliques en plastique ou des pendentifs symboliques lorsqu'ils se trouvent dans les bâtiments scolaires.
Mais le père de l'enfant insiste et affirme que seul un vrai kirpan est acceptable à ses yeux: "Si je ne porte pas le kirpan, cela signifie que je ne crois pas en mon Dieu", a-t-il déclaré au National Post. Quant à l'avocat de la famille, il souligne que, dans toutes les traditions, certains croyants sont plus stricts que d'autres et que les ciseaux utilisés dans les classes artistiques devraient alors aussi être considérés comme des armes potentielles et faire l'objet d'une interdiction.
A certains égards, remarque Marc Thibodeau dans La Presse (13 février 2002), "l'incident n'est pas sans rappeler la controverse entourant l'expulsion au milieu des années 1990 d'une élève [...] qui portait le hidjab. La Commission des droits de la personne du Québec avait conclu que l'interdiction vestimentaire imposée constituait un geste discriminatoire compromettant le droit à l'instruction publique ainsi que la liberté de religion." Le fait que lekirpan puisse être utilisé comme arme semble cependant rendre la question plus épineuse cette fois-ci.
Jean-François Mayer
Ressources
Sikh Media Watch consacre de grands efforts à corriger les informations inexactes sur les sikhs et a fort à faire depuis le 11 septembre 2001. En effet, selon les chiffres communiqués par cette organisation, pas moins de 200 incidents affectant des sikhs (soupçonnés à tort en raison de leur apparence extérieure) auraient été enregistrés à travers les Etats-Unis dans les mois qui ont suivi septembre 2001. Sikh Media Watch a notamment publié des recommandations pour que les sikhs placent leur kirpan dans les bagages en soute lorsqu'ils voyagent en avion. Nous reproduisons ce document en anglais à la suite de cet article. [Il semble que Sikh Media Watch et sont site n'existent plus - 03.09.2016]
Une bonne page d'introduction au sikhisme en anglais, avec des textes relativement courts (même si les mises à jour ne semblent pas très fréquentes ces derniers mois):
http://www.sikhs.org/
Bibliographie: nombreux sont les ouvrages sur les sikhisme en anglais, écrits par des sikhs ou par des auteurs non sikhs. En français, la bibliographie est beaucoup moins abondante. On peut cependant recommander le livre de Michel Delahoutre, Les Sikhs, Ed. Brepols (Collection "Fils d'Abraham"), 1988, 240 p.
Source: http://www.sikhmediawatch.org [ce site n'existe plus - 03.09.2016]
SMART COMMUNITY ADVISORY
For Immediate Release - 10/19/2001
NOTE: Please distribute widely to your family, friends, and at your Gurdwara.
CARRYING KIRPAN DURING AIR TRAVEL
Germantown, MD - The Sikh Mediawatch and Resource Task Force (SMART), a national Sikh American civil rights advocacy group, advises all Sikhs traveling on a commercial aircraft in the United States that the carrying of a kirpan on the individual’s person or carry-on luggage is prohibited by law.
The applicable federal regulation states:
" . . . no aircraft operator may permit any person to have a deadly or dangerous weapon, on or about the individual’s person or accessible property when onboard an aircraft." 14 C.F.R. § 108.201(e)
A kirpan, regardless of the size or sharpness of the blade, will be viewed by airport security authorities as a dangerous weapon. Therefore, any person wishing to transport a kirpan in the course of their air travel should place it in their check-in luggage.
Small kirpan lockets are less likely to be classified as a weapon, but the airport authorities are granted the discretion to make this determination at the time of inspection. This being the case, Amritdhari Sikhs should be prepared to check in kirpan lockets as well, if requested to do so.
Contact SMART to file a report if you were prevented from wearing your 5 K's other than a kirpan, for reasons stated above. You may leave a detailed message with pertinent information at (877) 917-4547.
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CONTACT:
Sumeet Kaur
Email: info@sikhmediawatch.org
Phone: 1-877-91-SIKHS (877-917-4547)
About SMART:
Founded in 1996 to promote the fair and accurate portrayal of Sikh Americans and the Sikh religion in American media and society, the Sikh Mediawatch and Resource Task Force (SMART) is a nonprofit, nonpartisan organization. Its mission is to combat bigotry and prejudice, protect the rights and religious freedoms of Sikh Americans, and provide resources that empower the Sikh American community.