"Le Président Hinckley représente une grande religion, une forte composante de la scène américaine": c'est en ces termes que le Président Bush s'est adressé le 8 février 2002 au président de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Que de chemin parcouru depuis les confrontations du 19e siècle! A l'occasion des Jeux Olympiques d'hiver, quel regard portent les médias américains sur le "mormonisme"?
Comme on pouvait le prévoir, le déroulement des Jeux Olympiques à Salt Lake City, qui avait attendu depuis les années 1960 de voir enfin sa candidature aboutir, n'a pas seulement retenu l'attention des journalistes sportifs ou des chroniqueurs touristiques. Les médias américains et internationaux ont publié de nombreux reportages sur l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, dont les membres sont majoritaires en Utah. Aucun autre Etat des Etats-Unis d'Amérique ne présente une aussi forte cohésion religieuse. Et les mormons - un terme qui était un sobriquet à l'origine, même s'il est largement utilisé aujourd'hui - intriguent toujours, pas seulement à cause de leur histoire mouvementée.
Le Président Gordon B. Hinckley (né en 1910) le reconnaît lui-même dans un entretien à la Salt Lake Tribune (7 février 2002): jamais il n'avait pensé voir un jour converger des milliers de journalistes vers Salt Lake City, et l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours est parfaitement consciente des retombées possibles de cet intérêt médiatique. Il considère que, dans l'ensemble, la couverture médiatique de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours à la veille des JO a été correcte, et même "excellente". Il est certain que les visiteurs du monde entier vont avoir une impression très positive d'une ville où - conséquence de l'intense activité missionnaire mormone à travers le monde - de nombreuses langues sont parlées.
Le constat optimiste de Gordon Hinckley est cependant nuancé par les commentaires de certains journaux. Dans son édition du 7 février 2002, sous la plume de Valerie Richardson, le Washington Times y consacrait tout un article et relevait les nombreux "clichés" repérés dans les médias ces dernières semaines: "l'Etat le plus étrange de l'Amérique", "puritain", "théocratique", etc. Même, si reconnaît l'article, la plupart des mormons de l'Utah s'attendent plutôt à retirer des Jeux des retombées positives en termes d'image: "un énorme coup de relations publiques pour l'Utah et l'Eglise mormone", commente un expert en business.
Les Etats-Unis restant le coeur de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, à la fois pour des raisons doctrinales et parce que la moitié de ses 11 millions de membres y résident, il vaut la peine de s'arrêter ici aux présentations dans de grands titres de la presse écrite de langue anglaise. En effet, si le mormonisme peut encore évoquer une image de groupe religieux un peu marginal dans d'autres contextes culturels, il représente bien plus aux Etats-Unis, comme en témoignent d'ailleurs les propos du Président Bush cités au début de cet article.
Les journaux ont bien compris le message qu'a entendu faire passer l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours: "Mormons going for the gold, not souls", résume un titre des Dallas Morning News (3 février 2002). Les "saints des derniers jours n'entendent pas profiter de l'occasion offerte par les JO pour se livrer au prosélytisme, comme l'avaient déclaré plusieurs interlocuteurs au rédacteur de Religioscope lors d'une visite à Salt Lake City en novembre 2001 - et même si ne pas faire de prosélytisme n'empêche pas de parler de sa foi à une personne intéressée, expliquait candidement une jeune missionnaire rencontrée au Temple Square.
En fait, ce renoncement au prosélytisme à l'occasion des JO est le résultat d'une décision longuement mûrie et qui ne correspond pas à la stratégie envisagée initialement: le New York Times (20 janvier 2002) rapporte que l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours avait tout d'abord envisagé, il y a plus d'un an, de se lancer dans une campagne publicitaire de plusieurs millions de dollars pour créer une impression positive à l'occasion des JO. Des représentants de l'Eglise avaient même rencontré déjà dans ce but des responsables de la chaîne NBC. Mais l'Eglise avait fini par renoncer, arrivant à la conclusion qu'une telle campagne publicitaire risquait d'être mal perçue et d'aller à contre-sens de l'hospitalité sur laquelle les résidents de l'Utah entendent mettre l'accent. La direction de l'Eglise voit plutôt dans la tenue même des Jeux et l'intérêt qu'ils entraînent pour le mormonisme l'occasion de projeter une image neutre, si ce n'est positive, notamment dans des régions du monde où ce mouvement religieux est encore considéré avec suspicion.
"Les Jeux ont été accordés à Salt Lake City et à l'Utah, pas à l'Eglise" - telle est la ligne officielle du Département des affaires publiques de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, rapporte une dépêche de Reuters (3 février 2001). Le défi, pour une communauté religieuse à l'activité missionnaire vigoureuse et dont les membres sont naturellement enclins à partager leur foi, est donc plutôt de réussir à s'en abstenir à une telle occasion! Mais les membres de l'Eglise sont plutôt disciplinés lorsque leur religion est en jeu: le message est venu d'en haut et semble être clairement passé. Et de toute façon, comment les visiteurs ne pourraient-ils avoir conscience de l'existence et de la vitalité du mormonisme dans une ville construite autour d'un temple qui en est le principal monument, entouré par d'imposants bâtiments administratifs et culturels qui appartiennent également à l'Eglise?
Cela dit, les médias américains répercutent aussi des commentaires critiques, à côté de la couverture en effet plutôt neutre que la plupart d'entre eux semblent décidés à offrir. Un opposant local aux JO - qui a évidemment quelques raisons personnelles de se sentir déçu - déclare ainsi au New York Times (20 février 2002) : "Cette communauté est comme une monoculture théocratique. Si les mormons étaient laissés libres de faire ce qu'ils veulent, ils posséderaient le pays." Autant que les vieilles histoires de mariage plural (la polygamie est toujours pratiquée, mais par des individus ou groupes dissidents que l'Eglise excommunie), c'est le thème de la "théocratie" qui marque plusieurs commentaires. Même sans prosélytisme, la puissance de l'Eglise en Utah sera perceptible, suggérait le Los Angeles Times (13 janvier 2002). Rien de nouveau, d'ailleurs: les historiens savent que la croisade du 19e siècle contre le "mariage plural" masquait en arrière-plan un souci de combattre le pouvoir temporel mormon - et il est vrai que les "saints des derniers jours" du 19e siècle aspiraient bel et bien à établir le Royaume de Dieu sur terre dans un sens très concret.
Sauf accident majeur, les Jeux vont bel et bien être pour l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours une occasion sans précédent de se faire mieux connaître et d'améliorer son image de marque. De montrer aussi qu'elle pourrait être dans l'avenir un acteur religieux avec lequel il faudra compter. Même si les pronostics statistiques impressionnants articulés il y a plusieurs années déjà par le sociologue Rodney Stark doivent être pris avec prudence (des facteurs imprévisibles ou non quantifiables peuvent toujours modifier une courbe de croissance), il se pourrait qu'un Américain sur vingt soit mormon dans quarante ans et qu'il y ait alors 50 millions de fidèles de l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours dans le monde, souligne l'Economist dans son édition du 7 février 2002. Ce magazine réputé pour son sérieux n'accorde pas trop de crédit aux critiques à son avis "exagérées" dont le mormonisme peut encore faire l'objet. En revanche, il souligne que l'Eglise va de plus en plus devoir faire face à des défis quant à son identité et à son rapport au monde extérieur. Le mormonisme, dont 14% des fidèles seulement vivent aujourd'hui en Utah, réussira-t-il notamment à développer l'"identité mormone universelle" affirmée dans les déclarations de principe? Cette identité mormone a déjà connu des mutations au cours d'une histoire de plus de 150 ans. Nul doute que la croissance et l'internationalisation du mormonisme en entraîneront d'autres. (JFM)
Nombreux sont les ouvrages sur le mormonisme en anglais. Parmi ceux-ci, signalons un volume récent, au titre d'ailleurs bien choisi: Eric A. Eliason (dir.), Mormons and Mormonism: An Introduction to an American World Religion, Urbana/Chicago, University of Illinois Press, 2001, X+250 p. En fait, le lecteur tirera plus grand profit de ce livre s'il a déjà au moins quelques connaissances élémentaires sur le mormonisme. Le volume rassemble onze articles publiés au cours des dernières années dans différents volumes et périodiques par des spécialistes réputés, mormons aussi bien que non mormons. Quel est le rapport (plus complexe que ne le laisserait supposer le nom de l'Eglise) entre mormonisme et christianisme? comment expliquer sociologiquement le succès du mormonisme? ces questions et bien d'autres sont abordées au fil des pages.Ce recueil permet à la fois d'apprendre bien des choses sur le mormonisme et d'avoir un petit aperçu de la vitalité des études consacrées à celui-ci. Une contribution appréciable pour commencer à donner au mormonisme sa juste place dans l'histoire religieuse contemporaine.