Le concept de "sécurité spirituelle" a été à l'ordre du jour d'une conférence qui s'est tenue le 25 janvier 2002 à Moscou. Selon le président du Comité sur les affaires des organisations publiques et religieuses de la Douma, "la sécurité spirituelle est la clé du système de sécurité nationale".
Les Russia Religious News offrent la traduction en anglais de deux textes relatifs à une conférence qui s'est tenue le 25 janvier 2002 à l'initiative d'organismes officiels russes (notamment le Comité sur les affaires d'organisations publiques et religieuses de la Douma). Le thème de cette conférence était: "L'Etat et les associations religieuses traditionnelles - fondements conceptuels de relations sur le modèle du District fédéral central". Comme c'est le cas dans des manifestations de ce genre, les participants ont relevé l'apport qui peut être celui des spiritualités traditionnelles pour répondre "aux problèmes aigus auxquels doit aujourd'hui faire face la société russe".
"Unité spirituelle": pour une coopération entre Etat et organisations religieuses traditionnelles
Mais l'on prêtera particulièrement attention aux propos tenus par V.I. Zorkaltsev, président du Comité sur les affaires d'organisations publiques et religieuses de la Douma. La liberté retrouvée par l'Eglise orthodoxe et les autres religions traditionnelles, souligne-t-il, n'a pas rendu les choses plus faciles pour celles-ci - "au contraire". "Le pays a été submergé par toutes sortes d'organisations pseudo-religieuses et de groupes occultes et mystiques, et une littérature à bon marché est distribuée sans contrôle. Le développement de telles structures n'a rien de commun avec la liberté de conscience et les buts sociaux. La société est sans défense et les confessions traditionnelles sont paralysées devant cette menace [...]", a-t-il ajouté.
Notons cependant que le conférencier ne s'est pas borné à dénoncer des groupes religieux nouveaux ou à suggérer le soutien plus actif de l'Etat aux religions traditionnelles: il suggère également le développement d'un enseignement neutre sur les religions, partant du principe que l'analphabétisme religieux crée des adeptes potentiels pour des groupes prosélytes, tandis qu'une bonne connaissance des faits religieux équipe intellectuellement ceux qui ont bénéficié d'une telle formation. L'on ne peut que noter le parallélisme de ces préoccupations avec celles qui s'expriment ces dernières années dans plusieurs pays occidentaux.
On remarque aussi, dans les propos de Zorkaltsev, des craintes quant aux interférences étrangères dans le domaine religieux, qui ne vont pas sans rappeler des préoccupations analogues en Chine. Il se félicite des restrictions apportées aux activités de missionnaires étrangers, "mais attention", ajoute-t-il: "nous ne contrôlons pas la formation de personnel religieux russe à l'étranger", par exemple "des milliers d'imams russes" formés dans des pays tels que l'Arabie saoudite.
Zorkaltsev appelle donc à développer des principes de coopération entre l'Etat et les organisations religieuses. Il s'oppose à l'idée d'amendements à la loi de 1997 sur la liberté de conscience, mais suggère la création d'actes de régulation additionnels. Il mentionne des projets en préparation, qui vont du souci de "contrer la propagande de l'extrémisme religieux" à la "protection de la moralité publique" et au statut des "religions traditionnelles (indigènes) de la Russie" [1]. Zorkaltsev semble accorder au premier thème une importance particulière: il souhaite une définition légale des activités extrémistes.
Un développement réussit, estime Zorkaltsev, doit se fonder sur des conditions d'"unité spirituelle".
"La sécurité spirituelle est la clé d'un système de sécurité nationale; c'est un bouclier contre une 'cinquième colonne'; c'est la principale protection de notre culture multinationale et de notre civilisation indigène séculaire ainsi que la garantie d'une identité stable. Perdre la guerre des esprits et des coeurs du peuple dans le monde contemporain est une défaite beaucoup plus sérieuse qu'une défaite militaire [...]."
Coopération, mais pas contrôle: l'opinion du Métropolite Cyrille de Smolensk
Le Métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad [2], qui préside le Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, a également pris la parole à l'occasion de cette conférence, aux côtés de représentants à haut niveau de l'islam et du judaïsme. Comme Zorkaltsev, le Métropolite se montre hostile aux propositions d'amendement de la loi sur la liberté de conscience "adoptée avec de grandes difficultés en 1997". Celle-ci refléterait "un fragile équilibre d'intérêts et un compromis entre des forces différentes". Malgré ses imperfections, la loi a le mérite d'exister et de contribuer à la "stabilité publique". Le Métropolite se montre particulièrement soucieux a l'égard d'amendements qui seraient proposés "sans la moindre consultation avec les organisations religieuses".
Le Métropolite a réaffirmé l'opposition de l'Eglise russe à la création d'un ministère ou service officiel du gouvernement pour les affaires d'organisations religieuses. En effet, "la logique même de telles institutions administratives est que les organisations religieuses sont perçues non comme un partenaire, mais comme objet d'administration". Il y a dans ces propos du Métropolite comme un écho de préoccupations d'indépendance de l'Eglise russe face au contrôle de l'Etat, qui remontent déjà à la période pré-soviétique (même si la période soviétique a bien entendu exacerbé ce problème à travers le contrôle d'un Etat déterminé à anéantir la religion).
La position du Métropolite est nuancée sur la question du renforcement des mesures pour contrer l'extrémisme à motivation religieuse dans le sillage des événements du 11 septembre 2001: le renforcement des mécanismes de contrôle et de sécurité ne suffit pas à obtenir la paix et l'harmonie dans la société. Le Métropolite croit à la valeur du dialogue interreligieux - et à la coopération de l'Etat avec les organisations religieuses traditionnelles pour atteindre ces objectifs.
Quant à la question scolaire, le Métropolite est opposé à une instruction religieuse obligatoire dans les écoles publiques. En revanche, le système scolaire devrait fournir (aux élèves qui le souhaitent) une connaissance de base des religions fortement représentéee dans une région, pendant que les non croyants pourraient recevoir une formation sur le comportement éthique.
Les opinions sur toutes ces questions sont bien entendu divisées dans la Russie d'aujourd'hui. Les positions exprimées par les intervenants de la conférence du 25 janvier représentent le point de vue d'un courant, mais qui ne manque pas d'influence et de relais dans la société. Ils expriment également la recherche de solutions dans la gestion des relations entre Etat et religions en Russie, mais aussi les soucis entraînés par la circulation des croyances. (JFM)
Notes
[1] Un projet de loi d'Alexandre Chuev, député à la Douma (faction "Edinstvo") sur les religions traditionnelles de la Russie a été présenté publiquement le 5 février 2002, rapporte un article de Mir religii dans son édition du 6 février 2002 (cliquer ici pour la traduction en anglais). Le député assure que son projet aurait reçu l'appui du Président Poutine lui-même. La loi introduit les nouveaux concepts d'"organisation religieuse traditionnelle de la Fédération de Russie", d'"organisation religieuse traditionnelle des peuples de la Fédération de Russie",d'"organisation religieuse traditionnelle historique" et de "représentation d'une organisation religieuse traditionnelle étrangère". Selon le projet du député Chuev, les critères pour déterminer le caractère traditionnel d'une organisation religieuse reposeraient sur le nombre de fidèles (un million pour les organisations religieuses traditionnelles de la Fédération de Russie et 100.000 pour les organisations traditionnelles des peuples séparés de la Fédération, la durée d'existence (pas moins de 80 ans pour les "organisations traditionnelles historiques") et une reconnaissance par l'Etat du rôle de l'organisation quant à l'héritage spirituel, culturel et historique représenté par celle-ci. Une commission spéciale (à laquelle seraient adjointes des représentants des organisations traditionnelles au fur et à mesure de la reconnaissance de celle-ci) déterminerait quelles organisations auraient droit à ce statut. Elles jouiraient de privilèges spéciaux (par exemple, pas d'impôts sur le revenu). Elles bénéficieraient d'une priorité dans la coopération avec l'Etat (par exemple dans le domaine social).
[2] Le Métropolite Cyrille de Smolensk a derrière lui un parcours ecclésiastique très rapide dès la période soviétique. De son nom civil Vladimir Gundaiev, il naquit à Leningrad le 20 novembre 1946. Dès 1969, il devint en quelques mois moine, diacre, puis prêtre. De 1971 à 1974, il représenta l'Eglise orthodoxe russe au Conseil oecuménique des Eglises (COE) à Genève. Il devint ensuite recteur de l'Académie de théologie de Leningrad (1974-1984). Il accéda à l'épiscopat dès 1976, fut promu archevêque en 1984 et métropolite en 1991. Il dirige le Département des affaires extérieures de l'Eglise depuis 1989 (source: Orthodoxia 2002, Regensburg, Ostkirchliches Institut, 2001, p. 137).
Cette synthèse se fonde sur la traduction anglaise fournie par les Russia Religious News. Pour suivre l’actualité religieuse de la Russie et des républiques slaves voisines, dont l’Ukraine, les Russia Religious News offertes sur son site par Paul Steeves (Stetson University, DeLand, Floride) constituent une précieuse ressource. Presque chaque semaine, plusieurs articles de la presse russophone sur les questions religieuses y sont traduits en anglais et mis ainsi à la disposition de lecteurs ne parlant pas le russe
http://www.stetson.edu/~psteeves/relnews/