Les suites des événements du 11 septembre 2001 se font sentir pour les tenants de l'islam radical. Si la nouvelle donne accentue des divisions préexistantes dans les rangs des groupes jihadistes et les oblige à revoir leur stratégie, il ne faut pas perdre de vue les poussées plus profondes que l'on peut observer dans les contextes différents de pays comme l'Egypte ou l'Arabie saoudite. Quelques perspectives esquissées à travers une revue de presse.
Un article publié dans l'Economist du 31 janvier 2002 s'interroge sur les conséquences des événements des derniers mois sur l'islam militant. Le magazine dresse un bilan nuancé. Même les jihadistes, note-t-il, sont divisés: interrogé par l'Economist, un ancien compagnon de combat nord-africain d'Ousama Ben Laden déclare que ce dernier a commis une erreur en s'en prenant à une Amérique au faîte de sa puissance. Ces différends entre jihadistes sur la stratégie à suivre remonteraient déjà à plusieurs années. En effet, certains groupes militants qui menaient un combat contre les régimes de leurs pays avaient déjà le sentiment qu'un "jihad global" desservirait leur cause et serait utilisé pour justifier la répression. Les événements du 11 septembre 2001 ont fourni un prétexte inespéré aux régimes qu'inquiète l'activisme islamiste; ces régimes ont le sentiment que les pays occidentaux rejoignent enfin leurs vues. Quant aux groupes jihadistes, ils sont pour l'instant sur la défensive et revoient leur stratégie, se préparant à un combat de longue durée.
Mais l'islamisme ne se résume pas aux courants jihadistes que l'actualité des derniers mois a mis à la une. Notons la parution au mois de janvier de plusieurs articles dans de grands journaux nord-américains pour souligner la persistance et même le développement de l'influence des Frères Musulmans en Egypte. Dans son édition du 11 janvier 2002, le quotidien canadien Globe and Mail attribue ainsi aux Frères Musulmans une bonne partie du mérite des tendances à la "réislamisation" de la vie égyptienne depuis plusieurs années."Nous sommes encore loin d'avoir atteint notre objectif d'un Etat islamique, mais nous avons réussi dans une large mesure à transformer la structure de la société vers plus de piété, sauf pour une minorité encore attachée aux valeurs occidentales", déclare au journal canadien un représentant des Frères Musulmans. Même si des vagues d'arrestations régulières frappent le mouvement, les dernières en date au mois de novembre 2001.
Le New York Times (20 janvier 2002) rappelle que 17 membres du mouvement des Frères Musulmans sont élus au Parlement sous l'étiquette d'indépendants. Certaines voix en Egypte suggèrent que les Frères Musulmans représentent le meilleur antidote contre l'extrémisme. Les critiques du mouvement sont, bien entendu, d'un autre avis. Interrogée par le grand quotidien américain, Bassma Kodmani, analyste politique attachée à la Ford Foundation, souligne également l'influence exercée par les Frères Musulmans dans la société égyptienne: ils ne manquent pas de sympathisants dans l'administration et dans les forces armées, affirme-t-elle.
Enfin, l'attention se porte depuis quelque temps en direction de l'Arabie saoudite: plusieurs articles évoquent notamment les perspectives d'une transformation des relations privilégiées qui avaient jusqu'alors existé entre le Royaume et les Etats-Unis. En effet, dans le sillage des événements du 11 septembre 2001, l'influence wahhabite et l'encouragement apporté par des milieux saoudiens à certains courants islamistes deviennent suspects. Mais cela ne signifie pas pour autant que les musulmans critiques à l'égard du régime saoudien deviennent mieux disposés à son égard. Reproduit par le site ummah.com, un article de Crescent International (daté du 20 décembre 2001) souligne que de nombreux oulémas saoudiens se montrent de plus en plus critiques à l'égard du régime en raison de son absence d'opposition à l'intervention américaine contre un pays musulman: "Quiconque soutient et appuie les infidèles contre des musulmans est considéré comme un infidèle", telle est la teneur générale de ces prises de position. Elles ne font en fait que prolonger des critiques depuis la guerre du Golfe, avec la présence de troupes américaines dans la Péninsule arabique. L'auteur de l'article estime d'ailleurs que les autorités saoudiennes préfèrent éviter de forger une alliance trop forte avec les Etats-Unis dans les circonstances présentes, de crainte de voir un tel soutien susciter des oppositions de plus en plus virulentes à l'intérieur du Royaume. Tout laisse supposer que cette contestation sourde ne va pas s'arrêter. (JFM)