Dans le numéro de l'été 2001 de la revue Studies in Conflict and Terrorism, Peter Chalk, collaborateur de l'antenne de Washington de la RAND Corporation, examine le rôle de convictions islamiques dans les mouvements séparatistes du Sud de la Thaïlance, de Mindanao (Philippines) et d'Aceh (Indonésie).
Malgré des efforts des gouvernements concernés pour accorder une plus large autonomie à ces trois régions, les tendances séparatistes continuent de présenter des problèmes pour la stabilité et la sécurité régionales.
Thaïlande
Les organisations activistes sont le PULO (Pattani United Liberation Organization) et le New PULO (faction dissidente créée en 1995). Malgré leurs divergences, les deux organisations ont établi une alliance tactique au milieu de l’année 1997. Pas moins de 33 attentats leur furent attribuables dans la période d’août 1997 à janvier 1998, ce qui représentala plus importante éruption d'activité séparatiste musulmane dans la région depuis le début des années 1980.
En ce qui concerne les liens internationaux, ceux qui sont prouvés se limitent à l'appui apporté par des militants islamiques dans le Nord de la Malaisie. Mais certaines allégations font état de relations avec des réseaux internationaux d'extrémistes en Asie du Sud et au Proche-Orient. Cet éventuel facteur extérieur pourrait jouer un rôle négatif dans la recherche d'une solution pacifique.
Sud des Philippines
Ce conflit est bien sûr plus largement connu. Depuis la publication de l'article, de nouveaux développements se sont d'ailleurs déjà produits [1]. Le Moro Islamic Liberation Front (créé en 1980 comme dissidence du Moro National Liberation Front, MNLF) entend établir un Etat musulman séparé dans toutes les régions méridionales des Philippines où les musulmans sont encore majoritaires. Les troupes du MILF sont entraînées principalement par des vétérans de la guerre d'Afghanistan. Le MILF pratique en général un combat de guerilla et évite en général les actions de type terroriste. [N.B.: le site www.morojihad.com est devenu inaccessible au début de l'été 2002; son contenu est redevenu accessible entre-temps à l'adresse suivante, qu'un attentif lecteur a bien voulu nous signaler: morojihad.stcom.net/ (ce site a également disparu, mais une copie d'archive reste accessible grâce à Internet Archive - 04.09.2016)]
Ce n'est pas le cas du Groupe Abu Sayyaf, fondé en 1989, qui prétend établir un Etat islamique théocratique et n'hésite pas à prendre délibérément des civils pour cibles. Le groupe recourt largement à des méthodes terroristes.
Le MILF entretient des contacts avec des sympathisants de différents pays musulmans et reçoit également des visiteurs de ces pays dans ses camps – dont certains qui fonctionnent apparemment comme instructeurs. En ce qui concerne le Groupe Abu Sayyaf, outre les relations qu'il entretenait avec des vétérans de l'Afghanistan, il est soupçonné d'avoir établi des contacts avec différents groupes islamistes radicaux de l'Asie du Sud-Est.
Aceh [2]
Quant à Aceh (Nord-Ouest de Sumatra, Indonésie), la violence séparatiste y a été latente depuis les années 1950. Elle mêle un rejet de l'orientation séculière de l'Etat indonésien avec des insatisfactions économiques et des ressentiments face à ce qui est perçu comme une volonté de domination javanaise.
Pendant cinq siècles – jusqu'à la fin du 19e siècle – Aceh avait été un sultanat farouchement indépendant, rappelle Peter Chalk; les Hollandais avaient été contraints de fournir de gros efforts militaires pour en prendre le contrôle. A la suite de rébellions antérieures, un Free Aceh Movement lança une insurrection de basse intensité dès le milieu des années 1970. Elle bénéficia d'armes et d'entraînement libyens dans la dernière partie des années 1980. Le pouvoir indonésien réagit énergiquement, ce qui ne fit rien pour arranger la situation et accrut en fait la sympathie pour les séparaistes.
Le bras armé du mouvement n'est pas très important numériquement et, après l'épisode libyen, les soutiens étrangers se limitent à des sympathisants (en partie eux-mêmes originaires d'Aceh) dans la région.
En conclusion, Peter Chalk observe que ces mouvements dérivent dans les trois cas de facteurs fondamentaux identiques: manque de sensibilité du gouvernement central à l'égard des préoccupations locales, régions négligées, répression militaire et force de l'islam. Il estime que c'est la situation d'Aceh qui présente les potentialités les plus explosives, jusqu'à un risque de véritable guerre civile avec ondes de choc qui affecteraient d'autres régions de l'Indonésie (et des pays voisins), traversées déjà par des tensions séparatistes. (Résumé par JFM - 15.01.2002)
Source: Peter Chalk, "Separatism and Southeast Asia: The Islamic Factor in Southern Thailand, Mindanao, and Aceh", in Studies in Conflict and Terrorism, vol. 24, juillet-août 2001, pp. 241-269.
Un autre article de Peter Chalk sur les mouvements musulmans séparatistes aux Philippines et en Thaïlande peut être déchargé sous forme de fichier PDF.
Notes
[1] En 1996, Nur Misuari, actif depuis les années 1960 dans les activités de libération du peuple moro et dirigeant du Moro National Liberation Front, avait signé un accord de paix par lequel était créée une région autonome à Mindanao; il en était devenu le gouverneur. Il boycotta cependant les nouvelles élections de novembre 2001 pour le poste de gouverneur et aurait été l'instigateur du soulèvement manqué qui se produisit alors. Enfui en Malaisie, il y a été arrêté et aurait alors fait des déclarations demandant l'indépendance pour le peuple moro. Expulsé vers les Philippines par les autorités malaisiennes au début du mois de janvier 2002, il y été immédiatement placé en détention. Ses demandes pour obtenir un libre accès aux médias ont été refusées. Dans les jours suivant son retour forcé aux Philippines, des organisations musulmanes philippines modérées ont demandé que Misuari puisse s'exprimer publiquement afin de s'expliquer.
[2] Sur la situation à Aceh, l'International Crisis Group a publié au mois de juin 2001 deux rapports: Aceh: Why Military Force Won't Bring Lasting Peace et Aceh: Can Autonomy Stem the Conflict?