Les incidents se multiplient: prêtres étrangers arrêtés et expulsés du pays parce qu'ils ne disposent pas de titres de séjour au Monténégro, déclarations incendiaires du métropolite Amfilohije, affirmant que l'identité monténégrine n'existe pas... En réalité, cinq ans après la restauration de l'indépendance monténégrine, le statut de l'Église orthodoxe dans ce petit pays est toujours en débat. La prééminence de l'Église orthodoxe serbe est contestée depuis près de deux décennies par une Église orthodoxe monténégrine, qui revendique l'autocéphalie, tout en étant privée de la communion de la majorité des Églises orthodoxes du monde.
Malgré son engagement indépendantiste, le Parti démocratique des socialistes (DPS), qui règne sans partage sur le Monténégro depuis deux décennies, a toujours reconnu la légitimité de l'Église serbe, mais, lors de son dernier congrès, en mai 2011, le parti s'est officiellement prononcé en faveur de la réunification ecclésiale, sans apporter pour autant un soutien explicite à l'Église autocéphale. L'homme fort du pays, Milo Dukanovic, qui a renoncé il y a un an, en décembre 2010, à la charge de Premier ministre, tout en restant président du DPS, a expliqué que le Monténégro ne devait compter «qu'une seule» Église orthodoxe, sans préciser, toutefois, comment il entendait parvenir à dépasser le schisme qui déchire l'orthodoxie monténégrine depuis vingt ans. Plusieurs approches sont désormais en concurrence au sein de la coalition dirigée par le DPS.
Dans le même temps, les relations entre les autorités politiques et le métropolite Amfilohije, chef de l'Église serbe au Monténégro, se sont considérablement dégradées, tandis que la position de ce dernier s'est aussi beaucoup affaiblie à Belgrade depuis l'élection du patriarche Irinej, en janvier 2010. Le métropolite Amfilohije, qui rêvait très ouvertement de devenir patriarche, se trouve aujourd'hui plus isolé que jamais. À moins que l'allié russe ne lui offre l'occasion de rebondir encore une fois.
En effet, parmi les options possibles pour surmonter la crise ecclésiale au Monténégro, celle de la transformation de l'éparchie serbe du Monténégro et du Littoral en Église autonome dans le cadre de la juridiction du patriarcat de Belgrade est sérieusement envisagée. L'Église russe milite ouvertement pour cette évolution, prenant en modèle l'Église orthodoxe ukrainienne - patriarcat de Moscou. Dans cette hypothèse, bien sûr, le chef de l'Église monténégrine autonome serait Amfilohije...
La longue guerre des deux Églises
A-t-il existé un jour une Église orthodoxe monténégrine autocéphale? Les historiens sont tentés de répondre par la négative, du moins si l'on envisage une autocéphalie qui aurait été canoniquement reconnue par le patriarcat œcuménique de Constantinople ou la communion des Églises orthodoxes. Par contre, l'Église orthodoxe a longtemps joui de la plus complète autonomie dans la principauté monténégrine, elle-même autonome malgré un lien de vassalité théorique envers la Sublime Porte, devenue juridiquement indépendante depuis le Congrès de Berlin (1876). Jusqu'au milieu du XIXe siècle, le Monténégro était gouverné par le prince-évêque de Cetinje et un voyageur comme Guillaume Lejean le décrit encore dans les années 1860 comme «une petite république théocratique de bandits illyriens» [1]. Le prince Danilo Petrovic Njegos laïcisa la charge princière en 1853, renonçant à la fonction religieuse. On sait cependant que les princes monténégrins se considéraient eux-mêmes comme serbes.
En réalité, les terres anciennes de la Zeta et de la Duklja sont historiquement liées à la Serbie et à son Église - dont l'autocéphalie a été proclamée dès 1219 par saint Sava. Ces liens, toutefois, se sont distendus après la disparition de la principauté serbe et la conquête ottomane. Au contraire, le prince-évêque de Cetinje galvanisait la résistance du petit Monténégro, nid d'aigle qui ne fut jamais sous le contrôle effectif des conquérants turcs. Malgré cette situation, les évêques de Cetinje reconnaissaient l'autorité de la patriarchie serbe de Pec. Or, celle-ci fut supprimée par la Porte en 1690, après le soulèvement et la «grande migration» des Serbes du Kosovo, qui gagnèrent les «confins militaires» de l'Empire des Habsbourg, sous la conduite du patriarche Arsenije III Carnojevic. À partir de cette date charnière, la plus haute autorité de l'Église serbe fut le siège métropolitain de Karlowitz (Sremski Karlovci), sur le territoire de l'actuelle Voïvodine, alors possession habsbourgeoise. Cetinje n'entretint jamais aucun lien avec Sremski Karlovci, et l'Église monténégrine devint, de facto, autonome. Cette autonomie fut, notamment reconnue, au XVIIIe siècle, par le Saint-Synode de Russie, la petite principauté ayant établi des liens directs avec l'Empire des tsars.
Les lettres adressées par le Saint-Synode russe l'Église monténégrine, souvent citées à titre d'argument par les partisans de l'autocéphalie monténégrine, ne font que confirmer cette autonomie de fait. La Constitution monténégrine de 1905 va plus loin, en affirmant que «la religion de l'État est l'orthodoxie», et que «l'Église monténégrine est autocéphale et ne dépend d'aucune Église étrangère ». Durant cette période comprise entre le Congrès de Berlin et la Première Guerre mondiale, qui correspond à un développement institutionnel rapide de l'État monténégrin, l'Église forma ses structures, avec la formation en 1904 d'un Synode et l'adoption de constitutions synodales, régulant la vie ecclésiastique.
Cette situation perdura jusqu'en 1918 et au rattachement forcé du royaume monténégrin au nouveau «royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes», créé sous le sceptre de la dynastie des Karadjordjevic. En 1920, l'Église serbe fut restaurée dans sa qualité patriarcale et reprit naturellement un plein contrôle sur l'Église monténégrine.
La naissance de la Yougoslavie socialiste et la création d'une république fédérée du Monténégro, en 1945, ne provoquèrent pas l'ouverture d'un débat sur une éventuelle autocéphalie, comme ce fut le cas en Macédoine. Dans ce dernier cas, le régime socialiste yougoslave déploya de grands efforts pour fonder et valoriser la spécificité nationale du peuple macédonien, par différenciation d'avec les Bulgares et les Serbes - ce qui passa par la codification de la langue macédonienne, mais aussi par la prétention à l'autocéphalie du siège métropolitain d'Ohrid-Skopje. Le Monténégro reste épargné par de tels débats identitaires: nul ne remettait en cause l'étroit «cousinage» entre les Serbes et les Monténégrins, tandis que l'histoire particulière du Monténégro justifiait pleinement l'existence d'une république fédérée.
La question du statut de l'Église au Monténégro ne se posa qu'à partir du début des années 1990 et de l'éclatement de la Yougoslavie socialiste et fédérale, quand le renouveau du nationalisme serbe faillit entraîner un effacement de la spécificité monténégrine.
Au début des années 1990, les dirigeants du Parti démocratique des socialistes (DPS) - avatar de l'ancienne Ligue des communistes monténégrins (SKCG) - et de l'État - à savoir Momir Bulatoviv, Milo Dukanovi_, Svetozar Marovic, Filip Marovic, pour citer les principaux - étaient de fidèles alliés du maître de Belgrade, Slobodan Milosevic, dont ils partageaient pleinement l'option «grand serbe» et le bellicisme.
Face à eux, l'opposition libérale défendait à la fois le refus de la guerre, l'exigence d'une démocratisation du système et l'affirmation d'une identité nationale monténégrine distincte de l'identité serbe. Un vif débat se prolonge d'ailleurs toujours sur le sens des mots. Quand le prince-poète Petar II Petrovic Njegos revendique une identité «serbe» dans sa grande œuvre, La Couronne des montagnes [2], comment entendre cette épithète?
L'Alliance libérale du Monténégro (LSCG) fut, tout au long des années, le parti politique de référence de la jeune et fragile société civile qui commençait à naître au Monténégro. Elle reprenait la tradition du «fédéralisme» monténégrin qui avait survécu à toutes les épreuves du XXe siècle - associant affirmation nationale monténégrine, «différenciation» avec la Serbie et attachement à la dynastie royale des Petrovic Njegos, symbole et garante de cette spécificité monténégrine. C'est aussi dans cette «famille libérale» qu'apparurent les premiers partisans d'une Église autocéphale monténégrine, qui fut officiellement créée le 31 octobre, jour de la saint Luc (Lucindan) 1993.
Le premier métropolite de l'Église monténégrine restaurée fut Antonije Abramovic, ancien moine de l'Église serbe, qui fut même, durant la Seconde Guerre mondiale, higoumène du prestigieux monastère de Visoki Decani, au Kosovo, avant de devenir prêtre à Athènes, puis archimandrite de l'Église russe de la diaspora. Il aurait reçu une ordination épiscopale alors qu'il résidait au Canada, et ne revint au Monténégro qu'au début des années 1990. Le métropolite Antonije disparut en 1996, mais le prêtre Miras Dedeic lui succéda: il fut intronisé sous le nom de Mihailo par le patriarche Pimène de Bulgarie.
Amfilohije, l'homme par qui le scandale arrive?
La formation de cette Église doit être perçue dans une large mesure comme une réaction directe à la personnalité bien particulière du métropolite Amfilohije (Radovic), chef de l'Église serbe au Monténégro depuis Noël 1991. Ce théologien de haute volée, qui a longuement séjourné au mont Athos avant d'enseigner à l'Institut Saint-Serge de Paris puis à l'Université de théologie de Belgrade, est un disciple direct du théologien Justin Popovic et de l'évêque Nikolaj Velimirovic, les principaux concepteurs de «l'idéologie de saint Sava» (svetosavlije), qui accorde une place particulière au peuple serbe dans l'économie générale du Salut. Ce courant spirituel et intellectuel joua essentiel dans la «réhabilitation» du nationalisme serbe dans les années 1980, ainsi que dans la mise en avant et la politisation de la thématique de la «terre sacrée» du Kosovo. En passant du siège épiscopal de Vrsac, en Voïvodine, au trône métropolitain de Cetinje, Amfilohije prenait le contrôle d'une enviable position de pouvoir et d'influence au sein de l'Église serbe, son titre de métropolite du Monténégro et du Littoral, de la Zeta et de Skadar et d'exarque du siège de Pec, lui donnant même un droit de regard sur le Kosovo.
Tout au long des années 1990, Amfilohije fut l'un des personnages les plus puissants de l'Église, le considéré comme le défenseur d'une aile «radicale». Professant un anticommunisme militant, le métropolite Amfilohije ne passa jamais que des accords conjoncturels et tactiques avec le régime de Slobodan Milosevic, poussant au contraire l'Église à rejoindre le camp de l'opposition lors des manifestations de l'hiver 1996-1997.
Par contre, il afficha avec fierté sa proximité avec les combattants serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Après la guerre, on soupçonne qu'il aurait pu accorder l'hospitalité dans certains monastères, notamment celui d'Ostrog, près de Niksic, à des inculpés fuyant le Tribunal pénal international de La Haye, peut-être à Radovan Karadzic lui-même.
Dès le 12 juillet 1991, le jour de la Saint-Pierre, il avait reçu le commandant Arkan au monastère de Cetinje. Originaire de Cetinje, Arkan, de son vrai nom Zeljko Raznjatovic, était le commandant de la Garde serbe des volontaires, la milice des «Tigres», à la funeste réputation. Cet épisode, et les images choquantes de miliciens apparaissant en armes aux arcades du monastère, entraînèrent une rupture immédiate entre le métropolite nouvellement nommé et de larges secteurs de l'opinion monténégrine, notamment à Cetinje, ville acquise à la cause «souverainiste» et très hostile au nationalisme serbe.
Lors du référendum de mai 2006 sur la restauration de l'indépendance monténégrine, Amfilohije mit tout son poids dans la balance pour essayer de contrer la perspective d'une séparation. Au lendemain de la consultation, se soldant par une nette victoire de l'option indépendantiste, le métropolite laissa échapper la phrase: «Plus rien ne sera désormais comme avant» [3]. De fait, depuis ce tournant majeur dans l'histoire du pays, ses relations avec les autorités politiques du Monténégro n'ont cessé de se détériorer.
Cette même année 2006, l'Église serbe a fait ériger une chapelle en métal au sommet du Mont Ruma, près de Bar, une initiative perçue comme une «provocation» par la population locale, car ce sommet est considéré comme un lieu sacré par les orthodoxes, les catholiques et les musulmans de la région. Il est, depuis, régulièrement question de démanteler cette «chapelle de la discorde» mais, lors de la liturgie de Noël, le 6 janvier 2011, le métropolite a menacé d'anathème quiconque oserait y toucher [4] Ces anathèmes ont été reconnus comme un «appel à la haine», tel que défini par le Code pénal monténégrin, et une procédure en justice a été ouverte contre le métropolite, entraînant une escalade dans le bras de fer entre le métropolite et les autorités monténégrines.
Les conflits se focalisent largement autour de la présence de moines et de prêtres serbes, citoyens de Serbie ou de Bosnie-Herzégovine, qui séjournent dans les églises et les monastères du Monténégro sans être munis de titres réguliers de séjour dans le pays. En juin 2011, la police a expulsé le prêtre serbe Sinisa Smiljic, citoyen de Bosnie-Herzégovine, pour risque de «troubles de l'ordre public, créant une situation inquiétante pour l'opinion». Ce dernier, en charge de la paroisse de Pastrovic, sur le littoral monténégrin, avait tenté de pénétrer dans le village-hôtel de Sveti Stefan, pour montrer à des journalistes russes les restes d'une ancienne église. De véritables rafles de la police avaient eu lieu dans les monastères, le 11 septembre 2010, puis le 4 juin 2011. Lors de cette dernière opération, la police des frontières a découvert que cinq citoyens de Bosnie et trois citoyens de Serbie étaient hébergés depuis des années dans des monastères orthodoxes dans la seule commune de Niksic, sans aucun titre de séjourau Monténégro. Au total, on a évoqué la présence de 86 moines et prêtres étrangers au Monténégro.
L'éparchie de Kotor ne compterait que deux prêtres citoyens du Monténégro. En effet, la carrière ecclésiastique n'a jamais beaucoup tenté les ressortissants du petit pays, tandis que les cadres de l'Église serbe se sont considérablement rajeunis ces deux dernières décennies, notamment grâce à l'engagement de jeunes Serbes de Croatie ou de Bosnie-Herzégovine... Très peu d'étudiants monténégrins sont en formation au séminaire de Cetinje, et l'Église orthodoxe serbe au Monténégro pourrait connaître un réel problème de ressources humaines si elle devait se priver des cadres originaires des républiques voisines. L'Église refuse d'engager une négociation avec l'État sur la légalisation de ces prêtres, au statut potentiellement assimilable à celui de travailleurs immigrés, et préfère dénoncer un harcèlement particulier et un traitement discriminatoire par rapport à celui réservé à l'Église catholique. Ainsi, le doyen de la cathédrale Saint-Triphon de Kotor est un prêtre polonais, qui aurait reçu ses papiers de résidence avant même la signature d'un concordait entre le Monténégro et le Vatican.
Le père Momcilo Krivokapic, vicaire de l'éparchie de Kotor, n'hésite pas à comparer la situation actuelle à celle qui prévalait aux pires moments du régime communiste. Il affirme même qu'il existait, à l'époque, une Association officielle des prêtres, par laquelle l'État essayait de contrôler toute la vie de l'Église. «Aujourd'hui ils agissent de façon beaucoup plus perfide. Il n'y a plus d'espions officiels puisqu'il n'y a plus d'association. Mais au moment même où l'on pensait avoir établi une équipe de qualité, bien éduquée, les persécutions systématiques ont commencé. Ils en arrivent à remettre en question la légalité de l'Église orthodoxe serbe, ce qui ne s'était jamais produit auparavant» [5].
En effet, une nouvelle polémique vient d'éclater sur l'existence légale de l'Église serbe au Monténégro, car celle-ci n'est pas enregistrée dans les registres de la police monténégrine. La métropolie du Monténégro et du littoral affirme que, selon la loi de 1977 encore en vigueur, les communautés religieuses traditionnelles n'ont pas à se faire enregistrer. Il est sous-entendu qu'elles ont leurs droits, l'enregistrement n'est obligatoire que pour les communautés religieuses qui se sont formées ultérieurement.
Cependant, la police monténégrine rétorque que quatorze communautés religieuses sont enregistrées dans le pays, dont l'archidiocèse catholique de Bar et la Communauté islamique, mais que l'Église orthodoxe serbe ne figure pas sur la liste. Dans une déclaration, la police a assuré qu'elle ne cherchait pas à compliquer les relations avec l'Église serbe, mais qu'elle ne voulait que faire respecter la loi.
Médiation russe?
Alors que les tensions entre les autorités politiques et l'Église serbe ne cessent de se multiplier, une solution au schisme monténégrin pourrait venir de Moscou... L'Église russe, très influente auprès de sa sœur serbe, s'est en effet directement engagée dans la résolution du problème, en promouvant une option basée sur le «modèle ukrainien», c'est-à-dire l'octroi d'un statut d'autonomie sans autocéphalie. Tout comme il existe en Ukraine une Église orthodoxe ukrainienne fidèle au patriarcat de Moscou, la métropolie du Monténégro et du littoral se transformerait en Église orthodoxe monténégrine, dans la communion maintenue avec le Patriarcat de Belgrade.
Cette solution marginaliserait l'Église autocéphale, certainement condamnée à s'étioler, voire à disparaître à brève échéance, car elle dispose d'une «base» beaucoup plus étroite que l'Église ukrainienne du patriarcat de Kiev [6]. Par contre,elle pourrait convenir aux dirigeants politiques monténégrins, tout en offrant une voie de sortie très honorable à un Amfilohije qui renoncerait à ses ambitions patriarcales belgradoises...
Le métropolite Hilarion (Alfejev), le chef de la diplomatie de l'Église russe - son titre exact est celui de président du Département des affaires ecclésiastiques étrangères - était à Podgorica le 21 juillet, deux mois après que Milo Djukanovic ait annoncé, lors du Congrès du DPS, que le programme du parti était «d'encourager l'unification des fidèles orthodoxes dans une seule Église», et que «l'Église orthodoxe devait être autonome au Monténégro».
Au cours d'une conférence de presse, Hilarion a déclaré que l'Église orthodoxe monténégrine était un «groupe autoproclamé», que l'Église orthodoxe serbe était «l'unique Église canonique au Monténégro» et que, «selonle droit canonique, il ne pouvait y avoir deux Églises orthodoxes dans un même État». Toutefois, le métropolite Hilarion ne s'est pas contenté de répéter ces positions de principe. Plus discrètement, il a envoyé des messages que les connaisseurs ont su décrypter, soulignant l'existence de «questions ouvertes».
Selon le quotidien belgradois Blic, «le terrain se préparerait pour une autonomie de la métropole du Monténégro et du Littoral», et les hommes d'affaires russes faisaient du lobbying pour régler cette question du conflit religieux: «En plus des affaires qu'ils gèrent au Monténégro, ils ont d'excellents rapports avec les autorités de Podgorica, mais aussi dans certains milieux de l'Église russe». La métropole du Monténégro et du Littoral a vivement réagi au texte publié par Blic. Le prêtre Velibor Dzomic, coordinateur du Conseil juridique de la métropole, a déclaré que ces informations n'étaient pas fondées et qu'il ne s'agissait que d'une «pure fantaisie».
Mais est-ce vraiment une fantaisie? Le 28 août, le quotidien monténégrin Dan écrivait que les clients du bar Grand de Podgorica avaient été surpris, la veille au soir, en voyant le métropolite Amfilohije attablé en compagnie de Milan Rocen, le ministre des Affaires étrangères. Tous deux ont expliqué qu'il s'agissait «d'un entretien amical et d'une rencontre habituelle de deux amis se connaissant de longue date»!
Ces dernières années, on a beaucoup évoqué la relation de Milan Rocen avec le Fonds pour l'unité des peuples orthodoxes de Moscou, filiale «civile» de l'Église russe au Monténégro, plus précisémentdu Département des rapports ecclésiastiques étrangers présidé par ce même métropolite Hilarion. Ce Fonds a tenu une conférence à Cetinje en 2006, en présence de Milo Dukanovic et de Milan Rocen, qui était alors ambassadeur de l'Union Serbie et Monténégro.
Le représentant local du Fonds russe est Slavko Krstajic, véritable «pèlerin» monténégro-russe, directeur exécutif de la société Odigitrija d.o.o., dont le fondateur n'est autre que la métropole du Monténégro et du Littoral. Au monastère d'Ostrog et dans tout le Monténégro, Odigitrija développe depuis 2002 un tourisme de pèlerinage fort lucratif: à Budva, la société possède l'hôtel Podostrog comportant 56 chambres et 4 suites. La nuitée s'élève à 106 euros.
Amfilohije siège au Conseil d'administration d'Odigitrija, même si le ministère des Finances a révélé que la métropolie n'est pourtant pas enregistrée pour mener des activités commerciales, pas plus qu'elle ne paie des impôts.
Les réseaux d'affaires serbo-monténégrins pourraient donc peut-être réussir à «réconcilier» le métropolite Amfilohije et les dirigeants monténégrins, tout en permettant une résolution de la situation ecclésiale dans le petit pays. Encore faudrait-il, toutefois, pour que ce scénario ait une chance de réussir, que le métropolite Amfilohije rompe avec sa culture de la provocation et essaie de se réconcilier avec les différents secteurs de l'opinion monténégrine.
Jean-Arnault Dérens
Notes
[1] Guillaume Lejean, Voyages dans les Balkans 1857-1870, Paris, Non Lieu, 2011.
[2] Une nouvelle traduction française est disponible aux éditions L'Age d'Homme, 2010, collection «Classiques slaves».
[3] Lire: «Balkans: après l'indépendance du Monténégro, l'Église orthodoxe serbe dans la tourmente», Religioscope, 26 juin 2006.
[4] Lire «Monténégro : la chapelle de la discorde et les malédictions d'Amfilohije», Le Courrier des Balkans, 11 janvier 2011, et «Monténégro : les appels à la haine du métropolite Amfilohije», Le Courrier des Balkans, 28 janvier 2011.
[5] Lire Jelena Jorgačević, «Religions: le Monténégro harcèle-t-il l'Église orthodoxe serbe?», Le Courrier des Balkans, 17 juillet 2011.
[6] De manière intéressante, l'Église monténégrine autocéphale entretient justement des relations suivies avec l'Église ukrainienne du patriarcat de Kiev. Lire J.-A. Dérens et Laurent Geslin, «Orthodoxie en Ukraine: une interminable guerre de positions?», Religioscope, 17 août 2011.
A la suite de la publication de cet article, nous avons reçu une analyse critique de la part de Bernard Le Caro, laïc orthodoxe et notamment auteur d'une biographie d'un saint orthodoxe russe contemporain, Saint Jean de Changhai (2e éd. revue et complétée, Lausanne, L'Age d'Homme, 2011).
Comme nous le faisons parfois, à titre documentaire, nous publions ce texte en annexe à cet article, afin de contribuer à l'information des lecteurs de Religioscope. Vous pouvez lire ce texte ci-dessous ou le télécharger au format PDF (176 Ko).
Notes
[1] Guillaume Lejean, Voyages dans les Balkans 1857-1870, Paris, Non Lieu, 2011.
[2] Une nouvelle traduction française est disponible aux éditions L’Age d’Homme, 2010, collection «Classiques slaves».
[3] Lire: «Balkans: après l’indépendance du Monténégro, l’Église orthodoxe serbe dans la tourmente», Religioscope, 26 juin 2006.
[4] Lire «Monténégro : la chapelle de la discorde et les malédictions d’Amfilohije», Le Courrier des Balkans, 11 janvier 2011, et «Monténégro : les appels à la haine du métropolite Amfilohije», Le Courrier des Balkans, 28 janvier 2011.
[5] Lire Jelena Jorga_evi_, «Religions: le Monténégro harcèle-t-il l’Église orthodoxe serbe?», Le Courrier des Balkans, 17 juillet 2011.
[6] De manière intéressante, l’Église monténégrine autocéphale entretient justement des relations suivies avec l’Église ukrainienne du patriarcat de Kiev. Lire JA Dérens et Laurent Geslin, «Orthodoxie en Ukraine: une interminable guerre de positions?», Religioscope, 17 août 2011.