Sans que Religioscope se propose d'en faire une habitude, essayons, en ce début d'année 2009, de faire le point sur quelques-uns des développements survenus en 2008, ainsi que nous l'avions déjà tenté il y a un an. Comme l'an dernier, il ne s'agit pas d'un passage en revue global, mais d'un choix subjectif de quelques événements et tendances qui ont retenu notre attention, sans toujours avoir été traitées dans nos pages.
Comme nous pouvions nous y attendre, plusieurs des tendances relevées dans notre rétrospective de janvier 2008 se sont confirmées.
Ainsi en va-t-il des préoccupations des religions pour l'environnement: symboliquement, le Vatican – le plus petit Etat du monde – a fait savoir en août son intention de devenir le premier Etat écologique en Europe, en utilisant, d'ici 2020, 20% d'énergies renouvelables. Il s'intéresse aussi à l'énergie éolienne. Ces démarches sont directement liées aux fréquentes allusions de Benoît XVI à une utilisation juste et équitable des ressources de la terre ainsi qu'à la dénonciation d'une exploitation irresponsable (APIC, 29 août 2008). Egalement connu pour l'accent qu'il met sur les questions écologiques, le Patriarche Bartholomée de Constantinople a été sélectionné par le magzine Time – aux côtés du Dalaï Lama – dans sa liste annuelle de cent personnes influentes dans le monde contemporain. En outre, Richard Cizik, l'un des responsables de la National Association of Evangelicals américaine (jusqu'àa sa démission en décembre), s'est éeacute;galement retrouvé dans la liste en raison de son engagement pour la cause de l'environnement (Time, 12 mai 2008).
De même, la volonté de contrer la diffusion d'interprétations politiquement radicalisées de l'islam a continué de se manifester à travers différentes initiatives, venant de milieux musulmans en non musulmans. L'Arabie saoudite a affirmé vouloir assurer une formation de recyclage à 40.000 imams du Royaume pour les écarter de dérives extrémistes, après en avoir déjà mis à pied un millier au cours des dernières années; il reste à voir quels effets cela pourra avoir, et surtout dans quels délais (BBC, 20 mars 2008). Quant au gouvernement marocain, il a envoyé 176 prêcheurs en Europe (principalement en France et en Belgique) pour la période du ramadan, afin de contrer les tendances extrémistes (Asia News, 17 juillet 2008).
En Grande-Bretagne, le gouvernement a poursuivi une politique de soutien à des penseurs et théologiens musulmans considérés comme modérés afin d'offrir à la communauté musulmane des critères d'orientation sur des sujets controversés, notamment à travers un programme de l'Université de Cambridge: le gouvernement affirme qu'il s'agit uniquement de répondre aux demandes exprimées par la communauté musulmane elle-même, et non pas de lui dicter sa façon de pensée, mais cette interprétation est mise en doute par des milieux islamistes (The Times, 19 juillet 2008).
Les facteurs de tension trouvent des axes variés pour alimenter des ressentiments. Nous pouvons en prendre comme exemple l'agitation qui a persisté dans plusieurs pays musulmans, notamment en Indonésie, contre le mouvement Ahmadiyya, un groupe né dans le sous-continent à la fin du XIXe siècle, qui se considère comme musulman et a toutes les pratiques de l'islam, mais est qualifié d'hérétique par beaucoup d'autres musulmans en raison de certaines de ses croyances (il attribue à son fondateur le statut de "Messie Promis et Mahdi"); il est interdit à ses membres d'accéder à La Mecque. L'agitation anti-ahmadie n'est pas nouvelle. Dès 1974, au Pakistan, l'hostilité de certains milieux musulmans aux ahmadis s'est accompagnée de mesures gouvernementales visant à limiter leurs activités.Ces dernières années, l'opposition de groupes d'activistes musulmans aux ahmadis s'est faite de plus en plus virulente dans plusieurs pays, dans le cadre d'exigences plus larges en vue d'une "islamisation". En Indonésie, comme l'a rappelé en juillet un rapport de l'International Crisis Group, des groupes musulmans se livrent depuis cinq ans à un lobbying pour obtenir des mesures contre les ahmadis. En juin 2008, le gouvernement indonésien a tenté de répondre à ces pressions en interdisant aux ahmadis de propager leurs convictions religieuses, mais cela n'a eu pour résultat que de mécontenter les uns et les autres – les partisans de la liberté des ahmadis estiment que le gouvernement ne respecte pas les droits constitutionnels des ahmadis indonésiens, tandis que les islamistes anti-ahmadis disent ne pouvoir être satisfaits que par l'interdiction pure et simple du mouvement. L'affaire met en évidence comment une agitation menée au nom de l'islam peut placer des gouvernements de pays musulmans dans une situation difficile, jusqu'au point de céder partiellement aux exigences de groupes activistes afin de ne pas tomber sous l'accusation d'être de "mauvais" ou "tièdes" musulmans, mais sans réussir pour autant à calmer le jeu.
Les observations faites il y a un par Religioscope sur les risques continus de tensions autour de la question du prosélytisme et des conversions dans différentes zones du monde ont dramatiquement été confirmées par les événements survenus durant l'été en Orissa: la responsabilité de l'assassinat d'un dirigeant hindou (responsable de campagnes antimissionnaires) par des maoïstes le 23 août 2008 a été imputée aux chrétiens par des groupes nationalistes hindous, conduisant à de graves violences dans le district de Kandhamal. Plusieurs centaines de personnes auraient été tuées (selon des chiffres non confirmés) et des milliers de maisons et églises détruites, avec des dizaines de milliers de personnes ainsi devenues sans abri.
La crise au sein de la Communion anglicane a franchi une nouvelle étape, alors que la Conférence de Lambeth s'est réunie – comme tous les dix ans – du 16 juillet au 3 août 2008. Celle-ci a mis en évidence une fracture toujours plus forte entre dirigeants de la Communion anglicane dans le monde industrialisé, d'un côté, et la majorité des communautés anglicanes du Sud (avec leurs alliés conservateurs en Europe, en Amérique et en Australie), de l'autre côté: sur 324 diocèses anglicans africains, 200 évêques diocésains ont refusé l'invitation de l'Archevêque de Cantorbery (en Australie, 7 ont fait de même et 3 en Angleterre). Une Global Anglican Future Conference (GAFCON) s'est rassemblée à la fin du mois de juin à Jérusalem, accueillant à la fois les évêques ayant refusé de se rendre à Lambeth et d'autres, proches de leurs vues, qui ont participé tant à la conférence de Jérusalem qu'à celle de Lambeth. La GAFCON se défend de vouloir créer une communion parallèle, mais elle met sur pied des structures qui devraient lui permettre de s'organiser dans la durée: un premier conseil des primats de la GAFCON s'est réuni à Londres du 20 au 22 août 2008, développant à cette occasion les bases d'une Fellowship of Confessing Anglicans, dont la création avait été décidée à Jérusalem. Selon la déclaration des primats de la GAFCON, la communion sacramentelle entre l'ensemble des anglicans est rompue (conséquence du refus de l'Eglise épiscopalienne américaine de revenir sur la consécration d'évêques homosexuels), les pratiques mises en cause ne vont pas disparaître, ce serait une illusion de penser qu'il est possible de revenir à la situation d'avant 2003 (consécration de l'évêque homosexuel américain Gene Robinson), et il faut se soucier des répondre aux besions des paroisses, et même diocèses, qui se retirent des rangs épiscopaliens afin "de rester d'authentiques anglicans".
Aux Etats-Unis, en effet, outre des paroisses qui ont quitté leurs évêques épiscopaliens pour se placer sous la direction d'évêques d'autres provinces, quatre diocèses ont (dans leur majorité et avec leur évêque) abandonné l'Eglise épiscopalienne. Avec des groupes dissidents déjà constitués, ils ont décidé au début du mois de décembre de constituer l'Anglican Church of North America, dont la création a été saluée par la GAFCON comme nouvelle province anglicane pour l'Amérique du Nord. Même si l'Anglican Church of North America ne pourra réussir à rassembler en son sein tous les dissidents (en raison de questions de personnes et de divergences sur des points spécifiques), sa création (à ratifier en 2009) représentera un important saut qualitatif pour le mouvement conservateur dans l'épiscopalisme américain, en raison de la dynamique d'unité que la nouvelle formation va insuffler et du fait du ralliement – pour la première fois – d'évêques épiscopaliens en exercice, le tout dans un contexte où le soutien de plusieurs provinces à l'entreprise semble assuré grâce à la GAFCON.
Le problème des subprimes et la crise financière ont marqué l'actualité "séculière": elle ne pouvait laisser indifférentes les religions, soucieuses à la fois de répondre aux préoccupations de leurs fidèles et de tirer des événements quelques enseignements supposés démontrer la validité de leur message pour les sociétés contemporaines.
Si certains financiers de Wall Street ont prié avec ferveur dans l'espoir d'éviter d'être personnellement touchés par la catastrophe, selon des témoignages rapportés par Christianity Today (19 septembre 2008), les églises et associations religieuses aux Etats-Unis ressentent aussi l'impact de la crise: les dons à plusieurs d'entre elles – en particulier dans la région de New York – auraient diminué. De même, la gigantesque escroquerie de Bernie Madoff (ancien président du NASDAQ), révélée en décembre, a frappé de plein fouet plusieurs fondations et donateurs dans la communauté juive, à laquelle il appartenait et au sein de laquelle il avait recruté nombre de ses clients aujourd'hui grugés.
Au delà de ces aspects passagers, les groupes religieux mettent l'accent sur les leçons à tirer de la crise. A un niveau très pratique, des prédicateurs américains incitent leurs fidèles et auditeurs à éviter la spirale de l'endettement: certains suggèrent qu'il est important de prêcher sur la gestion sage des ressources, comme on le fait sur la nécessité de pardonner (Washington Post, 20 juillet 2008). Rôle social des communautés religieuses, aussi, pour les victimes de la crise.
Plus profondément, la question est soulevée de savoir si ces turbulences n'appellent pas à une plus forte présence des considérations éthiques dans le domaine financier? Non sans s'interroger pour savoir si les groupes religieux eux-mêmes respectent tous ces principes dans leurs propres investissements: ainsi, en septembre, moins de 24 heures après que des prélats anglicans aient dénoncé la dérive du système capitaliste, l'on apprenait que l'Eglise anglicane elle-même était, à travers ses placements, également liée à des hedge funds... (Times Online, 26 septembre 2008)
Les vieilles prohibitions religieuses envers l'usure trouveraient-elles à s'apppliquer aux circonstances présentes? C'est la conviction des partisans d'un système financier islamique, qui voient dans les récents événements la démonstration de la justesse de leurs analyses. Tout laisse d'ailleurs penser que les banques et fonds islamiques (acteurs en développement, mais encore marginaux sur les marchés financiers) vont bénéficier grâce à cette crise d'une impulsion supplémentaire. Reste à voir si la finance islamique serait capable d'absorber un afflux important et soudain d'avoirs.
Les élections présidentielles américaines ont montré la complexité de l'interaction entre facteurs religieux et autres dimensions: si la majorité des évangéliques américains blancs ont voté pour le républicain MacCain (en partie grâce à l'effet Sarah Palin, puisque la candidate de l'Alaska à la vice-présidence était une pentecôtiste et chrétienne born again convaincue), l'écrasante majorité des évangéliques noirs ont ignoré les considérations théologiques et voté pour Obama. Dans le sillage des élections et de l'après-Bush, la question est aussi posée de savoir quelles seront, demain, les figures de proue de la droite chrétienne américaine, à l'heure où ses figures historiques disparaissent de la scène: selon le sociologue D. Michael Lindsay, auteur du livre Faith in the Halls of Power: How Evangelicals Joined the American Elite, il ne faut pas s'imaginer que la droite chrétienne va disparaître, d'autant plus que certaines mesures que pourrait prendre le nouveau gouvernement paraissent de nature à lui fournir des thèmes mobilisateurs. Il est hautement improbable que Sarah Palin devienne la nouvelle égérie de la droite chrétienne, car elle ne s'est pas montrée capable de transformer ses références religieuses en une vision inspirant globalement une politique. De nouvelles figures vont émerger et tenter de renouveler l'image publique de la droite religieuse. A côté de cela, il ne faut pas oublier les évangéliques qui ne se reconnaissent pas dans cette droite religieuse: certains d'entre eux seront dans l'entourage du président Obama.
Dans le monde bouddhiste, des sommets et réunions internationales – parfois instrumentalisées aussi par des gouvernements – témoignent de la volonté de relations plus étroites entre bouddhistes de différentes écoles et de différentes origines nationales. Si le second Forum bouddhiste mondial, qui devait se réunir en Chine en novembre, a finalement été repoussé à la fin du mois de mars 2009 (il se tiendra à Wuxi – le précédent forum s'était déroulé à Hangzhou en avril 2006), le 5e Sommet boudhiste mondial s'est en revanche bien déroulé au Japon en novembre (le prochain devrait se tenir à Hanoi en 2010), de même que la première conférence de l'Association internationale des universités bouddhistes (groupe formé en 2007). S'il ne faut pas surestimer l'impact de ces réunions, la multiplication d'initiatives de ce genre tend à renforcer des sentiments de solidarité et à encourager des coopérations entre mouvements bouddhistes à travers le monde.
Dans le domaine du dialogue interreligieux, il faut noter l'initiative saoudienne d'un sommet interreligieux à Madrid en juillet, organisé par la Ligue musulmane mondiale à l'initiative du roi Abdullah, suivant de peu une autre réunion – celle-ci à La Mecque – pour renforcer l'entente entre musulmans (notamment chiites et sunnites). Si la réunion de Madrid relevait sans doute en bonne partie d'une opération de relations publiques, il ne faut pas pour autant négliger de telles initiatives, qui montrent la prise de conscience croissante du rôle des religions dans la solution de tensions et la prévention de conflits.
En 2008, les dirigeants de plusieurs grandes Eglises chrétiennes ont répondu à la lettre ouverte et appel de 138 responsables religieux musulmans, Une parole commune entre vous et nous (octobre 2007); Une parole commune (document que nous avions évoqué dans notre précédente rétrospective) faisait suite à la lettre ouverte adressée un an plus tôt par des responsables et lettrés musulmans en réponse au fameux discours de Benoît XVI à Ratisbonne (13 septembre 2006). Benoît XVI avait accusé réception du document Une parole commune dès novembre 2007, tandis qu'une déclaration cosignée par de nombreuses figures chrétiennes américaines était publiée le même mois dans le New York Times. En 2008, ces réponses ont été suivies par celles du Patriarche Alexis de Moscou et de l'Archevêque de Cantorbery, Rowan Williams. De la part de figures de proue tant du christianisme que de l'islam, nous observons la volonté de créer et développer une dynamique de dialogue dont les implications ne sont pas seulement religieuses, d'autant plus que chacun reconnaît les limites d'une entente sur le plan théologique: du côté musulman, de nombreuses associations et organisations ont apporté leur soutien à Une parole commune en 2008; du côté chrétien, un premier Forum catholique et musulman s'est tenu à Rome en novembre.
Dans le monde orthodoxe, la maladie du Patriarche Paul en Serbie (dont la demande de mise à la retraite a cependant été refusée par l'assemblée des évêques) et le décès du Patriarche Alexis II de Moscou le 5 décembre placent ces Eglises à des tournants. En particulier, le choix du nouveau patriarche de Moscou fin janvier pourrait avoir un impact non négligeable pour l'avenir de l'Eglise russe. Le Métropolite Kirill de Smolensk, chargé d'assurer l'intérim, est le chef du Département des relations extérieures, et à ce titre le chef de la diplomatie de l'Eglise russe, très connu à l'étranger. Il sera selon toute vraisemblance l'un des principaux candidats à la succession. S'il est enclin à promouvoir de concert les intérêts de la Russie et ceux de l'Eglise russe, la réalité est plus complexe que celle d'une simple subordination aux désirs du Kremlin: l'Eglise russe a sa propre stratégie. Elle affirme sa présence et développe ses relations à travers le monde, comme l'a encore démontré une récente tournée en Amérique latine.
A côté de ces développements, terminons par une observation, mais qui relève celle-ci de développements susceptibles de s'esquisser à plus long terme: depuis quelque temps se font entendre des voix qui prônent, sur certaines questions, la multiplicité des régimes juridiques sur certaines questions de droit civil dans les sociétés occidentales. Ces propositions méritent l'attention au delà des réactions émotionnelles qu'elles entraînent inévitablement. Ainsi, note Theo Hobson, quand Rowan Williams, Archevêque de Cantorbéry, surprend l'opinion, dans une allocution prononcée à Londres le 7 février 2008, en suggérant de réfléchir à la possibilité d'intégrer des éléments du droit islamique (sharia) pour de musulmans vivant en Occident, la question soulevée va beaucoup plus loin que celle des problèmes d'une société multiculturelle: il met en question l'idée d'un sécularisme qui demande la subordination automatique de la loi religieuse à la loi séculière, comme si la première n'était qu'une nuisance et en ignorant le rôle des groupes religieux comme acteurs de la vie publique. De la même façon, les initiatives allant en direction de mariages homosexuels ont inspiré à des milieux catholiques français la suggestion d'introduire en France (comme dans "une dizaine de pays de l'Union européenne") la reconnaissance civile du mariage religieux, permettant à des croyants attachés au sens traditionnel du mariage de continuer à célébrer celui-ci sans confusion possible avec des unions homosexuelles conclues dans une mairie. Même si cette proposition ne semble pas avoir recueilli un large écho, elle doit, de même que les remarques de l'Archevêque de Cantorbery, attirer notre attention sur les conséquences que pourraient avoir, dans les années et décennies à venir, sur le plan religieux aussi, les évolutions sociales et le nouveau contexte de diversité culturelle.
Pour ceux qui s’intéressent aux tendances et indicateurs de développements dans l’actualité religieuse, signalons que l’Institut Religioscope a repris depuis 2008 la lettre d’information Religion Watch (en anglais). Celle-ci est publiée bimestriellement; chaque numéro compte 12 pages. Elle est disponible sur abonnement, en version électronique ou papier.