La métropolie de Bessarabie de l'Église orthodoxe roumaine a été reconstituée en 1992. Elle se veut l'héritière d'une tradition interrompue depuis 1812. La Moldavie est en effet l'une des trois principautés roumaines historiques, vassales de l'Empire ottoman depuis le XVe siècle. Les régions occidentales de la Moldavie historique, c'est-à-dire la Bucovine au nord et la Bessarabie au sud, se sont trouvées à la croisée des Empires. Tandis que l'Empire des Habsbourgs faisait main basse sur la Bucovine, la Bessarabie était rattachée à l'Empire russe en 1812. Cette conquête a entraîné une rupture durable entre cette région et la capitale de la Moldavie, Iasi. Les terres situées entre le Prut et le Dniestr ont vu leur destin durablement rattaché à celui de la Russie, à la seule exception de l'épisode de la Grande Roumanie, de 1919 à 1939.
La conquête de 1812 a marqué le début d'une politique intense de russification, qui s'est notamment exprimée par le biais de l'Église. À l'époque tsariste comme à l'époque soviétique, les diocèses de Bessarabie étaient rattachés à l'Église russe, qui continue de jouer un rôle prépondérant dans la Moldavie indépendante, par le biais de la métropolie de Moldavie, dont celle de Bessarabie conteste les droits.
En 1919, la Roumanie a été généreusement récompensée de son engagement durant la guerre, par la formation de la Grande Roumanie, incluant Bucovine et Bessarabie. Dans la mythologie balkanique des “Grands États”, seule la Roumanie peut donc se flatter d'avoir - largement, même si ce ne fut que temporairement - réalisé cet objectif. D'un point de vue religieux, l'instauration de la souveraineté roumaine a bien sûr entraîné à nouveau le rattachement des diocèses concernés au patriarcat de Bucarest, devenu entre temps autocéphale. L'exaltation nationaliste de la période de la Grande Roumanie n'a cependant pas entraîné de politique agressive de ségrégation ou d'assimilation culturelle des populations non-roumaines.
Les populations des régions concernées étaient en effet fortement mélangées, avec des éléments roumains nombreux, mais aussi des Juifs, des Allemands, des Russes, des Ukrainiens et des Ruthènes, des Biélorusses, des Arméniens, des populations musulmanes, etc... La Seconde Guerre mondiale a entraîné une drastique “simplification” de cette carte ethnique: les populations juives ont presque entièrement disparu, ainsi que les Allemands, chassés après la guerre [2].
L'actuelle métropolie de Bessarabie fonde ses prétentions sur une situation canonique bien établie: comme tous les diocèses roumains, ceux de Bessarabie relevait en 1812 de la juridiction du patriarcat œcuménique de Constantinople, qui a, ultérieurement, reconnu l'autocéphalie du patriarcat roumain, lequel incluait les diocèses moldaves.
La métropolie de Bessarabie dispose aujourd'hui d'un statut d'autonomie dans le cadre de l'Église orthodoxe roumaine, et le patriarcat œcuménique soutient naturellement la position de Bucarest contre celle de Moscou. Au-delà de la querelle de compétence, se pose bien sûr la question de l'identité de la Moldavie elle-même.
Une identité contestée
Les Moldaves représentent environ 65% des habitants de la République éponyme, où l'on trouve aussi des Russes, des Ukrainiens, des Bulgares, des Gagaouzes... Mais qui sont les Moldaves [3]?
En 1939, en conséquence du Pacte Molotov-Ribbentrop, les troupes soviétiques ont réinvesti la Bessarabie. La région a été prise et reprise au long de la guerre, d'abord par les nazis, puis par les Soviétiques. Les destructions massives occasionnées par la guerre se sont accompagnées d'un immense brassage des populations. Après l'instauration définitive du pouvoir soviétique, toutes les élites roumaines qui le pouvaient ont fui la Bessarabie et la Bucovine. Les purges staliniennes achevèrent des détruire ces élites sociales et intellectuelles, par des vagues de déportations massives en Sibérie, qui touchèrent d'ailleurs tout particulièrement la région de Cernauti / Cernovtsi, en Bucovine, dont les populations roumaines furent pratiquement éliminées. Le pouvoir soviétique rattacha cette région à l'Ukraine, et la “roumanité” de la Bucovine n'est plus guère qu'un souvenir.
La République socialiste fédérative de Moldavie fut donc proclamée sur un territoire dévasté, dépeuplé, et dans des frontières étrangement redéfinies. La Moldavie soviétique ne couvrait que la partie orientale de la Moldavie historique, la capitale de la région, Iasi, restant en Roumanie. Cette “petite Moldavie” ne correspond même pas à tout le territoire historique de la Moldavie, puisque Staline priva la république de son accès à la Mer Noire et au delta du Danube, en donnant la région d'Izmail à l'Ukraine. De même, au nord, la Bucovine fut-elle rattachée à l'Ukraine. En “échange”, la Transnistrie a obtenu une bande de territoires sur la rive gauche du Dniestr, qui formait pourtant la frontière entre les territoires russes et la Moldavie avant 1812, et qui constituent aujourd'hui la République sécessionniste de Transnistrie.
L'enclavement du pays est devenu un problème particulièrement grave depuis l'indépendance, d'autant plus que la sécession de la “République moldave de Transnistrie”, à partir de 1991-1992, coupa les frontières entre l'Ukraine et la Moldavie. Un accord d'échange frontalier est néanmoins intervenu dans les années 1990 entre l'Ukraine et la Moldavie, qui a obtenu un accès de 500 mètres au Danube, au lieu-dit Giurgiulesti.
En plus de l'élimination des élites, la soviétisation s'est caractérisée par une politique de “moldavisation” de l'histoire et de l'identité nationale. La langue a cessé d'être appelée roumain pour devenir le moldave, avec un retour à la graphie cyrillique, qui avait été également utilisée en Roumanie jusqu'au XIXe siècle, mais qui avait ensuite été abandonnée au profit de l'alphabet latin. La “querelle de l'alphabet” est loin d'être folklorique: l'usage de l'alphabet cyrillique permettait en effet de rapprocher les Moldaves de la Russie, de les éloigner de la Roumanie, et d'empêcher par exemple que les jeunes générations puissent lire la littérature roumaine en alphabet latin. Toute la politique soviétique visait à promouvoir une identité nationale moldave, distincte de l'identité roumaine.
Aujourd'hui encore, les Moldaves, généralement bilingues roumain-russe, se considèrent volontiers comme des “Roumains soviétiques”, ou cultivent de sérieux doutes identitaires. L'affirmation ou le rejet d'une identit&ea
cute; nationale roumaine est un choix politique, assumé comme tel. Défenseur de l'identité roumaine des populations moldaves, et longtemps partisan du rattachement à la “mère-patrie” roumaine, le Parti populaire démocrate-chrétien (PPCD) demeure une force politique assez marginale sur l'échiquier politique moldave.
À l'époque soviétique, l'Église orthodoxe russe, elle-même en position toujours délicate par rapport au pouvoir communiste, malgré son engagement “patriotique” durant la Deuxième guerre mondiale, n'avait pas d'autre possibilité que de participer à la politique de dissociation culturelle et identitaire entre la Moldavie et la Roumanie, d'autant plus qu'elle pouvait en profiter pour poursuivre la russification des fidèles moldaves. Même si la liturgie était parfois célébrée en roumain, la formation des prêtres était uniquement assurée dans des séminaires russophones, notamment celui d'Odessa, en Ukraine. Le métropolite roumain, Mgr Visarion Puciu, avait fui en 1944. Condamné à mort par les Soviétiques, il est décédé à Paris en 1964.
Le père Ioan Ciuntu, porte-parole de l'Église de Bessarabie, un des restaurateurs de l'Église roumaine dans la Moldavie indépendante, souligne la violence des traumatismes vécus durant la période soviétique [4]. “Nous avions 1500 églises. 197 ont physiquement survécu”. L'église Sainte Teodora de la Siha, l'une des principales de Chisinau, avait été désaffectée et transformée en musée de l'athéisme. Elle sert aujourd'hui de cathédrale provisoire à l'Église de Bessarabie, qui a commencé l'édification d'un nouvel édifice, beaucoup plus vaste, dans un faubourg de Chisinau. Cette église, dédiée à SS. Pierre et Paul, a déjà été consacrée mais, depuis près de dix ans, le chantier demeure inachevé, faute de financements suffisants.
Une querelle portée jusqu'à Bruxelles
En décembre 1992, l'Église roumaine a officiellement proclamé la réunion des circonscriptions ecclésiastiques de Moldavie avec le patriarcat de Bucarest. L'ancienne métropolie de Bucovine et de Suceava fut remplacée par deux nouveaux sièges métropolitains: celui de Bucovine et de Moldavie, avec son siège à Suceava, en Roumanie, et celui de Bessarabie, avec son siège à Chisinau. La date de cette réunion, célébrée en grandes pompes, ne doit rien au hasard: le choix du 19 décembre permettait d'effectuer un rapprochement avec la réunion de la Transylvanie, en décembre 1918, et la révolution anti-communiste de 1989.
Officiellement, la demande de réunification avait été formulée au mois de septembre 1992 par l'évêque de Balti, Mgr Petru, et par un groupe de prêtres et de fidèles, au sein duquel le père Ioan Ciuntu, à l'époque député au Parlement moldave, jouait un rôle essentiel.
Mgr Petru est devenu métropolite de la nouvelle Église, reconnue par le patriarcat œcuménique de Constantinople. Aujourd'hui, quelque 200 communautés paroissiales se sont rattachées à cette Église. Dans la tradition orthodoxe, en effet, ces communautés représentent des acteurs autonomes dotés d'une personnalité juridique. L'Église compte également deux paroisses et un monastère aux USA, deux paroisses en Ukraine et dans les pays baltes, ainsi que six paroisses en Russie, ce qui ne manque pas d'être paradoxal, étant donné le conflit qui l'oppose à l'Église russe.
La métropolie de Bessarabie dispose d'un statut d'autonomie canonique au sein de l'Église roumaine et présente certaines particularités, notamment celle de suivre le calendrier julien (célébration de Noël le 7 janvier), également en vigueur en Russie, alors que le reste de l'Église roumaine a renoncé à l'ancien calendrier. L'Église orthodoxe roumaine, néocalendaire, inclut donc une entité autonome vétérocalendaire.
Les partisans de cette réunification à l'Église roumaine étaient fortement liés au Parti populaire chrétien-démocrate (PPCD), une formation “rattachiste”, prônant sur le plan politique, la réunion de la Moldavie et de la Roumanie. Aujourd'hui encore, l'Église de Bessarabie apparaît fortement liée au PPDC, une formation qui n'a obtenu que 9% des voix lors des élections législatives du 6 mars.
Le député Vlad Cubreacov est un des principaux dirigeants du PPCD. Ce juriste a également défendu le dossier de la métropolie devant la Cour européenne de justice. En effet, la restauration de l'Église roumaine n'a pas été légalement approuvée en Moldavie. Le retour au pouvoir des communistes moldaves en 2001 a encore compliqué la position de cette Église. Au début de son mandat, le Président Vladimir Voronin était très soucieux de restaurer et cultiver de bonnes relations avec la Russie. À ce titre, l'Église roumaine fut victime d'un mouvement de “restauration”, après l'euphorie nationaliste des années 1990.
“Le métropolite russe dispose toujours d'un passeport diplomatique moldave, alors que la Constitution garantit la séparation de l'Église et de l'État”, dénonce Vlad Cubreacov, qui voit dans la présence de l'Église russe le signe de l'oppression “coloniale” d'un peuple sur un autre [5].
La querelle a finalement été tranchée par la Cour européenne des droits de l'homme en 2002 [6]. Depuis, l'Église russe et l'Église roumaine sont obligées de cohabiter. “Notre Église a été légalement enregistrée, au même titre que l'Église russe ou les autres communautés religieuses traditionnelles du pays, comme les Juifs ou les Baptistes, mais il n'y a pas eu de nouvelle loi sur les cultes. Par ailleurs, l'Église n'a pas retrouvé ses possessions d'avant-guerre, notamment ses possessions profanes, dont la valeur est estimée à 800 millions d'euros”, explique Vlad Cubreacov.
La métropolie de Bessarabie est naturellement fort attachée à sa reconnaissance canonique, ce qui la dissuade de fréquenter les Églises non reconnues, comme celle du Patriarcat de Kiev [7]. L'Église roumaine entretient des relations tendues avec Moscou, mais ne veut pas prendre le risque de choisir une position qui la marginaliserait dans le monde orthodoxe. “Nous avons pourtant plus de sympathies pour le patriarcat de Kiev que pour l'Église russe en Ukraine”, reconnaît Vlad Cubreacov, dont le parti politique a essayé de transposer en Moldavie le modèle de la “révolution orange” ukrainienne. “Mais si la Russie perd la partie ici, elle perdra aussi en Ukraine”.
Transnistrie, un engagement militant de l'Église russe
Le bras de fer religieux apparaît au grand jour en Transnistrie, République sécessionniste autoproclamée depuis 1992, après un sanglant conflit avec la Moldavie. La “République moldave de Transnistrie”, qui arbore toujours tous les symboles de l'époque soviétique est un bastion mafieux créé à l'instigation du XIIIe Corps de l'Armée russe, dirigé à l'époque par le général Lebed. La République de Transnistrie est officiellement multiethnique, mais elle constitue en fait un bastion russe, soutenu par le Kremlin, où les populations moldaves roumanophones ont été victimes de nombreuses mesures discriminatoires. Cette République est toujours considérée comme un centre majeur de nombreux trafics de cigarettes, de stupéfiants, d'armes et d'êtres humains. Elle est gérée comme un bastion mafieux par la famille du Président Igor Smirnov et ses proches [8].
La Transnistrie présente une configuration géographique particulière, puisqu'elle s'étend sur la rive gauche du fleuve Dniestr, sur des territoires qui n'ont jamais fait partie de la Moldavie “historique”, mais qui ont été rattachés à la République à l'époque soviétique. Cette longue bande de terre possédait les principaux centres industriels de Moldavie, notamment les usines d'armement de Tiraspol et de Bender.
La “Bible” des sécessionnistes de Transnistrie est un ouvrage du Président Igor Nikolaievitch Smirnov, publié en 2002 en russe et en moldave (en l'occurrence en roumain écrit avec l'alphabet cyrillique, comme à l'époque soviétique), intitulé La vie dans notre pays. Le cahier photographique accorde une large part aux représentants de l'Église, que l'on voit bénir les combattants. Malgré le folklore soviétique toujours en vigueur en Transnistrie, où abondent bustes de Lénine et slogans géants à tous les carrefours, le pouvoir local ne manque pas de se prévaloir du soutien des popes.
Naturellement, il s'agit de prêtres de l'Église orthodoxe russe, et l'engagement militant de l'évêque de Tiraspol dans le camp sécessionniste ne s'est jamais démenti, tandis que l'Église de Bessarabie appelle naturellement à la réintégration de la Transnistrie. Sur ce dossier ultra-sensible, les Églises sont donc apparues comme des facteurs de radicalisation, et n'ont jamais pu jouer un rôle de médiatrices.
La nouvelle configuration géopolitique régionale pourrait cependant avoir rapidement raison de la Transnistrie, puisque les nouvelles autorités démocratiques ukrainiennes sont décidées à fermer leurs frontières, ce qui pourrait conduire à une rapide asphyxie de l'entité sécessionniste, totalement enclavée entre l'Ukraine et la Moldavie. Depuis le 1er février, les passeports et les plaques d'immatriculation de Transnistrie ne sont plus reconnus par Kiev.
Le cocktail identitaire gagaouze
La Gagaouzie jouit déjà d'une large autonomie dans le cadre de la République moldave. En 1991, un conflit avait éclaté dans cette région, à l'instigation probable du KGB et de la Russie qui souhaitait créer un obstacle supplémentaire aux autorités moldaves qui se dirigeaient vers l'indépendance. Depuis l'accord de 1994, le calme est totalement revenu dans cette région méridionale de la Moldavie, qui jouit d'un statut spécial d'autonomie, incluant notamment des compétences dans les domaines éducatifs et culturels.
Les Gagaouzes sont le seul peuple turcophone orthodoxe [9]. Une vaste église du XIXe siècle se dresse dans le centre de Comrat, 33000 habitants, la minuscule capitale de l'autonomie gagaouze. Le bâtiment avait été désaffecté à l'époque soviétique, et la ville ne possédait aucun lieu de culte. Cette église se situe “naturellement” dans l'obédience du patriarcat de Moscou, car les Gagaouzes ne pourraient pas soutenir l'Église roumaine, après s'être opposé au nationalisme roumain en Moldavie. La liturgie est célébrée en russe, en roumain et en gagaouze. À l'heure des vêpres, l'église est presque déserte.
En réalité, le revival religieux des Gagaouzes ne profite guère qu'aux communautés protestantes et néo-évangéliques qui fleurissent dans la région. “Comment pourrions-nous choisir entre l'Église russe et l'Église roumaine”, demande Vara, une très pieuse villageoise d'une cinquantaine d'années. Son village, distant d'une dizaine de kilomètres de Comrat, est largement déserté: les femmes partent toutes travailler en Turquie, les vignes sont largement abandonnées et les installations de l'ancien kolkhoze, transformé en coopérative, pourrissent sur pied. Néanmoins, le village compte déjà deux églises évangéliques, tandis que les Témoins de Jehovah tentent de s'implanter.
Une terre de confins
Le tournant pro-européen de la Moldavie semble bien amorcé, puisque le Président communiste Vladimir Voronine a fait le choix de se rallier aux ennemis du Kremlin, avec les nouveaux dirigeants ukrainiens et géorgiens. Les communistes moldaves font surtout preuve de pragmatisme: pour ce pays, le plus pauvre d'Europe avec l'Albanie, l'intégration européenne représente un enjeu vital. Après l'intégration prévue de la Roumanie en 2007, si la Moldavie demeure en-dehors de l'espace européen, elle sera confrontée au durcissement attendu des frontières, alors que l'on estime aujourd'hui que près d'un million de citoyens moldaves vivent et travaillent à l'étranger, fournissant le principal apport de devises à l'économie du pays. Au contraire, si l'Ukraine parvient à “percer le mur européen”, le sort de la Moldavie pourrait également être réglé, car il serait inconcevable de laisser à l'écart ce petit pays enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine. C'est en tout cas le calcul géopolitique qui a cours à Chisinau, même si l'Europe ne propose rien d'autre, pour l'instant, qu'un développement des relations de “voisinage” avec la Moldavie.
Les changements démocratiques en Ukraine peuvent également faire espérer une résolution rapide de la situation en Transnistrie. Les nouvelles autorités de Kiev sont en effet décidées à couper leurs frontières avec l'entité sécessionniste, ce qui devrait entraîner son rapide étouffement.
Cependant, même si l'on imagine que la Moldavie parvienne un jour à rejoindre l'Union européenne, il apparaît peu probable que l'influence russe cesse pour autant d'être présente dans le pays.
Les querelles ecclésiastiques ne suscitent plus guère de passions aujourd'hui et se poursuivent dans une assez large indifférence des fidèles, qui peuvent même passer aisément d'une Église à l'autre: rien n'empêche de se marier dans l'Église russe, puis de faire baptiser ses enfants dans l'Église moldave...
Les cadres paroissiaux eux-mêmes présentent une forte porosité, surtout en milieu urbain. Néanmoins, l'affiliation à une Église ou l'autre amène les fidèles à s'inscrire dans des géographies du sacré différentes. Par exemple, la métropolie moldave propose des pèlerinages à la Laure de Kiev (toujours sous contrôle du patriarcat de Moscou) ou dans les monastères de Russie, tandis que sa rivale bessarabe emmène les fidèles en Roumanie.
D'ailleurs, l'Église demeure toujours l'institution qui jouit de la plus grande confiance dans la population. D'après les enquêtes d'opinion de l'Institut de politici publice de Chisinau, elle totalise 79, 6% d'opinions favorables, loin devant le gouvernement, le Parlement ou le Président de la République [10].
La Moldavie est une terre de confins, qui peut devenir terre de conflits ou, au contraire, pont et point de rencontre entre différentes influences. De ce point de vue, le plus probable est d'envisager, à moyen et même à long terme, une coexistence entre les deux Églises orthodoxes, la russe et la roumaine. Si cette situation n'est pas satisfaisante sur le plan canonique, elle est un produit de l'histoire.
Jean-Arnault Dérens
Notes
1) Le nom officiel du pays est Moldova - à distinguer de la région historique de Moldavie, beaucoup plus étendue. Malgré cela, l'usage du terme français de Moldavie semble plus naturel.
2) Lire Georges Castellan, Histoire des Balkans, Paris, Fayard, 1992, et, sur les contentieux historiques, Lucian Boia, Roumanie. Un pays à la frontière de l'Europe, Paris, Les Belles Lettres, 2003.
3) Lire Olivier Gillet, Religion et nationalisme. L'idéologie de l'Église orthodoxe roumaine sous le régime communiste, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1997, notamment pp. 139 sq. Du même auteur, Les Balkans. Religions et nationalisme, Bruxelles, Ousia, 2001.
4) Lire Ioan Ciuntu, Marturisiri in alb si negru. Culegere antologica de povestiri (2000-2003), Chisinau, 2003.
5) Lire “Chisinau ne respecte pas la liberté de religion”, http://www.balkans.eu.org/article1503.html
6) Lire Mitropolia Basarabiei si altii contra Moldovei, Chisinau, Alfa si Omega, 2004.
7) Lire article “Ukraine: les différentes Églises au cœur de la (re)construction identitaire”, http://religion.info/french/articles/article_126.shtml
8) Lire “Les sécessionnistes de Transnistrie comptent toujours sur le soutien de la Russie”, http://www.balkans.eu.org/article5196.html
9) L'origine exacte des Gagaouzes est (naturellement?) contestée. Ils parlent une langue très proche du turc, mais comprenant quelques idiomatismes. Certains chercheurs défendent également la thèse d'une parenté entre Gagaouzes et Bulgares. Lire “Moldavie: difficile renaissance identitaire des Gagaouzes”, http://www.balkans.eu.org/article5162.html
10) De manière révélatrice, les institutions qui jouissent de la plus faible confiance sont les partis politiques, les syndicats, les ONG, la police et la justice. IPP, Barometrul opiniei publice din Moldova, janvier-février 2005.
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Jean-Arnault Dérens, qui a déjà collaboré à plusieurs reprises à Religioscope, est le rédacteur en chef du Courrier des Balkans.
© 2005 Jean-Arnault Dérens