Le site de l'OPR permet d'ores et déjà aux internautes d'aider à sauvegarder le lieu de culte qu'ils aiment, et en cas de menace sur leur clocher de donner immédiatement l'alerte... Ce travail titanesque de recensement mené par l'OPR n'est pas sans rappeler l'inventaire général entrepris, en son temps, par André Malraux. Il reçoit le soutien de Philippe Richet, vice-président du Sénat. Pour Religioscope, Béatrice De Andia revient sur son parcours atypique, ses motivations et le combat qu'elle mène pour sauver le patrimoine cultuel français.
Religioscope - Béatrice De Andia, pouvez-vous nous parler de votre parcours et de cette passion qui vous anime, celle des religions?
Béatrice De Andia - Oui. C'est une longue histoire. J'ai effectué quatre doctorats et demi! Je viens d'une grande famille présente en France, en Espagne et en Amérique du Sud. Mon père, avocat international, regrettait de ne pas avoir eu de fils, il avait donc décidé que c'était moi qui devais prendre sa relève en étant «avocat» à mon tour. Il avait décidé que je serais son «fils»! J'ai donc fait: droit, sciences politiques, puis histoire de l'art. Il voulait que j'aie véritablement deux cultures, une française et une hispanique. Finalement, j'ai eu beaucoup plus que cela. J'ai étudié durant 35 ans...
Puis, comme le droit n'était pas ma passion, je suis partie toute seule parcourir le monde. J'ai visité 153 pays et fait 7 fois le tour de la Terre. C'était avant les hippies, les chaînes d'hôtel et Internet! Je voguais de pays en pays avec mon sac à dos et mes lettres d'introduction. Ainsi, je dormais parfois dans des palais, parfois à la belle étoile... En 1972, me voici revenue en France où j'intègre l'association de défense du patrimoine VMF «Vieilles Maisons Françaises» en tant que déléguée pour la France, ce qui signifie que je couvrais 100 départements. J'ai dirigé, ensuite, la revue des VMF. Parallèlement, j'enseignais à la Sorbonne, section Patrimoine. En 1977, Jacques Chirac m'a appelée à la Ville de Paris où j'ai fondé l'Action artistique (l'Action artistique a pour mission d'animer les différents quartiers de la capitale et de faire découvrir les monuments, les personnages et l'Histoire de Paris aux habitants, grâce à de nombreuses expositions thématiques). J'y suis restée pendant 30 ans, jusqu'en 2007. J'étais chargée des 20 mairies. Une belle aventure. J'ai organisé 450 expositions et fait publier 260 livres sur le Paris historique.
En février 2007, j'ai quitté la Mairie de Paris, car j'avais déjà les locaux pour fonder l'Observatoire du patrimoine religieux. Ma réflexion a été la suivante: je me suis dit que le patrimoine cultuel français était le plus beau, mais aussi le plus en danger et que, tant que j'étais vivante, j'allais le défendre et monter un réseau solide et jeune qui prendrait la relève.
Religioscope - Comment réagit l'Église catholique face à votre initiative?
Béatrice De Andia - Les relations sont tendues bien sûr! Les portes sont fermées. Certains de nos adhérents catholiques s'affrontent directement aux évêques... Vous savez c'est le sujet tabou côté État comme côté Église. L'Église catholique française n'a plus assez de prêtres, plus assez de fidèles non plus. et procède par «doyennés». Les paroisses, comme on les appelle, sont actuellement 9.000. Je ne veux pas compter en «paroisses» mais véritablement en clochers!
L'État était contre moi dès le début... Il n'a pas suffisamment d'argent pour restaurer le patrimoine nationalisé... Les lois confirment cet état d'esprit en 2004 puis encore en 2005... Les églises sont vraiment le patrimoine de l'État qui, lui, préfère en ignorer le nombre réel, se contentant d'inscrire 14.300 églises au patrimoine protégé... Sur 100.000 ou plus, c'est peu. Cela représente à peine 14% de notre patrimoine cultuel! Donc, 86% de ce patrimoine n'est ni classé, ni inscrit, et ce pourcentage l'Etat ne veut pas s'en occuper! D'ailleurs, Christine Albanel, qui faisait partie des membres fondateurs de l'OPR, se désengage depuis qu'elle est devenue ministre de la Culture. Quant à Jean-Jacques Aillagon, son prédécesseur, président du domaine national de Versailles, il voudrait transférer les titres de propriété des monuments nationaux et cultuels (dont les cathédrales) aux régions. Bien sûr, elles n'ont pas les moyens et refusent...
Pour le site j'ai raisonné concret: nous n'avons pas d'argent pour entretenir ces 100000 clochers, ni même pour sauver ceux que certains maires menacent déjà de détruire, il nous faut alors protéger ce qu'on aime en le faisant connaître! Cela paraît étrange pourtant cela fonctionne.
Nous comptons 700 membres en seulement 18 mois d'existence et bénéficions de l'intérêt des personnes les plus éclairées de France sur le problème du patrimoine cultuel, par ailleurs, nous regroupons toutes les religions. Parmi ces membres, Claude Baty, président du Conseil de la Fédération protestante de France, Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, Jean Kahn, président de la Consistoire centrale israélite de France, mais aussi le cardinal Paul Poupard.
Religioscope - Le site internet, très visité est un allié puissant?
Béatrice De Andia - Oui, car nous pesons de plus en plus lourd dans la balance, désormais plus personne ne peut nous ignorer. J'ai trouvé, aux débuts de l'OPR, un allié de taille en la presse également! Car la presse n'a vu ni le manque d'hommes, ni le manque d'argent, elle a vu que nous nous intéressions au sacré dans un monde de plus en plus enclin au spirituel. Elle a posé une interrogation aux Français: allez-vous laisser votre patrimoine cultuel être démoli par des maires ou par l'usure du temps, ce qui au final revient au même? En 2007, la nouvelle a été lancée comme une bombe: des maires commençaient à détruire leur église! Une abomination! Même les non-croyants étaient profondément choqués. En France, même si on est athée, on a une proximité à la culture chrétienne, et ce par tradition. Nous avons mobilisé les médias. Monsieur Jean-Pierre Pernod, présentateur du JT sur la Une, après avoir eu connaissance de notre action, a décidé de présenter chaque jour, durant la semaine sainte, une église en mauvais état...
Cela a eu un impact sur l'opinion publique. Voir des églises par terre! Les catholiques ont, d'un seul coup, découvert que même non-pratiquants, ils pouvaient faire ici un geste pour Dieu. Le but du site est bien de recenser les édifices, d'informer les gens, d'alerter en cas d'édifice en péril, de favoriser la synergie nationale. Le site soutient une base de données gigantesque à l'intérêt primordial pour notre action. Tout le monde peut participer à l'inventaire grâce au site. Toute personne, qui a eu un coup de cœur sur un édifice cultuel toujours utilisé ou pas, peut le faire répertorier. Dans 5 ans notre objectif sera atteint puisque nous aurons recensé nos 100.000 édifices. Il y a des tas d'églises à Paris qui ne sont pas protégées, dont le Sacré Cœur!
Religioscope - Quelles ont été les premières retombées favorables de l'action de l'OPR?
Béatrice De Andia - Premièrement, il n'y a plus un seul maire qui, à l'heure actuelle, ose proposer la destruction de son église. Il aurait immédiatement les journalistes français, anglais et américains sur le dos! Imaginez: «En France, on détruit les églises!». On ne voit plus dans les villages les habitants se scinder en «clans», pour ou contre la destruction. Pourquoi? Parce que partout où les destructions ont été votées, les maires repoussent sans cesse la démolition. Ils ont peur des médias et ne sont plus très crédibles. De plus tous les maires qui étaient pour la destruction, ont été destitués aux élections suivantes! Je pense qu'il n'y aura plus maintenant de destructions volontaires de lieux de culte, mais, hélas, certains maires vont laisser le temps faire le «sale boulot» à leur place... Ce qui revient au même... Il faut tout de même savoir que la destruction d'un clocher coûte la modique somme de 300.000 euros aux municipalités. À ce tarif, autant restaurer!
Deuxièmement, suite à notre action, l'Église catholique a dû mettre en place une commission nommée «De l'usage des bâtiments sacrés» et a été forcée de s'intéresser, enfin, à ce qui est surtout son problème! Cette commission a été créée l'an passé à la Conférence des Évêques de France à Lourdes. Nous demandons maintenant que, cette commission éphémère, devienne pérenne, sinon cela ne sert à rien.
Troisièmement, pendant que l'on œuvrait sur les deux premiers points, notre site était commandé. Nous avons mis un an à le construire et l'enrichissons continuellement. Il est de plus en plus consulté par les amoureux du patrimoine cultuel français qui remplissent les fiches et effectuent un véritable travail d'enquêteur. Ils notent tout ce qu'ils trouvent sur leur église (son nom exact, son vocable, ses dimensions, sa qualification: abbatiale, chapelle, oratoire) et identifient ses points remarquables (clocher, orgue, nef, etc.). Lorsque nous aurons répertorié toutes les églises de France, nous pourrons, alors, croiser les informations et faire des statistiques sur les particularités du patrimoine cultuel français. Et notre travail constituera une base de données immense et unique.
Religioscope - C'est le poids de l'histoire qui va sauver ces édifices?
Béatrice De Andia - Oui, en partie. Chaque lieu sera classé selon sa catégorie architecturale (classique, roman, gothique). Les photographies des édifices sont très importantes. La photo est, pour nous, un indicateur d'usure. Nous allons pouvoir dire que la France dispose de 100.000 églises, photographies et liste à l'appui. L'État et l'Église pourront bien continuer de prétendre que nous n'avons que 45.000 lieux de cultes. Chacun sera face à sa responsabilité.
Un petit exemple qui va vous faire sourire: la Sainte Chapelle, à Paris, ce joyau, que les touristes de tout pays se pressent de visiter, n'est pas répertorié, car il fait partie d'une «paroisse». C'est ridicule de s'en tenir au mot «paroisse» pour classer des monuments.
Religioscope - À part les internautes, l'OPR a des bénévoles?
Béatrice De Andia - Oui, tout à fait, surtout des jeunes, à l'instar d'Etienne De Couville, qui a travaillé durant un mois cet été, en Seine Maritime avec sa voiture et son appareil photo. Avant de partir il a effectué un recensement sommaire sur Internet des différents lieux de culte de la région liés aux différentes confessions puis s'est rendu sur place, il a noté toutes les informations sur ces églises rurales et les a photographiées. En 5 semaines, il a recensé, à lui seul, 200 édifices sur les 2.000 qui existent.
Religioscope - Vous-même, vous rendez vous sur le terrain?
Béatrice De Andia - Oui. Ainsi, j'ai découvert qu'à Paris il y avait 7.500 églises et que des églises capitales n'étaient même pas protégées. Grâce à l'OPR, 50 de ces églises vont enfin être protégées. Puis il y a les églises que l'on ne voit pas, qui sont en fond de cour. Dans le 10ème arrondissement de Paris, il y a St Joseph Artisan, rue Lafayette, un bel exemple de ces églises «invisibles»... Ensuite l'Église dit que les gens ne pratiquent pas, mais, parfois, on ne sait même pas que des églises existent!
Religioscope - Vous avez fait appel à la société Dassault, celle-ci évoque davantage les chars de combat?
Béatrice De Andia - Oui. J'ai souhaité établir un partenariat avec Dassault pour sensibiliser les jeunes. Dassault développe des logiciels 3D qui permettent de construire des églises et des bâtiments religieux. Un moyen de sensibiliser la jeunesse à notre patrimoine cultuel, car, s'ils apprennent à l'aimer, ils le protégeront forcément un jour. Ils pourront déposer l'édifice qu'ils ont reconstitué sur une carte de France virtuelle allouée par Microsoft. Un concours de création d'églises en 3D va être organisé, concours de modélisation d'édifices cultuels. Si les enfants sont avec nous, nous aurons également les parents. Le fait d'associer les églises du passé à un outil du futur est extrêmement positif pour l'avenir des bâtiments cultuels. C'est une façon de «dépoussiérer» les églises. L'équipe, qui développe notre logiciel, est celle qui a travaillé sur le plus grand accélérateur de particules au monde et a conçu le stade de Pékin. Nos jeunes vont être formés gratuitement lors de stages à des logiciels type Catia. Ils vont étudier les éléments architecturaux, la modélisation. Leurs contributions seront publiées sur notre site. Dassault souhaite susciter des vocations aux métiers techniques, et nous, initier les gens au patrimoine religieux. La formation sera assez technique puisque les enfants vont être formés avec des outils dédiés comme le glossaire en 3D de l'architecture religieuse. Ils pourront constituer des vues écorchées de différents bâtiments cultuels.
Religioscope - Quels sont les plus beaux succès de l'OPR?
Béatrice De Andia - Il y a un an et demi, de nombreuses églises (on les estimait alors à 4.000) étaient menacées de démolition. Désormais, c'est très rare, comme je le disais précédemment. Mais il y a encore des impondérables. À Lumbres, dans le Pas De Calais, un homme, Francis Dellerie, se bat avec les habitants pour sauver l'église Saint-Sulpice, qui a inspiré Bernanos. Cette église relève de l'autorité de l'évêché qui veut la démolir. Si la toiture avait été refaite il y a 20 ans nous n'en serions pas là. Des Suisses sont même prêts à donner le ciment, c'est dire... On progresse, le maire qui avait ordonné la démolition n'est plus maire actuellement. L'association de protection de l'église a fait établir un devis de restauration, celui-ci est inférieur de 50% à celui du maire! Par ailleurs, cette église a été construite par Charles Alexandre Grigny, véritable héritier des maçons du Moyen-Age, architecte diocésain qui a construit, entre autres, la cathédrale de Valenciennes. Quand ils ont démonté les vitraux pour démolir l'église, Francis Dellerie a menacé de se pendre au clocher! Imaginez! Il s'est levé tous les jours à 4h du matin pour être devant l'église et la défendre des bulldozers! C'est un édifice qui ne présente pourtant aucune dangerosité. L'intérieur est une vraie petite cathédrale. L'évêché disait qu'il fallait 2 millions et demi d'euros pour la restaurer et notre devis est de 500.000 euros et le collectif de Lumbres en a déjà 150.000. Mais les cas comme celui-ci il y en a des dizaines en France...
L'église d'Arc-sur-Tille (Côte d'Or) a aussi été sauvée. Les proconservateurs ont gagné le combat. Le maire voulait raser l'église pour y faire un parking. Les associations sur place ouvrent les chantiers. Nous nous situons toujours en amont de tout cela, effectuant un travail de soutien et de conseil juridique.
Religioscope - Quelles pourraient être les alternatives pour restaurer de tels lieux?
Béatrice De Andia - La mise en place de concerts payants par exemple, de visites ou d'activités en accord avec le caractère sacré des lieux. Cinq belles églises ont été démolies depuis 2003, «faute de moyens». Les autres cas sont en suspens. L'église des Riceys (Aube) est aussi menacée, car «trop dangereuse», sur sa photographie on ne voit pourtant que quelques carreaux cassés. Il y a cette volonté de l'Église et de l'État de rayer des lieux cultuels historiques de la carte. Partout on joue la carte du «pourrissement», c'est la faute au temps...
62 églises sont dans une situation d'urgence. Pour les sauver, il nous faut tous les noms des églises et leurs emplacements pour dresser le bilan. Cela ne saute pas aux yeux de l'Église catholique qui voudrait se débarrasser des factures salées... Le but de l'OPR n'est pas de mobiliser des fonds, mais l'opinion publique. Pour les chrétiens, c'est également important que chacun mette sa petite pierre à l'édifice en répertoriant son église et sa chapelle sur le site.
Religioscope - Votre action a-t-elle un impact sur la pratique religieuse en zone rurale?
Béatrice De Andia - Oui et non. Disons qu'elle contribue à mobiliser des gens autour d'une église. Si une église est restaurée, elle recevra plus de visiteurs. Sur la durée, c'est difficile de juger. Nous n'avons aucune intention d'évangéliser ou de forcer les gens à fréquenter l'église. Nous travaillons à la gloire de Dieu, mais bien sûr nous ne pouvons pas être agressifs. En France, beaucoup de catholiques sont attachés au patrimoine religieux sans être pratiquants. Croyez-moi, prendre son appareil photo et aller enquêter sur son église, ou sur une petite église rurale délabrée que l'on vient de découvrir, cela s'assimile à un geste pour Dieu. Nous sommes fiers que Dieu ait autant de maisons et que toutes ces personnes qui collaborent, en remplissant des fiches sur notre site, fassent, en fait, un pas vers Dieu. Pour certains, cela constitue aussi une «initiation» à la religion! Nous sommes à un tournant de l'histoire de la pratique religieuse. Pour cela l'homme n'est pas prêt à laisser disparaître ce qui constitue à la fois un patrimoine matériel et spirituel! De plus, le patrimoine français est une cause «à la mode» depuis 80 ans maintenant et cela n'est pas près de changer. Protéger une église c'est déjà œuvrer pour l'Église. Je ne suis pas une visionnaire, mais je vois des gens mobilisés autour des églises.
Par ailleurs, l'OPR concerne tous les lieux de culte, quelle que soit la religion à laquelle ils se réfèrent. Les temples, les mosquées, les synagogues font partie de notre patrimoine cultuel varié. L'OPR est très ouvert d'esprit et ouvert à toutes les religions. Ma passion, c'est les religions comparées et je pense que cela a influencé la création de l'OPR. Je suis fascinée par toutes les religions même si je suis chrétienne catholique. La quête de Dieu est présente partout. Chaque être, qui cherche Dieu ou qui approche une église, fait une démarche parallèle à la nôtre.
Propos recueillis par Céline Schmink