Expression émotionnelle, dynamique et conquérante du christianisme contemporain, le pentecôtisme (encore qu'il vaudrait probablement mieux en parler au pluriel) suscite un nombre croissant de publications, en anglais et dans d'autres langues. Cet intérêt est justifié: quand les historiens dresseront dans quelques décennies un panorama des évolutions religieuses au XXe siècle, nul doute qu'ils considéreront l'émergence et le développement des courants pentecôtistes comme l'un des traits importants de cette période.
Le pentecôtisme agit aujourd'hui - avec un impact certes variable - sur tous les continents, y compris dans des régions du monde auxquels la plupart d'entre nous prêtent peu d'attention. Il paraît donc important de signaler le travail de Yannick Fer, un sociologue français qui a publié il y a deux ans une thèse, Pentecôtisme en Polynésie française: l'Evangile relationnel (Genève, Labor et Fides, 2005), fruit d'une recherche de terrain menée durant plusieurs années. L'auteur a aussi inauguré en 2006 un «blog» qui ne manquera pas d'intéresser nombre de lecteurs de Religioscope.
La Polynésie est cet «ensemble d'îles de l'Océan Pacifique comprises dans un triangle dont les trois points sont, au Sud la Nouvelle-Zélande, à l'Est l'île de Pâques (Rapa Nui) et au Nord les îles Hawaii». L'intérêt de Yannick Fer pour le pentecôtisme ne doit pas nous surprendre, au delà du cas du pentecôtisme: «Ceux qui connaissent la Polynésie contemporaine, et plus largement l'Océanie, savent quelle place occupe le christianisme dans ces sociétés», rappelle pertinemment l'auteur. Et dans la Polynésie chrétienne depuis plus de cent ans, le pentecôtisme enregistre un développement rapide depuis les années 1980...
Commençons par le blog, intitulé Socio-anthropologie des protestants évangéliques et pentecôtistes en Polynésie française. Ce titre d'allure un peu austère et universitaire ne doit pas intimider: si le site s'adresse certes à la communauté scientifique, offrant à la fois les fruits de travaux de Yannick Fer et des informations sur des colloques ou publications, il demeure très lisible pour un plus large public. Le visiteur y trouvera par exemple des notes d'actualité sur le rôle des Eglises dans différentes zones de la Polynésie. Des albums de photographies permettent de voir les églises des différentes confessions dans certaines îles. Lancé en 2006, ce blog ne contient pas encore un grand nombre d'articles, mais il représente une initiative méritant d'être poursuivie en enrichie, car il n'existe à notre connaissance aucune source d'information équivalente.
Mais venons-en au livre. Celui-ci s'adresse déjà plus à un public spécialisé, ou en tout cas fortement intéressé par le sujet, puisqu'il avoisine les 500 pages. Outre le thème même qu'il traite, son intérêt vient de l'approche choisie par l'auteur, bien soulignée par Jean-Paul Willaime dans sa préface: Yannick Fer applique une approche sociologique rigoureuse, mais en refusant toute réduction et en prenant en compte les logiques proprement socio-religieuses.
Quand le pentecôtisme arrive en Polynésie française, il trouve un terrain marqué par une présence protestante de longue date, puisque les missionnaires protestants sont arrivés à Tahiti dès les dernières années du XVIIIe siècle et que le protestantisme s'est développé et étendu tout au long du XIXe siècle. L'Eglise évangélique de Polynésie française bénéficie à la fois d'une primauté historique et d'une prééminence numérique: c'est la plus importante Eglise chrétienne locale (p. 30).
Cela signifie donc, en raison de cet enracinement historique, que l'appartenance à l'Eglise protestante représente quelque chose d'important pour ceux qui en sont membres (p. 344). Mais la Polynésie n'échappe pas au phénomène de perte de sens des Eglises traditionnelles, dans le contexte des transformations de la société et d'évolutions personnelles: si l'appartenance finit par être perçue comme une simple étiquette, l'orientation vers d'autres communautés devient une démarche plus aisée (p. 351). Cette démarche reflétant les tendances à l'individualisation en matière religieuse peut cependant rencontrer de vives oppositions, notamment de la part d'autres membres de la famille (pp. 379-387). Notons cependant aussi que, pour certains convertis, l'adhésion au pentecôtisme s'accompagne d'une revendication de continuité avec le protestantisme polynésien historique, qui se transforme et à l'authenticité originelle duquel le converti au pentecôtisme dit revenir (pp. 436-441).
Dans un tel environnement, il paraît moins surprenant que la première communauté (ethnique) à avoir accueilli le protestantisme en Polynésie soit celle des Hakkas, immigrants venus de Chine au début du XXe siècle, non sans faire paraître au début - aux yeux de la population locale - le pentecôtisme comme une sorte de «protestantisme à la chinoise». La conversion de ceux-ci au christianisme, notamment au catholicisme, à partir des années 1960, alla de concert avec une volonté d'intégration culturelle et l'abandon de la nationalité chinoise, que la majorité d'entre eux avaient conservé jusqu'à ce moment (pp. 70-72).
Il existait cependant déjà une petite communauté protestante chinoise. Il faut remarquer ici que l'existence de communautés sur une base ethnique est une question qui se pose à bien des Eglises: aux Fidji, qui connaissent certes une situation particulière en raison des tensions entre Fidjiens de souche et Fidjiens d'origine indienne, au sein des Assemblées de Dieu (pentecôtistes), rappelle Fer, les communautés sont divisées sur une base ethnique. Mais, dans des contextes moins tendus, la question peut se poser aussi.
L'apparition du pentecôtisme parmi les Hakkas protestants de Tahiti fut le fruit d'un réveil charismatique conduit par un prédicateur chinois au début des années 1960, conduisant pour finir à la fondation d'une première communauté pentecôtiste, l'Eglise Alleluia, en 1967. Une scission au début des années 1980, l'Eglise de Tahiti du Nouveau Testament, alla dans le sens d'un «protestantisme absolument chinois», avec des «prophètes chinois» venus de Taïwan (pp. 85-89).
Mais, rapidement, des Polynésiens se sont aussi tournés vers le pentecôtisme. A partir de 1972, dans le cadre d'un contrat avec les Assemblées de Dieu, celles-ci fournirent à l'Eglise Alleluia des pasteurs français, qui convertirent des Tahitiens, intégrant dans un premier temps l'Eglise Alleluia (pp. 104-105). Celle-ci fut affaiblie considérablement par une crise au début des années 1980. La logique d'un pentecôtisme transculturel, moins marqué par les considérations communautaires, l'emporta (pp. 110-111).
Cela ne signifie pas que les dimensions culturelles, locales, soient ignorées, d'autant plus que certains missionnaires s'y montrent sensible, notamment des missionnaires américains se plaçant dans une perspective «anticolonialiste». Yannick Fer note l'intérêt pour les cultures indigènes manifesté par l'importante organisation missionnaire Jeunesse en Mission (Youth with a Mission), qui encourage la réhabilitation du meilleur de la coutume (pp. 152-155). Contrairement à des approches simplificatrices, les réflexions sur le cultures et l'inculturation du christianisme sont loin d'être absentes des réflexions de certains milieux évangéliques américains.
Si certains fidèles restent fidèles à une Eglise pentecôtiste, beaucoup circulent d'une communauté à l'autre au sein de cette mouvance (pp. 167-168, ce que l'on retrouve d'ailleurs dans d'autres parties du monde. Si les Assemblées de Dieu forment un groupe important, plusieurs autres «dénominations» pentecôtistes sont apparues depuis: ainsi l'Eglise du Plein Evangile (venue de Hawaii) a été oficiellement constituée en 1999. Le pentecôtisme apparaît comme une contribution à la pluralisation du protestantisme en Polynésie (p. 185).
Il est impossible de résumer ici les observations détaillées de Fer sur la vie des communautés pentecôtistes en Polynésie française, observations judicieusement entrelacées de citations d'entretiens avec des fidèles, ce qui permet de les «entendre» décrire leur foi et leurs pratiques dans leurs propres termes.
Yannick Fer explique comment fonctionnent les campagnes d'évangélisation, quel rôle joue la guérison des maladies dans le pentecôtisme, l'approche de la dîme (don de 10% du revenu à l'Eglise) ou de l'offrande dans l'esprit de «maintenir une relation personnelle et durable avec Dieu» (p. 195), l'attente souvent longue du baptême d'eau (reçu à l'âge adulte) après lequel il faut soigneusement éviter les fautes graves, les questions de morale sexuelle, le rôle de l'émotion dans le culte...
A noter que l'émotion, si visiblement caractéristique de la pratique pentecôtiste, n'apparaît pas nécessairement à Fer comme nécessairement antinomique avec la raison, d'autant plus qu'elle s'articule par rapport au message biblique. De même, l'on constate que le prophétisme, la liberté de l'Esprit, est encadrée pour éviter des débordements: si parler en langues inconnues (glossolalie) et interprétation de ces messages font partie de la pratique pentecôtiste, un contrôle s'exerce sur l'interprétation, la différence est faite entre ce qui vient de l'Esprit et ce qui relève de l'excitation nerveuse (pp. 309-318).
A travers l'exemple du pentecôtisme polynésien, et en tenant certes compte de la place d'héritages culturels locaux dans certains comportements, le livre de Fer nous offre en même temps des observations applicables dans une certaine mesure à d'autres expressions du pentecôtisme à travers le monde. Une étude de cas débouche ainsi sur des considérations plus larges.
Le pentecôtisme, selon l'auteur, témoigne de l'efficacité d'un message qui entre plus résolument que les Eglises traditionnelles sur le «territoire de l'intime» (p. 360). Répondant à des crises personnelles, mais aussi à des évolutions sociales, il met l'accent sur la transformation, la seconde naissance, l'adoption d'un nouveau mode de vie, sur le mode personnel de démarches individualisées, mais débouchant sur l'adhésion à une communauté perçue comme «nouvelle famille» (ce qui paraît d'ailleurs caractéristique de nombre de communautés regroupant des adhérents volontaires). Les fidèles pentecôtistes se montrent enclins - en Polynésie comme ailleurs - à mettre l'accent sur la conversion et ses conséquences (positives). Finalement, le pentecôtisme apporte à ses fidèles «une capacité d'expression émotionnelle qui n'a guère d'équivalent dans le champ du christianisme» (p. 475).
L'ouvrage est riche en informations et observations, comme on le voit. Pour en savoir encore un peu plus, Religioscope a en outre posé quelques questions à Yannick Fer.
Religioscope - Nul doute que les lecteurs de Religioscope seront curieux de savoir comment vous est venu cet intérêt pour la Polynésie et pour le pentecôtisme...
Yannick Fer - L'intérêt pour la Polynésie est venu bien avant que je ne m'intéresse au pentecôtisme, à partir de 2000. Mon premier séjour, à Rurutu (dans l'archipel des Australes), remonte à 1993: étudiant en troisième cycle d'économie sociale, j'avais suivi pendant plusieurs mois une coopérative de pêcheurs engagée dans un projet de thonier semi-industriel financé par le fonds européen de développement (FED). Ce sont mes beaux-parents, enseignants français ayant travaillé aux îles Australes de 1992 à 1997, qui m'ont donné cette occasion de découvrir la Polynésie. Avec Gwendoline Malogne-Fer, nous y sommes retournés en 1995, en poussant cette fois le voyage jusqu'à Rapa, une petite île (470 habitants) à deux jours de bateau au sud de l'archipel des Australes. C'est là que nous avons réalisé notre première étude sur le protestantisme polynésien, publiée en 2000 aux éditions Haere Po (Tuaro'i, réflexions bibliques à Rapa), à partir des discussions recueillies lors de tuaro'i: des réunions consacrées, au sein de l'église protestante historique, à l'étude de versets bibliques et qui permettent aussi une discussion ouverte - toujours à travers la grille de lecture biblique - des événements, de l'histoire, de l'avenir de la communauté rapa.
Dès le départ, étudier la religion a donc été pour moi un moyen de comprendre la société polynésienne au sein de laquelle, comme vous l'avez rappelé, le christianisme occupe une place considérable. De ce point de vue, je n'ai fait que suivre les enseignements d'Émile Durkheim, qui voyait dans la religion un fait social éminent et une manière qu'ont les sociétés - ou les groupes - de se construire une représentation idéale d'eux-mêmes, représentation qui bien sûr influence en retour leur évolution.
En retournant à Tahiti en 1998, cette fois pour y rester quatre ans, voilà quelle était mon idée: continuer mes recherches sur le protestantisme polynésien et comprendre les relations entre d'un côté les transformations socio-économiques de la société polynésienne (notamment l'évolution de la famille, le développement de nouvelles catégories sociales comme les fonctionnaires, l'urbanisation et les migrations vers Tahiti où vivent aujourd'hui 70% des Polynésiens) et de l'autre les transformations tout aussi rapides et importantes du paysage religieux (marqué par une diversité croissante et le déclin du protestantisme historique).
Finalement, c'est en suivant des réunions d'étude biblique au sein de la paroisse protestante de Papeete (la capitale), que j'ai entendu parler des pentecôtistes: des paroissiens, interpellés par des membres de leur famille convertis au pentecôtisme, s'inquiétaient de voir d'autres protestants prôner le baptême à l'âge adulte et par immersion. En tant que parrains et marraines de convertis, ils voulaient aussi savoir si leur responsabilité était engagée ou si, comme le disaient les pentecôtistes, la conversion (et le salut) n'était pas du tout une affaire de transmission familiale mais un choix strictement personnel, même pas une affaire d'église mais seulement une décision individuelle de «suivre Jésus».
Religioscope - Posons tout d'abord le cadre du christianisme et du pentecôtisme en Polynésie française. Quelle est aujourd'hui la taille de la population et comment celle-ci se répartit-elle entre grandes confessions chrétiennes? Quelle y est la place du pentecôtisme?
Yannick Fer - La Polynésie française est constituée de 121 îles, dont 76 habitées, qui forment cinq archipels dispersés sur un espace maritime de plus de 5 millions de km2. Mais, comme je l'ai dit, la répartition de la population, estimée aujourd'hui à 253000 habitants, est très inégale: 70% vivent à Tahiti, plus de 87 % dans l'archipel des îles du Vent (Tahiti et Moorea).
En ce qui concerne les religions, il n'y a plus de chiffres officiels depuis 1971, date du dernier recensement incluant une déclaration d'appartenance religieuse. À l'époque, 50,5% des Polynésiens étaient membres de l'Eglise protestante historique, l'Eglise évangélique de Polynésie française (rebaptisée en 2004 église protestante ma'ohi, EPM), 34,5% étaient catholiques et le reste - soit 15% - se répartissait entre les églises mormones (implantées dès le milieu du 19ème siècle) et adventiste (présente depuis la fin du 19ème siècle). Au cours des années 1980, ces Eglises relativement anciennes, de la «deuxième vague», ont connu une croissance importante. Et une «troisième vague» plus récente s'y est ensuite ajoutée: témoins de Jéhovah, pentecôtistes, ou encore baha'i.
C'est maintenant près d'un Polynésien sur cinq qui n'appartient ni à l'Eglise catholique ni à l'Eglise protestante ma'ohi. Et ce sont avant tout les protestants historiques qui ont souffert de cette diversification du paysage religieux. Beaucoup de convertis au mormonisme, à l'adventisme ou au pentecôtisme sont sortis de leur rang. La proportion des protestants est tombée autour de 40%, soit un niveau équivalent à celui de l'église catholique, même s'il faut aussi avoir en tête ce que ces chiffres ne disent pas: 35% des catholiques déclarent ne jamais pratiquer, 40% ne pratiquer que «de temps en temps»... le quart restant est en grande partie constitué par les fidèles du renouveau charismatique, qui connaît en Polynésie française un grand succès.
Le pentecôtisme, lui, enregistre des taux de croissance importants depuis les années 1980 mais sa part dans la société polynésienne reste à première vue insignifiante: entre 1 et 2%. L'une des difficultés, si l'on veut mesurer plus précisément l'influence pentecôtiste, c'est que l'on ne sait pas comment prendre en compte tous ceux qui à un moment sont passés par les églises pentecôtistes puis se sont comme on dit dans ces églises «refroidis», c'est-à-dire souvent que tout en continuant à y croire, ils n'ont plus la capacité de suivre le rythme imposé par ces églises militantes ou que des événements de leur vie les mettent en porte-à-faux avec le credo pentecôtiste: un conjoint non converti, voire hostile (surtout dans le cas des femmes), un divorce, une faute, etc. Ils sont très nombreux: chaque mois de nouvelles personnes rejoignent une des églises pentecôtistes et d'autres se retirent. Et paradoxalement, ce mouvement contribue à la vitalité de ces églises, fondée en grande partie sur un enthousiasme missionnaire toujours renouvelé. Pour utiliser des termes de gestion, ce sont davantage des églises de flux que de stocks.
Religioscope - Des groupes religieux comme les mormons ont connu dans les années 1980 une expansion que vous qualifiez de «spectaculaire» en Polynésie française. Qu'en est-il aujourd'hui? Diriez-vous que le pentecôtisme est le courant qui a le vent en poupe, dans ses différentes expressions, ou qu'il représente un groupe en expansion parmi d'autres? De nouveaux acteurs religieux viennent-ils récemment s'y ajouter?
Yannick Fer - En Polynésie française - comme d'ailleurs dans tout le Pacifique - les mormons sont effectivement devenus incontournables: ils rassemblent aujourd'hui plus de 10% de la population, dans deux églises. La plus connue, c'est l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, autour de 6,5% et puis il y a celle qu'on appelle couramment l'Eglise sanito, dont le nom officiel était jusqu'à il y a peu Eglise réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours et qui s'appelle maintenant plus simplement «Communauté du Christ». Mais ils ne progressent plus au même rythme que dans les années 1980. Et à l'échelle mondiale, la progression mormone n'est en rien comparable à celle du pentecôtisme, qui représente désormais plusieurs centaines de millions de fidèles (contre environ 12 millions de mormons)!
Dans l'ensemble du Pacifique, ce sont les évangéliques et les pentecôtistes qui inquiètent aujourd'hui les églises dominantes. En Polynésie française, ils sont apparus plus tardivement - une bonne raison à mon avis pour les suivre de très près: depuis que je m'y intéresse, j'ai pu voir de nouveaux groupes apparaître, de nouvelles églises se développer, par création ex nihilo ou par scission, et analyser du même coup ces logiques de recomposition et de dispersion qui sont partout dans le monde une caractéristique du pentecôtisme, au point que l'on s'y perd souvent. On trouve par exemple en Polynésie française l'église du plein évangile, une église très charismatique issue de la branche missionnaire de la First Assembly of God de Maui (îles Hawaii) ou encore le mouvement Calvary Chapel. On peut dire avec certitude que l'on assistera dans les années à venir, en Polynésie française, à une multiplication de ce genre d'églises ou de groupes (je parle de groupes quand ils sont organisés de manière moins formalisée, autour de réunions dans les maisons).
Religioscope - Les Eglises traditionnelles n'ont bien sûr pas accueilli avec beaucoup d'enthousiasme la concurrence du pentecôtisme. Qu'en est-il aujourd'hui? Où sont les facteurs de tensions? Vous laissez entendre que les relations se sont améliorées: le pentecôtisme devient petit à petit une religion «reconnue». Nous pouvons par exemple nous demander si les Eglises catholique et protestante essaient d'adapter leur action pastorale pour répondre à l'attrait exercé par le pentecôtisme sur certains de leurs fidèles...
Yannick Fer - L'Eglise catholique polynésienne n'a jamais vraiment considéré le pentecôtisme comme un concurrent dangereux. Il est arrivé (surtout au début) que des responsables catholiques mettent en garde leurs fidèles en qualifiant les pentecôtistes de «sectaires». Ils ont aussi demandé à des membres du renouveau charismatique qui, à Papeete, avaient pris l'habitude de retrouver des pentecôtistes pour des réunions de prière de ne plus le faire. Mais globalement, les relations sont cordiales (l'archevêque a par exemple été il y a quelques années invité à s'exprimer sur la station de radio des Assemblées de Dieu), sans doute parce que l'essentiel des convertis au pentecôtisme ne sont pas d'origine catholique mais protestante.
Évidemment, les choses ont été assez différentes du côté de l'Eglise protestante ma'ohi... mais le pentecôtisme s'est maintenant un peu banalisé, fondu dans le paysage, en tout cas celui des assemblées de Dieu, qui est un pentecôtisme assez classique, pas radical. Des liens se sont aussi créés entre pasteurs autour des aumôneries, les pasteurs aumôniers protestants étant en général de tendance plus évangélique.
Aujourd'hui, les dirigeants de l'Eglise protestante voient avant tout la concurrence pentecôtiste comme un des signes d'un problème plus vaste: celui de la transmission de l'identité protestante aux jeunes générations. Ils ne sont pas prêts à accepter dans leurs paroisses des groupes d'expression évangélique ou charismatique, comme il y en a par exemple au sein de l'Eglise protestante des îles Cook (la Cook Islands Christian Church, géographiquement proche et issue elle aussi des missions de la London Missionary Society au début du 19ème siècle). Quelques groupes existent, mais ils sont, disons, tolérés. Par contre, ils sont convaincus qu'ils doivent accepter des formes d'expression nouvelles, plus libres, plus contemporaines pour séduire les jeunes et ils pensent que l'attrait du pentecôtisme est lié par exemple au style de musique de ces églises (batteries, guitares, rythmes rock) et à la liberté d'action plus grande qu'elles accordent aux jeunes. Derrière cet aspect un peu formel, le point essentiel me semble-t-il est que beaucoup des jeunes protestants qui ont envie de s'investir dans l'église (y compris des jeunes pasteurs) sont souvent plus proches du protestantisme évangélique que de la théologie culturelle d'inspiration réformée que défend l'église. Parce que l'influence évangélique est aussi un fait de génération... Je ne sais pas dans quelle mesure les dirigeants de l'EPM en sont conscients.
Religioscope - Souvent, l'on a eu tendance à voir dans le pentecôtisme une religiosité émotionnelle répondant aux aspirations de populations de condition plutôt défavorisées ou modestes, ou alors de personnes souffrantes en quête d'un soulagement. Qu'en dites-vous, pour la Polynésie, sur la base de vos observations? Y a-t-il un milieu particulièrement favorable à la diffusion du pentecôtisme, ou celui-ci traverse-t-il les classes sociales?
Yannick Fer - Le lien que l'on établit facilement entre émotion et milieux populaires renvoie à un lieu commun de la pensée occidentale dont il faut à mon avis se méfier. L'opposition philosophique entre émotion et raison, qui rejoint celle entre l'esprit et le corps, sert en effet couramment à penser (et légitimer) un ensemble de rapports sociaux de domination, comme l'a rappelé Pierre Bourdieu qui parlait dans La distinction de «cette maîtrise de soi qui prédispose à la maîtrise des autres»: les plus pauvres, les jeunes, les femmes et tous ces peuples que l'on a longtemps considérés comme moins «civilisés» que l'Occident.
Il est exact qu'historiquement, le pentecôtisme a touché d'abord les catégories sociales les plus défavorisées, mais je ne pense pas que l'on puisse l'expliquer par des besoins émotionnels particuliers. Je crois qu'il faut regarder du côté de la sociabilité pentecôtiste, c'est-à-dire la manière dont chacun se voit, dans ces églises, accordé le droit de participer - à l'action missionnaire et à cette communication directe avec Dieu que le pentecôtisme semble instaurer aux yeux des croyants. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre l'aspect émotionnel du pentecôtisme, qui répond à la nécessité pour chaque fidèle de «tout dire», sans retenue et en toute transparence, à un Dieu avec qui il a l'impression d'avoir une relation personnelle, quotidienne. Je crois aussi qu'il faut prendre au sérieux le discours et la théologie pentecôtistes si l'on veut vraiment comprendre ce qui le rend attirant aux yeux de tant de gens.
Cela nous ramène à la question que vous me posez: quelles sont les catégories sociales touchées par le pentecôtisme en Polynésie française? Parce que, quand on écoute attentivement, sans a priori (n'ayant personnellement aucun arrière-plan religieux, je n'en avais pas) ce que dit le pentecôtisme et que l'on regarde en même temps pour qui ces discours ont un sens, on aboutit à la conclusion suivante: le pentecôtisme est fondamentalement une religion de la mobilité, qui valorise et accompagne les mobilités contemporaines, qu'elles soient géographiques, sociales ou symboliques (les parcours de conversion). D'abord, toutes les études montrent l'impact du pentecôtisme auprès des migrants, qu'ils soient étrangers ou venus des campagnes vers les villes. En Polynésie française, les premiers convertis étaient issus de la communauté chinoise, la première église - l'Eglise Alléluia - était chinoise. Ensuite, deux catégories sociales sont particulièrement attirées par le pentecôtisme: les plus défavorisés, qui y voient la dernière planche de salut pour «s'en sortir», reprendre en mains leur vie personnelle, échapper à la maladie, à l'alcoolisme, à la pauvreté et progresser parce que, leur dit-on, Dieu a vu leur situation, veut les aider et récompensera leurs efforts. Et on sait qu'effectivement, le pentecôtisme peut avoir des effets de promotion sociale.
De l'autre côté de l'échelle sociale, j'ai aussi rencontré beaucoup de gens ayant accédé rapidement à des conditions de vie très favorables et qui se sentaient «perdus» dans cette vie. Ils vivent ce qu'Émile Durkheim appelait une «crise de prospérité»: comme me disait une convertie, «quand tu gagnes bien ta vie financièrement, il y a cette tendance à vouloir tout». Durkheim disait: «on ne sait plus ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, ce qui est juste et ce qui est injuste», on perd le sens de la mesure. Le pentecôtisme leur permet de donner un sens à leur parcours de mobilité sociale et de «recadrer» leur vie en adoptant des règles morales strictes.
Religioscope - Plusieurs passages de votre livre montrent la dimension individuelle des démarches. Se convertit-on aussi au pentecôtisme en famille? Les mariages mixtes sont-ils nombreux parmi les pentecôtistes polynésiens?
Yannick Fer - Il y a des familles où tout le monde s'est converti pratiquement en même temps et se retrouve donc aujourd'hui dans la même église. Mais le plus souvent, il y a une personne de la famille - le plus souvent, une femme - qui, à titre personnel, décide de se convertir. Soit parce qu'elle pense que son salut en dépend, soit parce qu'elle veut aussi «sauver» sa famille: c'est l'exemple de femmes qui voient dans la conversion le moyen de lutter contre la violence ou l'alcoolisme de leur mari, en remettant à Dieu tous ces «fardeaux» qu'elles portent sur leur dos depuis des années. Beaucoup vont seules à l'église pendant des années, mais souvent leurs enfants, puis leur mari finissent par les suivre. Pour ce qui est des membres d'église qui ne sont pas encore mariés, les pasteurs leur recommandent de choisir un conjoint au sein de l'église pour éviter toute difficulté, mais bien sûr ils ne le font pas toujours... C'est une des raisons pour lesquelles certains - surtout les femmes, soumises à l'autorité du mari - quittent l'église provisoirement ou définitivement. Lorsqu'il appartient à une autre église, le mari est d'ailleurs lui-même soumis à la pression de ses parents, qui refusent de le voir renier la tradition familiale. C'est pourquoi plusieurs personnes m'ont expliqué avoir attendu la mort de leurs parents pour rejoindre leur conjoint dans l'église pentecôtiste.
Religioscope - Au début, l'apport de prédicateurs et missionnaires venus d'ailleurs a été important. Aujourd'hui, comment le pentecôtisme polynésien s'insère-t-il dans les réseaux internationaux du pentecôtisme?
Yannick Fer - Les assemblées de Dieu de Polynésie française traversent depuis 2006 une crise, dont s'est fait écho un blog, «Berger de Tahiti», tenu par un missionnaire pentecôtiste américain en poste à Tahiti. Il y a différents aspects dans cette crise, mais l'un des points de tension est justement de savoir quel rôle doivent jouer les missionnaires, quel poids ils peuvent avoir au sein de l'église, quelle est leur légitimité par rapport aux dirigeants locaux. Il a été question, pendant un temps, de les exclure des instances de décision de l'église (assemblée générale et pastorale). Les choses se sont un peu calmées depuis.
En ce qui concerne les réseaux internationaux, les Assemblées de Dieu ont privilégié les réseaux francophones et ont noué des relations, par exemple, avec l'Eglise Nouvelle Vie de Longueuil, une mega-church située dans la banlieue de Montréal. Elles ont des relations ponctuelles avec des organisations comme Teen Challenge, spécialisée dans l'évangélisation des jeunes marginaux en milieu urbain (des responsables de Teen Challenge sont venus à Tahiti pour des séances de formation), plus suivies avec Evangelism Explosion International qui enseigne des techniques d'évangélisation, mais dans l'ensemble c'est la méfiance qui domine. Car les assemblées de Dieu ont une conception très institutionnelle du pentecôtisme, alors que la plupart de ces organisations internationales pentecôtistes - ou plus largement, charismatiques - avec lesquelles elles pourraient nouer des relations sont inter-dénominationnelles et se fichent un peu des étiquettes: elles travaillent avec toutes les églises chrétiennes, même non charismatiques. Il leur est arrivé d'inviter des missionnaires pentecôtistes indépendants et de se trouver ensuite en désaccord avec des pratiques trop charismatiques à leurs yeux (tout ce qu'on appelle la «troisième vague» pentecôtiste, le réveil de Toronto, par exemple) ou trop culturelles (en particulier, les Assemblées de Dieu sont réticentes vis-à-vis des groupes évangéliques qui revendiquent la réhabilitation des danses polynésiennes - la hula hawaiienne, le tamure tahitien, le haka maori, etc. - comme expression de la foi chrétienne).
C'est ce qui a conduit à des tensions entre les assemblées et l'organisation Youth With a Mission (YWAM), une des plus grandes organisations missionnaires protestantes, évangélique et charismatique, très implantée dans le Pacifique: en Polynésie française, YWAM a d'abord travaillé avec l'église protestante historique à partir de 1985, puis s'est rapprochée des assemblées avant de rompre en 1999 quand les responsables locaux de YWAM ont voulu travailler aussi avec une église pentecôtiste concurrente que j'ai déjà évoquée, l'église du plein évangile. Aujourd'hui, c'est cette église et les réseaux informels qui s'organisent autour (notamment à partir d'une librairie évangélique de Papeete, Au Vin Nouveau) qui sont le plus en relation avec les réseaux internationaux pentecôtistes et avec Youth With a Mission.
Religioscope - Si vous assistez à un culte pentecôtiste en France ou aux Etats-Unis et à un culte pentecôtiste à Tahiti, êtes-vous frappé par des différences? Remarquez-vous une spécificité polynésienne dans le vécu pentecôtiste?
Yannick Fer - La comparaison avec les Etats-Unis est difficile, compte tenu de l'extrême diversité du pentecôtisme nord-américain. Après avoir étudié pendant plusieurs années l'église protestante historique polynésienne, où l'on entend des chants traditionnels en langue tahitienne, les himene, j'avoue que le style «rock chrétien» et les chants des pentecôtistes (le plus souvent en langue française) m'ont d'abord donné l'impression d'une déconnexion avec la culture locale. Mais il y a aussi, dans certaines églises, quelques ukulele ou même des toere (tambours à fente). Les pentecôtistes polynésiens aiment reprendre certains vieux chants protestants, surtout ceux qui évoquent le Saint-Esprit (te varua moa). Il y a donc malgré tout une couleur locale, aussi une effervescence plus grande que dans les assemblées de Dieu françaises, par exemple, dans l'ensemble plus strictes - voire fondamentalistes - que les assemblées polynésiennes. Par ailleurs, il faut se rappeler que les assemblées polynésiennes, surtout à Papeete (ailleurs, l'ambiance est plus nettement polynésienne) ont été dès l'origine multiculturelles ou plutôt transculturelles (en faisant passer l'identité pentecôtiste avant les identités culturelles), pour pouvoir rassembler les premiers convertis chinois et les Polynésiens dans une même église.
Une autre spécificité polynésienne tient à l'histoire religieuse de ce pays: en France, certains auteurs disent parfois que la culture catholique imprègne l'ensemble du paysage religieux. En Polynésie française, c'est le protestantisme qui est cette espèce de socle culturel commun. Le pentecôtisme fait souvent référence à l'histoire du protestantisme, qui a débuté avec l'arrivée des premiers missionnaires en 1797. La plupart des pentecôtistes sont d'anciens protestants et beaucoup, pendant les entretiens, me parlaient de l'âge d'or du protestantisme polynésien, quand - dit-on - les pasteurs avaient le mana, qu'ils pouvaient guérir et que l'église vivait des miracles.
Religioscope - Le sous-titre de votre livre intrigue au premier abord: «L'Evangile relationnel».
Yannick Fer - C'est vrai que ça n'est pas très explicite. C'est une référence au chapitre 3 de la seconde partie du livre, dont l'intitulé exact est «communiquer: l'Évangile relationnel», parce qu'il est aussi question ici d'un modèle de communication - avec les autres et avec Dieu. Cette seconde partie est consacrée à l'église pentecôtiste - en l'occurrence les assemblées de Dieu - comme institution et à tous les dispositifs par lesquels elle réalise ce que j'appelle un travail institutionnel «invisible», c'est-à-dire un encadrement des parcours individuels, une normalisation des modes de vie des fidèles, des programmes de formation (initiation à la «vie chrétienne», puis formations plus spécialisées) et même la transmission de l'identité pentecôtiste à la génération suivante, mais en travaillant en même temps à escamoter en quelque sorte l'échafaudage: idéalement, dans l'expérience subjective des fidèles, il n'est question que de leur relation personnelle avec Dieu.
C'est Bernard Boutter, dans son étude du pentecôtisme réunionnais, qui a ouvert cette piste de compréhension du pentecôtisme, à partir d'un parallèle avec les méthodes des alcooliques anonymes étudiées par l'anthropologue Gregory Bateson. En deux mots, la conversion fait entrer l'individu dans un système de relations, de communication, où Dieu intervient comme médiateur, entre soi et «l'autre» qui est en nous (la «vieille nature», c'est-à-dire ce qu'on est encore, malgré la conversion, censée avoir permis une «nouvelle naissance»), et entre soi et les autres, qu'il s'agisse des «frères et sœurs en Christ» (les coreligionnaires), des pasteurs ou des non convertis.
Concrètement, cet Évangile relationnel a plusieurs implications, j'en cite quelques-unes. D'abord, pour pouvoir «rester en ligne» avec Dieu (c'est l'expression utilisée par le programme de formation à la «vie chrétienne» qu'utilise les assemblées polynésiennes), il faut avoir appris à entendre cette voix intérieure que les pentecôtistes appellent «la voix du Saint-Esprit» et qui, d'un point de vue sociologique ou psychologique apparaît comme la voix de la conscience, signe d'une incorporation individuelle des valeurs, des normes pentecôtistes: on les a tellement bien apprises que l'on peut s'administrer soi-même les rappels à l'ordre. Ce travail d'apprentissage, c'est bien sûr l'institution qui le réalise. Ensuite, l'ensemble de l'expérience pentecôtiste s'organise à partir de cette expérience «enchantée» d'une relation personnelle avec Dieu: dans les discussions entre pentecôtistes, on dit couramment «Dieu m'a mis sur le cœur» tel conseil pour quelqu'un, qui le recevra donc comme un message «de la part de Dieu». Quand un fidèle rencontre un problème, il peut décider de le partager avec tous ceux qui accepteront de le «mettre dans la prière», de le soumettre à Dieu et recevrons peut-être ainsi une réponse, qui sera transmise à l'intéressé(e). Sur un mode plus professionnel, les pasteurs interviennent comme de véritables «montreurs de communication», selon l'expression du sociologue Éric Neveu, en traduisant les problèmes en déficits de communication: c'est toujours en rétablissant la communication avec Dieu que l'on résout ses difficultés. Enfin, les cultes pentecôtistes sont conçus comme des temps de communication intense, où chacun peut «tout dire» à Dieu et où Dieu lui-même «communique» par le biais de dispositifs «invisibles» comme les messages, les prophéties transmis par des fidèles ou des pasteurs et même les prédications.
Je crois vraiment qu'il est nécessaire de réfléchir au pentecôtisme en termes de communication et même de «métacommunication», c'est-à-dire une communication dans laquelle le simple fait de communiquer est finalement le message le plus important. On dit beaucoup que les prédications pentecôtistes ne «disent rien», parce qu'elles ne sont pas théologiquement très élaborées, il y a beaucoup d'anecdotes, de digressions. Mais ce qu'elles disent n'est pas rien: elles contiennent bien sûr des éléments de culture biblique, des orientations pour la vie des fidèles, mais surtout elles mettent en place cette communication directe et personnelle avec Dieu, elles cherchent à créer chez chaque auditeur la conviction que Dieu lui parle, qu'il a «vu ta situation», qu'il «veut te toucher aujourd'hui», etc... C'est par là que le pentecôtisme rejoint un aspect essentiel de nos sociétés contemporaines, ce qu'on appelle la «société de communication». Si vous écoutez ce qui se dit très souvent quand les gens s'appellent tout au long de la journée sur leurs téléphones portables, simplement pour dire «on s'appelle» ou «je te rappelle», vous pouvez avoir la même impression: ils se parlent, mais ils parlent «pour ne rien dire». Mais le plus important n'est pas toujours ce qu'on se dit, c'est aussi le fait de «rester en contact».
Religioscope - Enfin, sur quelles questions vos recherches actuelles portent-elles? Poursuivez-vous des explorations polynésiennes, vous tournez-vous vers d'autres horizons?
Yannick Fer - Après les quatre années passées en Polynésie française, j'ai continué à suivre l'évolution du pentecôtisme polynésien en maintenant des contacts et en y retournant régulièrement. Je me suis aussi intéressé au pentecôtisme en Polynésie au sens large, en incluant notamment les îles Cook et les communautés polynésiennes immigrées de Nouvelle-Zélande et à une organisation évangélique charismatique qui est, je crois, mieux connue en Suisse (où elle a ouvert un centre dès 1969, à Lausanne) qu'en France: Youth With a Mission (YWAM), en français Jeunesse en Mission. J'ai eu l'occasion de séjourner à Hawaii et en Nouvelle-Zélande, pour pouvoir reconstituer l'histoire de YWAM dans le Pacifique et j'écris maintenant un livre sur ce sujet, qui couvrira plusieurs aspects de YWAM, pas seulement dans le Pacifique. Par ailleurs - mais c'est en partie lié à cette étude sur YWAM - je publierai le mois prochain (dans la revue Social Compass) un article sur les rapports que le pentecôtisme entretient avec l'espace urbain, à travers des pratiques comme le «spiritual mapping» (cartographie spirituelle au service du combat contre des forces démoniaques attachées à des territoires). J'en parle parce que c'est à mon avis une tendance importante du pentecôtisme actuel, et un domaine de recherche que je compte approfondir dans les années à venir.
Yannick Fer, Pentecôtisme en Polynésie française: l’Evangile relationnel, Genève, Labor et Fides, 2005, 498p.
Blog de Yannick Fer: http://yannickfer.hautetfort.com/
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