Jean-Arnault Dérens - Mgr Artemije, dans quelles conditions l’Église orthodoxe serbe a-t-elle célébré les fêtes de Noël (le 7 janvier, selon le calendrier julien) au Kosovo?
Mgr Artemije - Vous le voyez vous-même: je ne peux pas me rendre à Pristina sans une escorte de véhicules blindés de l’OTAN. Les Serbes n’ont toujours aucune liberté de circulation, aucune assurance de sécurité. Les frères et les sœurs sont revenus dans la plupart des monastères détruits durant les pogroms de mars dernier, même si parfois, ils doivent vivre dans les ruines.
Par exemple, j’ai participé, il y a quelques jours, en présence de centaines de fidèles, aux célébrations de la saint Ioaniki, le protecteur du monastère de Devic, en Drenica. Les sœurs y vivent à nouveau, malgré le pillage et l’incendie du monastère.
Les moines sont aussi revenus vivre dans le monastère médiéval des Saints Archanges, à côté de Prizren, entièrement détruit par les émeutiers albanais. L’Église a financé l’installation d’un petit édifice provisoire, pour qu’ils puissent survivre aux rigueurs de l’hiver dans cette zone de montagne.
Jean-Arnault Dérens - L’Église orthodoxe serbe vient de déposer une plainte auprès de la Cour européenne de justice. Sur quoi porte cette plainte?
Mgr Artemije - Cette plainte couvre l’ensemble des destructions commises depuis l’entrée des troupes de l’OTAN au Kosovo et Metohija, en juin 1999. Les violences du mois de mars 2004 ne représentent pas le début le début des violences, elles en marquent seulement le point culminant. Cette plainte concerne exclusivement les violences commises contre l’Église et ses possessions, elle ne concerne donc pas les vols, les viols, les pillages, les meurtres dont la communauté serbe a été victime durant cette même période. L’Église orthodoxe serbe est une victime par excellence, rien d’autre qu’une victime. Depuis 1999, c’est la principale des victimes. Si le régime de Slobodan Milosevic avait violé les droits des Albanais, rien de tel ne peut être reproché à l’Église.
Jean-Arnault Dérens - Pourquoi cette plainte a-t-elle déposée auprès de la Cour européenne de justice?
Mgr Artemije - Nous voulons la vérité et la justice. Or, ici, depuis 1999, il n’y a plus de justice pour les Serbes et leur Église. Aucune instance judiciaire du Kosovo n’était capable de répondre à notre attente. Le Kosovo et Metohija a été divisé en cinq secteurs militaires par l’OTAN. Notre plainte concerne seulement les quatre pays européens qui exercent le commandement militaire dans ces secteurs, c’est-à-dire la France, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne. Le cinquième secteur est placé sous commandement américain, or les USA ne répondent bien sûr pas de la juridiction de la Cour européenne de Strasbourg.
Jean-Arnault Dérens - L’Union européenne a proposé un plan pour la reconstruction des édifices religieux détruits, mais vous l’avez rejeté...
Mgr Artemije - Si la reconstruction s’effectuait dans le cadre de la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK), celle-ci la déléguerait aux «institutions provisoires» albanaises du Kosovo. C’est-à-dire que l’on confierait la reconstruction de nos églises aux autorités et aux personnes qui sont responsables de leur destruction! La communauté internationale explique qu'il doit revenir à ceux qui ont détruit les églises de les reconstruire. Nous disons au contraire que c'est au peuple serbe de reconstruire ses églises.
Depuis les émeutes de mars, beaucoup de maisons serbes ont été officiellement reconstruites, mais aucune de ces nouvelles maisons n’est habitable tellement les travaux ont été bâclés, je n’ose donc pas imaginer ce qu’il pourrait en être pour des églises du Moyen-ge! De toute façon, sans le retour des 250 000 Serbes chassés du Kosovo, aucune reconstruction n’est possible. S’il n’y a plus de fidèles, à quoi cela sert-il de reconstruire une église? Cette église sera de nouveau rapidement détruite. De surcroît, l’Europe ne parle de la reconstruction que des églises détruites en mars 1999, sans évoquer la centaine de lieux de culte qui avaient déjà été détruits ou saccagés entre 1999 et 2004.
Cependant, si quelqu'un veut nous apporter une aide, nous y sommes favorables. La communauté internationale est coupable d'avoir toléré la destruction de nos églises. Il est donc normal qu'elle paie pour leur reconstruction. Nous sommes favorables au principe de la coopération avec l’Union européenne et toutes les institutions internationales, mais envisager une politique de reconstruction dans les circonstances actuelles est illusoire. Je viens de me rendre à Strasbourg, à l’invitation du secrétaire général du Conseil de l’Europe. Nous n’avons pas pu trouver de terrain d’entente, mais les voies du dialogue ne sont pas fermées pour autant.
Jean-Arnault Dérens - Avez-vous les moindres contacts avec le diocèse catholique du Kosovo?
Mgr Artemije - Je n'ai aucun contact avec ce diocèse et son évêque depuis des années. Je crois que l'évêque catholique de Prizren aurait trop peur d'être accusé d'être accusé de mauvais patriotisme par les extrémistes albanais pour oser s'adresser à l'Église orthodoxe.
De surcroît, l'Église catholique du Kosovo reprend et véhicule la thèse selon laquelle nos églises et nos monastères orthodoxes auraient été construits sur les ruines d'édifices catholiques plus anciens. Ce mensonge que toutes les traces archéologiques démentent sert uniquement à justifier les prétentions à l'autochtonie des nationalistes albanais. Nous regrettons que l'Église catholique le reprenne à son compte.
Aujourd'hui, certains voudraient d'ailleurs bien que nous reconstruisions nos églises détruites, mais pas à l'endroit où elles se trouvaient! Il s'agit toujours de la même stratégie, visant à faire disparaître toutes les traces de la présence serbe au Kosovo et Metohija.
Jean-Arnault Dérens - L’Église avait appelé au boycott des élections parlementaires du Kosovo le 23 octobre dernier. Comment jugez-vous la situation politiqu actuelle?
Mgr Artemije - 99,7% des Serbes ont dit non aux institutions actuelles du Kosovo. En 2001, nous avions fait le choix de la participation aux élections et de la coopération. Qu’avons-nous obtenu? Les émeutes de mars. En 2001, j'avais moi-même appelé les électeurs serbes à participer aux élections, mais cette année les conditions les plus élémentaires n'étaient absolument pas remplies. Comment cautionner une parodie de démocratie, quand les Serbes sont toujours privés de la moindre sécurité, cantonnés dans des ghettos, contraints à se déplacer sous escorte des soldats de l'OTAN?
Jean-Arnault Dérens - Avez-vous rencontré le nouveau chef de la MINUK, Soren Jessen-Petersen?
Mgr Artemije - Bien sûr, il est venu me rencontrer ici-même, au monastère de Gracanica. Je pense malheureusement que, comme ses prédécesseurs, il travaille dans l’intérêt exclusif des Albanais, et je lui ai dit.
Jean-Arnault Dérens, qui collabore régulièrement à Religioscope, est le rédacteur en chef du Courrier des Balkans.
© 2005 Jean-Arnault Dérens