Une journaliste et son caméraman entrent dans la salle où se déroule une session, manifestement au hasard. Un coup d'oeil à la tribune, où sont alignés quatre orateurs cravatés. Moue négative de la journaliste, passage immédiat à la salle suivante, dans l'espoir d'y capturer des images de robes safran, turbans ou soutanes, certes plus attrayantes pour illustrer un reportage!
Une équipe de télévision a eu plus de chance: au coin d'une allée de la salle d'exposition où se côtoient stands d'associations et religions variées, elle interroge le pape. Enfin... presque. L'Allemand moustachu, à la stature imposante, qui n'esquisse jamais un sourire et répond gravement aux questions du journaliste, est vêtu exactement comme le pape et flanqué d'un archevêque portant soutane au liseré violet. Il ne revendique pas le titre de pape, mais se présente comme le Pax Emmanuel II - Pax, Papst, en allemand, on peut presque confondre!
Le Pax Emmanuel II est le primat de l'Eglise chrétienne essénienne, Eglise supraconfessionnelle, qui vient de l'Allemagne, mais n'a guère fait parler d'elle jusqu'à maintenant. Tellement supraconfessionnelle, en tout cas, que chaque membre du clergé est entièrement libre de ses croyances et que la messe y est célébrée avec du jus de raisin non fermenté... afin que les musulmans puissent y communier au calice! Il est vrai que l'Eglise chrétienne essénienne n'hésite pas à lancer des ponts audacieux entre religions, dans le sillage d'idées qui circulaient déjà avant elle: ainsi, le Christ ne serait pas mort sur la croix, mais aurait donné l'apparence de la mort, grâce à une technique similaire à celle du samadhi hindou, explique un commentaire de l'édition de l'Evangile publiée par le groupe. Quelques recherches permettent de découvrir que le nom "civil" du Pax serait F.E. Eckard Strohm (né en 1950), qui a derrière lui une carrière internationale de médium, de guérisseur, d'auteur de livre sur la "sagesse des Atlantes" et de maître de Reiki (entre autres choses). C'est également par ses soins que l'Evangile a été révisé.
Les femmes ont accès au sacerdoce: l'on croise ainsi plusieurs jeunes Espagnoles vêtues en parfait clergyman, avec col romain. Mais pourquoi donc des vêtements si ressemblants à ceux de l'Eglise catholique romaine? L'archevêque Simon de Cyrène répond avec bonhomie et sans se démonter à la question: en fait, c'est l'Eglise romaine qui aurait repris les caractéristiques vestimentaires des esséniens. Et d'ajouter avec une manifeste délectation: "Si je voulais être méchant - mais je ne le ferai pas - je pourrais dire que l'Eglise catholique a été la première secte."
Pendant ce temps, l'entretien avec le Pax Emmanuel II a pris fin. Le journaliste prie le Pax de bien vouloir signer une déclaration imprimée autorisant tout usage de l'entretien, dans le cadre d'émissions d'actualité aussi bien que de documentaires. Avec bienveillance pour l'intérêt que lui accordent les médias, le pontife tout de blanc vêtu s'exécute sans discuter.
Ceux qui croisent le Pax lui jettent un regard perplexe, amusé ou, parfois, impressionné, demandant la faveur d'une photographie avec lui. D'autres sont plus critiques. Un séminariste catholique, venu au Parlement comme volontaire pour l'encadrement des visiteurs, n'en revient pas de la messe essénienne à laquelle il a assisté le premier jour: "Une simple imitation de messe catholique", déclare-t-il. Quant au zoroastrien d'un stand voisin, il porte sur les "chrétiens esséniens" un jugement sévère: "Ils s'habillent comme des évêques ou des prêtres, mais ce ne sont ni des évêques ni des prêtres." Et d'esquisser un parallèle avec certains membres de sa communauté, qui veulent transformer le zoroastrisme pour l'adapter aux conditions de la diaspora: les lignes de faille ne se manifestent pas seulement entre religions, mais au sein même de celles-ci...
Entre dialogue interreligieux et stratégies de légitimation
Dans la grande salle d'exposition au rez-de-chaussée de l'énorme forum construit au bout de l'avenue Diagonal de Barcelona, au bord de la mer, trois principaux types de groupes se côtoient, dans un esprit de tolérance générale. Tout d'abord, plusieurs associations - presque toutes américaines - se consacrant au dialogue entre religions. Ensuite, des religions anciennes, mais minoritaires et en situation de diaspora, et qui éprouvent le besoin de se faire mieux connaître: zoroastriens ou jaïns, par exemple. Enfin, plusieurs mouvements religieux de naissance récente sont aussi là. Certains d'entre eux suivent des stratégies de quête de respectabilité et recherche de légitimation, parfois même de prosélytisme. D'autres sont tout simplement attirés par les idéaux qui inspirent le rassemblement. On note ainsi le présence de plusieurs groupes issus de l'hindouisme contemporain (Brahma Kumaris, disciples de Swami Sivananda, de Sri Chinmoy, de Mata Amritanandamayi, etc.), mais aussi des néo-païens, des aumistes, des membres de la nouvelle religion japonaise Shumei (issue de Sekai Kyusei Kyo), des scientologues et plusieurs autres.
Mais ce n'est que l'une des faces du Parlement des religions. Catholiques, protestants ou juifs n'éprouvent pas le besoin ou l'envie d'avoir leurs stands, ils sont en revanche présents dans les couloirs et sessions du Parlement. Par exemple, plusieurs jésuites spécialistes du dialogue avec l'islam rencontrent des interlocuteurs avec lesquels ils tissent depuis des années des relations.
Les différentes sessions permettent aussi de découvrir des figures engagées dans des initiatives pratiques pour apporter une contribution des religions aux conflits ou autres problèmes que rencontre l'humanité. Par exemple, le premier prix Paul Carus a récompensé une initiative interreligieuse pour essayer de ramener la paix en pays acholi, dans ces zones septentrionale de l'Ouganda frappées par les violentes activités rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur. Intense moment d'émotion lorsque l'évêque anglican Ochola, récipiendaire du prix au nom de l'initiative de paix des dirigeants religieux acholis, a raconté la détresse de centaines de milliers de personnes menacées, déracinées, avant de mentionner sobrement comment il a lui-même perdu sa fille (suicidée après avoir été violée par des rebelles) et son épouse (tuée dans l'explosion d'une mine) ,et comment il a trouvé la force de pardonner aux assassins et de s'engager pour la paix. Il dit recevoir ce prix comme un message disant à ceux qui s'efforcent avec lui de résoudre le confit: "Vous n'êtes pas seuls." Les quelques 2.000 personnes présentes dans la salle se lèvent et lui adressent une longue ovation.
Ce n'est pas l'unique exemple. Si les "vedettes" - comme Hans Küng - attirent des centaines d'auditeurs dans des salles combles, des sessions qui n'attirent que quelques dizaines de participants permettent de découvrir des personalités méconnues au message fort, parce que lié à une expérience vécue dans des environnement difficiles.
Ainsi, à l'initiative du Goldin Institute, une session consacrée à la solidarité interreligieuse face aux conflits entre communautés dans un même pays a permis de découvrir l'expérience de la communauté musulmane du Rwanda lors du génocide, celle d'un sikh en Inde et les efforts d'une Palestinienne musulmane de Jérusalem pour poursuivre envers et contre tout le dialogue avec des femmes juives et musulmanes "qui refusent d'être ennemies". "Je suis infirmière, je sais que le sang a la même couleur chez tout le monde." Elle ne cache pas les difficultés: elle vivait dans un quartier mixte (majorité juive, minorité palestinienne), il lui a fallu déménager, bien malgré elle, parce qu'il devenait dangereux de parler l'arabe dans sa rue. Et pourtant, explique-t-elle, l'initiative à laquelle elle participe n'est de loin pas la seule pour maintenir le dialogue: "De nombreux groupes travaillent dans le même sens, mais personne n'y prête attention."
Le Parlement des religions est donc un mélange de styles, d'expériences et d'objectifs. Un premier Parlement des religions s'était réuni à Chicago en 1893, à l'initiative de milieux religieux américains libéraux. Il avait marqué un tournant important, en offrant une tribune aux représentants de mouvements religieux orientaux, qui allaient par la suite se diffuser en Occident. Des personnages tels que Paul Carus - auteur de L'Evangile du Bouddha, qui s'efforça de synthétiser les croyances bouddhistes pour un public occidental - rêvèrent de perpétuer l'élan de ce premier Parlement des religions et, si possible, de le répéter. Il fallut un siècle pour cela, lors du centenaire de 1993. Les rassemblement périodiques du Parlement des religions semblent maintenant en passe de devenir une tradition bien établie.
Derrière l'initiative se trouvent toujours des milieux religieux libéraux: le Parlement des religions représente donc surtout ce segment du monde religieux, puisque les tendances conservatrices se sentent peu enclines à participer à des initiatives de ce type. Lors d'une allocution en séance plénière, le rabbin Henry Sobel dénonça ainsi à Barcelone le fondamentalisme religieux, "qui constitue la principale menace pour la paix mondiale", selon lui. Des discussions informelles avec nombre d'autres participants reflétaient des préoccupations semblables. Se retrouvent ainsi dans un Parlement des religions des personnes partageant plusieurs idéaux communs par rapport au rôle des religions dans le monde, plus qu'un échantillon représentatif de l'ensemble du champ religieux. Plus qu’un véritable (et sans doute impossible) Parlement des religions, c’est un rassemblement de courants ayant des affinités par delà les barrières des appartenances.
L'islam au coeur de débats brûlants
Certains thèmes chauds sont abordés. C'est ainsi qu'une séance rassemblait autour de la question du foulard quatre femmes musulmanes. L'une d'entre elles est très connue: actuellement chercheuse dans une université américaine, Merve Kavakci est cette femme politique élue au Parlement turc, mais exclue de celui-ci parce qu'elle entendait y porter le foulard. Elle enseigne aujourd'hui aux Etats-Unis, à l'Elliot School of International Affairs (George Washington University).
Pour Merve Kavakci, la liberté d'expression est bafouée par la loi en Turquie: "Des musulmans oppriment d'autres musulmans au nom de la modernisation et de l'occidentalisation." Elle ne conteste pas le principe d'un Etat séculier, mais elle s'oppose à une laïcité militante, qui en arrive à établir la "non religion" (qui est une chose différente de l'athéisme) comme religion d'Etat.
De nombreuses femmes turques portent le voile sans encombre, parce que ce sont des femmes de milieu simple. "En revanche, mon voile gêne parce qu'il est élégant et à la mode", lance-t-elle à l'assistance. Ce qui pose problème à l'Etat, ce sont les femmes qui portent un voile et s'engagent socialement: cela est alors perçu comme une menace pour la nature séculière de l'Etat.
"C'est à juste titre que l'Etat encourage l'éducation des femmes en Turquie - mais pourquoi leur refuser l'accès à l'éducation si elles portent le foulard?" Merve Kavakci revendique le droit à la modernité sans perdre le contact avec ses racines et souligne que 70% des Turcs ne voient aucune objection au port du foulard: c'est avant tout un problème pour les élites sécularisées.
Mehrezia Labidi-Maiza est pour sa part une Française d'origine tunisienne, traductrice de textes religieux islamiques et membres de la World Conference of Religions for Peace (WCRP). Elle retrace les problèmes du foulard dans les écoles françaises, traditionnels sanctuaires de l'esprit laïc. Selon elle, on n'écoute pas vraiment l'avis des femmes musulmanes elles-mêmes, premières concernées pourtant. "Les femmes musulmanes ne portent pas le hijab pour se soumettre aux hommes, mais pour se soumettre à Dieu."
Ce n'est pas une protestation politique, affirme-t-elle: "Nous sommes satisfaits de l'environnement politique français", y compris des principes de séparation de la religion et de l'Etat tels qu'ils sont exprimés dans la loi de 1905. Au cours des quinze dernières années, souligne-t-elle, les musulmans français ont étudié à fond la loi de 1905 et sont parvenus à la conclusion que c'est en elle-même une très bonne loi, qui assure la neutralité de l'Etat.
Des enseignants expliquent aux jeunes filles voilées qu'ils entendent les sauver du destin de leurs consoeurs en Afghanistan et en Algérie. "Mais nous sommes en Frances, ces filles sont françaises. Et quand vous les voyez revendiquer leurs droits, vous vous rendez compte qu'elles sont bien françaises!" Sans doute peut-il arriver que des jeunes filles se trouvent forcées de porter le hijab: dans de tels cas, il y a en France, assez de lois pour réagir. "La question de fond est en réalité celle de la place de l'islam dans la société française: toléré ou accepté."
Quant à Tariq Ramadan, très sollicité et sur la voie des Etats-Unis, où il va occuper durant la prochaine année universitaire une chaire réputée à l'Université Notre-Dame (Indiana), il a participé notamment à une table ronde sur la théologie de la libération. Selon l'universitaire musulman suisse, l'enracinement dans l'islam n'empêche en effet nullement le développement d'une dynamique relation avec le monde: il dit sa conviction que, à partir du message de l'islam, "quelque chose devrait être fait afin de changer le monde".
Le point de départ est celui d'une libération spirituelle. Le musulman doit craindre Dieu seul, et non les hommes. Il doit obéir au Créateur, qui veut la justice, qui passe avant l'obéissance à quiconque. L'islam est donc, dans la perspective de Tariq Ramadan, un appel à la libération de l'humanité face à toute autorité injuste et à toutes les idoles, y compris "l'argent, le pouvoir, les apparences". C'est un appel à la justice. Le jihad, rappelle-t-il, est à la fois "effort et résistance". Et de rappeler le hadith (dit du Prophète): "Le meilleur jihad est une parole de vérité prononcée face à un oppresseur."
Mais Tariq Ramadan refuse que ce discours soit utilisé uniquement pour viser les Américains: partout dans le monde se produisent des choses intolérables - y compris de la part de gouvernements se prétendant musulmans. "Je n'accepterai jamais que ma tradition soit utilisée pour opprimer des gens", martèle-t-il, aussi éloquent en anglais qu'en français.
Les grands débats de l'actualité étaient ainsi présents au Parlement des religions et trouvent des oreilles attentives. Cela allait jusqu'à des débats sur homosexuels et religion. Certains cercles n'étaient cependant pas satisfaits et estiment que le Parlement reproduit des comportements trop classiques à leur goût: ainsi, des théologiennes féministes estimaient que l'équilibre entre les sexes n'était pas respecté et que le Parlement était marqué par une nette prédominance masculine...
Religions anciennes et nouvelles face à la mondialisation
Le Parlement offre l'occasion de découvrir aussi la situation de religions peu connues du grand public. Lors d'une soirée des communautés, nous avons choisi de rendre visite aux zoroastriens, venus de l'Amérique du Nord, du Royaume-Uni et de l'Inde pour répondre à la curiosité des visiteurs. Une centaine de temples en Inde, vingt-six en Iran. Les parsis indiens sont probablement au nombre de 80.000. Pour l'Iran, il est plus difficile d'aboutir à des statistiques précises. On parle souvent de 40.000 à 60.000 membres, des statistiques vont même jusqu'à 93.000, mais des sources internes suggèrent que le chiffre pourrait être tombé à 28.000.
Mais c'est surtout le nombre croissant de zoroastriens dans la diaspora qui posent à la communauté des défis. C'est surtout vers l'Amérique du Nord que sont partis les zoroastriens: ils y seraient aujourd'hui entre 18.000 et 20.000. Le nombre en Europe est bien plus modeste, même si la présence dans les Iles britanniques remonte au XIXème siècle déjà.
Cette présence dans la diaspora a des conséquences sur des plans divers, à commencer par la pratique. Ainsi, les parsis ont pour coutume de déposer les cadavres de défunts dans les célèbres "tours du silence", où ils sont dévorés par les oiseaux de proie (vautours, etc.), afin d'éviter de souiller la terre ou le feu (qui fait l'objet d'un grand respect chez les zoroastriens, c'est un feu entretenu en permanence qui brûle dans leurs temples). Impossible de poursuivre cette pratique dans la diaspora: à quelques rares exceptions de familles qui rapatrient les cadavres en Inde, il faut donc se résoudre à l'inhumation ou à la crémation.
Le concept d'égalité des sexes pose également problème. Le système zoroastrien est patrilinéaire: seuls ceux qui sont nés d'un père zoroastrien sont considérés comme zoroastriens, mais pas ceux qui sont issus d'un mariage mixte avec une mère zoroastrienne. Et la religion zoroastrienne n'admet pas les conversions. En Amérique du Nord, il y a aujourd'hui des cas dans lesquels des enfants nés de mère zoroastrienne et de père non zoroastrien sont acceptés dans la communauté.
De même, en raison des vastes distances géographiques, les zoroastriens américains ont commencé à introduire une catégorie de prêtres assistants pour exécuter certains rituels simples. Il y a aujourd'hui même une jeune fille qui a reçu la formation pour remplir ces fonctions. En revanche, hors de question pour les zoroastriens résidant en Grande-Bretagne d'accepter ces innovations. Des tensions apparaissent ainsi entre différents courants zoroastriens autour des adaptations à la vie en diaspora.
Moins ancienne que les zoroastriens, mais née il y a quelques siècles quand même, la communauté sikh était massivement présente au Parlement des religons. Elle entendait participer à l'événement de façon d'autant plus active qu'il coïncidait avec le 400ème anniversaire de l'institution du livre sacré des sikhs, le Guru Granth Sahib, comme guide spirituel de la communauté après le dixième gourou. La contribution sikh s'est notamment exprimée sous une forme aussi originale qu'appréciée: au bord de la mer a été édifiée une vaste tente, dans laquelle a été installé un temple sikh (gurdwara) provisoire ainsi que la cuisine communautaire (langar) typique de la tradition sikh, accessible sans frais à chacun. Les sikhs de Birmingham ont nourri gratuitement, chaque jour à midi pendant toute la durée du Parlement, des milliers de participants, avec une chaleureuse efficacité. Au total, les 300 volontaires sikhs ont ainsi servi pas moins de 30.000 repas!
Pour les sikhs, minorité peu connue en Espagne, la participation au Parlement, largement rapportée dans les médias, est comme un signe de reconnaissance. Lors d'une séance plénière, un responsable de la communauté a rendu un vibrant hommage aux autorités et à la population de Barcelone pour leur accueil. Et de s'écrier sous les applaudissements que, durant ce Parlement, "Barcelone est devenue une ville sainte".
Mais des courants religieux très récents - bien qu'ils se réclament parfois d'héritages plus anciens - trouvent aussi leur place au Parlement des religions. Il en va ainsi des néo-païens, qui avaient un stand dans la salle d'exposition et organisaient une session consacrée à la diffusion internationale du paganisme. Selena Fox, animatrice de longue date de Circle, un groupe au centre d'un véritable réseau de petits groupes païens, était heureuse d'annoncer qu'elle a recensé au Parlement des païens représentant onze pays différents.
Les païens ne font certes pas encore partout entièrement partie du paysage religieux "reconnu". Aux Etats-Unis, il n'est pas rare qu'ils participent aux organisations interreligieuses locales, mais l'on en est assez loin en Europe. De même, parmi les croyants païens présents, un psychologue a failli être le premier aumônier païen officiellement agréé par les forces armées américaines, même si sa nomination n'a jamais abouti pour une question purement technique: il ne faudra sans doute pas attendre très longtemps pour qu'une autre démarche du même type aboutisse.
Face à leurs coreligionnaires américains prompts à faire valoir leurs droits (ils ont même fondé une Lady Liberty League dans ce but!), les païens européens onte sentiment qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire: l'un d'entre eux, d'origine britannique, admet cependant qu'une réunion tel que le Parlement des religions est l'occasion d'avancer un petit peu dans la voie d'une meilleure reconnaissance et acceptation du paganisme.
Parmi les intervenants, l'une était une universitaire sud-africaine, et d'autres des néo-païens espagnols, dont la situation fut résumée par le jeune président de l'Union païenne ibérique, de création très récente, mais qui affiche de grands projets pour créer tant une culture païenne qu'une présence païenne sur la place publique espagnole. A noter que, tant dans le cas sud-africain (où le paganisme émerge depuis une huitaine d'années) que dans celui de la péninsule ibérique, Internet représente une importante source d'information et de communication.
Le dimanche soir, les païens présents montèrent au sommet du Montjuic, d'où la vue sur Barcelone est spectaculaire, et y célébrèrent en plein air, après une procession vers le lieu de la célébration, un rituel pour la paix, en chantant et dansant au son des crécelles et des percussions: "Tisserands, nous tissons la toile de la vie", tandis que se nouaient symboliquement - autour du poteau dressé au centre de la clairière - des fils en une vaste toile d'araignée.
A côté de ceux qui venaient au Parlement pour propager leurs croyances (malgré l’interdiction théorique du prosélytisme), ce rassemblement - nettement marqué par son inspiration américaine et la forte participation en provenance de l'Amérique du Nord - a été celui de femmes et d'hommes convaincus que les religions peuvent apporter une contribution à la promotion de la paix. Plus que l'unité formelle des religions - dont les inévitables différences sont acceptées, du moment qu'elles ne débouchent pas sur des affrontements - c'est la prévention des conflits qui s'est trouvée au coeur des préoccupations.
Reste à savoir quels effets concrets et mesurables une telle initiative peut avoir, au delà du cercle de ses participants, et une fois dépassés "l'exotisme, le folklorisme pittoresque et la superficialité" qu'affirme y avoir surtout vus Mgr Jaume Gonzalez-Agapito, délégué de l'Archevêché de Barcelone pour les affaires oecuméniques? Il est difficile de le déterminer, même si certains participants ont déclaré publiquement des engagements concrets pour faire suite à la réunion. D'autres, nous l'avons noté, sont déjà actifs dans la pratique, mais le Parlement est pour eux une étape, non la source de leur engagement. A l'exception de l'une qui aura lieu en Inde, toutes les réunions publiques de suivi annoncées auront pour cadre les Etats-Unis.
Du point de vue de l'observateur, c'est surtout l'occasion de rencontre avec un étonnant échantillon de la variété religieuse du monde actuel ainsi que de la circulation des idées et des cultures qui restera le souvenir fort du rassemblement de juillet 2004 à Barcelone.
Jean-François Mayer
Révisions — 8 août 2004: modifications mineures de quelques phrases dans le 7e paragraphe de l’article.