Le RES s'inscrit dans la continuité d'efforts antérieurs de coopération au sein d'un courant religieux caractérisé par un certain morcellement, mais également par une variété d'initiatives et œuvres traversant la frontière des "dénominations". Sa naissance résulte de la fusion, en 2006, de l'Alliance évangélique romande (AER, fondée en 1847) et de la Fédération romande d'Églises et œuvres évangéliques (FREOE, fondée en 1983). Le RES rassemble aujourd'hui une majorité des Églises évangéliques en Suisse; il se perçoit comme plateforme de coordination plus que comme instance faîtière.
À la demande du RES, Jean-François Mayer, directeur de l'Institut Religioscope, a préparé un texte analysant l'évolution de la perception des chrétiens évangéliques en Suisse romande. Cette composante du paysage religieux suisse est en effet présente depuis le 19e siècle dans les régions d'héritage protestant. Pour des raisons qui tiennent à la foi à des efforts missionnaires, à la mobilité croissante de la population et à la diversification ainsi qu'à l'individualisation religieuses, les groupes évangéliques ont pris pied et se développent également depuis les années 1970 et 1980 dans les territoires de tradition catholique. Des migrants importent ou constituent des Églises internationales (parfois appelées aussi "Églises ethniques", même si les intéressés ainsi que le RES préfèrent éviter cette expression) qui, dans les zones urbaines, viennent ajouter à la variété du milieu évangélique.
La petite étude de Jean-François Mayer prête attention à l'évolution de la perception des chrétiens évangéliques depuis une cinquantaine d'années, prenant pour point de départ symbolique une campagne d'évangélisation conduite à Genève en 1966 par le pasteur presbytérien canadien Leighton Ford, beau-frère de Billy Graham, et les commentaires alors émis à ce propos. Billy Graham lui-même était déjà venu prêcher lors de réunions d'évangélisation en Suisse romande en 1955 et en 1960.
À travers une telle figure ainsi que des communautés locales, les évangéliques n'étaient donc pas inconnus des médias et du public. En outre, en 1974, un Congrès international pour l'évangélisation mondiale se réunit en Suisse, à Lausanne, et eut un profond impact ressenti jusqu'à aujourd'hui dans le monde évangélique. Cependant, tout en notant à l'occasion la nature active du courant évangélique, ni les médias ni le public suisses romands ne paraissent avoir réellement perçu le potentiel du christianisme évangélique dans un environnement devant faire face à la sécularisation.
Selon l'analyse de Jean-François Mayer, la perception se transforma dans les années 1980 et 1990, d'abord en raison de la baisse de la pratique au sein des Églises établies: alors que les bancs de certaines paroisses accueillaient un public plus clairsemé (malgré la progression démographique de la population), les salles de réunion évangéliques semblaient accueillir un public de plus en plus nombreux et fervent. De façon positive ou négative, note l'auteur, le discours médiatique mit dès lors l'accent sur la croissance et le dynamisme du milieu évangélique. Cette progression est réelle, mais les évangéliques restent une petite minorité dans l'environnement suisse: c'est cependant une minorité au taux d'engagement élevé, puisque des recherches récentes ont montré qu'il y avait, un dimanche ordinaire, en chiffres absolus, plus de chrétiens évangéliques que de protestants réformés assistant à un culte.
Il convient cependant de rappeler que les composantes du courant évangélique ne progressent pas toutes, et que la circulation intraévangélique (d'une Église à l'autre) est importante dans la croissance de certaines communautés nouvelles. Mais, souligne Jean-François Mayer, "dans le contexte actuel, réussir à maintenir ses effectifs représente déjà un succès pour une Église chrétienne en Suisse" (p. 24).
Outre ces notions de dynamisme et de croissance associées au christianisme évangélique en Suisse romande (et ailleurs), l'auteur identifie aussi, dans un chapitre du petit ouvrage, quelques mots-clefs fréquemment associés aux évangéliques. Cela permet de souligner par exemple l'importance légitimement accordée au caractère chaleureux de la communauté pour expliquer le succès des évangéliques. La dimension morale est souvent évoquée, étant donné que les principes maintenus par les évangéliques se distinguent sur ce plan de la ligne de conduite aujourd'hui admise par une assez grande partie de la population. D'autres mots-clefs sont brièvement évoqués aussi: prosélytisme, protestant, par exemple, mais aussi secte: en effet, même si ce terme n'est plus utilisé par les autres Églises chrétiennes et que les exemples de bonne entente entre Églises majoritaires et Églises évangéliques se multiplient, la perception des évangéliques comme "sectes protestantes" reste encore plus répandue que l'auteur ne s'y attendait (bien que n'apparaissant plus guère dans les médias) et reste toujours susceptible de resurgir pour désigner certains groupes évangéliques si une controverse surgit à propos de l'un d'eux.
Une troisième partie réfléchit aux perspectives, à l'heure où les évangéliques aspirent à une meilleure reconnaissance. L'auteur souligne que, notamment par rapport aux interlocuteurs civils et religieux, l'existence d'une structure telle que le RES est indispensable: chaque courant religieux doit disposer aujourd'hui d'une plateforme représentative. Celle-ci permet de donner une voix commune au monde évangélique dans sa pluralité (au-delà même des Églises membres), mais aussi d'articuler des positions communes sur des questions de société, comme le montrent plusieurs publications préparées par le RES. Mais reste également nécessaire l'effort d'un travail de relation publique et d'information de longue haleine pour faire mieux connaître les évangéliques dans la société suisse romande.
Jean-François Mayer, L’évolution des chrétiens évangéliques et leur perception en Suisse romande, Genève, Réseau Évangélique Suisse, 2016, 84 p.