Organisé à l'initiative d'Anne Lancien, Anaël Levy et Lola Petit, doctorantes du Groupe sociétés, religions, laïcités (GSRL), un colloque international et interdisciplinaire "Faits religieux et médias", qui s'est tenu à Paris les 23 et 24 mars 2016, a réuni des chercheurs ainsi que quelques représentants du monde des médias et des religions, pour "questionner les mécanismes de production de l’information sur les faits religieux et les enjeux de cette médiatisation, en France et en regard d’autres pratiques médiatiques, notamment européennes". Les recherches présentées se concentraient sur les grands médias d’information, dans leurs formes tant traditionnelles que numériques, autour de trois axes: la manière dont les médias contribuent ou non à la compréhension du fait religieux; la place des religions dans l'information culturelle et la prise en compte ou non du pluralisme religieux; et bien sûr la question du recours aux experts dans les médias, pertinente pour un colloque rassemblant des intervenants et auditeurs susceptibles d'être sollicités dans ce sens.
Le poids de l'actualité des dernières années se manifestait à travers la présence de plusieurs sujets relatifs à l'islam et aux controverses autour de celui-ci. Mais des interventions ont aussi évoqué, à travers des aspects et contextes particuliers, le christianisme orthodoxe, l'hindouisme et le bouddhisme, ainsi que nous en rendrons brièvement compte plus loin.
Les lignes qui suivent ne tenteront pas d'offrir un compte rendu complet du colloque: la publication d'actes est d'ailleurs prévue. Nous nous limiterons à retenir quelques aspects et remarques de nature à intéresser un plus large public.
Les médias face aux religions: dévoilement, conflictualité, choix des thèmes
Autour de propos introductifs de Jean-Paul Willaime (directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études, EPHE) et réflexions conclusives de Philippe Portier (directeur du GSRL et directeur d'études à l'EPHE), commençons par dresser un cadre général.
La sociologie, a rappelé Portier, a longtemps été réticente à s'occuper des relations entre médias et religions: en Europe, les choses ont changé dans les années 1990. Ainsi, avec Pierre Bréchon, Jean-Paul Willaime avait dirigé, il y a une quinzaine d'années, le volume recueillant les actes d'un colloque de 1998, sous le titre Médias et religions en miroir (Presses Universitaires de France, 2000).
La sphère publique est de plus en plus une sphère médiatique, note Willaime. Elle devient le lieu d'une lutte pour la visibilité (faire parler de soi). Mais cela s'accompagne de l'impossibilité de maintenir la communication sous contrôle. En effet, tout devient rapidement débat public, avec l'abolition de la distinction entre privé et public: il devient impossible de tout gérer à l'interne, d'autant plus que les médias s'efforcent de révéler ce qui est caché. C'est également un point sur lequel a insisté le professeur Stewart Hoover (Center for Media, Religion and Culture, Université du Colorado): avec l'avènement de l'âge des médias, non seulement les religions perdent le contrôle des symboles, mais il n'y a plus de sphère "sacrée" ou "privée", il n'y a plus de "conversations privées". Et l'on n'hésite plus à mettre en cause ce qui était incontesté.
Les médias portent un intérêt particulier aux dimensions conflictuelles: Willaime cite une remarque de Blandine Chélini-Pont à propos de l'absence de conflictualité du protestantisme (en France), qui le rend "moins intéressant pour les médias". On découvre sans surprise que, dans la presse française, entre 2000 et 2010, la religion la plus "médiatisée" a été l'islam, suivi (loin derrière) par le judaïsme. Les médias contribuent à "charismatiser" le religieux, par l'importance accordée à des figures ("papalisation" du catholicisme).
Selon Portier, les médias insistent sur deux éléments dans le domaine religieux: ce qui relève de la tradition, d'une part (grandes fêtes, grands acteurs); ce qui relève du religieux comme problème, d'autre part (scandales financiers, pédophilie, violence, problèmes d'intégration, etc.). En insistant sur certains aspects, d'autres — tout aussi importants — sont laissés de côté. Les médias ne se bornent donc pas à refléter l'actualité du champ religieux: Willaime souligne l'importance des choix effectués dans le traitement des sujets — ce dont on parle, mais aussi ce dont on ne parle pas. "Les médias ne nous disent peut-être pas ce qu'il faut penser, mais ils nous disent au moins ce à quoi il faut penser", renchérit Portier.
Dans le traitement de religions comme l'islam et le catholicisme, Portier note la tendance à la polarité: un côté négatif et un côté positif. Mais le chercheur iniste aussi sur la pluralité entre médias, qui ne découle pas seulement d'orientations politiques, mais aussi de différents types de presse: la presse régionale ne fonctionne pas comme la presse nationale, comme l'a montré une contribution de Camila Areas (doctorante à l'Institut français de presse, Centre d'Analyse et de Recherche Interdisciplinaires sur les Médias); il ne faut pas approcher le paysage médiatique d'un pays de façon homogénéisante. Il s'y ajoute la distinction entre médias établis et médias émergents: avec le développement de la blogopshère, nous assistons à une dérégulation du champ médiatique, contournant tant les autorités religieuses que les autorités journalistiques.
Willaime rappelle également que la religion est comme une langue dans laquelle on a été socialisé: dans des sociétés sécularisées, le fait religieux devient de plus en plus difficile à comprendre, ce qui soulève la question du rôle que peuvent remplir les médias (les journalistes étant eux aussi de moins en moins familiers avec la religion). Cette question a été soulevée aussi par la journaliste Sophie Gherardi, ancienne directrice du défunt site Fait religieux: son initiative (interrompue en 2015 faute de ressources) partait du constat, en France, de l'ignorance des mobiles religieux et de ce qui peut pousser des personnes à agir dans la société en raison de leurs convictions religieuses.
La fin prématurée du site Fait religieux le rappelle: les médias connaissent aujourd'hui une crise économique, et l'on ne saurait évaluer leur travail sans tenir compte de ce contexte de précarisation pour le travail des journalistes, a notamment insisté Éric Vinson (enseignant et journaliste spécialiste du fait religieux et laïque, président de l'association Enquête). En outre les médias classiques font face à la concurrence de nouveaux médias. Pourtant, malgré l'importance d'Internet, il ne faut pas penser que les médias classiques, "établis", vont disparaître: dans le mouvement général d'évolution qui multiplie les sources de production d'information, explique Hoover, ces médias demeurent des "lieux centraux" où il importe d'être présent.
L'islam au sommet de l'attention des médias européens
Professeur à l'Université d'Uppsala, Mia Lövheim s'est intéressée aux représentations du religieux dans la presse scandinave, et en particulier suédoise, à partir de l'analyse des onze plus grands journaux, sur la période 1980-2010. Le thème récurrent de la "résurgence du religieux" influence toute la perception. Cette observation dans la durée permet aussi de remarquer des glissements: ainsi le traitement de l'islam, au départ sujet international, devient de plus en plus un sujet national. Un autre glissement dans le traitement des religions est le passage de l'information vers le débat: à partir du milieu des années 1990, le nombre de pages éditoriales sur les religions (éditoriaux, commentaires) augmente nettement. Comme ailleurs, ces débats vont dans deux directions: d'une part, un discours de tolérance, reconnaissant que la religion peut aussi jouer un rôle dans la société; d'autre part, une tension entre la liberté religieuse et des éléments perçus comme contraires à la culture suédoise (par exemple l'égalité entre hommes et femmes).
Lövheim souligne que les médias deviennent la principale source d'information sur les religions, tandis que les religions traditionnelles perdent leur autorité dans ce domaine. Mais les médias transforment le contenu selon leur propre logique. Ils prennent un rôle plus actif pour formuler l'agenda politique et deviennent un lieu crucial de renégociation des valeurs, identités et relations dans la société.
Jean-Philippe Schreiber (professeur à l'Université libre de Bruxelles et fondateur du site Observatoire des religions et de la laïcité, a présenté quelques données établies dans le cadre d'un "Baromètre des religions 2011-2015" fondé sur l'analyse des presses écrites (généralistes) francophone et néerlandophone belges, à partir de mots-clefs. Comme on pouvait s'y attendre, les résultats témoignent d'une attention massive prêtée à l'islam, par rapport à d'autres religions (et le nombre d'articles relatifs à cette religion double encore en 2015). Dans le même balancement noté par d'autres interventions, l'islam est de plus en plus souvent identifié comme une menace, mais en même temps monte un intérêt pour la culture musulmane. L'intérêt médiatique pour le phénomène des sectes paraît assez faible, sauf quand il y a de grands procès comme celui de l'Église de Scientologie: ce mouvement arrive loin devant tout autre thème associé aux "sectes".
Selon les observations de Schreiber, l'intérêt de la presse porte clairement sur le poids politique des différentes confessions. La presse s'intéresse peu à la vie interne des confessions et à ce qui est dans le cœur des croyants.
D'autres traditions religieuses au prisme des médias
Professeur associé à l'Université de Copenhague, Miklos Sukosd s'est penché sur les représentations du bouddhisme dans les journaux américains, britanniques et chinois de langue anglaise, à travers un échantillon de sept journaux de référence couvrant la période 2001-2013. Trois cadres principaux de représentation du bouddhisme émergent: un cadre culturel (art bouddhiste ancien, héritage culturel...), un cadre religieux et un cadre politique. Une analyse de différentes constructions discursives sur le bouddhisme conduit Sukosd à identifier trois types principaux de bouddhisme dans les médias. Si les types postmoderne (dimension psychologique, bien-être) et traditionnel (enseignement éthique transmis par une communauté monastique) sont bien présents dans les médias occidentaux, un autre type est aussi mis en avant dans les médias chinois: celui du bouddhisme d'État (ou plus exactement contrôlé par l'État), lié à l'intérêt national de la Chine, mettant éventuellement l'accent sur des problèmes concrets de communautés bouddhistes actuelles, ou tournant à un discours critique soulignant le besoin de modernisation ou présentant une image négative du Dalaï Lama. Pour des raisons politiques et sociales (présence historique du bouddhisme), il n'est pas étonnant que le discours des médias chinois présente des spécificités.
La chercheuse russe Ekaterina Grishaeva (Université fédérale de l'Oural) a analysé quelques aspects de la couverture médiatique de l'orthodoxie et de l'Église orthodoxe russe sur deux chaînes nationales de télévision, Rossiya 1 et Perviy Kanal [Première Chaîne] (aux vues proches du pouvoir) et sur deux sites web d'information plus indépendants (rbc.ru et lenta.ru). Contrôlées par l'État, les chaînes de télévision centralisées approchent l'actualité orthodoxe de façon neutre ou idéologique (c'est-à-dire considérant la tradition orthodoxe comme base culturelle et idéologique de la société). Les médias en ligne, privés, plus proches de l'opposition, développent une vision plus critique de l'Église orthodoxe russe.
Ainsi, les chaînes de télévision mettent l'accent sur les événements et fêtes de l'Église orthodoxe. La tradition orthodoxe y est associée à la nation, mais avec des variations d'une chaîne à l'autre: tandis que la chaîne très suivie Rossiya 1 utilise l'orthodoxie pour soutenir l'idéologie d'État, Perviy Kanal adopte une approche moins officielle de l'Église orthodoxe, plus séculière, par exemple en donnant place à des commentaires historiques ou interviews de croyants; l'Église orthodoxe n'y est pas présentée comme partenaire de l'idéologie nationale, explique Grishaeva.
En ce qui concerne les deux sites analysés, dont le public se recrute plutôt dans la classe moyenne et la classe moyenne supérieure, ils prêtent moins d'attention aux événements tels que les fêtes religieuses et plus aux aspects sociaux et politiques de l'orthodoxie. Ils n'hésitent pas à traiter également les questions controversées touchant l'Église (problèmes de comportement du clergé ou affaires financières), avec une couverture plutôt neutre et sans jugement de valeur pour le premier site, parfois ironique pour le second (dont le style journalistique est différent). Finalement, note Grishaeva, le traitement des religions semble toujours associé, dans les médias russes, à des orientations politiques.
C'est une remarque qu'il faudrait peut-être appliquer aussi aux approches du catholicisme dans un pays tel que la France, par rapport à certains thèmes. C'est ce que l'auditeur pouvait être tenté de penser, après avoir entendu la recherche très documentée de l'historienne Muriel Guittat-Naudin (GSRL-EPHE) "Du Vicaire à Amen: Pie XII est-il coupable? Les historiens dans l'arène médiatique". Sur la question de l'attitude de Pie XII par rapport au sort des juifs durant la 2e guerre mondiale, à la suite des débats lancés par une pièce de théâtre, puis par un film, les choix éditoriaux ne semblent pas motivés uniquement par la recherche de la vérité historique, mais aussi par les orientations politiques et/ou religieuses des médias, et par des considérations pas uniquement liées à l'affaire traitée elle-même. Il est vrai que la variété des avis exprimés par les différents historiens ayant travaillé sur l'affaire s'y prêtait aussi. Dans ce débat, les historiens ont été appelés à être "juges d'instruction" et se sont trouvés automatiquement classés en fonction de leurs positions.
L'hindouisme a également eu sa place dans le colloque, à travers l'intervention de Natalie Lang (Université de Göttingen), qui s'intéresse à la présence hindoue dans l'île française de La Réunion, dans l'océan Indien. La religion hindoue y occupe une place de plus en plus publique depuis les années 1970, marquées également par une réorientation vers l'Inde et la fondation de la Fédération tamoule en 1971. Les médias réunionnais se sont ouverts à l'hindouisme à partir des années 1980. Sur Télé Kréol, qui fonctionne depuis 2004, deux programmes chaque semaine sont consacrés à l'hindouisme, dont l'un prend clairement le modèle des émissions religieuses confessionnelles et inclut également des éléments didactiques (explications sur les rituels, etc.). (Cela suggère d'ailleurs qu'il y aurait quelques recherches à faire sur la place des émissions confessionnelles dans le cadre des médias séculiers.)
Les chercheurs face aux médias
L'organisation d'un tel colloque par de jeunes chercheuses incluait naturellement la question du rôle des chercheurs face aux médias: comme nous l'avons vu, c'était l'un des trois axes de la réflexion.
Le chercheur ne parvient pas toujours à se maintenir au-dessus du débat: il en devient parfois l'un des acteurs controversés, comme l'a illustré le professeur Tim Jensen (Université de Syddansk, Danemark) en racontant son expérience personnelle lors de la célèbre affaire des caricatures de Muhammad au Danemark en 2005. Il finit lui-même par figurer lui-même sur des caricatures polémiques: bonne occasion de rappeler que le chercheur n'est pas toujours en mesure de décider lui-même du rôle qu'il jouera dans les médias, et de souligner aussi qu'il n'est pas si simple de séparer le chercheur et le citoyen ("Dr Jensen and Mr Jensen"). Tout cela se joue dans un contexte où, selon Jensen, la repolitisation de la religion conduit à une repolitisation de l'étude des religions.
Le risque d'apparaître dans les médias, en situation conflictuelle, se pose même pour un chercheur expérimenté: les règles des médias sont différentes de celles du discours académique. En outre, en acceptant les demandes des médias à s'exprimer, le chercheur contribue aussi à entretenir la polémique. Après avoir raconté les épisodes de son expérience de la controverse autour des caricatures, Jensen conclut en disant que cela l'a aussi incité à ériger, autant que possible, un mur de séparation entre opinions et fruits de la recherche — tout en reconnaissant l'impossibilité de distinguer entièrement les deux ou d'atteindre une objectivité absolue.
À la suite de la communication de Muriel Guittat-Naudin, Philippe Portier a aussi soulevé la question épineuse de savoir comment le travail des historiens peut modifier ou non la perception que le public s'est déjà faite d'un sujet.
Valentine Zuber (directrice d'études à l'EPHE) a apporté lors du colloque son témoignage de chercheuse sollicitée fréquemment par les médias. Elle a non seulement évoqué le caractère souvent immédiat des demandes, mais aussi l'ambiguïté d'une partie de celles-ci: il n'est pas rare qu'un journaliste fasse appel à un chercheur pour trouver une confirmation de ce qu'il pense déjà, afin de donner au propos un vernis académique. Cependant, il faut aussi distinguer les différents types de médias: Zuber observe que les médias écrits et la radio ont plus tendance à ressentir le besoin d'un éclairage universitaire, qui va rythmer la présentation des différentes opinions énoncées. En revanche, la télévision tend plutôt à exposer différentes opinions sur pied d'égalité: le propos du chercheur se trouve alors ravalé au niveau d'une opinion parmi d'autres, sur l'arrière-plan d'un désir de voir s'entrechoquer toutes les opinions possibles afin qu'une émission ne soit pas ennuyeuse...
Le chercheur évite de proposer une explication univoque: il peut donc donner le sentiment de venir embrouiller la perception du sujet. Mais Valentine Zuber conclut néanmoins qu'un chercheur travaillant sur des sujet chauds ne peut tout simplement pas éviter d'être présent dans des médias (également dans une perspective de stratégie professionnelle). Non sans courir le risque de se transformer en essayiste ou publiciste.
Médias et religions en perspective
Cyril Lemieux (directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, EHESS) reconnaît que la distanciation n'est pas aisée pour traiter les faits religieux. Des règles de distanciation sont cependant mises en place par les journalistes, pour se placer en tant qu'interlocuteurs distincts de leurs sources. Lemieux souligne en même temps les convergences des principes déontologiques que doivent se fixer tant des journalistes que des sociologues des religions: pas de prosélytisme religieux, mais pas non plus de propagande antireligieuse. De même, la polyphonie est de rigueur: donner la parole à une multiplicité de voix.
Bien entendu, admet Lemieux, l'idéal n'est pas toujours atteint. Mais les infractions aux règles que se fixent les journalistes sont aussi la conséquence des conditions de travail qu'ils connaissent souvent: temps imparti très court, moyens impartis très limités, pression de l'urgence pour ne pas être en retard dans le traitement d'un sujet par rapport aux médias concurrents... La question de l'organisation du travail journalistique doit être gardée à l'esprit en analysant le traitement des religions. Il est vrai que la sous-estimation du rôle des facteurs religieux dans la vie sociale est fréquente. Raison de plus, pour Lemieux, de développer les interactions entre journalistes et chercheurs.
Président de l'Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco a apporté quelques observations incisives dans l'une des deux tables rondes de la dernière partie du colloque. Il a rappelé que nous nous trouvons tous pris dans un système médiatique où la recherche de l'audience, de l'immédiat et de l'émotion conditionnent bien des choix. Dans l'urgence, avec la pression qu'elle entraîne même pour des journalistes consciencieux et compétents, le travail de vérification des faits n'est plus toujours effectué. Un autre aspect problématique est la tendance à éditorialiser, en mélangeant commentaires et informations au lieu de les distinguer clairement. Les faits religieux deviennent des événements médiatiques. Des sujets potentiellement conflictuels sont montés en épingle. Jean-Louis Bianco appelle les journalistes à remplir leur mission à travers un traitement contextualisé de l'information: le rôle du journalisme, insiste-t-il, devrait être de situer les faits.
Rédacteur en chef du quotidien La Croix, le Père Dominique Greiner (assomptionniste) a apporté le témoignage d'un universitaire et prêtre catholique devenu journaliste dans le cadre d'un journal d'information politique et général qui assume en même temps sa nature de journal catholique et la lecture du monde qui y est liée. Cela n'empêche pas de demander aux journalistes de faire de la véritable information sur les religions, avec un travail de distanciation (à la rédaction de La Croix, sept ou huit journalistes s'occupent d'information religieuse). De l'avis du P. Greiner, appartenir à une tradition religieuse permet de prendre au sérieux l'expérience spirituelle des autres: sa conviction est que la matrice religieuse permet de comprendre certaines situations, partant du principe que l'information religieuse est une dimension importante de la compréhension du monde.
Surtout dans un contexte français, marqué par l'héritage de débats autour des religions et l'affirmation de la laïcité (avec les différents sens qui lui sont donnés), l'inclusion d'une telle perspective était opportune, pour éviter de sauter trop rapidement à la conclusion que seule une approche "laïque" serait garante d'un traitement équilibré des thèmes religieux. Ce qui compte est avant tout le cadre déontologique et la rigueur de traitement que s'imposent journalistes ou chercheurs — quelles que soient leurs convictions personnelles — pour aborder les faits religieux et les analyser. Pour reprendre le titre d'un ouvrage en anglais sur les journalistes face aux religions (Paul Marshall et al., Blind Spot: When Journalists Don't Get Religion (Oxford University Press, 2008), la vraie question est plutôt celle des angles morts qu'un journaliste ou un chercheur ignore, parce qu'étrangers à son champ de vision, mais peut-être plus importants qu'il ne le soupçonne.
Dans un environnement à la fois sécularisé et religieusement diversifié, la présence des acteurs religieux suscite la curiosité ou l'inquiétude: les médias en donnent naturellement l'écho, mais contribuent aussi à mettre en avant certains sujets et à en faire des enjeux de débats publics. Les médias ne sont ainsi pas simplement observateurs, mais aussi acteurs: c'est l'un des mérites de ce colloque de l'avoir illustré à travers des études de cas, et ainsi de mieux préparer de jeunes chercheurs à saisir les attentes et le fonctionnement des discours médiatiques.
Jean-François Mayer