A la veille des élections générales de mai 2014, ce duel dans la démesure n’a pas échappé à la presse qui a abondamment commenté les deux initiatives, malgré les dénégations des protagonistes affirmant que leurs projets n’étaient en rien comparables.
Mercredi 13 novembre, le ministre-président du Bihar, Nitish Kumar, a dévoilé à Patna, capitale de l’Etat, la maquette du Virat Ramayan Mandir, qui sera «le plus grand temple hindou du monde» et dépassera de loin les proportions du site d’Angkor Vat (1), lequel détient actuellement le record du monument religieux le plus vaste.
C’est d’ailleurs sur le modèle du célèbre temple cambodgien que les plans du futur temple consacré à Ram, l’un des avatars du dieu Vishnou, ont été conçus par l’entreprise Bihar Mahavir Mandir Trust. Selon Kishore Kunal, dirigeant de la société, «recréer cette œuvre majeure sera un hommage rendu à l’Inde».
Ayant eu vent du projet en mars 2012, le gouvernement du Cambodge avait fait part immédiatement de son indignation. «Angkor Vat est unique, il ne peut en exister deux», s’était indigné le porte-parole du gouvernement cambodgien Phay Siphan. «Cet acte honteux sabote la valeur de l’attraction touristique la plus connue de notre pays, inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Il s’agit d’une insulte envers notre nation qui accorde une importance telle à ce site qu’elle le fait figurer sur son drapeau national.»
Après avoir évité de justesse l’incident diplomatique, le gouvernement indien a ordonné en août 2012 au Mahavir Mandir Trust de changer le nom du projet – dénommé initialement Viraat Angkor Vat Ram Mandir – et d’introduire des changements dans les plans du temple afin que ce dernier ne soit pas qu’une réplique d’Angkor Vat.
Le résultat final, dévoilé la semaine dernière, s’il présente quelques modifications soulignées comme étant «majeures», ne semble cependant pas différer foncièrement du projet initial. Tout comme le célèbre temple cambodgien, le Viraat Ram Mandir, qui sera édifié près de Kesarya, dans le nord du Bihar, présente un ensemble architectural composé d’un sanctuaire central étagé, au cœur d’un système de galeries et d’enceintes, entourées de douves, que surplombent des tours pyramidales (shikhars).
«Ce temple est loin d’être une simple copie d’Angkor Vat», a assuré cependant Kishore Kunal lors de la conférence de presse du 14 novembre 2013. L’ancien officier de police, qui est à la tête de la Commission d’Etat aux Affaires religieuses depuis 2006, a souligné qu’il y avait de nombreuses différences, dont les proportions colossales de l’édifice, mais aussi le fait que le temple serait édifié en granite et en béton («des matériaux bien supérieurs au grès utilisé à Angkor»), et enfin qu’il accueillerait les statues de plusieurs divinités hindoues.
Dix-huit petits temples en effet devraient entourer le sanctuaire central dédié à Rama et à sa compagne Sita, consacrés chacun à une divinité hindoue et à sa parèdre (Radha et Krishna, Shiva et Parvati, etc.), sans compter Ganesh, Hanuman, Surya et les dix incarnations de Vishnou.
Depuis le lancement du projet il y a deux ans, les dimensions de l’édifice n’ont cessé d’augmenter; la hauteur du temple est ainsi passée de 45 mètres de haut à 134, et sa longueur devrait atteindre 877 mètres. Plus de 25 000 personnes pourront s’asseoir sur le hall-esplanade faisant pace au temple principal, assure également Kishore Kunal.
Sur les bords du Gange, à Janaki Nagar, dans le district de Vaishali, le chantier – qui devrait durer dix ans – a en réalité débuté en mars 2012 lors de la célébration du centenaire de la création de l’Etat du Bihar. Ce site serait vénéré depuis des temps immémoriaux, comme le lieu où Rama et son frère Lakshman ont été accueillis par le roi de Vaishali.
Ce n’est cependant que début novembre que le projet a été véritablement médiatisé, par la diffusion notamment de nombreux reportages et spots publicitaires soulignant «l’immense gloire» que la construction du temple apportera à l’Inde en général et au Bihar en particulier. L’existence même de ce projet était pourtant totalement ignorée il y a un an, qu’il s’agisse du gouvernement central qui affirmait alors «n’être absolument pas au courant» ou du ministère du Tourisme du Bihar qui s’étonnait de «ne jamais en avoir entendu parler».
Si l’annonce de la construction semble avoir été favorablement reçue par la population de l’Etat, la question de son coût, extrêmement élevé, commence à faire polémique. Bien que le Mahavir Mandir Trust ait assuré qu’il prendrait en charge la moitié du financement du temple et que le gouvernement du Bihar ne serait pas sollicité, la somme aujourd’hui prévue (qui oscille entre trois et cinq milliards de roupies, soit entre 35 millions et 59 millions d’euros) paraît disproportionnée à l’échelle d’un des Etats les plus pauvres de l’Inde. «Les fonds viendront de dons privés et des fidèles de toute l’Inde», rapporte l’Hindustan Times du 14 novembre dernier, avant de citer les propos de Swaroopananda Saraswati, le Shankaracharya de Dwaraka (2), qui, lors de la cérémonie du dévoilement de la maquette du temple, a exhorté les fidèles hindous à «participer à la construction par un don d’un cinquième de leurs revenus».
La présence à ses côtés de l’un des gourous de l’hindouisme les plus éminents et influents en politique (3) a apporté au chef de l’Etat du Bihar une caution morale décisive dans la surenchère qui l’oppose à son rival Narendra Modi, ministre-président du Gujarat. Après avoir béni la maquette du temple, le gourou, qui se définit lui-même comme «l’Instance hindoue suprême», a en effet souligné que «la plus grande statue du monde, celle de ‘l’homme de fer’ Sardar Patel, ne pourrait jamais être adorée, alors que le plus grand temple de Rama construit par Nitish Kumar serait, quant à lui, un véritable lieu de culte».
Le ralliement du Shankaracharya au projet grandiose du temple de Ram n’est en rien surprenante si l’on se remémore ses prises de position marquées lors de l’affaire d’Ayodhya. Depuis les tragiques événements de 1992 (4), le gourou ne cesse de faire campagne pour la construction d’un temple de Ram sur le site controversé, tout en s’opposant, de manière tout aussi virulente, à ce que le BJP poursuive l’édification du sanctuaire hindou. Critiquant «le manque d’envergure» du temple provisoire, il accuse le parti hindouiste de «ne pas suivre les traditions» et surtout d’avoir conçu le sanctuaire «dans le style dravidien», une hérésie aux yeux du Shankaracharya.
Le 29 juin 1998, il déclarait dans Outlook India: «Le temple que nous imaginons est modelé sur celui du temple de Ram à Angkor Vat au Cambodge ; son architecture aryenne était celle de tous les temples du nord de l’Inde avant que les musulmans ne les détruisent (...). Ce que nous voulons, c’est un grand temple de Ram construit dans la pure tradition aryenne, un temple qui soit le plus magnifique jamais construit.»
Aujourd’hui avec le projet du Mahavir Mandir Trust, le vœu du Shankaracharya, émis il y a 25 ans, semble en voie d’être exaucé jusque dans ses moindres détails: depuis les tours «aryennes» jusqu’aux sommes faramineuses qu’il faudra engager pour sa construction. «Le sanctuaire [d’Ayodhya] devrait coûter au moins un milliard de roupies, alors que le BJP n’a consacré que 60 millions à sa construction. Qu’imaginait-il donc construire avec si peu d’argent?», dénonçait-il déjà à l’époque dans les pages du magazine indien.
Alors que se préparent les élections générales en Inde, l’acte posé par le ministre-président ainsi que le soutien du Shankaracharya ont considérablement amoindri les chances au Bihar du BJP, dont la rupture avec le parti actuellement au pouvoir est consommée depuis peu. C’était pourtant grâce à l’Alliance politique nationale (NDA), dirigée par le BJP, que le Janata Dal-United (JDU), parti de Nitish Kumara, avait jusqu’à présent réussi à remporter le scrutin.
Les médias n’ont pas manqué de souligner que cette rupture s’est produite presque au même moment que l’annonce de la nomination de Narendra Modi comme candidat du BJP au poste de Premier ministre indien. Le lancement officiel du projet de construction du «plus grand temple hindou du monde» n’a suivi que de quelques jours seulement celui de la «plus grande statue du monde», annoncée par le ministre-président du Gujarat. (eda/msb)
Notes
(1) Angkor Vat, construit durant le règne du roi hindou Suryavarman II au début du XIIe siècle, était dédié à Vishnou avant d’être consacré à Bouddha à la fin du XIIIe siècle.
(2) Le swami Swaroopananda Saraswati est le « Shankaracharya » (titre accordé aux successeurs de Sri Bhavapada Shankara (788-820) du monastère de Dwaraka) ainsi que le chef du monastère de Jyotirmath.
(3) Courtisé par tous les partis politiques indiens, le Shankaracharya cultive cependant l’ambiguïté idéologique. Passant pour un «homme du Congrès», mais le critiquant ouvertement, se déclarant pour les principes de l’hindutva mais s’opposant régulièrement au BJP, Swaroopananda Saraswati était cependant à la tête du Ram Rajya Parishad et comptait parmi les fondateurs du VHP.
(4) Le 6 décembre 1992, des militants hindous rasaient la mosquée Babri Masjid à Ayodhya, réclamant le rétablissement du culte hindou sur ce site où se serait élevé originellement un temple marquant le lieu de naissance de Rama. Les affrontements entre hindous et musulmans auraient fait plus de 2 000 morts. Après de nouvelles flambées de violence autour du site controversé, la Haute Cour d’Allahabad a finalement tranché en 2010 pour le partage d’Ayodhya, accordant un tiers du site aux musulmans pour y édifier une mosquée, les deux autres tiers étant destinés, l’un à la construction d’un temple hindou qui viendrait remplacer le sanctuaire de fortune installé sur l’ancienne moquée Babri, l’autre à une organisation religieuse locale, également hindoue.
Cet a été publié par Eglises d’Asie, Agence d’Information des Missions Etrangères de Paris (128 rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07).
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