Les funérailles du Rév. Moon auront lieu le 15 septembre. Les organisateurs attendent 35.000 personnes et 600 autobus. Placé tout d'abord sous une cloche de verre pendant le temps des visites de condoléance, le corps du défunt a été placé aujourd'hui dans un cercueil. Il sera inhumé à l'issue de la cérémonie. "Vrai Père est sur le chemin du monde spirituel, où son travail ne fait que commencer", expliquent ses disciples.
Depuis le décès, plus de dix jours se sont donc écoulés. Si ceux-ci ont été marqués, pour tous les disciples de Sun Myung Moon, par le deuil et le recueillement, les débats autour de la succession vont déjà bon train, accompagnés de controverses et de nouveaux développements susceptibles d'affecter l'avenir. A ce tournant, il paraît donc nécessaire de faire le point.
La famille de Sun Myung Moon et la succession: Hak Ja Han Moon et Hyung Jin Moon
Comme l'ont montré les chiffres très variés avancés dans les articles publiés à l'occasion du passage du Rév. Moon dans le monde spirituel, l'importance numérique du mouvement est difficile à évaluer: selon les sources, le nombre de membres oscillait entre 70.000 et 3 millions. Il est impossible de fournir un chiffre exact, mais la réalité statistique de l'unificationnisme n'excède pas quelques centaines de milliers de membres.
Cependant, l'impact du mouvement ne peut être uniquement mesuré au nombre de ses adhérents: non seulement les controverses des années 1970 et 1980 ainsi que des pratiques spectaculaire telles que les célébrations de mariages collectifs lui ont valu une large notoriété, mais les disciples du Rév. Moon ont investi beaucoup d'énergie dans des activités très variées associant des personnes étrangères au mouvement (initiatives culturelles, dialogue interreligieux, promotion de la paix, médias, lutte contre le communisme). Enfin, autour du Rév. Moon se sont développées d'importantes activités dans le domaine économique.
Pour les fidèles unificationnistes, la principale motivation a toujours été et reste l'idéal messianique de l'établissement d'un monde idéal, nouveau et uni. Cette promesse est demeurée au cœur du message du Rév. Moon: depuis quelque temps, il annonçait un tournant pour l'humanité le 13 janvier 2013 (calendrier lunaire, 22 février du calendrier solaire), avec la victoire progressive du bien sur le mal et la sortie du matérialisme pour entrer dans une ère spirituelle.
Le statut de Moon était celui d'une figure messianique. Ce statut a été affirmé de plus en plus ouvertement par le mouvement au fil des ans. Quelques-uns des titres attribués au fondateur de l'Eglise de l'unification dans des vidéos diffusées par ses disciples à l'occasion de son décès sont éloquents: "Sauveur du monde", "Roi de la paix dans le cosmos", "Roi des rois", "Vrai Parent du ciel, de la terre et de l'humanité". Son fils appelé à lui succéder a souligné que personne ne pourrait revêtir le même statut de lui: ses successeurs directs devraient plutôt être considérés comme ses "apôtres".
La famille se trouve au centre de la construction doctrinale de Moon: lui et son épouse, Hak Ja Han (née en 1943), représentaient les "Vrais Parents" sur le lignage desquels étaient greffés les couples bénis par eux. La famille du Rév. Moon occupe elle aussi une place centrale.
Parmi les dix enfants vivants (sur quatorze) de Moon avec Hak Ha Jan, tous n'ont pas répondu — et de loin — aux espoirs placés en eux par leurs parents et le mouvement. Décédé en 2008 d'une crise cardiaque, le fils aîné de Moon avait connu de graves problèmes, liés notamment à sa consommation de drogues et d'alcool.
Les médias ont surtout prêté attention aux rivalités entre certains fils du Rév. Moon. En revanche, ils ont peu parlé du rôle de l'épouse du défunt. Plus jeune que lui et encore en bonne santé, Hak Ja Han Moon pourrait jouer un rôle crucial pour maintenir l'unité du mouvement. Son rôle ne doit pas être sous-estimé, ne serait-ce que comme figure de référence: spirituellement, en tant que "Vrai Parent", elle se trouve dans la position la plus élevée et elle a été aux côtés de son mari pendant cinquante ans (il l'a épousée en 1960). Elle doit s'adresser aux membres de l'Eglise de l'unification, le surlendemain des funérailles, le 17 septembre: elle va certainement appeler les fidèles à un engagement renouvelé. Le 3 septembre 2012, un article du Washington Times (fondé à l'initiative de Sun Myung Moon et soutenu financièrement par son Eglise) soulignait ce rôle et notait que cela pourrait aussi s'accompagner d'un changement de style.
Dans une déclaration publiée le 5 septembre, un responsable unificationniste américain résumait ainsi les perspectives:
"Père Moon nous a guidés [en nous expliquant] que le jour viendrait où Mère Moon prendrait son rôle et sa responsabilité, et qu'elle nous guiderait. Ce jour est venu [...].
"Le 15 janvier 2009 en Corée, et de nouveau le 31 janvier 2009 à 5h du matin à Séoul et à 17h à New York après l'arrivée des Vrais Parents de Corée, Père a institué le Rév. Hyung Jin Moon, son plus jeune fils, pour être le dirigeant international de notre Eglise et de toutes nos organisations, représentant les Vrais Parents. Père Moon nous guidera en esprit, Mère Moon nous conduira sur terre, et centrés sur le Rév. Hyung Jin Moon nous travaillerons à amener le royaume de Dieu."
Hyung Jin Moon (qui utilise aussi le prénom américain de Sean), né en 1979, est le plus jeune des fils du Rév. Moon. Après le suicide d'un de ses frères en 1999, il avait développé un fort intérêt pour les questions religieuses et s'est engagé durant quelque temps dans la pratique du bouddhisme. Il a en outre étudié à l'Université de Harvard. Dès 2008, il a été présenté comme celui qui dirigerait spirituellement le mouvement.
Dans une intéressante analyse à paraître avant la fin de l'année dans la revue universitaire Nova Religio, mais dont une première version est déjà accessible en ligne, David Bromley et Alexa Blonner estiment que l'Eglise de l'unification, devenue de plus en plus en Occident un mouvement social engagé dans une variété d'activités, tend à retourner depuis quelques années au modèle original d'un fonctionnement d'Eglise, mais sous une forme modernisée tant dans le discours que dans le fonctionnement. A cet égard, le rôle de Hyung Jin a manifestement été crucial: il suffit de regarder des vidéos de ses prédications, accessibles en ligne, pour prendre la mesure de l'inflexion. Dans la conclusion d'un article publié en 2011 lors de la visite du Rév. Moon à Genève, Religioscope avait d'ailleurs relevé cette évolution.
Hyung Jin Moon peut notamment compter, pour le moment, sur le soutien de son frère Kook Jin Moon (né en 1970), qui assure la direction des affaires économiques du mouvement: il préside le groupe sud-coréen Tongil, qui serait en bonne situation aujourd'hui, après s'être trouvé au bord de l'effondrement lors de la crise financière asiatique de la fin des années 1990. Selon des sources unificationnistes, Kook Jin aurait introduit dans le groupe Tongil des méthodes de gestion plus rigoureuses, ce qui a contribué au redressement, même si cela lui a aussi valu quelques inimitiés, car il a également mis un terme à des activités non profitables. Parmi les objectifs du groupe Tongil, le premier est de soutenir financièrement l'Eglise de l'unfiication.
La dissidence de Hyun Jin Moon
Cependant, un autre frère se trouve aujourd'hui en conflit avec Hyung Jin (Sean) et Kook Jin.
Une seule lettre distingue son nom de celui de son frère cadet: Hyun Jin Moon (né en 1969) utilise aussi le prénom de Preston, que nous utiliserons parfois entre parenthèses après son prénom coréen, comme pour son frère, pour éviter des confusions. Gendre du Rév. Chung Hwan Kwak (né en 1936), qui fut durant longtemps l'un des plus proches assistants du Rév. Moon, Hyun Jin se trouve maintenant engagé, avec son beau-père, dans un entreprise qui a tous les traits d'un mouvement dissident. Celui-ci a attiré un certain nombre de membres de l'Eglise de l'unification dans quelques pays, mais avec un écho variable.
Durant quelque temps, Hyun Jin, fils aîné survivant, semblait destiné à prendre la succession de son père: d'importantes responsabilités lui avaient été confiées au sein du mouvement. Il aurait eu du mal à accepter le choix de son frère cadet. Mais c'est aussi une question d'orientations à donner au mouvement qui semble en jeu.
En 2009, Hyun Jin (Preston) a créé une organisation, Global Peace Festival, à travers laquelle il développe des activités sur le plan international du même genre que celles de l'Eglise de l'unification (promotion du dialogue, de la paix et de l'unité dans le monde), mais de façon indépendante: ce projet ne fut pas approuvé par son père, affirment les représentants de l'Eglise de l'unification, qui dissuadèrent les fidèles d'y adhérer.
Dans un plainte déposée contre lui aux Etats-Unis en mai 2011 par plusieurs organisations liées à l'Eglise de l'unification, Hyun Jin (Preston) est accusé d'avoir orchestré une prise de contrôle de "Unification Church International", dont il présidait la direction. Il aurait amorcé ce tournant en 2009, après avoir vu son frère cadet choisi à sa place en 2008 en tant que futur chef spirituel du mouvement.
La situation se tendit de plus en plus durant l'année 2009: le Rév. Kwak, alors président international de la Fédération pour la paix universelle, fut remplacé à ce poste au mois d'octobre.
En raison de l'enchevêtrement des activités de l'Eglise de l'unification avec des intérêts économiques, l'enjeu immédiat n'est pas seulement le contrôle spirituel du mouvement: de grosses sommes et propriétés sont revendiquées par les deux parties; ces biens sont nécessaires pour financer les projets de l'Eglise. "Unification Church International" aurait reçu — selon la plainte — "des centaines de millions de dollars" de la branche japonaise de l'Eglise de l'unification entre 1975 et 2009: en effet, une partie importante des activités du mouvement ont été financées par ses membres japonais. Hyun Jin (Preston) est accusé de détourner une partie de cet argent vers ses propres projets.
Les responsables de l'Eglise de l'unification affirment que le "groupe Kwak", comme ils nomment ces dissidents, ne rassemble qu'un faible nombre de fidèles. C'est sans doute exact, même s'il a un impact dans plusieurs pays asiatiques et en Amérique du Sud, notamment. L'Eglise de l'unification suit très attentivement les activités du Rév. Kwak et de Hyun Jin (Preston), s'efforçant de convaincre les fidèles de ne pas leur prêter attention. Une explication en termes de théologie unificationniste a également été élaborée pour expliquer cette situation, considérée comme une trahison: le Rév. Kwak se placerait ainsi, spirituellement, dans la position de "Satan" et Hyun Jin dans celle d'"Adam déchu". Une note explicative d'un responsable de la Fondation Tongil déclarait en novembre 2011, selon un schéma qui prend son sens s'il est replacé dans le contexte de la doctrine unificationniste:
"Pendant de nombreuses années, Kwak a été le principal assistant de Vrai Père [Moon]. Ceci peut être comparé à Lucifer comme principal assistant de Dieu durant le processus de création. Kwak se trouvait dans la position la plus élevée parmi la première génération de membres, qui étaient collectivement en position angélique par rapport à la Vraie Famille. Ainsi, Kwak se trouvait dans la position de l'archange. Puis, autant que Lucifer a trahi Dieu durant les étapes finales du processus de création, Kwak a trahi les Vrais Parents. En faisant cela, il s'est placé lui-même dans la position de Satan."
A l'inverse, les partisans de Hyun Jin Moon tiennent celui-ci pour seul capable de sauver l'héritage véritable du Rév. Moon. Lors d'une manifestation de rue de 200 membres en avril 2012, à Séoul, une déclaration des manifestants demandait la démission de Kook Jin Moon, accusé d'"administration inepte", tandis que Hyung Jing (Sean) était dénoncé pour sa "direction irresponsable"; il est possible que les réorganisations auxquelles Kook Jin avait procédé dans le mouvement en Corée et le nouveau style de Hyung Jing ne soient pas étrangers à certaines oppositions. Les manifestants déploraient de voir une "bataille interne de l'Eglise" menacer de démolir tout ce qui avait été construit au prix de nombreux sacrifices. "Nous ne pouvons pas continuer plus longtemps à regarder tant que l'Eglise de l'unification se trouve sur la voie de la destruction." Les deux frères auraient "contrôlé l'Eglise de l'unification presque comme des dictateurs" et "complètement démoli le fondement du Mouvement international de l'unification que le Rév. Sun Myung Moon avait établi." Leur exposé de la situation continue dans le sens de l'analyse proposée par l'article précédemment cité de Bromley et Blonner: ils pensent que la direction actuelle de l'Eglise tendrait à la centrer sur elle-même en minimisant les activités plus larges du mouvement.
Toutes ces controverses se déroulent sur fond de procédures judiciaires mettant en jeu des avoirs importants. Le décès du fondateur risque de donner à ces rivalités pour le contrôle de certaines ressources économiques unificationnistes un tour encore plus féroce.
Le problème auquel se trouve confronté Hyun Jin (Preston) est que son père avait clairement affiché son choix de Hyung Jin (Sean) comme successeur. Dans un document daté du 5 juin 2010, le Rév. Moon avait même déclaré que quiconque prétendrait occuper cette position à la place de son fils cadet "serait un hérétique" (le document a été publié par le journal coréen Jung Jangyeol (12 juillet 2010), dans un article traduit en anglais). Cette déclaration avait été interprétée comme un avertissement à Hyun Jin (Preston).
Tant le groupe qui suit Hyun Jin (Preston) que la majorité des unificationnistes, qui suivent Hyung Jin (Sean), disent adhérer au message de Sun Myung Moon, figure fondatrice. A moins de suggérer que le Rév. Moon n'avait plus toute sa lucidité ou était largement manipulé par son entourage dans la dernière partie de sa vie, et donc que ses proches auraient abusé de son autorité sans son autorisation, la position de Preston paraît plus difficile à défendre.
Comme dans toute situation de conflit familial, la maladie et le décès du Rév. Moon ont donné lieu à des situations difficiles. Hyun Jin (Preston) rapporte avoir brièvement pu rendre visite à son père à l'hôpital le 15 août: mais des versions contradictoires circulent sur le déroulement de la visite ainsi que sur l'échec d'une visite subséquente.
La veillée funèbre autour du corps du Rév. Moon a aussi donné lieu à quelques incidents. A deux reprises, les 10 et 11 septembre, Hyun Jin est venu, avec un groupe d'adhérents à bord de plusieurs autobus, pour se recueillir devant la dépouille de son père. Selon les explications de membres de l'Eglise de l'unification, il aurait été invité à venir, mais seul avec son épouse, tandis que ses partisans ont été priés de faire la queue avec les autres visiteurs pour se rendre dans la grande salle où il était possible de rendre hommage au Rév. Moon, devant son grand portrait (un nombre plus limité de visiteurs étaient admis devant le catafalque). Il aurait préféré s'abstenir. Ses adhérents, pour leur part, soutiennent que des conditions lui auraient été posées pour accéder à la salle où reposait le corps de son père. Toujours est-il qu'il a reçu les condoléances séparément de sa famille, dans une salle d'un grand hôtel de Séoul.
Le 13 septembre, Hyun Jin (Preston) a annoncé qu'il ne participerait pas aux funérailles de son père et organiserait de son côté un service commémoratif. Selon le communiqué qu'il a publié, les dirigeants de l'Eglise de l'unification, "dont des membres de ma propre famille", ont "déformé l'œuvre de sa vie et son enseignement jusqu'à les rendre méconnaissables". Participer à la cérémonie donnerait l'impression qu'il approuve ces orientations. Le communiqué donne d'intéressants détails supplémentaires sur les arguments doctrinaux invoqués par Hyun Jin:
"Ils l'ont intentionnellement présenté comme le fondateur et l'autorité suprême d'une Eglise ou nouvelle religion de plus, plutôt que comme un parent aimant soucieux de voir tous les êtres humains grandir pour remplir leur responsabilité personnelle en tant que fils et filles de Dieu. Ils cherchent même à le déifier, le plaçant sur un plan différent du reste de l'humanité. Cependant, ceci est contraire à son enseignement fondamental sur la place centrale de la responsabilité humaine dans la providence de Dieu et est utilisé comme fondement pour affirmer une autorité absolue sur les unificationnistes."
Se présentant comme un réformateur qui se serait heurté à des dirigeants "corrompus et coercitifs", Preston déclare que les critiques émises contre l'Eglise de l'unification étaient en partie légitimes — mais que les abus dénoncés ne correspondaient pas à la volonté de son père. Le document fournit ainsi quelques indications sur l'image que s'efforcera de cultiver le mouvement qu'il a lancé.
Le décès du Rév. Moon pourrait-il être pour Hyun Jin (Preston) l'occasion de se présenter comme successeur légitime et de prendre le contrôle du mouvement? Cela semble improbable: il peut en revanche espérer attirer des membres mécontents. Son image a souffert des critiques émises par son père et par des responsables de l'Eglise, mais aussi de certaines actions, par exemple une intervention musclée pour prendre le contrôle d'une branche locale de l'Eglise de l'unification au Brésil. L'avenir de la dissidence de Hyun Jin et du Rév. Kwak dépendra en bonne partie de leur capacité à conserver le contrôle d'une partie des fonds du mouvement. Si les procès en cours devaient leur faire perdre ces ressources, les perspectives de survie de leur groupe s'assombriraient. Avec des ressources, en revanche, il n'est pas impossible que le groupe ait une existence durable, mais devenant progressivement une réalité religieuse assez différente de l'Eglise de l'unification telle que nous la connaissons, et mettant sans doute moins l'accent sur la figure du Rév. Moon.
L'affaire In Jin Moon
Alors que les unificationnistes préparent les obsèques du fondateur, un coup de théâtre est venu apporter une touche imprévue. Le 9 septembre, une note de Hyung Jin Moon annonçait que sa sœur, In Jin (Tatiana) Moon (né en 1965), démissionait soudainement de ses responsabilités de présidente de la branche américaine de l'Eglise de l'unification, une charge qu'elle assumait depuis 2008.
Des "raisons de santé" étaient invoquées, mais très vite se répandit le bruit — confirmé par des documents mis en ligne sur Internet — qu'elle entretenait depuis quelque temps une relation avec un musicien unificationniste d'origine norvégienne, Ben Lorentzen, à la tête du groupe Sonic Cult, et qu'elle en avait eu (à l'âge de 47 ans) un enfant au mois de mai.
En raison des principes du mouvement sur la question du mariage, un tel développement crée des remous. In Jin passait pour être, avec son frère Kook Jin, l'un des principaux soutiens de Hyung Jin (Sean). Comme lui, elle avait étudié les religions à l'Université de Harvard. Elle dirige également "Lovin'Life Ministries". Ces développements survenant dans la période cruciale de la succession pourraient avoir des conséquences, sans que l'on puisse encore distinguer clairement dans quel sens: tout va dépendre de la façon dont les dirigeants de l'Eglise de l'unification vont gérer cette affaire. Les commentaires que l'on peut lire en ligne oscillent entre la condamnation du comportement d'In Jin, l'indignation avec la demande d'excuses aux membres de l'Eglise et une compassion plaidant pour l'indulgence et le refus de juger, ou une rationalisation de l'attitude d'In Jin.
Plus que les choix sentimentaux d'In Jin, ce qui fâche semble surtout être que tout cela ait été caché aux unificationnistes qui assistaient à ses prédications ainsi qu'à ses parents. Cela cause une rupture de confiance, surtout par rapport à une personne qui présentait une face moderne et acceptable du mouvement: cet incident pourrait renforcer une pression en vue de plus de transparence dans le fonctionnement de l'Eglise.
Sur ce dernier point, il faut souligner le rôle d'Internet, à l'occasion de cette affaire comme pour les autres débats internes qui agitent l'Eglise de l'unification: l'existence d'Internet change la donne. Il devient pratiquement impossible pour un mouvement de garder le silence sur des évolutions et controverses internes qu'il préférerait sans doute ne pas voir exposées publiquement; à l'inverse, Internet permet à des voix critiques de faire connaître facilement et rapidement des informations. Les membres en discutent ensuite en temps réel, et pas seulement dans des cadres privés (par exemple en apportant des commentaires sur des blogues ou dans des réseaux sociaux). La différence est considérable, pour les chercheurs également, par rapport aux années 1970 et 1980.
Les défis pour l'avenir de l'Eglise de l'unification au regard des derniers développements
La sociologue Eileen Barker, qui avait rédigé dans les années 1980 une étude classique sur les "moonistes", juge "improbable que l'unificationnisme continuera comme entité unique", mais "tout aussi improbable que l'héritage de Moon disparaisse dans un avenir prévisible" (CNN Religion Blogs, 3 septembre 2012).
Outre les sources d'autorité que sont les membres de la famille du Rév. Moon, d'autres voix pourraient se faire entendre. Dans l'Eglise de l'unification, les communications reçues du monde spirituel par des médiums ont toujours occupé une place. Il est probable que des médiums liés au mouvement commenceront bientôt à communiquer des messages supposés provenir du Rév. Moon dans le monde spirituel, prévoit George Chryssides, auteur d'un livre de référence sur l'Eglise de l'unification (The Telegraph, 3 septembre 2012). Les connaisseurs du mouvement se souviennent des événements survenus dans l'Église de l'unification dans les années 1980, quand le second fils du Rév. Moon, Heung Jin (1966-1984) était mort dans un accident de voiture: en 1987, un unificationniste du Zimbabwe commença à parler en son nom, et les responsables de l'Eglise admirent durant quelque temps que l'esprit de Heung Jin Nim avait pris possession de ce membre africain. L'épisode prit fin en 1988, après de nombreux incidents liés au personnage, qui fit dissidence pour tenter de créer son propre mouvement. Cela illustre l'impact que peuvent avoir dans le mouvement des messages supposés venir du monde spirituel. Il y a vingt ans, Michael Mickler avait noté le risque de voir ces manifestations de channeling "causer un chaos idéologique" après la disparition du fondateur (Michael Mickler, "When the Prophet Is Yet living: A Case Study of the Unification Church", in Timothy Miller, When Prophets Die: The Postcharismatic Fate of New Religious Movements, State University of New York Press, 1991, pp. 183-194).
Il faut aussi tenir compte d'une réalité sociologique. Comme l'a observé Chryssides, il n'est pas facile pour des personnes de 50 ans ou plus, qui ont donné toute leur vie à la cause du Rév. Moon et qui, le cas échéant, travaillent pour une initiative ou une entreprise liée à l'Eglise de l'unification, de tout abandonner pour choisir une autre voie. Parmi ceux qui restent fidèles, certains restent toujours convaincus, d'autres ont des doutes — mais la plupart ne voient de toute façon plus les choses comme ils les voyaient à 20 ans, et ne vivent plus de la même façon. Cela vaut aussi pour leurs enfants qui ont grandi dans le mouvement. Des chercheurs ont remarqué la tension entre un modèle religieux "héroïque", très sacrificiel, et un modèle de religiosité plus "conventionnelle" parmi les membres, avec de fortes pressions internes aspirant à une "routinisation" (Michael Mickler, "The Unification Church/Movement in the United States", in E.W. Gallagher et M.W. Ashcraft, Introduction to New and Alternative Religions in America, vol. 4, Greenwood Press, 2006, pp. 158-184).
La voie que semble prendre Hyung Jin (Sean), surtout si elle reste liée à des projets économiques viables sous la houlette de Kook Jin, a tout pour les séduire: elle permettrait de cultiver le même héritage spirituel sur un mode d'engagement bien moins radical que dans les années 1970 (même s'il est possible que des secteurs du mouvement continuent de fonctionner sur un mode plus intense).
Après les tensions au sein de la "Vraie Famille" et les événements tout récents autour d'In Jin, sans parler de la disparition de la figure messianique du fondateur, beaucoup de membres ne seront vraisemblablement plus disposés à accepter inconditionnellement les prises de position des dirigeants: les fautes commises par certains des "Vrais Enfants" risquent bien d'ôter à ceux-ci une partie de leur aura et de leur autorité. Dans la mesure où le piédestal sur lequel ils se trouvaient chancelle un peu plus, leur capacité à projeter une image bienveillante et attentive va compter. Des revendications dans le sens d'un fonctionnement plus démocratique du mouvement pourraient se faire jour (il y aurait déjà eu des réformes dans ce sens à l'échelon local, notamment en Corée).
L'entente entre Hyung Jin (Sean) et Kook Jin sera l'une des clés du succès: une discorde entre eux, en revanche, porterait un coup dur à l'Eglise, déséquilibrant les relations entre activités religieuses ou sociales, d'une part, et soutien économique de celles-ci, d'autre part. Un facteur encore incertain est le degré d'autorité réelle que parviendra à exercer ou non l'épouse du défunt pour maintenir le mouvement dans l'unité.
Il est possible que de nouvelles divisions surgissent: Mickler avait remarqué, il y a deux décennies (dans l'article déjà cité "When the Prophet Is Yet Living"), que seule la présence du fondateur avait permis de préserver l'unité malgré des rivalités internes. Outre ce défi, il s'agira aussi de voir si, en l'absence du Rév. Moon, le dynamisme du mouvement pourra se perpétuer (ce qui a également des implications sur le plan financier) et s'il attirera de nouveaux membres. Dans un premier temps, il faudra avant tout, malgré les turbulences, maintenir la fidélité d'un nombre suffisant de membres de seconde et troisième génération pour assurer un fondement stable.
Jean-François Mayer
Dans un autre article, l’auteur a présenté quelques réflexions personnelles autour de la disparition de Sun Myung Moon, en replaçant celle-ci dans le cadre plus large de l’évolution des nouveaux mouvements religieux apparus à l’époque contemporaine.