L'Église catholique vit une véritable révolution géographique, dont les premiers à ressentir les effets sont certainement les missionnaires. Le «centre de gravité» de l'Église, basé depuis des siècles en Europe occidentale, est en train de se déplacer: à la crise des vocations de la «Vieille Europe» - qui serait même, selon certains, en voie de «déchristianisation» - répond le dynamisme des Églises d'Afrique ou d'Asie. Le père Joseph Tobin, ancien supérieur général des Rédemptoristes, rejette tout pessimisme: pour lui, la crise des vocations appartient déjà au passé, la relève venant d'Afrique ou d'Asie. Le constat est le même chez les Franciscaines missionnaires de Marie: plus de la moitié des sœurs sont désormais d'origine asiatique, tandis que 90% des nouvelles vocations chez les Pères blancs concernent des Africains.
Le Concile Vatican II - exact contemporain de la grande vague de décolonisation du tournant des années 1950 et 60, a radicalement modifié le sens et les formes de la mission, mettant au premier plan son aspect de témoignage, basé sur l'inculturation de l'Évangile et des missionnaires eux-mêmes.
Dans le même temps, le Concile a rappelé que «tout baptisé est missionnaire», déplaçant les limites et la définition de la Mission catholique... De ce point de vue, le rôle des laïcs dans l'engagement missionnaire est perçu comme essentiel. Le père Enrique Lopez, vicaire général des Rédemptoristes, parle d'une «vocation commune», partagée entre les pères, les frères et les laïcs. Le rôle des frères, longtemps cantonnés dans des taches domestique et de service, fait aussi l'objet d'une redéfinition. Vatican II a souligné que les frères avaient aussi vocation à s'engager dans le travail apostolique.
L'ordre des Rédemptoristes - plus exactement la Congrégation du Très Saint Rédempteur (CSsR) - a été fondée en 1732 à Scala, près de Naples, par saint Alphonse de Liguori. Cette congrégation est active sur les cinq continents, même si sa présence en Europe occidentale est aujourd'hui relativement discrète. Accolée à la Maison généralice, dans le centre de Rome, à quelques pas de la basilique de Santa Maria Maggiore, l'église de Sant'Alfonso abrite la précieuse icône de la Vierge du Perpétuel Secours, confiée aux Rédemptoristes en 1865 par le pape Pie IX, avec l'injonction de la «faire connaître à travers le monde». Objet d'une immense piété, l'icône est devenue le bien le plus précieux de la Congrégation, qui gère de nombreux sanctuaires mariaux.
Cependant, la mission première des Rédemptoristes reste la prédication et l'évangélisation. Fortement implanté aux USA et au Canada, l'ordre travaille beaucoup en direction des migrants et des diasporas: hier, les Italiens, les Irlandais, les Polonais ou les Ukrainiens arrivant dans le «Nouveau monde», aujourd'hui les Hispaniques. L'un des premiers saints d'Amérique du Nord est d'ailleurs saint Jean Neumann (1811-1860), évêque rédemptoriste de Philadelphie, lui-même un immigré venu de Bohême.
Redéfinir la vocation missionnaire
Le père Joseph Tobin, issu d'une famille irlando-américaine de Detroit, vient d'achever deux mandats à la tête de la congrégation. Il a cédé ses fonctions de Supérieur général à un confrère canadien, le père Michael Brehl. Il souligne les enjeux du XXIVe Chapitre général, qui s'est tenue à Rome, en octobre 2009. «Ce chapitre a permis de poursuivre la restructuration en cours depuis déjà plusieurs années. Nous devons notamment mieux prendre en compte les réalités de l'Europe occidentale: envoyer trois prêtres polonais ou africains à Paris ne suffira pas à résoudre les problèmes. Ceci étant, ce n'est certainement pas en France qu'il est aujourd'hui le plus facile de prêcher l'Évangile... En réalité, il faut prendre pleinement le sens de ce qu'indiquait Jean-Paul II: la vocation internationale d'une congrégation, dans un monde toujours divisé en nations. Il faut passer de la multiculturalité, c'est-à-dire de la simple reconnaissance des différences, à une véritable interculturalité. Il faut passer de latolérance à un véritable partage».
Le père Enrique Lopez, originaire du Paraguay, qui vient d'être élu vicaire général, rappelle que l'engagement préférentiel en faveur des pauvres est à l'origine même de la congrégation, depuis sa création par saint Alphonse, soucieux de venir en aide aux pauvres de Scala. L'engagement des Rédemptoristes unit donc de manière indissociable l'évangélisation et l'action sociale - «car l'Évangile affecte l'individu dans son entièreté». Les Rédemptoristes se donnent donc pour mission d'aller toujours «ailleurs» pour annoncer l'Évangile et d'aller en priorité vers les pauvres et les personnes abandonnées, par la société comme par l'Église.
La Congrégation est présente dans 78 pays, et compte actuellement 5.400 membres. À côté de provinces très vieillissantes en Europe occidentale et en Amérique du Nord, elle connaît aujourd'hui une forte croissance en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. «Nous formons des communautés de prêtres et de frères», explique le père Enrique, «et nous essayons de favoriser un plus grand engagement des laïcs, que nous percevons comme des partenaires en mission».
Les rédemptoristes vivent en communauté, partageant une vie de prière et de mission, même si la vie communautaire est aujourd'hui en crise dans plusieurs provinces, notamment en Europe occidentale, ainsi que le notent tous les rapports présentés pour le Chapitre général. «L'engagement en paroisse amène parfois à l'éloignement de certains de nos confrères, surtout s'ils ne sont pas impliqués dans les structures de la congrégation. Le vieillissement est un autre facteur qui contribue à cette situation», reconnaît le père Enrique.
Comme dans beaucoup de congrégations missionnaires, les Rédemptoristes ont aussi besoin de redéfinir le rôle des frères [religieux qui ne sont par ordonnés prêtres, NDLR]. «Le rôle du frère était traditionnellement de contribuer à la mission par des services rendus dans la congrégation, le plus souvent des taches techniques, comme la cuisine, l'entretien des bâtiments. Après Vatican II, on a cru qu'il n'y avait plus besoin de frères, car l'idée était que tout le monde mène de front le travail apostolique, des activités professionnelles et des travaux domestiques. En réalité, toutefois, c'est l'image sociale du frère qui doit être redéfinie, car notre vocation de rédemptoristes, notre vocation missionnaire, est la même, que nous soyons prêtres, frères ou laïcs», poursuit le père Enrique.
Le rôle des laïcs, définis comme des «partenaires en mission», va en effet croissant. Ils participent à la vie des communautés locales, à son action et à sa vie de prière, à certaines réunions, même s'ils ne sont pas engagés dans les structures de la congrégation. «Une même vocation rédemptoriste nous réunit, que l'on soit pères, frères ou laïcs», souligne le père Enrique. «Au cœur de cette vocation, se trouve le désir d'être missionnaire». Les rédemptoristes comptent ainsi une dynamique mission de laïcs en Hollande.
Allers-retours de la mission entre l'Ukraine et le Canada
Autre particularité, l'ordre réunit dès ses origines des confrères suivant différents rituels. Ainsi, en Inde, la congrégation réunit des frères qui suivent le rite latin et d'autres qui suivent des rites orientaux, les rites syro-malankar et syro-malabar. De même, les rédemptoristes ukrainiens sont de rite gréco-catholique, en Ukraine comme dans la diaspora au Canada. Ils appartiennent à l'Église catholique d'Ukraine (uniate).
Le père Michael Bubnij, de la province de Lviv, explique les spécificités d'une province uniate, de rite gréco-catholique, en pleine reconstruction après la période soviétique. Cette province est étroitement liée à celle de Yorkton, au Canada, très implantée au sein de la diaspora ukrainienne. Né en 1970, le père Bubnij a lui-même fait l'expérience d'une Église «semi-clandestine»: à l'époque soviétique, l'église gréco-catholique était interdite et ses églises avaient été soit détruites soit affectées à l'Église orthodoxe russe, seule tolérée par les autorités communistes. La reconstruction de la province de Lviv, qui compte aujourd'hui 118 confrères, dont 5 évêques, fut largement aidée par la province ukrainienne de Yorkton, au Canada.
En effet, cette province joue un rôle essentiel dans le maintien de l'identité ukrainienne au sein de la diaspora établie au Canada, alors qu'il s'agit d'immigrants de quatrième ou cinquième génération, très bien intégrés et qui ont même tendance à perdre l'usage de leur langue. Les Ukrainiens ont commencé à émigrer au Canada à la fin du XIXe siècle, notamment dans les États du Saskatchewan et du Manitoba. Alors qu'ils auraient voulu prier dans leur langue, ils fréquentaient les églises rédemptoristes belges installées dans la région. En 1906, le père Achille Delaere décida d'abandonner le rite romain au profit du rite gréco-catholique afin de répondre à cette attente. Dès lors, la province rédemptoriste de Yorkton devint un des principaux pivots de l'Eglise catholique ukrainienne.
En 1913, des rédemptoristes ukrainiens du Canada revinrent au pays pour ouvrir une première maison à Lviv, alors territoire austro-hongrois. La ville, située à l'ouest de l'Ukraine, fut ensuite rattachée à la Pologne jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, puis à l'Union soviétique et enfin à l'Ukraine, depuis que celle-ci a recouvré sa souveraineté, en 1991. L'histoire des rédemptoristes en terre ukrainienne est donc indissociablement liée à celle de cette province en diaspora. Et la province de Yorkton continue d'aider la «jeune» province de Lviv, qui compte aussi sur l'aide des provinces polonaises, notamment pour assurer la formation, car les vocations ne manquent pas.
Cependant, au Canada, la province de Yorkton ne se contente pas de jouer un rôle «identitaire» et «conservatoire», mais mène un apostolat varié, notamment auprès des populations autochtones amérindiennes. Elle célèbre aujourd'hui majoritairement des liturgies en langue anglaise, et elle privilégie la mission auprès des pauvres, ce qui inclut «les peuples des Nations premières, les travailleurs pauvres, les sans emplois, les malades mentaux, les nouveaux émigrants, les réfugiés, et parmi ceux-ci surtout les femmes et les enfants» [1] Les frères d'Ukraine qui se rendent dans la province de Yorkton ont donc l'opportunité de découvrir des réalités fort éloignées de celles de leur quotidien «post-soviétique».
Diversité des rituels et engagement oecuménique
Le père Juventius Andrade, qui vient d'être élu consulteur général de la congrégation, rappelle les priorités de sa province d'origine, celle de Bangalore, dans le sud de l'Inde: engagement social auprès des plus pauvres, notamment dans les bidonvilles ainsi qu'auprès des migrants internes, et dialogue œcuménique. Le catholicisme, très minoritaire, se trouve en effet dans une situation difficile en Inde, où il jouit pourtant d'un grand prestige, notamment pour la qualité des formations assurées par ses établissements scolaires.
Dans ce pays, l'Église a une histoire longue et complexe. Selon la tradition, l'Église malankare aurait été fondée dans le Kerala (côte sud-ouest de l'Inde) par l'apôtre saint Thomas. Cette Église s'est divisée en plusieurs branches: l'une est rattachée au patriarcat orthodoxe d'Antioche, tandis qu'il existe aussi une Église malankare autocéphale, ou Eglise indienne orthodoxe. De surcroît, durant la colonisation portugaise, une branche est entrée en communion avec Rome, tout en conservant un rite oriental (Concile de Diamper, 1599). Il s'agit de l'Église catholique syro-malabare. Dans l'État du Kerala, certains malankars sont aussi rentrés en communion avec Rome. Les rédemptoristes indiens suivent donc trois rites - le rite syro-malabar et le rite syro-malankar dans l'Etat du Kerala, le rite latin dans le reste du pays. Initialement, la province rédemptoriste de Bangalore réunissait des frères des trois rites, mais une province spécifique de rite malankar a été érigée en 2008.
Le père Andrade souligne l'importance de l'engagement œcuménique, quand les catholiques forment une petite minorité (2,34% du total de la population indienne). Que cela soit avec l'hindouisme ou avec l'islam, il distingue quatre niveaux de dialogue: le dialogue de vie, le dialogue d'action, le dialogue théologique et enfin le dialogue spirituel. Il souligne l'extraordinaire diversité confessionnelle et linguistique du pays, tout en notant que la multiplication des pèlerinages et des sanctuaires de toutes les religions, l'affirmation de pratiques plus ostentatoires de la foi vont de pair avec une inquiétante baisse de la tolérance religieuse dans toutes les communautés du pays. Ces dernières années, des chrétiens ont régulièrement été attaqués par des extrémistes hindous.
«Un Congolais peut-il être rédemptoriste?»
Le père Athanase Nsianina vient d'achever son mandat de consulteur général de la congrégation. Il s'apprête à revenir dans son pays, le Congo. Dans ce pays, principalement dans la province du Bas-Congo, la mission rédemptoriste est implantée depuis 110 ans. Au Bas-Congo, les rédemptoristes assument avant tout des missions paroissiales. «Quand j'ai commencé», raconte le père Athanase, «je visitais avant tout des villages très reculés, là où l'Église n'arrive pas. Dans l'année, je ne célébrais guère que deux messes: celle de Noël et celle de Pâques. Dans ces villages, c'étaient les seules célébrations».
La mission est également très engagée dans les œuvres sociales, avec un réseau de centres de santé et un réseau d'écoles. Le père Athanase a contribué à la mise en place d'un Institut agro-alimentaire à Matadi, la capitale du Bas-Congo, qui vise à valoriser les produits locaux. Il s'est également engagé dans la création d'un centre d'évangélisation, qui assure la formation des missionnaires, y compris celle des laïcs rédemptoristes - la priorité étant que «les gens se prennent eux-mêmes en charge». La mission est aussi très engagée dans les activités de justice et paix, le port de Matadi étant un grand centre d'émigration clandestine. Dans un pays ravagé par des guerres endémiques, la mission s'est aussi beaucoup engagée auprès des enfants des rues et des enfants soldats, non sans essuyer des échecs, notamment à Kinshasa.
Le père Athanase est un homme révolté par la misère de son pays, les ravages des bandes guerrières et d'un gouvernement prédateur. Il parle avec passion d'un projet qui lui tient particulièrement à cœur, celui de la radio Notre-Dame-Espérance, qui émet depuis Matadi. Cette radio émet en trois langues, le français, le lingala et le kikongo. Elle emploie désormais trois techniciens, trois journalistes et deux animateurs. Pour lui, les médias représentent un enjeu majeur dans un pays corrompu et mal gouverné. «Nous ne pouvons pas apparaître comme des opposants politiques, si nous voulons que notre radio survive, mais son but est de développer la conscience du peuple. J'essaie d'éviter qu'elle ne devienne une radio antigouvernementale, car cela signerait probablement sa fin», explique le père Athanase, avant d'ajouter: «mais il vaut mieux que je n'intervienne pas directement sur les ondes, car je ne pourrais pas m'appliquer à moi-même ces principes de prudence»...
Au Bas-Congo, la mission doit aussi se confronter à des Églises locales, notamment les disciples de Simon Kimbangu et l'Église du Congo, encore plus radicale, refusant tout contact avec les Blancs et professant que «Dieu est noir». Le dialogue semble difficile avec ces Églises, qui développent une vive propagande anti-catholique.
Déchiré par les guerres, le Congo est en effet toujours malade de son histoire, avant tout de son passé colonial. Un passé qui a longtemps déterminé aussi le visage de la mission rédemptoriste. En effet, durant très longtemps, tous les rédemptoristes implantés dans ce pays étaient belges. «Au départ, ce sont des prêtres de Gand qui sont venus, à l'appel du roi des Belges Léopold, pour travailler auprès des employés blancs du chantier du chemin de fer Matadi-Kinshasa. Durant 80 ans, tous les rédemptoristes du Congo étaient des Blancs, principalement des Belges. On pensait même qu'il était impossible de former un rédemptoriste congolais», lâche le père Athanase dans un éclat de rire. «La première promotion autochtone n'est entrée au noviciat qu'en 1980. Moi, j'appartiens à la deuxième promotion, celle de 1981».
Son visage se serre pour évoquer la difficile ouverture de sa congrégation à des prêtres autochtones. «En 1960, quatre jeunes Congolais sont entrés en noviciat, mais les pères belges avaient peur d'eux et les gardaient enfermés dans la maison. Ils ont fini par partir. L'histoire s'est répétée en 1976: complètement coupés du monde, les novices sont devenus fous. Lors de la troisième tentative, en 1980-1981, la même erreur a failli se répéter, mais nous nous sommes révoltés. Un jour, nous avons mis l'ordre devant ses responsabilités: le maître des novices devait partir, sinon, c'est nous qui partirions. Finalement, c'est lui est parti, et c'est comme cela que les premières promotions de rédemptoristes congolais ont pu poursuivre et achever leur formation. Aujourd'hui, nous comptons 50 confrères congolais, répartis dans 11 communautés, sept au Bas-Congo et quatre à Kinshasa, et les vocations ne manquent pas»...
Le renouveau de la théologie morale
L'Académie alphonsienne, logée dans l'immeuble qui abrite également la maison généralice, a été fondée par les Rédemptoristes en 1949. Elle fut intégrée dans l'Université pontificale du Latran en 1960. Elle s'inscrit dans la vocation spécifique des pères rédemptoristes et poursuit l'engagement de saint Alphonse, rénovateur, en son siècle, de la théologie morale.
Depuis sa création, l'Académie a formé plus de 4.600 étudiants. Elle accueille chaque année environ 300 doctorants, dont une dizaine seulement de rédemptoristes, même si la présence des membres de la congrégation est plus affirmée au sein du corps enseignant. Le père Martin McKeever, actuel président de l'Académie, souligne que la mission de l'Académie s'inscrit dans le cadre défini par Vatican II: repenser la morale en termes académiques. Il rappelle le rôle essentiel joué lors du concile par le père Bernard Häring (1912-1998), un rédemptoriste allemand, l'un des fondateurs de l'Académie. Bernard Häring fut l'un des inspirateurs de la Constitution Gaudium et Spes [document sur l'Église dans le monde moderne, promulgué par le pape Paul VI en 1965, à l'issue du concile Vatican II, NDLR]. Ses positions tranchées - notamment son opposition à l'encyclique Humanae Vitae, qui condamnait toute forme de contraception - ne l'ont pas empêché de jouer un rôle majeur dans le renouveau de la théologie morale. Le père McKeever souligne que l'Académie, tout en respectant le magistère de l'Eglise, doit rester un lieu de «libre recherche».
Le père Joseph Tobin souligne le sens de cet engagement particulier des Rédemptoristes. «La tradition de la théologie morale remonte à notre fondateur, saint Alphonse de Liguori. Faire de la théologie morale suppose fondamentalement deux choses: bien connaître la tradition de l'Église, et bien connaître le monde dans lequel nous vivons. Saint Alphonse disait que le problème des confesseurs est qu'ils n'étudient pas, et que celui des professeurs est qu'ils ne se confessent... Notre charisme nous pousse en priorité vers les personnes abandonnées, par l'Église comme par le monde. En Afrique du Sud, il y a un évêque rédemptoriste, Mgr Kevin Dawling, qui a été conseiller général de la congrégation durant 18 ans. Il est en charge du diocèse de Rustemburg, dans le Transvaal, l'un des plus isolés et des plus déshérités du pays. Dans sa ville, 50% de la population est séropositive, et l'évêque s'est clairement prononcé en faveur de l'usage du préservatif. Nos positions sur le SIDA sont claires et connues, même du pape».
La mondialisation, une chance pour l'Église
Le père Tobin affiche un irréductible optimisme. «Nous vivons un grand déplacement de notre centre de gravité, du Nord vers le Sud. Il suffit de regarder les chiffres pour comprendre que la crise des vocations est déjà derrière nous. Seulement, ces vocations ne sont plus au Nord, mais au Sud. Nous sommes profondément engagés dans une inculturation de notre charisme au Sud. C'est un processus qui se poursuit, qui n'est pas encore achevé, et qui exige bien sûr encore beaucoup de réflexion sur les nouveautés qu'il induit. Paul VI a dit que «chaque peuple avait besoin d'une évangélisation», cela veut dire que l'Évangile doit pénétrer toutes les différentes cultures. Il n'y a pas de modèle culturel universel, ni européen, ni américain, ni africain. Nous devons redéfinir le sens de notre engagement dans ce monde de la diversité. Par exemple, que signifie réellement les trois vœux que nous prononçons dans le monde africain? J'étais il y a peu de temps à Madagascar: là-bas, nos jeunes frères m'ont demandé quand ils seront enfin considérés comme pleinement coresponsables. L'ordre des rédemptoristes n'est pas le plus mal armé pour faire face à cette mutation culturelle. Nous avons été fondés dans le royaume de Naples, en 1732, et le déplacement vers Rome, au Nord, a déjà représenté pour nous une première et difficile révolution culturelle, ce fut un déplacement fondateur. Notre mission se déploie toujours dans l'espace d'une tension et d'un dialogue entre trois éléments: l'Évangile, notre charisme spécifique et la vie du monde réel. Ce monde est lui aussi en proie à de profonds changements, mais il faut comprendre qu'au-delà des difficultés du présent, des phénomènes comme la mondialisation représentent une chance fantastique, pour le monde et pour l'Évangile. Le sens fondamental du charisme des Rédemptoristes consiste à vouloir toujours aller au-delà».
«En réalité, conclut le père Tobin, c'est le sens profond du concile Vatican II: l'Eglise ne doit pas avoir peur du monde actuel, au contraire, elle doit comprendre que son avenir se joue dans la mondialisation. Nous devons retrouver l'espérance qui caractérisait Gaudium et Spes».
Jean-Arnault Dérens
Note
[1] Rapport sur la province, in Conspectus generalis Congregationis Sanctissimi Redemptoris. XXIV Capitulum Generale, Romae, 2009.
Jean-Arnault Dérens, qui collabore régulièrement à Religioscope, est le rédacteur en chef du Courrier des Balkans.
© 2010 Jean-Arnault Dérens